La terrible splendeur du guerrier : Iliade, XI, 15-46 (ma traduction)

Après avoir évoqué l’horreur et la bestialité de la guerre dans la nuit du chant X, Homère peint au début du chant suivant, avant le départ au combat, la splendeur du chef de guerre en armes, figurant à la fois les forces terribles que vont devoir affronter les guerriers et la vertu étincelante dont ils vont devoir faire preuve. À lire, à mon sens, comme l’image du courage dont nous devons aussi faire preuve dans la vie.
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L’Atride lance le cri de guerre, ordonne aux Argiens
De se cuirasser d’armes ; lui-même se revêt d’airain
Étincelant. Sur ses jambes d’abord il met ses guêtres,
Belles, où des couvre-chevilles en argent s’ajustent ;
En deuxième il plonge sa poitrine dans son armure,
Don d’hospitalité que lui fit jadis Cinyrès.
Il avait appris de Chypre la grande nouvelle :
Les Achéens s’apprêtaient à embarquer pour Troie ;
Pour lui faire plaisir, il donna son armure au roi.
Cette cuirasse comporte dix bandes de cyan
Noir, douze d’or et vingt d’étain ; des serpents de cyan
S’étirent en montant en direction de son cou,
Trois de chaque côté, tels les arcs-en-ciel que le Cronide
Fixe sur une nuée, pour faire aux humains mortels signe.
Autour de son épaule il jette son épée, dont les clous
D’or scintillent, tandis que le fourreau qui l’entoure
Est d’argent, et ajusté à un baudrier d’or.
Il prend le bouclier mille fois ouvragé qui le couvre
Tout entier, beau, avec dix cercles d’airain sur le bord,
Et sur la surface vingt nombrils d’étain, tout blancs,
À part celui du centre, qui est de sombre cyan.
En couronne, la Gorgone aux yeux lugubres l’entoure,
Avec son regard terrible, ainsi que Terreur et Déroute.
Le baudrier qui s’y attache est en argent ; s’y déroule
Un serpent de cyan, pourvu de trois têtes qui s’enroulent
En tous sens, à partir d’un unique cou générées.
Sur sa tête il met un casque à quatre plaques, et deux cimiers,
À crins de cheval, dont le panache, au sommet, oscille
Terriblement. Il prend enfin, fortes et pointues, deux piques
Couronnées d’airain qui étincelle au loin, jusqu’au fond
Du ciel ; d’un coup de tonnerre, Athéna et Héra font
Honneur au roi de Mycènes, la ville aux mille ors.

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Calasso, les désespéreurs et le mal-être

J’ai trouvé sur le site de la FNAC cette merveilleuse critique du dernier livre de Roberto Calasso, en voici la capture d’écran :

Puis j’ai lu les vingt premières pages du livre en ligne. L’innommable actuel est en quelque sorte le nom donné par Calasso au diable, dont Internet ferait partie, mais tant pis, je l’utilise volontiers – utiliser le diable contre lui-même est une façon de réduire sa nuisance. Dans ces vingt premières pages, le terrorisme islamique, comme il dit, est le grand souci de l’auteur. J’ignore s’il parle ensuite des autres maux du monde actuel, mais peu importe, il est bien en droit de se concentrer sur celui-ci et sur Internet, qu’il y associe. Ce que je sais, c’est que je n’achèterai pas son livre. Parce que l’un des maux que je rejette en ce monde, il le pratique : la désespérance de l’humain.

Plus précisément, Calasso comme tant d’autres intellectuels vivant très confortablement en ce monde, bourgeois ayant bénéficié et continuant à bénéficier, pour ceux qui sont encore vivants (Calasso est mort), de tous les avantages du monde d’hier et du monde actuel, des privilégiés à tous égards, ne manquant de rien, menant une vie aisée, à l’abri de tout besoin matériel, couverts de reconnaissance voire d’honneurs, plus précisément donc, Calasso s’emploie à désespérer tous les Neuilly et tous les Saint-Germain-des-Prés du monde. Tandis que d’autres de ses confrères, notamment universitaires, tout aussi bon bourgeois jouissant sans entraves du monde actuel, s’emploient à désespérer les amphis, laissant désormais aux populistes le soin de désespérer les ex-Billancourt et leurs ex-patrons.

Tous ces propres-sur-eux, dotés de capacités intellectuelles qu’ils ont pu faire fructifier grâce à ce monde qu’ils s’emploient tant à critiquer, et à seulement critiquer, essaient sans doute de se racheter de leurs privilèges en se faisant les hérauts du désastre et de la mort. Mais le désastre qu’ils entendent dénoncer, ils y participent en salissant le monde de leur regard. Ne dépeindre que les faces sombres du monde, sans jamais montrer aussi sa beauté, ses lumières, c’est faire le même jeu que les populistes qui s’emploient à désespérer aussi les populations, voire que les aveugles terroristes. Il y a un fossé entre les activistes, les intellectuels ou les simples citoyens qui combattent le mal pied à pied, au quotidien et en faisant preuve de volonté de vivre et d’amour de la vie, et ceux qui ne font que ressasser, brillamment ou pas, leur haine. Sans beauté et sans amour, le discours, tout discours, n’est qu’une nuisance de plus – et de taille.

