Voir au-delà. « Le dernier quartier de lune »

Cet après-midi à l'entrée de la bibliothèque du Museum côté rue, photo Alina Reyes

Cet après-midi à l’entrée de la bibliothèque du Museum côté rue, photo Alina Reyes

*

La pluie enveloppait par moments la bibliothèque avec le bruit qu’elle fait quand elle frappe de ses millions de doigts aux verrières, et les faîtes vert clair des arbres, derrière les baies vitrées, s’agitaient comme des chevelures dans le vent, et on devinait que les nuages couraient, car la lumière ne disparaissait pas, elle évoluait et revenait vite. Le jour, le vent et la pluie, en balayant le ciel et la terre comme des anges avec leurs grandes palmes nous rappellent que le ciel est peuplé de myriades de flammes, d’astres que nous ne voyons pas, que nous ne voyons jamais dans l’hémisphère où nous habitons et qui pourtant sont là, tout aussi présents que ceux de la nuit, eux-mêmes rendus de moins en moins visibles par diverses pollutions.

« Je ne voudrais pas dormir dans une pièce où l’on ne voit pas les étoiles. Toute ma vie, j’ai passé ma vie en leur compagnie. Je deviendrais aveugle si je me réveillais en pleine nuit avec un plafond noir pour seule vue.

(…) Je suis retournée dans mon tipi et, assise sur la peau de chevreuil, j’ai bu mon thé près du feu. Autrefois, quand nous changions de campement, nous emportions toujours la « graine de feu ». (…) Ce feu sur lequel je veille est aussi vieux que moi. Je l’ai toujours protégé des vents violents, des tempêtes de neige et des grosses pluies. Jamais je ne l’ai laissé s’éteindre. Ce feu, c’est mon cœur qui bat. »

CHI Zijian, Le dernier quartier de lune (trad. du chinois par Yvonne André et Stéphane Lévêque)

J’ai cité l’autre jour l’incipit d’un autre livre de CHI Zijian, une auteure que je découvre avec bonheur.

*

Le présent si riche

« Sans pureté, pas d’enfance. Et sans enfance, le présent si riche ne serait pas. » CHI Zijian, Toutes les nuits du monde

 

Paris 5e 1-minCe sont deux amies. L’une a mis des chaussures noires, l’autre des blanches. L’une une jupe bleu foncé et un blouson bleu clair, l’autre un pantalon rouge et une veste rose. Et quand elles sont arrivées à cet embranchement de l’escalier, pour continuer leur jeu de symétrie, elles ont pris chacune un côté. J’ai dû faire vite pour saisir l’image, elle n’est pas très droite. En fait, tant mieux.

Paris 5e 2-min

Paris 5e 3-min

Paris 5e 5-min

Paris 5e 6-min

Paris 5e 7-min

Paris 5e 8-min

Paris 5e 9-minHier et aujourd’hui à Paris 5e, photos Alina Reyes

*

Chiyo-Ni, haïkus et couleurs jusqu’au bout des ongles

main,-min

En hommage à Laura Dern dans Twin Peaks The Return, (je viens de réactualiser la note sur la série), j’ai verni mes ongles de plusieurs couleurs. Et voici, en hommage à la couleur, de splendides haïkus de Chiyo-Ni, une poétesse japonaise du XVIIIe siècle qui fut aussi bonzesse.

 

La rivière aussi
sous la pluie de printemps
paraît verte

Pluie de printemps !
Si elle pouvait arroser
toutes choses de couleur

Les nuages violets
étaient à mes yeux
pareils aux iris

Déjà tout en feuilles
à quoi pensent-ils ces arbres ?
Naissance de Bouddha

L’eau claire
n’a ni envers

ni endroit

chiyo ni

J’ai picoré ces haïkus dans le recueil bilingue CHIYO-NI Une femme éprise de poésie, haïkus traduits et présentés par Grace Keiko et Monique Leroux Serres, illustrations de Clara Payot, éd Pippa, 2017

J’ai emprunté le livre en bibliothèque mais je vais l’acheter car c’est une pure merveille ; j’en reparlerai peut-être.

Fantah Touré, « Enfance »

enfance fantah touréJ’ai lu cette nuit cette âpre et belle nouvelle, qui pose la question à la fois des droits des femmes et des droits des enfants. Fantah Touré est une auteure franco-ivoirienne, professeure de littérature agrégée au Sénégal. L’Afrique qu’elle met en scène est celle qu’elle vit au quotidien, sans exotisme. L’histoire est ici celle d’un garçon guinéen de six ans, séparé de sa mère par son père polygame, qui décide de répudier sa femme et de se débarrasser de ses enfants mâles en donnant l’aîné à un vieux cousin, et le petit à une école coranique sénégalaise. La séparation d’avec sa mère et les conditions de vie terrible le conduiront à la mort. Histoire touchante et terrible du chagrin immense de l’enfant et de la mère, de l’injustice sans nom, inspirée d’une histoire vraie, qui a longtemps hanté l’auteure après qu’elle lui a été racontée.

