Plan de bataille

Homère n’a pas attendu Freud pour savoir d’où vient l’ardeur massacreuse d’Arès. Il envoie Athéna régler le problème, et Athéna le règle en lui lançant une pique dans le bas-ventre. Arès hurle horriblement, et court se réfugier auprès de son père, Zeus, en geignant, en traitant Athéna de folle, et en lui demandant s’il n’est pas indigné par tant de violence – lui qui vient de tuer des hommes en quantité sur le champ de bataille. Zeus le traite de type qui va tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, sur qui on ne peut pas compter, qui n’aime que guerroyer vainement, et lui dit qu’il est le dieu qu’il a le plus en haine. Suivez mon regard.

Fini de traduire ce matin le long chant V. Moins d’un mois pour traduire en vers les cinq premiers chants de l’Iliade, donc. Ensuite je projette de traduire l’Énéide, puis la Divine Comédie. Si tout continue à se passer comme maintenant, j’aurai terminé le tout fin 2022 à peu près. Après ce travail conséquent et cohérent, je me mettrai, inch’Allah, à mon propre chef-d’œuvre.

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La Divine Comédie, Enfer, I, 1-27 (ma traduction)

Pour me reposer un peu de l’Iliade, je viens de traduire les premiers vers de la Divine Comédie. J’avais dans les vingt ans quand une nuit, en rêve, il me fut intimé de la traduire. Dante ayant pris pour guide Virgile, qui lui-même a pour maître Homère, il est dans le bon ordre, « selon le cosmos », comme diraient les Grecs, que j’aie commencé par Homère et Virgile. Et peut-être continuerai-je par Dante. Pour mon premier essai, je me suis servi des dictionnaires en ligne (préférant ne pas me fier seulement aux ressemblances avec le français), et pour les mots que je n’y trouvais pas, de leur étymologie. La comparaison finale du passage me rappelle le système de comparaisons récurrent chez Homère, qui peint un monde plein d’analogies chatoyantes, et aussi l’arrivée de Dévor (Ulysse) sur la plage des Phéaciens, unique rescapé du naufrage.
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À mi-chemin de notre vie,
Je me trouvai par une sylve obscure,
Car la voie droite était perdue.

Ah, dire combien sauvage, forte et rude,
Était cette forêt, est chose dure,
Qui ranime la peur en la pensée !

Tant amère, mort l’est à peine plus ;
Mais pour traiter du bien que j’y trouvai,
Je dirai d’autres choses que j’y vis.

Je ne sais dire comment j’y entrai,
Tant j’étais plein de sommeil en ce point
Où j’abandonnai la voie vraie.

Mais le pied d’une colline rejoint,
Au lieu où prenait fin cette vallée
Qui de peur m’avait empoigné le cœur,

Levant les yeux, je vis ses épaules
Déjà vêtues de la planète aux rais
Qui mènent droit par les sentiers tout homme.

Alors fut un peu apaisée la peur
Qui m’avait duré, dans le lac du cœur,
La nuit que je passai si plein de peine.

Et comme celui qui, hors d’haleine,
Sorti de la mer sur le rivage,
Se tourne et l’eau périlleuse regarde,

Ainsi encore réchappée mon âme
Se retourna pour regarder le pas
Qui jamais ne laissa personne en vie.

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Afghanistan

Il n’y a pas que la guerre de Troie. Il y a l’éternelle guerre des planqués qui n’ont rien de mieux à faire que de se rêver en meneurs de guerres, pourvu que ce ne soit pas au bas de leur immeuble ou de leur palais. Ceux qui comme BHL appelèrent à armer les djihadistes afghans il y a trente ans, avec des accents de romantisme échevelé pour évoquer ces « hommes de foi », ceux qui armèrent en effet ces gens, et dont certains – BHL , toujours dans les mauvais coups – voudraient maintenant qu’on arme leurs ennemis, ces amis d’aujourd’hui qui pourraient eux aussi devenir demain les hommes à abattre des éternels interventionnistes, condamnés par eux-mêmes à n’obtenir jamais aucune satisfaction, le monde leur échappant, en vérité, quoi qu’ils fassent. C’est ainsi qu’ils pourrissent la vie de la communauté humaine, en voulant la régenter, dans leur égocentrisme et leur bêtise forcenée, qui ne voient pas plus loin que le bout de leur quéquette qui voudrait se faire aussi grosse que leur tête – quand ils peuvent encore la voir.

Il faut lire ou relire cet article incroyable de Denis Souchon paru en 2016 dans le Monde diplomatique (en accès libre). Quand, dans les années 80, BHL déclarait : « Je crois qu’aujourd’hui les Afghans n’ont de chances de triompher que si nous acceptons de nous ingérer dans les affaires intérieures afghanes » – le même BHL qui s’indigne aujourd’hui haut et fort de voir triompher ceux-là qu’il appela, avec succès, à faire triompher. En ces années où toute la presse – non communiste – sur l’Afghanistan parlait d’une même voix, la même que celle des États-Unis qui armèrent ces gens dont tant d’autres mouvements djihadistes allaient s’inspirer, pour le résultat qu’on sait. Sans doute le retrait aurait-il dû être mieux préparé, mais le principe du retrait est certainement moins mauvais et moins nuisible à long terme que celui de l’ingérence, si on l’accompagne de suffisamment de mesures et de diplomatie.

