12 years a slave

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Nous sommes allés voir ce film, qu’il faut vraiment aller voir. C’est le premier film traitant de l’esclavage que je vois. D’autres films en ont parlé, ou l’ont pris pour sujet, mais ils restaient à distance. Ils ne le montraient pas depuis les esclaves. Certaines personnes paraît-il le trouvent trop violent. Le livre, dit le réalisateur, Steve McQueen, l’est bien davantage – il s’agit du témoignage du protagoniste, un homme libre du Nord enlevé et vendu comme esclave. Le film de Mel Gibson, La Passion du Christ, on le trouva trop violent aussi. Mais Solomon a pu témoigner de la violence et de l’iniquité absolue qui étaient faites à des hommes par d’autres hommes – qui lisaient l’Évangile à leurs victimes le dimanche et y trouvaient justification de leurs actes -, il n’y a pas à édulcorer. Ce film est grand parce qu’il traite vraiment son sujet, et ce faisant nous touche tous.

Et les arbres, les arbres sont si beaux, sur le ciel si beau, heureusement.

À lire, une longue et très intéressante interview de Steve McQueen dans Télémara.

Lumière

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cet après-midi à Paris 13e, photos Alina Reyes

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Journée radieuse, le ciel et la terre lavés par le vent déroulant leurs sentiers où marcher. Cette fois j’ai rapporté une planche de pin, et en chemin j’ai eu aussi une idée pour faire des sculptures. Nous verrons. J’aime la vie de pauvre, la vie pleine d’invention, la vie libre, je n’en veux pas d’autre, ni en faire valoir d’autre. 

La pluie, la joie (et petite revue de presse)


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Le « Beethoven » japonais n’était en fait ni compositeur ni sourd. Mensonges sur mensonges. Ceux qui basent leur vie sur le mensonge ne savent pas vivre dans la vérité, mais savent entraîner beaucoup de monde dans leurs marais : ceux qui tout simplement ne peuvent savoir ce qu’il en est, et aussi ceux qui aiment ce qui brille et détestent que leur soit révélé leur goût du faux, qui les berce et les endort.

Le Saint-Siège critique « l’ingérence » de l’ONU dans ses affaires. Qu’ils ouvrent leurs archives, tant dans les dossiers d’abus sexuels que dans celui des bébés volés en Espagne (une affaire dont la presse ne parle pas, pourquoi?), et le monde commencera à moins avoir le sentiment que l’Église est pire que le monde.

Malala Yousafzaï, qui a déjà reçu le prix Sakharov, est maintenant nominée pour le prix des Enfants du monde. Difficile de ne pas se rappeler qu’elle est une enfant, et de ne pas avoir l’impression que des adultes l’instrumentalisent.

Jour après jour dans la presse, les frasques de Justin Bieber. Pauvre enfant. Qu’ont fait les adultes de lui ? Je pense aussi à Madonna postant sur les réseaux sociaux une photo de son fils de treize ans avec une bouteille d’alcool.

Les deux Pussy Riot libérées désavouées par leurs compagnes après être entrées dans le business en chantant avec Madonna. L’argent et le spectacle pourrissent tout. Je suis loin d’approuver les méthodes d’action de ces activistes, mais s’il est moralement légitime de lutter à l’intérieur de son pays pour plus de liberté, il est bien peu estimable d’attaquer son pays depuis les empires qui dominent le monde. Et quand, avec leur bonne mine et leurs joues rebondies, elles racontent au journal Le Monde « l’enfer » de la prison russe, elles donnent juste envie de les inviter à visiter les prisons françaises. Celles qui ont des murs de béton derrière lesquels la dignité humaine est chaque jour bafouée, et aussi les prisons invisibles, celles de la censure sophistiquée du monde moderne, moins visible que la censure à l’ancienne mais encore plus efficace.