En voici les premières pages :

« Une région sévère : la terre est plate, grise, semée de baobabs tous frères, aux formes déchiquetées. Quelques épineux trouent le sable, des arbres ou des buissons pas très hauts qui portent des fruits tout en noyau, à la maigre chair acide. Le long de la route, des panneaux fantômes, tout rouillés, signalent parfois des villages dont on ne voit trace nulle part. De temps en temps, on rencontre une charrette sur laquelle sont installés des hommes et des femmes dont le boubou enfle au vent. On traverse parfois des villages où se mêlent des cases ocres et des constructions au toit de tôle étincelant au soleil. Au milieu de la journée, on y étouffe de chaleur.

Les hommes sont maigres, grands, la chair rigoureusement répartie autour des os, dont le bas du pantalon bouffant ou du boubou dévoile la sécheresse charbonneuse. C’est le pays de l’arachide, même s’il y a de moins en moins d’arachide. Les petits garçons travaillent dans les champs de leurs parents ou sont confiés très tôt à un marabout, maître spirituel et temporel qui leur enseigne le Coran et les envoie mendier leur pitance. Même dans les campagnes, le pot de concentré de tomate vide tend à remplacer la calebasse ; tous les enfants se ressemblent : la peau craquelée et grise, frissonnant dans l’air du petit matin, le geste implorant et l’œil espiègle.

Rentré de Guinée avec ses parents, Cheikh fut confié à cette rude école ; il ne connaissait de la vie que les douceurs : friandises du restaurant maternel, menues obligations récompensées : un beignet, une piécette, un sourire et toujours la présence grondeuse et affectueuse de la mère et celle d’un frère un peu plus grand que lui mais déjà protecteur. Le père passait de loin en loin dans cette vie confortable, gonflé de vêtements et d’importance, trop occupé pour octroyer à sa progéniture plus qu’un regard ou une tape sur la joue.

Cheikh était un très bel enfant – les gens le disaient à voix basse, pour conjurer le mauvais sort -, élancé comme un jeune rônier, les muscles jouant avec aisance sous sa peau, les pommettes hautes sur les rondes joues de l’enfance, l’œil toujours aux aguets, frayant avec tous, parlant couramment le wolof, le soussou, le bambara, et sachant même quelques mots de français déformé glanés dans les conversations du marché.

Son seul souci, c’était la tristesse qu’il surprenait parfois dans les yeux de sa mère. Il savait que son père avait d’autres foyers, d’autres enfants, il voyait aussi qu’il disparaissait de longs jours et que seule la gargote de sa mère, fragile enclos de bols et de calebasses autour du fourneau malgache, grande natte sur laquelle on installait plusieurs fois par jour les assiettes individuelles ou le plat commun, assurait le riz quotidien. Il n’allait pas à l’école, il vagabondait tout le jour dans une ville ouverte sur la mer. Mais une amarre ombilicale invisible le ramenait toujours au marché, à sa mère accroupie près du feu, un autre enfant sur le dos. Toute la portion de la ville autour du marché était son territoire. Il ne connaissait pas la faim : à n’importe quelle heure, sa mère lui tendait une poignée d’arachides, des morceaux de bananes frites ou le fond bien croustillant de la marmite de riz étalé sur une assiette, grains craquants et parfumés sous la dent.

À six ans, il voyait bien les limites de son enfance en regardant son grand frère partir tous les matins pour l’école coranique ; il voyait les enfants accroupis sur les trottoirs ânonnant autour des planches marquées de caractères arabes, qui l’interpellaient lorsque le maître tournait le dos.

Et un jour, il entendit les mots divorce, retour, Sénégal. Son père réapparut, la mine sombre. »

Fantah Touré, Enfance, Les Éditions de l’Atelier In8, 2006

*

fantah touréUn entretien avec Fantah Touré : ici

Mes 13 femmes de l’année et de l’avenir

Elles sont ce que je peux souhaiter de meilleur pour l’humanité qui vient. Mes femmes de l’année et de l’avenir sont d’abord deux jeunes filles de 16 et 14 ans, scientifiques et artistes, polyglottes, sportives et lectrices, fortes psychiquement et physiquement, d’un grand courage, sachant vivre dans différents pays et différentes conditions, en ville et dans la nature, à la dure, en route vers leur liberté accomplie. Les voyant, je vois sortir de moi, de nous, un peuple de justes.

Et de ma tête, et de mes mains, sortent des personnages qui s’écrivent, des figures qui s’esquissent et se dessinent. Voici celles de cette année 2018 qui s’achève  :

joconde roulée-min

h-min-1

t-min

la pensée-min

J'ai fait ce collage ce soir et je l'intitule Autoportrait en fête

obliques-min

h-min

evolution-min

figure-min

h,-min

t,-min

parfum-min

rando-min

 dessins et collages Alina Reyes

*