Écriture

 

Je suis sur deux énormes chantiers d’écriture, si Dieu me prête encore vie j’en viendrai à bout. J’adore ça, être sur de gros chantiers d’écriture, comme j’ai aimé les grosses voitures, comme j’aime d’autres choses dures, mobiles et puissantes, comme ma pensée, les montagnes, les ciels étoilés, l’océan, le temps, les forêts profondes. Je suis un chantier naval, je lance des navires à travers le monde, afin que le monde voyage.

 rocher-min« J’ai vu un ange dans le marbre et j’ai ciselé pour l’en libérer » Michel-Ange

photo Alina Reyes

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Saint-Nazaire, port, chantier naval et base sous-marine en 25 photos

En hommage à l’Assemblée des assemblées des Gilets jaunes qui a eu lieu ce week-end à Saint-Nazaire, et a donné lieu à un Appel pour la continuation du travail de fond, voici – toujours dans l’esprit « Habiter poétiquement les lieux » – les images que j’ai faites dans cette ville qui m’a impressionnée, il y a quelques années.

 

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saint nazaire 25-minà Saint-Nazaire en 2009, photos Alina Reyes

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Dans les yeux

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J’ai assisté l’autre jour au dernier cours de Philippe Descola au Collège de France. Je croyais que c’était son dernier cours de l’année, mais non, c’était son dernier cours. Heureusement que j’y suis allée. Maintenant je vois que ce fut aussi, il y a quelques jours, le dernier cours d’Alain de Libera. Et je n’y suis pas allée. Je le regrette, car même si je peux suivre les cours en vidéo, le fait d’être au moins une fois dans la présence réelle de la personne est irremplaçable. (Mais je suis fatiguée par mon traitement et je ne peux pas tout faire). Je continue à suivre des cours en ligne sur le site du Collège de France, et aussi, en ce moment, un excellent mooc de Harvard sur la World Literature. Et tous les après-midi ou presque, je travaille en bibliothèque. J’ai rêvé que je lisais à haute voix un texte sur la souveraineté de l’enfance. Je me dis maintenant que c’est peut-être Héraclite qui me l’a envoyé, qui m’a ainsi visitée pendant la nuit.

Je me souviens de cet oral d’agrégation où j’ai été mal notée parce que j’ai vu dans un poème de René Char des références héraclitéennes plutôt que bibliques, comme le voulait le jury. Et de l’autre jury, la même année d’agrégation, qui m’a sévèrement sanctionnée alors que j’avais raison à propos de Socrate chez Montaigne, lors de l’oral le plus important (j’en ai parlé ici). (Et je n’ai pas été reçue au concours). C’est scandaleux, bien sûr, et symptomatique du fait que les jurys sont souvent composés de professeurs qui restent campés sur ce qu’ils ont appris ou cru comprendre, sans se remettre en question, sans être en recherche active comme le sont nécessairement les professeurs du Collège de France. J’aurais aimé enseigner de cette façon, comme je l’ai fait pendant quelques mois au lycée, auprès de publics adultes. Mais l’Université française n’aime pas les profils singuliers. Tant pis, il me reste toujours la possibilité d’écrire, d’enseigner par les livres, et c’est ce à quoi je travaille.

Il paraît qu’il y a une princesse Alina, dont la beauté fait honte au soleil, dans les Mille et une nuits. Que ce prénom (الينا) vient de Perse, du farsi, et signifie noble. Jusque là je connaissais l’origine germanique de mon prénom, qui a, étrangement, le même sens dans cette langue : noble (avec en plus un suffixe qui signifie douceur – ce qui me rappelle qu’au collège, la prof d’histoire avait fait voter la classe pour accorder à chaque élève une qualité, un prix ; j’avais eu celui de la distinction, et le deuxième choix porté sur mon nom avait été la douceur). J’ai aussi appris un jour qu’en malgache, ce nom signifiait nuit. Si la noble et douce nuit fait honte au soleil, c’est sans doute parce qu’elle est riche de myriades d’étoiles, et si mon prénom dit tout cela, c’est seulement parce que je les ai toutes dans les yeux.

