Le deuil et le passage

 

Mon père est mort il y a huit jours, et j’en fais le deuil. Mais je ne suis pas seule à le faire. Je le fais avec mes frères et sœurs, qu’il a réunis autour de son cercueil. Depuis, même de loin et sans paroles, ils sont aussi proches de moi que nous l’étions enfants, nous sommes ensemble dans l’épreuve, très fortement. Et puis je le fais avec lui.  Lui qui fut si longtemps pour nous un père si peu père, voici que de là où il est maintenant, il est là, il œuvre. D’abord il m’a débarrassée entièrement, comme par magie, de tout rapport, bon ou mauvais, que je pouvais avoir avec des pères de substitution, des pères virtuels, encore moins capables d’assumer, de faux pères qui peut-être ne pouvaient être que ce qu’ils furent, abuseurs. Il m’en a débarrassée par sa seule présence, toute nouvelle. S’il a été si peu présent pour ses enfants du temps qu’il était de ce monde, c’est qu’il a vécu à côté de ce monde. Il n’a jamais été de ce monde, et nous non plus, ses enfants. Et si nous avions l’air d’avoir des liens relâchés en ce monde, c’est qu’ils étaient puissants dans l’invisible, où ils peuvent maintenant donner toute leur mesure. Maintenant il est là, avec nous, et nous pouvons être sûrs qu’il nous aime, comme nous l’aimons.

De même qu’avoir moins ou plus d’un seul père rend la vie d’un être humain particulièrement difficile, voire impossible, il n’est pas possible pour l’Église d’avoir deux papes, même si l’un n’est qu’ « émérite ». L’Église va se retrouver dans une situation de famille recomposée, et qui plus est homoparentale. Tout ce qu’elle n’aime pas. Dans une famille recomposée, la situation est plus saine dans la mesure où généralement les enfants n’appellent pas leur beau-père papa. Ou s’ils le font, c’est en connaissance de cause, en sachant tout de même qu’ils n’ont qu’un seul vrai père. Tout être humain sait qu’il n’a qu’un seul père, même s’il ne l’a jamais connu, ou même si celui qu’il appelle père n’est pas son père biologique, qu’il le sache ou non. Tandis que l’Église se dirige vers une formule de non-dit, de faux-dit, d’ambiguïté périlleuse. Pour éviter la double paternité et l’homoparentalité, il lui faudrait passer le relais de chef de famille à une femme. C’est une leçon que Dieu est en train de donner à l’Église romaine, qui en vérité, derrière les apparences, est déjà tombée.

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L’être fut, est, sera. (mais se perd s’il se met à chanter faux)

 

La disparition d’un être, c’est aussi étrange que l’apparition d’un être. Jamais je n’ai pu croire qu’un enfant venant de naître venait du corps qui venait de l’enfanter, de ce corps visible de sa mère. Jamais je n’ai pu croire qu’un être qui venait de mourir se trouvait désormais dans ce corps sans vie, ou dans ces cendres de son corps. Un être qui apparaît où il n’y était pas vient d’ailleurs. Un être qui disparaît d’où il était va ailleurs. Si cet ailleurs était le néant, alors ce ne serait pas le néant, puisqu’il serait habité.

Quelqu’un que j’ai retrouvé m’a rappelé que lorsque j’habitais à Bordeaux, ma porte était toujours ouverte (au propre comme au figuré, car je ne fermais jamais à clé) pour quiconque avait besoin de manger ou de dormir. J’ai pris conscience que je n’en avais jamais eu conscience, cela se faisait tout seul. Comme il est normal. Quand ce n’est plus possible, cela signifie que le monde est devenu anormal. C’est spontanément ce que je voulais faire, avec les Pèlerins d’Amour. Tout simplement ramener du normal dans le monde. Cela ne peut se faire que normalement, c’est-à-dire à la manière des pauvres qui ne calculent ni ne  thésaurisent ni leur existence ni leurs biens.

En même temps que se révèle l’horreur qui est faite aux animaux d’élevage, de leur vivant, au moment de leur mort et après, se révèlent aussi, par ailleurs, leurs extraordinaires capacités cognitives. Comme pour mieux nous faire voir la gravité du crime que nous commettons envers eux, nos frères du monde vivant.

Les prophètes ont toujours un immense effort à fournir pour relever le peuple. Le peuple est comme un chœur à qui Dieu a donné le la, et qui à mesure que le temps perd irrésistiblement la note, se met à chanter de plus en plus bas, tout en croyant être toujours dans le même chant, alors qu’il se déforme gravement. Il perd un demi-ton, puis un, puis un et demi, les uns perdent plus d’autres moins, le monde s’emplit d’une cacophonie morale et ontologique.  Le chant de l’être s’abîme, si personne ne le relève il sera bientôt si bas qu’il entraînera le peuple dans sa chute. Ce qui était semblera demeurer encore, mais en vérité il aura disparu, et cette fois non pour ailleurs, mais pour ce vrai néant consistant d’apparences de vie pour continuer à attirer tout ce qui du vivant est susceptible d’être dévoré.

