Des humains, des livres, des fleurs, de l’écrit et de la liberté

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Tout est écrit, mais rien n’est s’il n’est lu. S’il n’est interprété, réalisé. De même que notre génome est le livre intérieur dont nous sommes écrits, et l’épigénétique la lecture qui en est faite pour nous constituer (une lecture inconsciente mais en partie offerte à notre libre arbitre, même pour ce qui concerne notre développement physique, tout au long de notre vie), tant le cosmos, tout le vivant et la culture dans laquelle nous naissons et grandissons fonctionnent aussi comme des écrits, sont des écrits qu’il nous est loisible de lire, d’interpréter, pour nous accomplir librement, nous dépasser, nous réécrire.

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fleurs et livres

rené le gall

pop eyeces jours-ci à Paris, photos Alina Reyes

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Merveilleux jardin des fleurs

Il est merveilleux, ce jardin des fleurs, a dit quelqu’un avec un accent d’ailleurs. Le jardin des Plantes, explosion de couleurs en ces jours, était arpenté par des gens, dont des étrangers, émerveillés. Voici les photos que j’ai faites dans son jardin alpin, où j’étais allée me détendre des dizaines d’heures passées devant mon ordinateur à établir l’appareil de notes et bibliographique de ma thèse – je suis loin d’avoir terminé, mais c’est un beau travail, partir à la recherche des premières ou de différentes éditions d’un texte donne le sentiment de se promener dans une profusion de fleurs, justement, et trouver celle qu’on cherche est très gratifiant, un peu comme si vous entendiez un enfant vous appeler dans la forêt et que finalement vous arriviez jusqu’à lui.

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jardin 9l’arbre penché à l’arrière-plan est un pistachier femelle de 316 ans, son histoire est ici

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jardin 13la coccinelle a des cœurs sur les ailes

jardin 14après le rapprochement, l’accouplement

jardin 15voilà un panneau d’Izumi que je n’avais pas vu, je vais l’ajouter aux autres de son si gracieux bestiaire botanique

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transport du pollen, l’amour partout

jardin 21hier après-midi au jardin des Plantes à Paris, photos Alina Reyes

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« J’ai couru et j’ai regardé les solutions pour le sauver » Mamoudou Gassama

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Son geste rappelle celui d’Arnaud Beltrame, celui de Lassana Bathily. Dévouement spontané, don de soi plus fort que soi, réactivité, puissance mentale décuplée, puissance de vie l’emportant immédiatement sur la mort.

Comment le comprendre ? L’héroïsme fleurit dans le danger. Dieu merci, nous sommes assez peu exposés au risque de mort imminente dans nos sociétés. En fait il est partout, mais par un miracle d’équilibre qu’il faut constamment soutenir par le politique au sens noble du terme, par le civisme, la conscience du bien commun, il est largement neutralisé dans la vie quotidienne. Pourtant la plupart d’entre nous ont connu des moments de danger, qu’ils viennent des hommes ou qu’ils viennent de la nature. Un tremblement de terre, une tempête en mer, un passage périlleux en montagne – notre impuissance et notre fragilité éclatent au grand jour. Il doit en être de même dans des situations de guerre et de terrorisme, où la proximité de la mort se double d’une désespérance face aux forces du mal qui se sont emparées des agresseurs, nos frères. Pourtant les actes d’héroïsme sublime, comme celui de Mamoudou Gassama et de tant d’autres résistants aux forces de mort, en temps de paix comme en temps de guerre, nous rappellent que nous ne sommes pas totalement impuissants face au risque de mort. À condition de lui faire face, justement, et de le traverser comme s’il n’existait pas, en ne voyant que la nécessité de sauver.

De sauver ou plus modestement, d’aider. Avoir à aider, ou à se défendre, voilà des situations que nous sommes tous appelés à connaître, que nous connaissons tous. Un jour, alors que j’étais enceinte de quatre ou cinq mois, j’ai escaladé une grille et je suis montée sur un toit pour sauver un chat ; une autre fois, j’ai pris un taureau par les cornes pour le délivrer d’un filet dans lequel il s’était empêtré… Ce genre d’actes est sans mesure commune avec le geste de risquer sa vie pour sauver une vie humaine, mais ils nous renseignent déjà sur l’état d’esprit dans lequel nous pouvons être face à une urgence. Le geste d’aider spontanément autrui, fût-il un animal, se réalise dans un oubli de tout le reste, comme celui de trouver une parade en cas de danger. J’étais dans le même état d’esprit la nuit où j’ai affronté des voyous qui me suivaient en leur faisant une aimable conversation, le jour où j’ai bataillé avec un voleur jusqu’à lui reprendre ce qu’il m’avait volé, le jour où je me suis interposée face à un drogué surexcité qui très agressivement menaçait tout le monde (et il est parti). Ce sont des moments où le corps et l’esprit, en état d’éveil maximum, sont absolument accordés dans l’action. L’action est alors une réaction ; et il arrive malheureusement qu’elle ne se produise pas, si nous sommes trop endormis.

Il nous faut donc, pour lutter contre les forces morbides, qu’elles soient physiques, intellectuelles ou morales, demeurer en éveil, vivre en éveil. Les migrant·e·s savent ce qu’il en est. Ce sont des gens du déplacement, du risque. Si les humains ne se déplaçaient plus, si une partie des humains n’accomplissaient pas ce devoir de se déplacer, ce qu’ils font depuis la nuit des temps, l’humanité mourrait. Les déplacements des riches ne comptent pas, car quoi qu’ils fassent, les riches vivent dans le confort – pour ainsi dire ils ne vivent quasiment pas, ils dorment. L’argent tue l’humanité, la précarité la sauve.