 

jardin des plantes cerisier rose-minCes jours-ci au Jardin des Plantes, photos Alina Reyes

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À partir du livre « Crépuscule » de Juan Branco : trois enseignements

branco CrepusculeJ’ai lu ce livre à l’automne dernier, quand il a été mis en ligne gratuitement par son auteur. Je l’ai lu péniblement car il était extrêmement mal écrit. Ce qu’avaient remarqué la plupart des lecteurs, tout en vantant l’intérêt de ce qui y était dit. On trouve en ligne ce genre de commentaires : « Autant le dire : dans sa publication première – gratuite sur le net – le texte est assez lourd par son style, à la limite du pompeux ; agrémenté de surcroît de nombre de fautes, d’oublis de mots, etc. » ; et, d’un autre lecteur lui aussi déclarant ensuite tout l’intérêt des révélations faites dans le livre : « Mieux vaut acheter le livre car la version pdf distribuée gratuitement sur internet est bourrée de coquilles et à certains moments, peu, très peu lisible. » L’éditrice déclare en effet que le texte a été retravaillé pour la publication papier (que je n’ai pas lue).

Cela dit, Juan Branco est un combattant pugnace et courageux. Il expose tout ce qu’il a pu savoir de cette oligarchie au pouvoir, du fait qu’il a lui-même grandi dans cette caste, fait les mêmes grandes écoles, fréquenté les mêmes gens. Destiné à devenir l’un des leurs – disons plutôt à rester l’un des leurs – il a eu accès à nombre de petits secrets sur le fonctionnement de « l’élite », sur les rapports des uns avec les autres. Le succès de son livre (n°1 des ventes) tient sans doute beaucoup à cet aspect magazine people accusateur, montrant dans leur intimité et leurs combines grands et petits personnages qui ont fabriqué Macron président et la macronie. Il met en pleine lumière la misère de ce petit monde humainement lamentable qui, tel une bande de hyènes, s’affaire à dévorer le corps de la République assassinée.

La première leçon que je tire de ce livre et de son succès, c’est que les Français ont soif de reprendre la main, de secouer le pays de ses parasites, de rétablir République et démocratie ; et de manifester le réel, celui qu’ils sont, celui qu’ils vivent, face au délire d’élites dévorées par leur soif de pouvoir, d’argent et de notoriété, ignorantes de la vie réelle des humains – c’était aussi ce que dénonçait, d’une autre façon, le livre de Ruffin.

La deuxième leçon, je la tire du constat de l’incapacité de Juan Branco à écrire correctement, sans commettre de nombreuses fautes de syntaxe et d’orthographe témoignant d’une pensée pour le moins confuse. Ainsi donc on peut faire de brillantes et nombreuses études, entre autres Sciences Po et l’ENS, passer par des universités prestigieuses (Sorbonne, Yale), être titulaire de plusieurs Masters et d’un Doctorat, tout en étant incapable d’écrire proprement ni d’exprimer une pensée (Crépuscule ne contient d’ailleurs pas de pensée, seulement des faits). Branco n’est pas le seul dans ce cas : nous l’avons évoqué ici, le livre de Macron, très petitement écrit, témoigne d’une absence de pensée sidérante, de même que, d’après tous leurs lecteurs, le livre de ses conseillers paru récemment. Il faut le dire et le répéter : le mot élites pour parler de ces gens est un mensonge. Ils ne sont des élites que parce que leur naissance les a placés dans ce champ social, où tout est organisé pour qu’ils y restent. Mais la vérité est que la bêtise ou l’incapacité y règnent au moins tout autant qu’ailleurs.

La troisième leçon, je la tire des difficultés que Juan Branco a eues à publier son livre, et du fait qu’il l’ait finalement publié, avec beaucoup de succès. Aucun éditeur n’en a d’abord voulu – et ce n’était pas parce qu’il était mal écrit, car les éditeurs sont rompus à réécrire les textes de nombre d’auteurs qui ne savent pas écrire. C’était, comme l’a dit le service Livres de Libération quand il lui a été demandé pourquoi le livre n’avait pas été chroniqué, parce qu’il était trop « politique ». Il se trouve que le même argument m’a été opposé il y a quelques années lorsque j’ai proposé mon livre La grande illusion. Figures de la fascisation en cours, y compris chez de petits éditeurs connus pour leur engagement politique. Voici le genre de réponse qui m’ont été faites : « remarquablement écrit ; je suis d’accord à 200 % ; mais le livre est trop politique, je ne peux pas publier ». Que se passe-t-il quand le livre est trop politique, et pas dans le sens qu’il faudrait pour plaire à la presse ? Le livre, s’il est publié, n’est pas chroniqué. Or un livre dont on ne parle pas n’est pas connu, donc il ne se vend pas – d’où le refus des éditeurs, même quand ce ne sont pas des éditeurs liés aux oligarques dont parle Branco. C’est exactement ce qui s’est passé pour Crépuscule. Aucun journal n’en a parlé. Pourtant, il est aussitôt devenu un best-seller. Pourquoi ? Pas par miracle, mais parce que Juan Branco a du réseau, il fait partie de ce monde ; même s’il est boycotté par la presse il est invité sur pas mal de plateaux télé, radio, internet, etc. Un auteur tel que moi, qui viens du peuple et n’ai jamais cherché à faire partie de ce milieu, n’a pas de réseau. Voici donc la troisième leçon : pour publier un livre politique non conforme, mieux vaut être un fils de bourgeois, élevé dans la caste, qu’une fille du peuple. Même quand on est un fils de bourgeois qui choisit courageusement de dénoncer les méfaits de sa classe, on reste encore, toujours, favorisé. Oui, c’est bien tout ce système qu’il faut faire tomber.