Sans doute beaucoup d’humains dont la vie est trop aisée, ou bien trop inconsistante, éprouvent-ils le besoin de se torturer pour se sentir exister. Ne perdons pas de vue leur motif, ni le fait que se torturer c’est aussi torturer autrui, et ne nous laissons pas avoir par leur mal-être.

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Révéler

À cinq heures ce matin, quand O s’est levé pour partir travailler, je lui ai dit : j’étais en train de rêver que je dansais dans la montagne. Je lui ai raconté, et il m’a dit : moi aussi je rêvais qu’on était à la montagne, et il m’a raconté. Mon homme merveilleux, beau, joyeux, intelligent, un génie de la vie qui la rend enchanteresse, extrêmement généreux, aimant, plein de courage, excellent amoureux et excellent compagnon pour moi, excellent père pour nos enfants, avec lequel j’ai la chance et le bonheur de vivre depuis plus de trente ans – malgré les épreuves, l’amour nous a réunis, à jamais. C’est grâce à lui que j’ai eu ce que j’ai eu de meilleur dans ma vie, après mes enfants : ma grange, ma maison à la montagne. C’est lui qui l’a trouvée, et il n’y avait qu’avec lui que j’ai pu vivre ce que nous avons vécu là-haut. Et nous continuerons longtemps à vivre notre vie enchantée, où que ce soit. Le reste est vain.

Nous avons perdu notre grange après que Sollers m’eut fait dire qu’il allait me ruiner. Ce qu’il a fait, puisqu’il en avait le pouvoir, à la manière dont Benalla avait le pouvoir, avec son brassard de flic, de tabasser des gens. Après avoir publié plus de trente livres en vingt ans, après avoir été courtisée par tous les éditeurs, soudain tous se sont rétractés quand je leur envoyais un manuscrit, et la cabale dure depuis une douzaine d’années – Francesca Gee n’a pas tort de dire, à Télérama il me semble, que le milieu littéraire fonctionne comme une mafia. Mais cela dépasse les combines éditoriales, il y a aussi toute une connivence avec la politique, de même que Mimi Marchand et Benalla ne sont pas seulement ce qu’ils sont mais, tels un double du couple Macron, des machineurs et complices de politiques ineptes. Philippe Val, ancien directeur de Charlie Hebdo et de France Inter, est allé soutenir Valeurs Actuelles au procès intenté par Danièle Obono, qu’elle a gagné. Que je sois des quelques personnes qui, en France, ont dénoncé le racisme de Charlie Hebdo, bien avant les attentats, a été utilisé pour renforcer la cabale contre moi – et accessoirement me faire envoyer travailler dans l’ancien lycée de Charb, à quatre heures par jour de transports en commun de chez moi, ce qui n’a pas tardé à ruiner ma santé, après avoir ruiné mes finances, mes moyens d’existence. Cependant un peu partout dans le monde, le racisme de Charlie Hebdo a été dénoncé par nombre d’intellectuels, et non des moindres, dans des tribunes, pétitions et autres moyens d’expression. L’élite (aussi fausse que Benalla est faux flic) française en place est puante, mais en bonne mafia elle règne, si infects voire immondes soient ses moyens. Et en faisant du mal, elle finit par retourner le mal contre elle-même, comme dans le cas de Charlie Hebdo : si, au lieu de se hérisser pour défendre l’indéfendable publié par ce journal, elle avait accepté que la justice fasse son travail, comme elle vient de le faire pour Valeurs Actuelles, elle n’aurait pas encouragé des ordures terroristes à vouloir faire justice elles-mêmes. Pas de justice, pas de paix, voilà le slogan le plus exact qui soit.

En traduisant le chant X de l’Iiade, particulièrement sombre et violent – cadavres partout, hommes qui pour agir se couvrent de peaux de bêtes, décapitation froide, je me dis encore une fois que les horreurs de la guerre ne datent pas d’hier (près de trois mille ans ont passé depuis ce texte). Mais ce qu’elles ont gagné en horreur, c’est de se moderniser pour être moins visibles. Ce fut le cas avec les camps de concentration, c’est le cas aujourd’hui avec la puissance de l’information, qui a tout autant pouvoir d’occulter que de révéler. L’une des façons d’occulter les faits criminels est de les masquer par la « révélation » de faits sensationnels, en réalité creux et vains. C’est un jeu auquel je ne joue pas. Je suis écrivaine, j’ai une responsabilité, celle de démasquer le monde et ses mondains, et je fais de mon mieux pour l’assumer, par tous les moyens qui me sont possibles – dont ce journal, dont mes écrits, et dont la traduction d’Homère.

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