aujourd’hui à Paris 13e, photos Alina Reyes
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aujourd’hui à Paris 13e, photos Alina Reyes
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aujourd’hui à Paris 5e, photos Alina Reyes
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aujourd’hui au Jardin des Plantes, photo Alina Reyes
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couverture de l’excellent recueil des chroniques et articles politiques de Milena Jesenska
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Je crois que tu aspirais à changer de peau.
Devenir panthère au lieu de jeûneur ; ou cet autre animal : une jeune fille qui s’étire, au lieu d’un misérable voyageur de commerce.
L’instinct…
Haine du singe savant.
À force de renoncement, changer de peau.
Moi, j’aspirais à changer de jour (j’étais encore assez animale).
À force de rage, atteindre l’aube.
Dépouillée, mais re-naissante à un autre jour.
Pourtant je vais mourir. Trop tôt, moi aussi. Un de ces matins, je ne te verrai plus passer par la fenêtre ! Et le corbeau ne me verra pas non plus.
Franz, je te voulais vivant !
Au moins, viens en rêve et couche-toi sur moi !
Une fois entré en moi, tu changeras de peau. Et moi, emplie de toi comme un solide bateau, j’atteindrai l’aube une fois encore.
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Ma mère mourut. Je noyai mon chagrin dans les larmes, et je m’autorisai enfin à sortir de chez moi. J’avais treize ans, je voulais vivre.
Il n’y avait plus que mon père et moi à la maison – c’est-à-dire que la plupart du temps, il n’y avait plus personne. Mon père était bien trop pris par ses activités professionnelles et mondaines pour s’occuper de moi ou seulement surveiller mes allées et venues. Le seul garçon qu’il avait eu était mort en bas âge. Il me considérait donc tour à tour comme son fils et sa fille.
Comme sa fille, lorsqu’il m’avait obligée, pendant des mois et des années, à rester confinée à la maison avec ma mère, et à veiller sur elle quand sa maladie s’était aggravée.
Comme son fils, lorsqu’il m’avait inscrite au lycée Minerva, le premier et très réputé lycée pour filles de Prague, où l’on recevait une éducation égale à celle des garçons – et même supérieure, car l’enseignement y était à la fois moins rigide et plus ouvert que celui qui te fut imposé au lycée de la Vieille Ville.
Comme sa fille encore, lorsqu’ayant eu vent de mes frasques (qui n’étaient autres que ces exercices de liberté et de découverte qu’on pratique à l’adolescence, et pour lesquels on montre ordinairement assez d’indulgence aux garçons), il entrait dans des colères terribles.
J’aurais tant aimé à être la petite chérie de ce père prestigieux, qui, comme il l’aurait fait pour un garçon, n’hésitait pas à me frapper pour me punir. Pourquoi ne cherchait-il pas à se consoler auprès de moi de la perte de ma mère ? Je me cachais ces sentiments, mais j’étais profondément frustrée de constater qu’il continuait à mener sa vie comme avant, comme s’il n’avait jamais eu besoin ni d’elle ni de moi. Tout ce qui semblait l’intéresser, c’était son ambition de me faire mener, plus tard, des études de médecine. Pour le reste, son attitude démontrait que la vie n’avait d’intérêt pour lui qu’en dehors du foyer. Et malgré moi, j’adoptai le même comportement – quoiqu’il pût m’en coûter.
Avec Stasa et Jarmila, nous formions un trio d’effrontées qui défrayait la chronique. D’une manière générale, les « minervistes » étaient émancipées. Rares étaient les filles qui avaient accès au lycée : nous constituions une sorte d’élite. Par la suite, la plupart des filles de Minerva ont obtenu d’ailleurs des postes importants dans la société.
Je me souviens avec émotion de ma première rentrée au lycée. C’était en 1907, j’avais onze ans. Papa et moi, pour une fois complices, avions choisi notre tenue avec un soin particulier, alliant l’élégance et l’originalité. Il m’avait accompagnée jusqu’au portail – j’avais conscience que nous avions tous les deux beaucoup d’allure, et que de nombreux regards se posaient sur nous. Il portait mes livres, avec la plus exquise galanterie paternelle. Maman m’avait fait faire, par notre couturière, un bel ensemble taillé dans un tissu souple aux tons gris, et comme une femme je portais sur mes boucles blondes enfantines un large chapeau de velours sombre qu’illuminait un ruban de couleur.