 

branco bfm*

Twin Peaks The Return (réactualisé)

11-4-2019
J’ai fini de regarder avec beaucoup de bonheur la saison, avec ses 18 épisodes. Pour faire simple, je dirai que cette image de l’épisode 8, 55e minute :

twin peaks 8-55

m’a rappelé cette image de Man Ray

man-ray-masque-ebene

, qui pourrait un peu résumer l’inrésumable Twin Peaks.

 

5-4-19
Enfantin, somnambulique, ultralucide. Le personnage de Dale Cooper après sa sortie de la Loge noire est fantastique. Comme Kafka auquel Lynch l’a fait ressemblant, ainsi que je l’ai montré hier (cf plus bas dans cette même note), il travaille dans une compagnie d’assurances. Il y gribouille des dossiers, des documents d’affaires et son supérieur croit d’abord que cela n’a aucun sens, puis, en réfléchissant, il se rend compte que ces petits dessins révèlent en fait une vérité cachée, une probable grosse escroquerie (j’en suis à l’épisode 6). Dale Cooper voit, ainsi qu’il a vu au casino, à Las Vegas, les machines à sous prêtes à cracher. Aux innocents les mains pleines, et la vie dans la supérieure vérité, la vérité d’outre-tombe qui dépasse les basses réalités quotidiennes. Derrière la porte du même bois rouge dont fut fait le cercueil de Laura Palmer, la femme de ce Dougie, le deuxième de ses doubles, qu’il incarne et pour lequel il est maintenant pris, pourrait être une Laura Palmer qui aurait été moins fascinante, qui aurait eu une vie plus ordinaire, n’aurait pas été assassinée, se serait mariée avec Dougie-Dale au lieu que Dale cherche qui l’avait tuée, avec laquelle il aurait eu un enfant, et qui s’avèrerait posséder en fait un sacré caractère, notamment dans la scène face aux deux extorqueurs de fonds. Les jeux de miroirs dans tous les sens se poursuivent, et je terminerai pour aujourd’hui avec cette scène (ép.6, 43e minute) où Dale qui, de même que pour toute conversation il répète les derniers mots qu’on lui dit – mots ordinaires auxquels on ne prête pas attention et qui soudain, quand il les répète, acquièrent une familière étrangeté, deviennent aussi charismatiques et mystérieux qu’une Laura Palmer – alors que son boss à la compagnie d’assurances veut lui serrer la main, au lieu de la lui tendre, l’imite, lui tournant ainsi le dos. Ce qui donne un tableau rappelant La reproduction interdite de Magritte. D’un surréaliste à l’autre. Qui contemple la scène ? Le boxeur à l’affiche derrière eux, dans une position comparable sauf que ses mains sont des poings. En tournant le dos à un certain monde, Dale Cooper combat.

 

twin peaks 6 reprod interdite

René Magritte, "La Reproduction interdite"

René Magritte, « La Reproduction interdite »

 

4-4-19
Je regarde la saison 3 de Twin Peaks. J’en suis au quatrième épisode. Tant que je ne l’ai pas vue en entier, je ne peux pas lire les articles qui en parlent. Je vais donc noter ce qui me vient au fur et à mesure de mon visionnage. (Mais pas vraiment de spoil dans mon texte, car je n’évoque l’histoire que par certains de ses aspects).

