Petit poème du jour

Soucieux de leur façade,
ces paons à fausses plumes,
faisant la roue pour cacher leurs chiures,
se soucient aussi de celle des autres.
Lâchez-moi les baskets
je cours plus vite que vous
qui ne m’empêcherez pas
de montrer mon cul si ça me chante.
Je ne fais pas comme vous faites
je fais toute chose autrement
et j’emmerde ceux qui ne sont pas contents.
Si vous espérez ma bénédiction
vous aurez mieux satisfaction
en vous y mettant vous-même le doigt,
dans le culte.
Vous ne m’achèterez pas, vendus.

bonheur

Midi vingt, j’ai fini de recopier toute ma traduction de l’Odyssée (Dévoraison). Avec son tout dernier mot comme clou étincelant du texte, trouvaille (fidèle à Homère) qui me réjouit. Reste à relire, et à écrire le commentaire. Encore quelques jours de travail. Puis je reviendrai à mon roman. Maintenant, pensai-je en recopiant les derniers vers, je vais pouvoir écrire un roman qui va faire un malheur – corrigeant aussitôt dans ma tête : qui va faire un bonheur.

Le quasi-omniscient : de nos rêves à Homère

Les rêves sont à mon sens l’une des manifestations de notre état de conscience le plus éveillé, état de conscience dont l’alphabet est notre physiologie. Du moins nos rêves que je dirais « en vers », nos rêves poétiques, par opposition aux rêves prosaïques qui ne sont que des expressions de nos inquiétudes ou de nos désirs du quotidien – et qui ont leur utilité. L’improprement appelé « inconscient » devrait presque être appelé plutôt « omniscient », tant il est supérieur à notre connaissance « consciente » du monde et de l’être. Ce que nous appelons ordinairement conscience est en réalité un état de semi-conscience, ne saisissant du monde, de l’être, du vrai, que des représentations mentales prosaïques, limitées non par notre raison mais par notre hubris, comme disent les Grecs.

Dans le monde d’Homère, quasiment tout et chacun est divin, plus ou moins et quasiment, sous tel ou tel aspect. Et tel ou telle est « le plus » quelque chose – le plus beau, le plus fort, la plus intelligente…, mais quasiment toujours après tel ou telle autre, qui lui-même ou elle-même vient après tel ou telle autre pour telle ou telle qualité. « Quasiment » est la clé de cette divinité, qui est ouverture infinie sur l’infini. Sans ce « quasiment », la conscience est fermée. Les prétendants pleins d’hubris sont une illustration de la conscience fermée. Ils ne voient pas au-delà d’eux-mêmes. Leurs appétits sont dévorants parce qu’ils tournent en rond dans un cercle fermé, sans échappatoire – et c’est ainsi qu’eux-mêmes finiront. Dans le cercle enfermant de l’idolâtrie, cette prison de l’esprit.
Ce qu’on appelle polythéisme est chez les Grecs l’expression ultime de ce refus de l’idolâtrie exprimé par le « quasiment » grec. Dieu a maints aspects, maintes formes de divinités, mais aucun de ces aspects, aucune de ces formes, ne prétend être Dieu. Même « Zeus le père » a lui-même des parents, des sœurs et frères, des enfants, et il parlemente avec les autres dieux pour prendre telle ou telle décision. Aucune image du divin dans le panthéon grec ne peut être considérée, ni se considérer elle-même, comme définitive. La divinité est mosaïque, contenue dans chacun de ses éléments, mais non exclusivement.

Homère emploie parfois le mot dieu, « théos » comme sujet sans article. La plupart du temps, on traduit le mot avec article : un dieu. Pour s’accorder à un contexte polythéiste. C’est ce que j’ai fait, au début. Mais à la réflexion, au fil de la traduction, il m’est apparu qu’il n’était pas plus inexact de traduire, au moins parfois, par « Dieu », sans article et avec majuscule. Puisque Homère ne met pas d’article, et puisque un nom commun sujet sans article devient nom propre. Homère n’ignore pas Dieu comme absolu, seulement il évite d’en faire trop mention pour ne pas tomber dans l’hubris religieuse. Une seule fois dans le texte Athéna dit « moi, je suis Dieu », que l’on peut traduire aussi « moi, je suis dieu », pour, encore une fois, éviter l’hubris. L’entendre dire « moi, je suis Dieu », c’est donner une idée de la mosaïque infinie dont elle est une part, de par son essence de « dieu ». C’est entendre la voix du Principe qui s’exprime à travers les dieux, comme à travers nos rêves non prosaïques.

En écoutant les cours de Michel Zinc au Collège de France sur les romans du Graal, j’ai été frappée par sa remarque selon laquelle toute littérature commence par la poésie puis devient prose. Les grands textes fondateurs sont écrits en vers. Le passage à la prose, dit Michel Zinc, est censé exprimer des vérités, contrairement à l’univers poétique. Nos librairies sont pleines de livres en prose, de prose sans poésie ou pauvre en poésie. Donc pleines de vérités limitées, tournant en rond dans un monde humain, trop humain, inconscient de la grandeur du monde et de l’être.