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Iliade , V, 607-626 (ma traduction) et petit journal du jour

Ainsi parle-t-il, et les Troyens arrivent tout près d’eux.
Là Hector abat deux hommes experts en bataille
Qui sont sur le même char, Ménesthe et Anchiale.
Le grand Ajax, fils de Télamon, a pitié d’eux 
Qui sont tombés ; il se place près d’eux, lance sa pique
Brillante, et atteint Amphios, fils de Sélague, qui habite
Paise et qui est riche en blé et en tous biens ; mais sa part
Fut d’être appelé en renfort de Priam et de ses fils.
Ajax, fils de Télamon, au ceinturon le frappe,
La pique à l’ombre longue dans son bas-ventre se fiche,
À grand bruit il tombe ; pour le dépouiller de ses armes,
L’illustre Ajax accourt ; les Troyens lancent sur lui des piques
Aiguës, étincelantes, qui sur son bouclier s’abattent
En nombre ; posant son pied sur le cadavre, il en retire
Sa lance d’airain ; mais ne peut enlever les belles armes
De ses épaules, les traits le pressant de toutes parts.
Il craint d’être encerclé par les insolents Troyens
Qui, nombreux et vaillants, se dressent sur lui, pique en main,
Et si grand soit-il, si robuste, si illustre,
Le repoussent ; ébranlé, Ajax alors recule.

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Comme dit O, c’est un peu l’équivalent des courses-poursuites dans les films à succès, tous ces récits de bataille qui n’en finissent pas. L’Iliade étant une épopée à succès, il en fallait pour tous les goûts, sans doute. Mais bien sûr ça va au-delà de ça, c’est une course, vraiment, la course de la vie et de la mort, qui donne au récit son rythme haletant, si différent de celui de l’Odyssée – et j’ai mon idée sur la question, je l’exposerai en commentaire de ma traduction, de mes deux traductions quand je les réunirai et les publierai ensemble.

Je suis retournée courir, cette fois bien mieux que lors de ma reprise, il y a quelques jours. Plus de distance et meilleur temps. Je sens que je vais progresser encore, notamment parce que je suis de mieux en mieux musclée, grâce au yoga ou gym quotidienne. J’hésite à me procurer une montre cardio, pour courir sans craindre de me faire mal – ce qui me fait ralentir quand j’ai l’impression que ça bat trop fort, alors que ce n’est peut-être qu’une impression. J’ai scrupule à consommer inutilement de la technologie, forcément polluante. J’ai réparé moi-même mon ordi, qui avait un problème de faux contact qui noircissait l’écran, après être passée chez un réparateur, boulevard Saint-Michel, où l’on m’a dit qu’il faudrait très probablement changer l’écran. Je suis rentrée chez moi, j’ai cherché des conseils sur les forums, et j’ai fait la réparation moi-même ; ça marche et si jamais ça recommençait je sais maintenant comment ouvrir l’ordi et régler le problème. Merci aux gens qui donnent des conseils en ligne, qui partagent, c’est l’esprit du monde d’aujourd’hui que j’aime.

Pourquoi je publie en ligne

Pendant vingt ans, de 1988 à 2008, j’ai été fière de gagner ma vie uniquement avec les droits d’auteur de ma trentaine de livres publiés pendant cette période. Les vingt années précédentes, en comptant mes jobs d’été depuis l’âge de mes douze ans, j’avais gagné ma vie en exerçant un tas de professions diverses. J’appréciais de pouvoir désormais vivre de mon écriture. La période où les éditeurs et les journaux ont tous refusé de me publier désormais a fini par me conduire à nouveau sur les chemins du salariat, je suis redevenue prof quelque temps. Et maintenant, jouissant d’une retraite bien méritée (dont j’aurais eu le droit de jouir « à taux plein », il y a déjà trois ans, avant même mes 62 ans, mais je ne le savais pas, tout ce qui est administratif ne m’intéressant pas), j’ai le bonheur et la fierté de pouvoir toujours écrire, et trouver des lecteurs, en me passant des éditeurs.

Car si publier en ligne est certes, et heureusement, moins spectaculaire que de passer par la librairie, le lectorat n’y est pas moins présent. L’avantage de la publication en ligne, c’est qu’elle n’est pas retirée des rayons ni ne part au pilon. Ce blog est l’une des mes œuvres les plus lues, sinon la plus lue – quoique j’aie jadis publié quelques œuvres très vendues. Parce qu’il reçoit de cent cinquante à plusieurs centaines de lectrices et lecteurs chaque jour depuis des années – dont quelques dizaines de fidèles, et d’autres qui arrivent pour tel ou tel article ou autre. Au bout du compte, et c’est un compte qui augmente de jour en jour, cela fait beaucoup de monde, à qui je m’adresse en toute liberté.

Et c’est avec grand bonheur que j’y publie à partir d’aujourd’hui ma Chasse spirituelle, offerte gracieusement – ce que je désirais faire depuis un moment, attendant de trouver le bon moyen technique de le faire. Un texte comme celui-ci, plutôt épais, mi-essai mi-poème, qui parle de littérature, ne se vendrait pas beaucoup. Ici, en ligne, il pourra être lu ou consulté gracieusement pendant des années par toutes sortes de gens, aussi bien des universitaires et étudiant·e·s (grâce à son appareil de notes, le livre étant tiré de ma thèse de doctorat) que par des personnes juste intéressées par le sens de l’histoire humaine, des arts, de la poésie.

Depuis un ou deux jours je ralentis un peu mon rythme de traduction de l’Iliade, me contentant de quelques dizaines de vers par jour, à la fois pour me reposer un peu et par tranquillité, songeant que dès que mes deux traductions seront achevées, l’Iliade et l’Odyssée, dans quelques mois, je pourrai aussi les mettre en ligne de la même façon, avec tout autant de bonheur, et de liberté. Idem pour Virgile, dont je mettrai peut-être bientôt ma traduction des Bucoliques, en attendant de sans doute commencer celle de l’Énéide, que j’ai d’autant plus envie d’aborder que je suis en train de rencontrer Énée chez Homère. Ah, la belle vie ! Je l’offre de mon mieux.

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