Je regarde cette saison avec un grand enthousiasme, parce que j’ai adoré la première – la deuxième était un peu moins réussie. J’aime beaucoup beaucoup le travail de David Lynch, en particulier ses films Wild at Heart et Mulholland Drive, et j’étais allée voir son exposition de peinture à la Fondation Cartier. Mais je crois que ce que je préfère dans toute son œuvre, c’est Twin Peaks, conçu avec son producteur Mark Frost. Le fait que j’en ai montré le premier épisode à mes élèves de Seconde, à l’automne 2017, n’y est pas étranger. Je ne peux réentendre la musique d’Angelo Badalamenti et revoir la forêt du générique sans être transportée dans ce moment où nous avons visionné le film ensemble, sans revivre leurs réactions. Comme c’était vivant et beau. (Et j’avais choisi de consacrer à ce film les deux heures dont la dernière devait être consacrée à l’inspection de ma tutrice et d’une personne de l’académie, venues pour juger mon travail. Elles n’ont eu d’autre choix que de se tenir au fond de la classe et d’attendre la fin de l’heure et du film, c’est ainsi que j’ai torpillé leur contrôle et j’en étais ravie). Comme l’équipe pédagogique de l’année précédente les avait obligés à lire La petite Roque de Maupassant avant la rentrée, j’avais décidé de leur montrer ce chef d’œuvre de Lynch et d’établir ensuite une comparaison avec la nouvelle de Maupassant : nous avions lors de la séance suivante relevé les thèmes et motifs communs : le corps de la jeune fille assassinée retrouvé au bord de la rivière, le caractère de son découvreur, la réaction de la mère, l’accusation portée sur un vagabond, le déclenchement d’un univers fantasmatique, l’importance du bois, la forêt, l’eau…

Cette troisième saison, qui se passe vingt-cinq ans après la première, et lancée vingt-six ans après la fin de la deuxième, avec nombre des mêmes acteurs, est bien différente. Comme la première, elle constitue un choc, celui de son envoûtante poésie, qui vous transporte littéralement. Je me souviens très peu des histoires des films que j’ai lus ou des livres que j’ai lus, mais j’en garde une impression précise, quand ils m’ont fait forte impression. L’histoire n’est pas ce qui m’intéresse le plus et il ne m’intéresse pas de les résumer, d’ailleurs les histoires sont toujours un peu les mêmes, avec des variations. Ce qui m’intéresse c’est la façon dont elles sont dites ou peintes. David Lynch est un peintre de génie – avec sa caméra, bien plus qu’avec ses pinceaux.

Pour aujourd’hui, je voudrais juste signaler ce que j’ai remarqué hier soir en visionnant les épisodes 3 et 4. D’abord j’ai bien sûr été transportée de joie en voyant apparaître un portrait de Kafka dans le bureau du personnage incarné par David Lynch (l’agent sourd du FBI Gordon Cole), dans la 53e minute du troisième épisode :

 

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Juste après, l’agent Albert Rosenfeld évoque « l’absurde mystère des étranges forces de l’existence ».

Un peu après encore, l’agent Dale Cooper n’est-il pas filmé de façon à ressembler à Kafka, dans son expression, ses oreilles, son costume :

 

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Dans la 8e minute du quatrième épisode, la porte rouge du deuxième double de Dale Cooper, devant laquelle une limousine conduit ce dernier, rappelle, par le bois, les lignes et la couleur, le cercueil de Laura Palmer dans la première saison, filmé à l’horizontale bien sûr alors que la porte, en ce moment de résurrection de Dale Cooper est bien sûr verticale :

twin peaks cercueil laura palmer

twin peaks 4 porte agent cooper

Franz Kafka-Dale Cooper, Laura Palmer-Dale Cooper… Twin Peaks se démultiplie constamment en deux pôles, comme aussi, dans l’épisode 3, la répétition des paroles d’autrui par l’agent Cooper revenu de la Loge noire et dans l’épisode 4 la répétition de ce schéma par la répétition des paroles du doppelgänger de l’agent Cooper par Gordon Cole/David Lynch. Tout, y compris les lieux, y est jeux de miroirs et de kaléidoscope.

J’ai l’intention d’actualiser cette note, et ma réflexion, à mesure de mon avancée dans le visionnage de la série. À suivre, donc.

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Quartier Latin & regard cosmique

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Hier encore dans le Quartier Latin et à la Sorbonne, je ne me lasse pas de tenter de photographier l’esprit des lieux et de témoigner du parler des murs, qui change d’un jour à l’autre. Avant les images, un texte de Pierre Hadot sur « Le regard d’en haut et le voyage cosmique ».

« Si Goethe, comme nous l’avons dit, a éprouvé un si grand intérêt pour les premiers vols de montgolfières, c’est parce qu’il rêvait intensément de s’affranchir de la pesanteur et de voler comme un oiseau, au-delà de toutes les barrières, dans son élan vers l’infini. Ce n’est pas un hasard si, dans la première strophe du Voyage dans le Harz en hiver, le poème est comparé au vol d’un vautour qui plane au-dessus des nuages.