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Journée portes ouvertes à l’APHP : psychiatrie et thérapeutiques innovantes à la Salpêtrière

la forceLa cour du bâtiment de la Force où furent violées et sauvagement massacrées des dizaines de femmes par des révolutionnaires avinés, lors des massacres de septembre 1792

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Le Pr Philippe Fossati, qui nous a reçu·e·s, a commencé par espérer que nous ne nous étions pas perdu·e·s dans le dédale de cet immense hôpital (le plus grand d’Europe avec la Charité à Berlin), où l’on se perd couramment. Il nous a dit que nous étions ici dans le plus gros service de psychiatrie des hôpitaux de Paris, et qu’il avait obtenu le label qualité pour son accueil, notamment. Il a rappelé que la Pitié-Salpêtrière a une double mission de soins et de recherche, qu’elle est à la fois un hôpital et une faculté de médecine (rattachée à Sorbonne Universités).

En psychiatrie, les principaux domaines de soin et de recherche sont ici la dépression (les troubles bipolaires, etc.) et les troubles anxieux (comme les fameux TOC, troubles obsessionnels compulsifs). Trois cents millions de personnes sont affectées de dépression dans le monde – contre par exemple beaucoup moins – quarante millions – d’Alzheimer, dont on parle davantage. La Salpêtrière a initié un traitement innovant par électrostimulation (Stimulation magnétique Trans Crânienne), assistée par la neuroimagerie. Et comme au bon vieux temps de Charcot, nous avons eu droit à une et même deux démonstrations. Sauf qu’il y a un net et considérable progrès depuis les mises en scène de Charcot qui instrumentalisait femmes et pauvres : aujourd’hui c’est le grand professeur qui se soumet lui-même à la démonstration. Le Pr Bruno Millet s’est assis dans le fauteuil des patient·e·s et une infirmière lui a fait subir le traitement (à peu près indolore), lui envoyant un champ électromagnétique dans le cortex préfontal gauche (censé être plus concerné par la dépression, mais le Pr Millet pense que le droit peut être concerné tout autant) après avoir réalisé une sorte de GPS de son cerveau. Le traitement a paraît-il une bonne efficacité, il est d’un rapport efficacité/tolérance excellent mais il n’est pas encore reconnu par la sécurité sociale. Beaucoup moins lourd en tout cas que le traitement par électrochocs, encore pratiqué dans certains cas, après anesthésie générale. Je pensais au pauvre Artaud, qui les subit dans des conditions et une époque terribles.

La réalité virtuelle est aussi ici une autre thérapeutique des pathologies anxieuses. Par exemple, un phobique du métro, ou des aéroports, pourra s’entraîner, son casque sur les yeux, à y évoluer en réalité virtuelle, un phobique de la conduite pourra passer dix heures au volant, en dix séances, sur un simulateur de conduite, etc.

Il a été question aussi du protocole « Paris Mem », mis en place après les attentats de novembre 2015 pour soigner les patients souffrant de stress post-traumatique. Il s’agit, nous a expliqué une jeune Docteure dont malheureusement je n’ai pu entendre le nom (nous étions à ce moment un peu bousculés, le groupe de visiteurs suivant étant près d’arriver), de bloquer la charge émotionnelle du souvenir traumatisant par association d’un traitement médicamenteux (propranolol) et l’exposition en imagination à l’événement (lecture d’un récit traumatique). J’ai pensé qu’en associant écriture et lecture, on pourrait peut-être éviter la pharmacologie, à condition de bien le faire.

Enfin le Dr Yves Edel a retracé l’histoire très intéressante du bâtiment de la Force, une longue histoire de la souffrance dont j’ai déjà parlé dans ce blog (cf mot-clé Pitié-Salpêtrière) – et dont je parle aussi dans ma thèse. Une prison de femmes enchaînées au sein d’une autre prison, l' »Hôpital-Général des Enfermez ». Les riches (envoyées là par lettre de cachet sur demande de leur famille qui leur reprochaient leur conduite « immorale ») avaient droit au laudanum, mélange de vin et d’opium, les pauvres aux chaînes en fer. Vraisemblablement, a-t-il ajouté, il y a un charnier à cet endroit – il arrive que lors de petits travaux on trouve des ossements. Voilà des archives criantes, non ?

L’Histoire est passionnante, la médecine aussi.

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allee de la hauteuraujourd’hui à la Pitié-Salpêtrière, photos Alina Reyes

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Dans la rue, il y a

dans la rue 1Dans la rue il y a une carte du monde, vivement colorée, enfantine et couchée par terre, ouverte.

dans la rue 2Il y a des géométries et des écritures qui jouent en bandes.

dans la rue 3Un vélo sans selle mais avec béquille.

dans la rue 4Des mots peints sur le béton pour dire une folie.

dans la rue 5Un MacDo placardé après avoir été brisé par des blacks blocs.

dans la rue 6Un vélo avec selle et cycliste qui passe devant.

dans la rue 7Et une passante avec un sac vert qui dit Bio c’ Bon.

dans la rue 8Par-dessus, le reflet du ciel avec ses arbres.

pitie salpetriereEn arrivant à l’hôpital, dans une allée, une cour paisible comme au monastère. Du bâtiment d’en face montent, ininterrompus, les cris plaintifs d’un fou.

dans la rue 9aujourd’hui à Paris 5e et 13e et à la Pitié-Salpêtrière, photos Alina Reyes

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