Un sentiment nouveau se faisait jour en moi : j’allais aimer merveilleusement la vie, l’aventure de la vie ; j’étais faite pour les plaisirs de la vie.
Stasa et Jarmila entraient aussi dans l’adolescence avec une grande intrépidité. Nous étions avides de nous livrer à toutes les fantaisies qui nous passaient par la tête. Nos corps changeaient, nous devenions des femmes tout en gardant l’esprit de jeu des enfants que nous étions encore. J’amenais Jarmila chez ma couturière, et aux frais de mon père – qui n’avait ni le temps ni le goût de vérifier les notes -, elle se faisait faire exactement les mêmes vêtements que moi : par amitié, elle avait décidé de me copier en tout, imitant jusqu’à mon écriture. Stasa avait deux ans de moins que moi, mais une personnalité très affirmée. Elle était déjà rayonnante de beauté, et nous nous aimions toutes les deux si follement que l’on disait partout que nous étions lesbiennes.
Peu nous importaient les rumeurs. Au fond, elles ne faisaient que pimenter encore un peu la vie que nous nous inventions chaque jour, et nous n’avions jamais assez de piment. Munies d’ordonnances et d’argent que j’avais volés à mon père, nous nous procurions toutes sortes de médicaments dont nous usions comme de drogues – je lui dérobais aussi de la morphine. Le désir de vie nous brûlait, il nous fallait expérimenter le plus de sensations possible. Parfois nous étions enthousiastes jusqu’au délire, et parfois sombres jusqu’au désespoir, mais toujours nous nous soutenions, liées par l’amitié comme on peut l’être à cet âge.
Nous nous faisions faire de longues jupes moulantes, des vêtements fluides, et près du corps, qui paraissaient scandaleux et que nous mettions pour passer et repasser, bras dessus bras dessous en riant, devant les cafés remplis d’Allemands du Prikope, une avenue que des jeunes filles tchèques ne pouvaient fréquenter que par provocation. Pourtant, là aussi, nous étions guidées avant tout par un esprit de découverte et un désir d’échange. Prague était si bien partagée entre ses diverses cultures et nationalités que traverser un quartier allemand revenait, pour nous, à nous aventurer en territoire étranger.
Seule, je me livrais aussi à certains actes que les autres appelaient excentricités, mais qui n’étaient pour moi que des pulsions naturelles et innocentes. J’aimais sortir de chez moi à l’aube – toujours mon goût de l’aube -, ou bien la nuit. J’aimais la proximité de la mort et celle de l’érotisme.
Une fois, au lever du jour, je fus arrêtée par la police pour avoir cueilli des magnolias dans un parc public. J’adorais les fleurs, j’en avais toujours sur moi, chez moi, à offrir, à respirer…
À la tombée du soir, la nuit ou même en plein jour, j’allais déambuler dans les allées du cimetière, et je finissais par grimper sur le mur pour m’y asseoir et rêver avec les morts, avec ma mère, rêver à mes malheurs de vivante qui se dissolvaient peu à peu dans la douceur des tombes.
Je ne sais pourquoi, il me revient en mémoire, comme une mélopée, ce passage des Histoires pragoises de Rilke :
C’était une belle nuit d’automne avec des nuages rapides. La lumière incertaine était juste assez patiente pour permettre à Bohusch de reconnaître une plaque de marbre sur laquelle entre les branches foisonnantes il pouvait lire:Bitezlav Bohusch, portier ducal. Et chaque fois que le petit lisait cela, il commençait à creuser avec des ongles avides dans l’herbe et la terre, jusqu’à ce (…) que ses ongles commençassent à crisser sur le bois lisse du grand cercueil jaune. (…) Crac! La planche cède comme une vitre, et Bohusch étend sa main brûlante (…) et ne parvient pas à comprendre pourquoi ses deux mains sanglantes ne retrouvent pas la voix de son père.
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Je me plongeai dans la découverte de la littérature avec le même appétit de vivre. Je lus Dostoïevski, Hamsun, Tolstoï, Thomas Mann, Byron, Oscar Wilde… Je trouvai dans les livres une réponse à ma soif d’absolu, avec le sentiment d’apprendre la vie infiniment plus vite que celles de mes camarades qui lisaient peu. Parfois j’écrivais un poème, et puis je le brûlais. Deux de mes tantes étaient romancières, et peut-être rêvais-je moi aussi de devenir écrivain. Mais je n’osais me l’avouer, tant je me faisais une haute idée de la littérature. Aujourd’hui je ne l’avouerais toujours pas, et de toutes façons il est trop tard. Être ta traductrice, tel fut mon plaisir d’écrivain – et il fut grand.