(…)

La poésie homérique est, pour Goethe, un exemple de la « vraie poésie, qu’il définit ainsi :

La vraie poésie se reconnaît au fait que, comme un évangile profane, elle est capable de nous délivrer des pesanteurs terrestres qui nous accablent, parce qu’elle nous procure à la fois la sérénité intérieure et le plaisir extérieur. Comme un ballon gonflé d’air, elle nous élève, avec le lest qui nous est attaché, dans les régions supérieures et, grâce à elle, les inextricables labyrinthes terrestres se dénouent sous notre regard qui les voit d’en haut. » [in Poésie et Vérité]

Quelques pages plus loin, Hadot cite la troisième strophe du poème de Goethe Génie planant :

« On a assez de Memento Mori,
J’aime mieux ne pas les redire
Pourquoi devrais-je dans le vol de la vie
Te torturer avec la limite !
C’est pourquoi, comme un vieux barbu,
Docendo, je te recommande
Mon cher ami, selon la manière qui est la tienne,
Sans plus, vivere memento. »

Dans ce même chapitre sur « Le regard d’en haut et le voyage cosmique », Hadot ajoute :

« Nous avons vu notamment comment le voyage cosmique et le regard d’en haut, conçus comme exercices spirituels,  pouvaient amener certains philosophes comme Sénèque, ou Marc Aurèle, ou Lucien, à dénoncer la vanité et les injustices des inégalités sociales et l’absurdité de la guerre, comment, grâce à ces exercices spirituels, l’homme se concevait lui-même comme un citoyen du cosmos, comment il éprouvait, en les pratiquant, le sentiment d’une transfiguration, d’un dépassement de la condition humaine, qui le délivrait de la crainte de la mort et lui procurait la paix et la sérénité intérieures. »

Pierre Hadot, N’oublie pas de vivre. Goethe et la tradition des exercices spirituels

Je suis très proche de tout cela, ayant, comme je l’ai raconté ou dit dans plusieurs livres ou textes, voulu être cosmonaute quand j’étais enfant, essayé de voler plusieurs fois, grimpé partout où je pouvais (toits, arbres, cordes, piquets…), puis une fois adulte fait l’expérience d’un long vol en parapente dans les montagnes… pratiqué et prôné les exercices spirituels (dont l’étude est une partie capitale), intitulé l’un de mes livres Souviens-toi de vivre, etc. etc. Et je peux témoigner, à mon presque grand âge, qu’il y a là une belle formule du bonheur.

 

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quartier latin 7-minLa belle place Lucien Herr

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quartier latin 13-minRue Lhomond, les bâtiments rouges du département de chimie de l’ENS

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quartier latin 16-minLa place de la Sorbonne

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quartier latin 17-minL’étal des livres d’occasion de la librairie Vrin, place de la Sorbonne

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quartier latin 18-minLa grande cour intérieure de la Sorbonne

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quartier latin 23-minHier à Paris 5e, dans le Quartier Latin, photos Alina Reyes

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Joie, je, tout

 

Se lever tôt, remplir de thé une carafe thermos, se mettre au travail, travailler comme une reine. Je suis au chantier. J’adore être au chantier. Exercer mon âme d’architecte, de maçonne, construire avec des mots, des phrases, des textes.

J’ai dans mes vingt ans ; sous certains aspects, même avant. Je suis si pleinement heureuse que je me demande comment il est possible que cela augmente pourtant, de jour en jour et de nuit en nuit.

J’ajoute dans mon bureau des plantes, des fougères. J’ai l’insouciance de la jeunesse, la paix de la vieillesse. J’ai l’amour et j’ai la joie. J’ai le génie, j’ai l’admiration du génie humain et du génie de la nature, dont le génie humain fait partie. J’entends le merle chanter à l’aube. Après le thé, je bois du café. Je mange des tartines aux confitures des îles, reçues en cadeau, comme les homards mangés le soir que quelqu’un d’autre nous offre en ce moment. Je me rappelle tous mes voyages. Aller loin n’est pas faire des milliers de kilomètres en avion, aller loin est aller loin dans l’aller. Et dans le retour. Tel est le voyage. Rare.

Le rare est le commun. Le rare commun est le luxe. J’ai toujours vécu dans le luxe. Je suis faite pour le luxe. Je vis dans le luxe : le luxe est la vie donnée, accueillie loin en soi. Je suis l’amour, la vie, la joie, la bienheureuse, je les cueille et je les distribue, me distribue, si pleine que je dois déborder pour être, encore, toujours.