Les dieux du stade. (D’un article de François Rastier sur Heidegger)

du film "Olympia : les dieux du stade", par Leni Riefenstahl

 

Dans la suite de mes réflexions de ces derniers jours sur le nihilisme caché véhiculé par maintes œuvres de l’esprit, je recommande la lecture de ce long article de François Rastier sur « Heidegger aujourd’hui ». Je voudrais juste ici, en citant quelques passages de cet article, donner un éclairage un peu plus précis sur ma conviction très forte, déjà exprimée, qu’il nous faut absolument identifier ces puissances et ces dominations, comme disait saint Paul, d’ordre spirituel, qui œuvrent à la destruction de l’homme et du monde, et que nous devons combattre.

« Ainsi soutient-il par exemple que le Peuple relève des étants, l’État de l’Être : le Führer se trouve donc dans la situation métaphysique éminente de permettre la médiation entre les étants et l’Être », écrit-il à propos de la philosophie de Heidegger, toute empreinte de sa « foi nazie ». Une pensée où l’existence précède l’essence, où l’être n’est pas donné à l’homme mais doit se gagner, est fausse et donc éminemment dangereuse puisque, nous le voyons, elle remet l’âme et la destinée de l’homme non plus dans les mains de Dieu et le chemin vers lui – Vérité, Amour, Liberté – mais à son propre orgueil de chef ou à sa soumission au chef. Pourtant tel dominicain faisait l’autre jour à la télévision, en opposition totale avec sa foi ou ce qui fut sa foi, cette profession de foi existentialiste selon laquelle un être humain n’est pas une personne mais doit le devenir.

« Pour Heidegger, la restitution de l’identité passait d’abord par l’avènement du Führer qui nous libèrera de la dépossession et permettra la grande Restitution. (…) Dans son essai « Sur Ernst Jünger » (GA, 90), Heidegger précise son programme identitaire : « la force de l’essence non encore purifiée des Allemands est capable de préparer dans ses fondements une nouvelle vérité de l’Être. Telle est, dit-il, notre croyance [Glaube]. » Et il se recommande de la Rassegedanke, cette pensée de la race qui, dit-il, « jaillit de l’expérience et de l’Être comme subjectivité ».

Dominique Venner, suicidé sur l’autel de Notre-Dame, dans ses dernières paroles se référait encore à Heidegger, et évoquait le fantasmatique « grand remplacement » (repris de R. Camus) de la population française, comme Heidegger appelait de ses vœux la « grande restitution » de l’Allemagne aux Allemands. Citons encore :

« Une autre lecture, complémentaire, s’appuie sur l’intertexte heideggérien. Elle est formulée dans un entretien inédit entre Alain Finkielkraut et Emmanuel Faye qui reconnaît dans ce passage « la conception nazie de la mort comme « sacrifice de l’individu à la communauté ». On la trouve déjà annoncée dans Être et temps et célébrée par Heidegger en mai 1933 dans son discours qui exalte Schlageter, le héros des nazis mort fusillé par les Français en 1926 pour, dit Heidegger, « mourir pour le peuple allemand et son Reich. » C’est pour Heidegger mourir de la manière la plus dure et la plus grande. » Et c’est aussi ce que fantasma de faire Venner, en une espèce de singerie du sacrifice chrétien.

« Le dispositif évangélique voilait le sens spirituel et exhibait le sens historique pour transformer l’histoire humaine en histoire du Salut : le Christ était l’opérateur qui relie les sens de l’écriture, car les tribulations de ce délinquant palestinien en rupture de ban judaïque relevaient des desseins divins. Ici, à l’inverse, Heidegger passe de l’histoire (historiale) du Salut à celle des hommes. Il subordonne ainsi le temps historique au temps apocalyptique de l’Événement/Avènement (Ereignis), pour récuser ainsi l’histoire et bâtir une théologie cauteleuse : historialisé, originé, prophétisé, le temps devient impensable pour l’histoire. »