D’instinct, je savais que rien ne me serait plus précieux dans la vie que la littérature et l’amour. L’amour m’attirait, mais je me méfiais de ce sentiment. Oh, je ne prétends pas que je ne tombais pas amoureuse ! Je tombais sans cesse amoureuse. Mais quelque chose me disait que ce n’était qu’un effet de mon imagination débordante, et je n’avais pas envie de me laisser gruger par mon propre imaginaire. J’en goûtais les joies et les tourments tout en sachant qu’il ne s’agissait que d’un jeu, un jeu indispensable pour vivre et auquel tout le monde se livre, mais qui peut devenir dangereux si on lui abandonne sa lucidité. Confusément, je me rendais compte qu’on élevait les filles dans l’attente de l’amour pour pouvoir, ensuite, au nom de ce prétendu amour, les sacrifier.
Que ne suis-je restée toujours aussi sage ! Mais si, plus tard, je me suis entièrement donnée à l’amour, c’est parce que j’avais appris à être davantage confiante envers la vie – et cela est encore plus important que le désir de ne jamais perdre le contrôle de soi-même.
En attendant, je n’avais aucun exemple, autour de moi, de ces amours magnifiques que l’on rencontre dans les livres. En revanche, la misère des sentiments humains, que je retrouvais détaillée dans les romans, se révélait partout, aussi bien dans mon entourage immédiat que dans les journaux.
C’est peut-être pourquoi je m’intéressais davantage au sexe qu’au sentiment. Le sexe me paraissait plus innocent, moins dangereux et plus excitant : il était à mes yeux un phénomène physique, naturel, moins porteur de mensonge et plus authentique. Le sexe était une montagne à escalader ; alors que le sentiment n’était qu’un parcours dans la galerie des glaces d’une quelconque fête foraine.
Je voyais, je sentais se transformer mon corps et mes sens s’éveiller, et je savais que mon corps ne mentait pas. Alors que mon imagination inventait de plus en plus de mensonges, afin de me permettre de passer à travers les mailles du filet que le monde tendait autour de moi. Je mentais à mon père, je mentais à mes professeurs, je mentais parfois à mes amies, et, le plus grave – comme je n’allais pas tarder à m’en rendre compte – je me mentais à moi-même.
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À notre âge, il n’était pas question d’avoir une relation charnelle complète avec un homme, et le reste (je devrais dire les restes) ne m’intéressait pas. Je n’avais pas gardé un très bon souvenir de mon premier baiser. L’inachevé, me semblait-il, n’était acceptable que s’il était occasionnel, et non rendu nécessaire par une quelconque obligation sociale. Dans notre milieu de jeunes filles et jeunes gens, l’inachevé était un système, celui de la morale hypocrite qui gouvernait notre monde. Je décidai qu’en ce qui me concernait, ce serait tout, ou rien.
Cependant j’avais envie de connaître ce qui se passait entre un corps d’homme et un corps de femme. Tu sais combien tout était fait pour nous séparer, jeunes gens et jeunes filles. Vous, les garçons, pouviez le moment venu accéder facilement aux « petites femmes ». Toutes ces femmes du peuple étaient mises à votre disposition pour que vous ne vous en preniez pas à nous, jeunes filles de bonne famille. Elles étaient condamnées à la petite vertu, et nous à la vertu tout court, ce qui n’était pas plus enviable. Un soir, je trouvai une idée pour commencer à assouvir ma curiosité sur la question.
Une fois mon père rentré et couché, je ressortis, seule dans les rues sombres de Prague. Les halos jaunes des lampadaires effleuraient, sans parvenir à les trouer, la nuit et le brouillard accrochés à chaque mur de la ville comme des tentures de cuir noir. Les passants surgissaient et disparaissaient de ce théâtre obscur, et j’avançais sans réfléchir dans le labyrinthe des rues au sein duquel je me déplaçais sans la moindre angoisse, me fiant à mon intuition.
J’étais maintenant dans la vieille ville. J’entrai dans un hôtel qui me parut assez louche – ce fut peut-être celui où tu as passé ta « première nuit » ? Je n’avais pas l’intention de me livrer à la débauche, mais de m’instruire. Je passai une partie de la nuit à guetter les allées et venues dans le couloir, à essayer de percevoir à travers les murs quelque chose du commerce sexuel qui pouvait s’y livrer. Le moindre bruit de porte me plongeait dans des rêveries érotiques qui me tenaillaient le ventre. Je finis par m’endormir.