Jouer et éprouver

Souvent je suis obligée de m’arrêter pour contempler le texte que je recopie, tellement c’est puissant. Comme quelque chose qui vous laisse sans voix, sans faim et sans soif – et sans pouvoir bouger, un moment. Atterré de beauté. Combien de fois dans la journée suis-je tentée de donner ici tel ou tel passage, de le partager ? Je me retiens de le faire, car ce serait comme spoiler, il faut garder le bonheur de la découverte au moment de la publication, et puis aussi celui de la découverte dans la continuité de la lecture, depuis le début. Du reste, il faudra sans doute que je retire aussi les traductions des premiers chants que j’ai données ici, et qui ne sont plus valables, ne serait-ce que parce que les noms des personnages ont changé.

J’ai mal à l’auriculaire de la main gauche à force de taper, c’est celui qui tape les a et il y en a beaucoup. J’ai eu mal longtemps à l’avant-bras gauche à force de manier mon lourd dictionnaire, avant de me résoudre à utiliser un dictionnaire en ligne. J’ai mal au dos aussi, à rester ainsi assise à taper. Ainsi donc j’ai des blessures de sport, en quelque sorte, en traduisant l’Odyssée (je suis un bien humble sportive, mais une sérieuse athlète de la littérature). Le sport y a une grande importance – on ne sait trop s’il faut traduire par « les jeux » ou « les épreuves » le mot grec dont nous vient directement le mot athlétisme – notamment parce que c’est par l’épreuve des haches que débutera le massacre des prétendants. Je n’en suis pas encore là, mais j’ai passé tout à l’heure l’épisode des portes des rêves, et j’ai encore arrangé la traduction, joué avec les mots comme Homère l’a fait, pour le plaisir de l’auteur et celui des auditeurs et lecteurs. Je commence juste le chant XX, ses premiers vers sont tellement saisissants – je me suis arrêtée et j’ai écrit ce qui précède.

Mila

Ce matin j’ai écrit un commentaire sur France Info pour prendre la défense de Mila, lui souhaiter bon courage et dénoncer le harcèlement, en précisant qu’il était pratiqué de façon générale pas seulement par des jeunes mais par toutes sortes de gens. Mon commentaire n’est jamais passé, quoique je l’aie reproposé plusieurs fois sous plusieurs formes, jamais injurieuses. À quoi jouent les médias ? Prétendant défendre la liberté d’expression, et la bafouant. Ils m’ont fait le même coup pour des commentaires sur Edgar Morin, proposés sous plusieurs formes en vain. C’est moins grave, en vrai je me fiche assez d’Edgar Morin, mais pour Mila, et pour tous les harcelés, et spécialement toutes les harcelées, car ce sont le plus souvent des femmes qui sont visées et ainsi chassées des réseaux sociaux (moi-même j’ai dû plusieurs fois fermer mes comptes facebook et twitter, avant d’y renoncer complètement, comme de renoncer à laisser ouverts les commentaires sur mon blog), refuser les messages de soutien est particulièrement pernicieux.

Il faut rappeler, comme l’a fait le recteur de la Grande mosquée de Paris qui a reçu Mila aujourd’hui, dans une tentative d’apaisement qu’elle a appréciée, que ses insultes sur l’islam ont été proférées alors qu’elle était déjà harcelée, ce qui évidemment crée un stress et une agressivité en réponse à l’agression subie. Aucune comparaison possible avec Charlie Hebdo qui pendant des années, semaine après semaine, insulta méthodiquement les musulmans, ce qui constituait un harcèlement envers cette catégorie de la population, ainsi qu’envers les Roms, que ce journal visait aussi, et plus horriblement encore. Mila ne se laisse pas faire, et elle continue, refusant de quitter les réseaux. Certains lui reprochent d’être ce qu’elle est, mais depuis quand exige-t-on de quiconque qu’il ou elle se conforme à ce qu’on voudrait qu’il ou elle soit ? Mila ne lèse personne, n’empêche personne de vivre ; c’est l’inverse qui se produit, depuis trop longtemps. Je ne le dis pas en pensant spécialement à mon propre cas, mais à celui de toutes les personnes, en particulier toutes les femmes, empêchées de parler par des meutes abjectes de lâcheté et de bêtise. Que le jugement de quelques-uns des harceleurs de Mila soit le début d’un vrai combat de la justice, des gouvernements et des réseaux sociaux, contre ce fléau.

Fléau qui ne date pas d’internet. Alors que j’essayai en vain de faire passer mes commentaires sur cette affaire ce matin, j’avais à l’esprit le harcèlement infligé à Pénélope pendant de nombreuses années et à Ulysse aussi lors de son retour. Les harceleurs sont cette goule dévorante qui font que j’ai intitulé ma traduction Dévoraison.