Vu en rêve

J’ai vu deux fois le Bouddha en rêve. La première fois, il y a très longtemps, au fond d’une forêt profonde, au fond d’un temple en ruine que je découvrais en marchant avec une petite fille mongolienne que j’aimais d’amour d’or. La deuxième fois, il n’y a pas très longtemps, je l’ai vu avec Dieu. J’ai vu en rêve, un jour, Homère. Puis il me donnait sa tête à manger. Elle était d’une matière inconnue, de vives couleurs, assez semblable à manger à des spaghetti. J’ai vu le Christ, j’étais dans un sommeil mais les yeux ouverts, il se tenait tout près de moi, en habit pourpre de gloire et portant une épée. Adolescente puis plus tard, de façon très récurrente je marchais en rêve en apesanteur, à plusieurs mètres au-dessus de la terre. Chaque fois, toute la journée suivante, j’étais sûre de l’avoir vraiment fait, de savoir le faire naturellement. Cela se produit encore parfois. J’ai vu Kafka en rêve, attablé avec quelqu’un, mais je ne me souviens plus de ce qui se passait, le rêve est raconté dans Ma vie douce, j’ai donné le livre à l’avocat lors du procès et maintenant je ne l’ai plus. J’ai vu Rimbaud, il a dormi chez moi. Cette nuit en rêve j’ai marché à l’aube, jambes et pieds nus, par des allées de terre rouge vers notre maison passagère, un bungalow dans les roseaux. Des hommes mauvais m’ont suivie, mais quand ils ont frappé à ma porte sans clé, j’ai ouvert, j’ai refermé, et ils sont partis.

Signes

L’histoire de l’interprète en langue des signes qui fit des gestes sans signification, à la cérémonie en l’honneur de Nelson Mandela, est décidément très parlante. Cet homme, interprète médiocre et inexpérimenté, dit avoir été pris par l’émotion au point d’en perdre tous ses moyens. Je le crois volontiers, la même chose m’est arrivée un jour où je devais jouer du piano en public. Mais ce n’est pas tout : il dit avoir entendu des voix. Entendons : pas celle d’Obama, mais des voix de l’autre monde. C’est intéressant, pour un traducteur en langue des sourds. Qui sait si ces voix ne l’ont pas troublé pour nous faire signe, à nous, sourds ou non, que les paroles entendues, ou non, étaient faussées ? Signe que les paroles de trop d’hommes sont faussées, ces temps derniers ? Je suis qui je suis, personne n’y changera rien. Chaque homme est unique, ainsi l’a voulu l’Unique, et qui L’écoute n’obéit qu’à Lui.

Il neige à Jérusalem.

Ousmane Sow, lutteur debout

lutteur debout ousmane sow

*

Les Parisiens, permanents ou de passage, se souviennent de son impressionnante exposition sur le pont des Arts, en 1999. La nouvelle date d’avant-hier mais je l’apprends ce matin : Ousmane Sow est entré à l’Académie des Beaux-Arts à Paris. Dany Laferrière à l’Académie française, Ousmane Sow à l’Académie des Beaux-Arts, voici du grand air neuf. Ousmane Sow a sculpté Nelson Mandela, et il y a quelque chose de Mandela en lui. En ce qu’il réconcilie l’art avec le figuratif – même s’il n’est pas le seul, je pense en particulier au travail également impressionnant de Ron Mueck. Et puis pour certaines de ses œuvres comme ce Lutteur debout, il s’est inspiré du travail photographique de la grande Leni Riefenstahl, artiste ostracisée jusqu’à sa mort récente pour avoir flirté avec le régime nazi. Quand on voit le succès de Martin Heidegger chez ceux-là même qui repoussent avec dégoût Leni Riefenstahl… Or celle-ci n’était pas une idéologue, mais une artiste. Politiquement elle a fait fausse route comme tant d’autres, mais à une femme libre, l’erreur est fatale, la société en profite aussitôt pour déverser sa haine et son désir de meurtre par l’exclusion, comme avec les tondues de la Libération. Ousmane Sow, lui, n’a pas fait la grimace sur les magnifiques photos de Leni Riefenstahl, la blonde qui aimait les Africains. Il l’a incluse dans son monde, pour notre plus grand bonheur.

Dany Laferrière à l’Académie française

dany-laferriereJoie ! Je l’ai dit avant-hier à Olivier et Syd : c’est Dany qui va être élu à l’Académie française. Comment tu le sais ?, m’ont-ils demandé. Eh bien voilà, c’est fait. Ah que son grand rire résonne entre leurs murs ! Comme il réchauffait l’hiver canadien, quand nous tracions à travers Montréal par moins trente et dansions avec les Haïtiens ! Dany Laferrière est un excellent écrivain, et un amoureux de la langue française, comme tous les Haïtiens que nous avons connus là-bas, comme Pit qui récitait par cœur des pages de Mauriac. Dany lisait le Journal de Léautaud, parfois il nous téléphonait pour nous lire un passage particulièrement savoureux. Puis je crois que c’est lui qui m’a parlé de Le maître et Marguerite, de Boulgakov, que je n’avais pas encore lu.Voici ce que j’écrivis il y a trois ou quatre ans sur l’un de ses derniers livres, Vers le sud, sur Congopage.

Propos pas si décousus qu’il semble

Depuis que je peins, je fais des desserts, plus qu’avant. Pour nous sept l’autre jour, pour nous quatre au quotidien. Aux fruits rouges, surtout. Quand Nico est arrivé à l’improviste de Finlande, je lui ai ouvert la porte dans la blouse de chimiste que je mets pour peindre. Un peu plus tard, il m’a photographiée en train de peindre dans cet habit, il m’a dit en riant on dirait Marie Curie. J’ai fondé un Ordre de liberté, j’ai écrit une bombe, une bombe d’amour, une bombe de ciel. Les terriens veulent la désamorcer. C’est-à-dire, m’utiliser pour l’utiliser. Ne pas me faire face. L’homme chargé de traduire le discours d’Obama en langue des signes a fait des gestes qui ne voulaient rien dire, il ignore la langue des signes, le discours était de faux signes, comme tant d’autres. Les grands terriens se croient irrésistibles. L’attraction terrestre est bien peu de chose dans l’espace. Mandela voulait bien se réconcilier avec tout le monde, d’ailleurs il n’était nullement fâché, il en avait vu d’autres, il les voyait d’au-delà. Il a seulement demandé que soient d’abord reconnus tous les abus commis. Si vous construisez une maison sans vous soucier du fil à plomb, vous ne faites qu’ajouter du périssable au périssable sur cette terre, y perpétuer la mort. Je sais ce que je dis, je ne parle pas comme eux, je parle la vérité, le chemin et la vie.