J’étais partie dans l’intention de rentrer chez moi avant l’aube, mais je m’éveillai à huit heures passées. Évidemment, je trouvai mon père hors de lui. Évidemment, j’inventai des histoires auxquelles il ne crut pas, et il y eut encore des cris, des pleurs et du drame.
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J’avais l’impression que quelqu’un cherchait à sortir de moi. J’étais de plus en plus agitée, j’avais des accès de mélancolie, je m’étourdissais avec mes amies, je rentrais moins régulièrement à la maison, pour ne plus voir mon père ni provoquer sa colère quand je le voyais. Je m’affichais dans les rues avec Stasa, sachant les rumeurs qui couraient sur notre amitié pourtant innocente, mais qui rendaient son père malade, au point qu’il faisait tout pour l’éloigner de moi.
Nous arpentions les trottoirs en nous gavant de chocolat et de bananes, ce fruit rare dont nous raffolions et qui semblait nous rendre plus scandaleuses encore aux yeux de la bonne société… Nous portions de longs vêtements flottants et colorés, nos cheveux dénoués caressaient ou fouettaient nos visages au gré des vents, j’achetais des fleurs par brassées, l’argent n’avait pas d’importance, que ce fût le mien ou celui des autres, et l’on pouvait avoir tout ce qu’on voulait à condition de le vouloir vraiment. Beaucoup de minervistes étaient comme nous, faisant souffler sur la ville un désir de liberté, un désir de vie… Nous nous amusions follement, et parfois nous avions envie de mourir.
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Comme le personnage d’un livre que je venais de lire, je tombai amoureuse d’un chanteur, Hilbert Vavra. C’est avec lui, dans sa chambre, qu’eut lieu ma « première fois ». J’étais exaltée, pleine d’adoration, mais je déchantai. Il n’était ni délicat, ni amoureux. Pas très intéressant, comme je le compris trop tard. J’essayai d’y croire encore quelque temps, puis je cherchai mon bonheur ailleurs.
Je fis la connaissance du peintre Scheiner, qui me demanda de lui servir de modèle ; il travaillait alors à l’illustration de contes. Je rencontrai d’autres peintres du même groupe. J’acceptai de poser pour l’un d’eux, nue. Je te l’ai dit, je n’ai pas de pudeur physique. Maintenant que mon corps était tout à fait formé, je m’y étais habituée, il ne m’embarrassait plus, et j’étais ravie d’en faire une espèce d’objet d’art. Je ne trouvais pas indécent de me déshabiller devant un peintre tant il me semblait que c’était pure routine, pour lui. Je m’aperçus que tel n’était pas le cas.
C’est ainsi que je « connus » mon deuxième homme dans un atelier, au milieu des couleurs, des toiles et des pinceaux. J’étais venue là sans arrière-pensée – je n’étais pas amoureuse de ce garçon – et pourtant je me laissai faire sans protester. En sortant de chez lui, j’hésitais entre la joie et la colère. J’étais en colère contre lui, mais plus encore contre moi, car j’avais le sentiment de ne pas m’être assumée dans cette affaire, de m’être menti, abusée. Mais je revins le lendemain, alors qu’il ne m’attendait pas.
Quelques semaines plus tard, j’étais enceinte. Mon père m’envoya chez un médecin de ses amis, qui me fit avorter. Je restai cloîtrée pendant trois jours, en me jurant de n’avoir plus jamais à refaire cela. Mon père, voyant mon état, cessa quelque temps de me harceler avec ses éternels reproches.
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J’ai quinze ans, j’ai l’air d’une femme.
Je parais aussi mûre qu’une adulte, et pas seulement physiquement. Si j’ai vieilli aussi vite, c’est peut-être parce que ma mère n’est plus là ; pour remplacer ma mère en moi. Pourtant, parfois, je me sens encore une enfant. J’aime de tout mon cœur Albina Honzakonva, qui est l’une de mes professeurs. Je lui envoie de longues lettres que j’écris à l’encre violette sur du papier mauve. Je lui parle de musique, de livres et de peinture. Je la remercie de ne m’avoir jamais traitée d’exaltée. Je sais que Mme Honzakonva me comprend, même si elle ne me répond jamais.
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à suivre (voir principe en 1ère note de sa catégorie)
au Jardin des Plantes ce jour, photo Alina Reyes
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et voici le haïku :
LÉ
ZAAAR
DER
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