Ici je pense à ces phrases de Guillaume Ruffaud (un auteur Bayard Jeunesse !) lues dans la malheureuse revue Noor, censée nous parler d’un « islam des lumières » mais colonisée par le plus commun esprit germanopratin, avec ses extensions heideggeriennes plus ou moins cachées mais bien réelles : « La spiritualité n’est pas l’eschatologie, l’important n’est pas tant le grand récit du monde et de ses fins dernières. Mais bien plutôt, que la présence est le beau synonyme de la vie spirituelle. Elle peut prendre des formes inattendues. Le sport, pratiqué dès les plus petites classes, ne pourrait-il pas être une école spirituelle ? » Présence et « eschatologie de l’être » sont des concepts heideggeriens. Et puis, c’est très à la mode et pour cause, on ne parle pas de Dieu ni de religion, mais de spiritualité. La spiritualité présente l’intérêt de n’engager à rien, spécialement dans le domaine de l’éthique, en ignorant la transcendance et du même coup, le sens de l’histoire.

« Un des principes de la théologie politique moderne est que l’on peut faire l’histoire, notamment par la grâce de l’État total et de son Guide ou Meneur (Führer) à demi divinisé. Ils n’accomplissent pas la Providence, ils la maîtrisent, ils se substituent à elle. Les Sages préparent la venue du Dieu : selon Heidegger, « ce sont seulement les solitaires, grands et cachés, qui parviendront à créer le silence pour le passage du Dieu, et, entre eux, ils créeront l’accord tacite de ceux qui se tiennent prêts. (…) » Délire des hommes qui croient pouvoir fabriquer eux-mêmes, et l’histoire, et Dieu. Délire mortel. Dieu ne vient pas d’eux, Dieu vient de Dieu et les renverse, comme il a renversé le Reich.

« Il reviendra à Heidegger d’anéantir par le retour à l’Être un Éternel intolérablement judaïque » – rappelons nous la haine de « l’illimité » dont témoignait Venner dans ses derniers mots. François Rastier rappelle que « à la notion d’humanité enfin, Heidegger substitue celle de souches ». Et cite Emmanuel Faye : « La même année que Sein und Zeit, Heidegger s’emploie, dans son cours du semestre d’été 1927, à détruire la notion de genre (genos) humain, en remplaçant abusivement le genos grec par les mots « lignée, souche » et en parlant désormais des « souches » au pluriel, de sorte qu’il n’est plus question de genre humain universel ». Par ailleurs, dans Sein und Zeit, il redéfinit « l’autre non comme un Tu, mais comme un On menaçant ». « On » juif ici, « on » musulman ailleurs, « on » tout non-musulman ailleurs encore… François Rastier le dit à la fin de son article, Heidegger continue de séduire tous les identitaires de la terre.

J’ai été victime de toute cette fantasmagorie, je sais de façon aiguë la reconnaître où généralement on ne la perçoit pas, où on la perçoit d’autant moins qu’elle a imprégné la pensée d’une très grande partie des intellectuels français qui ont directement ou indirectement embarqué dans ce mauvais train de la mort, comme kapos de la pensée et en fin de compte comme victimes aussi, puisqu’ils y perdent leur âme. Je ne dis pas qu’il ne faut pas lire Heidegger, ni qu’il ne faut pas lire Freud, ou d’autres encore. Toute pensée peut être intéressante à lire. Je dis qu’il ne faut pas y croire. Car c’est bien ce qui se passe, en particulier avec Heidegger et Freud : ceux-là même qui s’en réclament, et se déclarent du même coup athées ou agnostiques, en vérité ont fait de leur parole une idole absolue, immaculée, une parole plus impossible à remettre en question qu’une parole de Dieu. La conciliation n’est pas possible. Entre l’humain et la singerie de l’humain, il faut choisir. Et choisir, c’est aussi refuser le mauvais, œuvrer à en préserver les hommes et le monde. Tel est le combat eschatologique.

 

Oui, toujours

 

Un enfant a besoin d’entendre « oui » dès sa conception. Et si du non s’y immisce, que le oui l’écrase. C’est tout. Un enfant a besoin d’être, à sa naissance, accueilli et nourri au sein par celle qui l’a porté pendant neuf mois. Voilà ce qui renouvelle le oui, le oui sans non. Et si une impossibilité s’y oppose (la mort de la mère ou son incapacité totale à assumer l’enfant), si petit soit-il l’enfant le comprendra, du moment qu’à travers ceux qui l’accueilleront lui sera réitéré le oui absolu qui lui est dû.