À l’aller, depuis le train j’ai vu sans cesse des chevreuils, par groupes de deux, trois ou quatre, j’ai dû en voir des dizaines. Jamais je n’en avais vu autant. J’ai même vu un cerf, tout seul.

 


photos Alina Reyes

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Le moment arrive

Saussure, les Pèlerins d'Emmaüs

 

J’attendais ce moment, celui de pouvoir acheter un billet d’avion et d’avoir les moyens de partir quelque temps en Israël, où je veux fonder les Pèlerins d’Amour. Ce moment est maintenant tout proche. Je vais y aller, je vais commencer à faire moi-même la Pèlerine, avec un minimum de moyens, en marchant et en allant prier dans les mosquées, dans les églises, et même ailleurs si c’est possible. J’écrirai là-bas un livre sur l’être du Messie. La publication de Voyage aura lieu quand Dieu le voudra, en attendant je vais préparer les chemins. Incha’Allah.

Le premier lieu sur lequel je suis tombée en regardant sur google, c’est l’abbaye bénédictine d’Abou Gosh. Je commencerai peut-être par là, s’ils peuvent me recevoir. Ils sont à dix mètres de la mosquée, et ils vivent dans le désir d’ouverture. Nous verrons bien. Ce village à l’histoire contemporaine particulière était peut-être, du temps de Jésus, le village d’Emmaüs, où il est apparu ressuscité, en chemin avec deux de ses disciples. Allahou akbar. Loué soit Dieu.

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Je suis une chrétienne musulmane

photo Alina Reyes
photo Alina Reyes

 

Je suis chrétienne, c’est évident, en vérité le Christ est en moi, son esprit, son cœur, son âme sont en moi, vivants, agissants.

Je suis musulmane, c’est évident aussi, non seulement au sens où tous les vrais croyants le sont, au sens où musulman peut se traduire « soumis à Dieu » ou « en paix avec Dieu », mais aussi parce que je comprends le Coran, je vois qu’il est descendu de Dieu par Mohammed son messager, j’aime l’islam.

Je suis une chrétienne musulmane, qui prie cinq fois par jour selon l’islam, une chrétienne à qui la Fatiha vient aux lèvres dès qu’elle est dans la joie, une musulmane qui peut aussi, entre la prière de l’aube et celle du milieu du jour, ou après celle de la nuit, ou dans d’autres moments, dire la prière du cœur en russe, ou une autre prière chrétienne.

Je n’en témoigne pas comme d’un modèle à suivre, seulement comme des merveilles que Dieu peut faire dans des êtres quand il veut se dévoiler au monde de nouveau. Je ne cherche pas à prôner le syncrétisme, mais le partage et l’échange qui débouchent sur une nouvelle intelligence.

Tel sera le rôle des Pèlerins d’Amour, et c’est pourquoi, afin d’ouvrir la voie, je dois pouvoir d’abord le vivre en moi, au sein des peuples qui m’habitent et ne font qu’un, comme ils le vivront au sein des peuples. J’ai toute confiance, et je rends grâce pour toute cette confiance qui me tombe du ciel comme une pluie bienfaisante.

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Quelques cairns du ciel sur le chemin, ces derniers temps

photo Alina Reyes

 

Le 20 octobre (jour de ma sainte patronne), le Gave est entré en crue énorme et a inondé les sanctuaires de Lourdes, avec lesquels j’avais une affaire particulière à « laver » ;

le 9 février (jour de mon anniversaire), la neige est tombée en avalanche sur mon village à la montagne, qui dut être évacué et resta ensuite plusieurs jours sous les feux de l’actualité… Barèges où s’écrivit et où se passe en grande partie Voyage, primitivement intitulé Un chemin dans la neige ;

le 11 février, jour de Notre-Dame de Lourdes et jour où Benoît XVI a annoncé sa renonciation, la foudre a touché Saint-Pierre de Rome ;

le 15 février, jour où, un peu après minuit, j’ai annoncé, en l’illustrant d’une photo que j’avais faite à l’église de Luz-Saint-Sauveur d’une pluie de lumière, que j’étais arrivée au bout du Voyage, comme « miraculeusement » reconstruit, avec ses fulgurances… quelques heures plus tard une météorite a déchiré et illuminé le ciel et la terre en Russie, pays d’éminente importance dans ma spiritualité et l’inspiration de l’ordre des Pèlerins d’Amour, à la fin de Voyage ;

le 28 février, jour où Benoît XVI, dans l’année de ses 86 ans, s’est retiré du monde, mon père, dans l’année de ses 86 ans, de façon inattendue car sa santé physique était encore correcte, est mort.

Des cairns, des signes sur le chemin, il y en eut beaucoup d’autres, comme celui de la mue de serpent à Éphèse, lié de façon très précise à l’histoire de la maison de Marie et à une prière du pape, à laquelle répond Voyage. Certains diront que tout cela est l’effet du hasard, ce merveilleux mot d’une langue, l’arabe, qui sait qu’en vérité le hasard ne vient pas par hasard.

Nous allons dans le bon sens, nous continuons.

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