J’ai marché avec joie sous la pluie aujourd’hui. Je suis allée chez le marchand de bois qui me fait le meilleur prix pour ses chutes, mais là il n’en avait pas. Comme je ne peux me permettre de dépenser davantage, je suis repartie en me demandant sur quoi j’allais peindre. J’ai pris un autre chemin pour rentrer, ainsi qu’il sied aussi au retour de la mosquée. Et Dieu a pourvu : j’ai trouvé dans la rue un lourd panneau de chêne massif, que j’ai chargé sur mon petit chariot. Le bois était bien mouillé par la pluie, j’attends qu’il finisse de sécher, et j’y vais. Cette nuit il va y avoir du vent, c’est bon.

Miracles

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tout à l’heure à Paris 5e, photos Alina Reyes

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Aujourd’hui j’ai marché dans la joie du vent et de la pluie intermittente. J’ai acheté un classeur pour mes partitions de chant – en ce moment le Kyrie de la Messe en si de Bach, le Sanctus du Requiem de Mozart, la chanson When I’m gone et le beau chant des nains dans Le Hobbit, avec les paroles de Tolkien. Hier après-midi devant la fenêtre ouverte comme au printemps, le bon air frais passant sous ma blouse et ma chemise et caressant ma peau, j’ai vernis tous mes Masques, dont je veux maintenant faire une iconostase. J’irai acheter du bois demain, incha’Allah.

Hier soir J m’a montré un texte en anglais, extrait de The Fugitives, un roman de John Broderick. Je l’ai traduit (et le miracle, c’est à chaque instant, par tous les temps) :

Les pavés luisaient sous la lune givrée. Le visage de Lily, tourné vers le ciel, était blanc et sans relief, tel du buvard sous la lumière filtrée d’en haut. Les rues étroites, sinueuses, au fond desquelles les rayons de la lune froide se jetaient, avaient pour elle la beauté d’une nuit d’été sur la rivière. Il y avait un frisson de joie dans l’air et elle avait envie, incroyablement, de ramasser une toupie qui reposait dans le caniveau brillant, et de la faire tourner. Elle s’arrêta, regarda autour d’elle avec un sentiment de culpabilité. Quelques vieilles femmes se hâtaient au retour de l’église, un couple était assis côte à côte dans une voiture garée. Personne d’autre alentour. Elle resta quelques instants à regarder la toupie, retournant doucement le jouet cassé du bout de sa chaussure aux scintillements blancs dans la lumière froide. Puis, se décidant soudain, avec un imperceptible regret qui ne fit qu’ajouter à son sentiment aigu de joie présente, elle partit d’un pas rapide.

Derrière elle, les pubs avec leurs rangs de bouteilles vertes fantomatiques aux fenêtres. Derrière elle, l’immense église d’ivoire. Passant le pont vert-de-gris au-dessus de la rivière d’argent, avançant à travers la ville presque vide dont les portes poussiéreuses et les toits désordonnés avaient soudain été touchés pour elle d’un rayonnement éclatant, miraculeux.

Ceux qui s’accrochent à la mort

Entendu l’autre soir l’enregistrement d’une émission de télé où l’un des ces auteurs qui deviennent soudain auteurs disait que la prière des contemplatives berce le monde – ce qui sonne comme ce que j’ai écrit sur la prière de l’Église semblable au chant de Marie pour l’enfant Jésus la nuit, mais selon l’habitude en inversant tout : le monde n’est pas Dieu, chanter Dieu n’est pas bercer le monde mais au contraire le tenir en éveil. Le même auteur faisant ensuite l’apologie de la souffrance, qui nous « enracine ». Là je me suis mise à chanter, sur l’air de Maréchal nous voilà, « Heidegger nous voilà ». Il n’y a que les sadiques et les masochistes pour faire l’apologie de la souffrance. Car dans quoi la souffrance enracine-t-elle l’homme ? Dans la mort, dans la merde. Voyez les êtres humains et les peuples qu’on fait souffrir : ils se meurent, ou ils deviennent mauvais. Mourants ou mauvais, c’est ainsi que les dominants, domestiques ou publics, veulent les autres, afin qu’ils soient réduits. Morts et mauvais, c’est ainsi que sont les dominants, accrochés à la mort, la leur et celle qu’ils veulent infliger aux autres, comme à leur seule bouée dans l’univers immonde où ils pataugent. Le Christ vainqueur de la mort garde la marque des clous dans sa chair, chacun la verra le regarder au Jour dernier.