Ne laissez nulle pseudo-science vous dire qu’il est normal que du rejet ou de la restriction se mêle à l’accueil de l’enfant. Ne laissez nulle pseudo-autorité vous dire que se conformer au mal est normal, ou normalement pathologique. L’amour est la loi supérieure, la seule loi.

Si vous avez un enfant qui se fait agresser régulièrement à l’école, vous allez voir les responsables de l’école, voire les parents de l’agresseur ou des agresseurs. C’est dans cet esprit que je dis que le pape devrait aller voir les responsables religieux et politiques des pays où les chrétiens sont maltraités. De même, les représentants des musulmans devraient aller voir les responsables politiques dans les pays comme chez nous où les musulmans rencontrent trop de rejet. Mais sans doute est-il plus difficile pour un responsable musulman que pour le pape d’être reçu par les politiques. Il faut pourtant aller dans ce sens, et moi-même, au lieu de dire au pape et aux musulmans d’y aller, pourquoi ne le ferais-je pas ? N’est-ce pas ce que fit saint François en se rendant chez le sultan ? N’est-ce pas ce que fit Moïse en allant voir Pharaon ? Le monde en ces temps n’était pas aussi fermé qu’il l’est aujourd’hui, et ce qui est impossible nous devons le remplacer par du possible, sans jamais perdre de vue l’objectif de défendre nos enfants, qu’ils sachent que notre oui ne leur fera jamais défaut.

 

Al-Azhar et François

 

Al-Azhar provoque le Vatican en demandant au pape de déclarer que l’islam est une religion de paix. Comment pourrait-il le faire, alors que les chrétiens sont chaque jour plus discriminés et persécutés dans tout le Moyen Orient ? Bien sûr que l’islam est une religion de paix, de même que le christianisme est une religion de paix, et que cela ne l’a pas empêché de commettre plus d’horreurs qu’à son tour, persécution des juifs des siècles durant, croisades, inquisition, conversions forcées, bûchers… sans parler des derniers scandales contemporains. Alors plutôt que de se tenir en chien de faïence devant Al-Azhar, si j’étais pape j’agirais, je ferais comme saint François fit, je ferais le déplacement, le ferais le voyage, j’irais parler d’homme à homme avec les chefs religieux et les chefs d’État, sur place.

Voilà ce qu’inspire la solitude. Au service de ceux qui ne peuvent la vivre. Et qui mendie de servir.

 

Les profanateurs

 

J’ai habité dans Notre-Dame de Paris dans l’un de mes romans, Notre-Dame a été profanée par un suicide. J’ai fréquenté le Val-de-Grâce dans l’un de mes romans, la chapelle du Val-de-Grâce a été violée. J’ai photographié une statue de Saint-Pierre de Nantes pour la couverture de l’un de mes livres, Saint-Pierre de Nantes a été vandalisée.

En vérité, je ne suis vraiment pas pressée que Voyage paraisse. Ce que je pourrais espérer de mieux pour moi, c’est qu’il paraisse le plus tard possible. Je n’espère rien, j’écoute et j’observe, je fais sortir les pensées mauvaises de ceux qu’elles possèdent, ils n’en finissent pas de les vomir comme un chapelet de bêtise, peut-être qu’un jour ils en seront enfin vidés et pourront découvrir la vie. Voyage est publié librement, c’est l’essentiel, et il est vivant.

Moi, je me sens proche des amis de Clément. Et j’ai encore à écrire ! En attendant, je vous invite à lire ce beau texte, dans lequel sont notamment rappelées d’autres victimes de ces temps derniers dans notre pays : Mounir, dans le coma après une agression de la LDJ ; un couple de femmes, dont l’une est en ITT de 90 jours après une agression en marge du mouvement manif pour tous ; Rabia, dont nous avons déjà parlé ici, musulmane agressée par des skins… Je continuerai à dire la vérité.