
aujourd'hui à Paris, photos Alina Reyes
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aujourd'hui à Paris, photos Alina Reyes
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Il se tient debout contre le mur, près de cette porte par où les gens vont et viennent. Chaque fois que j’y vais, je le vois. Avant même que je n’aie traversé la rue, nous échangeons un signe de reconnaissance. Ses vêtements sont sales, mais son sourire est propre est doux. Il ne parle pas français, mais il sait dire « bonjour madame », « merci madame », « bonne journée madame ». Quelques piécettes au fond de son vieux gobelet en carton en appellent d’autres. Seraient-elles des billets de cinq cents, si dérisoire resterait cet argent. Je m’incline aux pieds de l’homme pour déposer moi aussi quelques piécettes, une misère.
Parfois l’homme s’accroupit, mais quand quelqu’un arrive, il se lève. Il déchire l’espace. La rue tangue. L’enfant toujours présent à côté de lui demeure assis, paisible, dans son pauvre sac de couchage crasseux. L’enfant joue consciencieusement avec les minuscules pétales jaunes d’une toute petite fleur. Les disposant et les redisposant sur le rebord du sac qui enveloppe ses jambes. Chaque pétale est peut-être un personnage pour lui, et l’ensemble un univers dont il chorégraphie les étoiles, les âmes.
L’enfant aussi sourit, parfaitement paisible et doux, levant la tête quand il entend votre « bonne journée à vous » en retour. Dieu est là.
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tout à l'heure dans un jardin partagé du 13e arrondissement, puis dans les jardins de la Pitié-Salpêtrière, photos Alina Reyes
J’ai rêvé cette nuit que j’étais debout sur le rebord de la fenêtre de ma chambre, à la montagne. Une biche et son faon, juste au-dessus, étaient là, paisibles. Nous nous regardions, comme chaque fois je le fais avec les animaux sauvages. Le faon est venu à ma fenêtre, il a commencé à essayer d’y monter. Alors, d’où ils étaient, est apparu une très nombreuse troupe, multicolore et joyeuse, de pèlerins, de moines et moniales, de soldats. Ils sont descendus chez moi, se sont installés dans la maison autour de la table. Je leur ai proposé de l’eau, ils ont mangé. Je suis retournée voir le faon, je me suis réveillée.
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tout à l'heure au Jardin des Plantes, photos Alina Reyes
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au jardin alpin du Jardin des Plantes, ces jours-ci, photo Alina Reyes
À force de lutter, privée de moyens, parfois je suis fatiguée. Ce matin je me suis recouchée, je me suis rendormie, j’ai fait un rêve où j’étais un homme que d’autres hommes coinçaient dans une cage d’escalier sombre, frappaient contre les murs, frappaient. Rien à faire, je ne travaillerai pas avec l’inversion des valeurs que je porte. Ce que les puissances du mal font dans le monde en ce moment, je le vois bien, car c’est de la même façon qu’elles agissent avec moi, depuis des années.
Les puissances du mal sont malines, comme leur nom le dit. Au nom du féminisme, on instrumentalise des femmes pour semer le trouble dans les peuples qu’on veut dominer, Russes, Européens, Maghrébins… Au nom de l’humanisme, on instrumentalise des associations pour s’insérer parmi les peuples sur le terrain, des trolls pour s’insérer parmi les voix des peuples sur internet, des pétitions en ligne pour s’insérer dans la politique des peuples et réaliser en même temps une intense propagande, qui arrive directement dans des millions de boîtes mail, qui s’étale dans la presse, qui sème la confusion entre le bon et le mauvais tandis qu’à l’arrière-plan on s’emploie à attaquer des monnaies, trafiquer des marchés. La corruption progresse dans les esprits, et notamment les esprits des élites. Le mensonge et la manipulation dans ces milieux règnent au point de paraître ordinaires, même à des représentants des plus hautes autorités morales, qui ne savent plus distinguer entre le vrai et le faux.
Pourtant chez moi, dans notre humble foyer, l’amour, la beauté, l’harmonie règnent. Qu’il en soit ainsi pour chacun de nous, et la vérité vaincra, la vérité a déjà vaincu.
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"Kavka" au Jardin des Plantes, photo Alina Reyes
Je suis très affectée d’apprendre que le Grand rabbin de France, Gilles Bernheim, est un plagiaire récidiviste, qu’il emploie des nègres, qu’il a menti pendant des décennies en se prétendant agrégé de philosophie (et major de sa promotion, entre autres détails inventés pour lui donner un brillant éblouissant) – ce qui lui valut une grande partie de son prestige. Parmi les auteurs qu’il aurait plagiés figure Élie Wiesel, qui fut lui-même accusé d’imposture, sans que l’affaire soit bien éclaircie. De même j’ai été triste d’entendre à la télévision un prêtre, Jean-Robert Armogathe, qualifier d’anecdotique l’affaire Cahuzac. Tous ces hommes qui passent pour des références morales, n’ont-ils en vérité aucun sens, ou qu’un sens complètement faussé, du bien et du mal ?
Ailleurs, toujours, sur toutes sortes de sujets, multiples manipulations de l’information, soit par ceux qui la donnent (sur les sites que je lis, qu’ils soient généralistes, musulmans ou chrétiens), et la donnent partielle ou déformée, soit par ceux qui la commentent sous couvert d’identités faussées. Et la bêtise, et la méchanceté. De cette mare pourtant, s’élèvent de temps en temps quelques voix fraîches, surgissent comme des épiphanies des témoignages de vie, si minces souvent, si petits, et justement pour cela porteurs de la plus haute espérance. Le cœur bondit, le ciel est là, tout proche.
Aujourd’hui, vendredi, jour de prière commune à la mosquée. Jumua, bonheur et joie. À la Grande Mosquée, à cause de la multitude de ce jour, ou grâce à elle, nous prions dehors, dans les jardins. De grands tapis de corde sont disposés pour les fidèles. Vers le fond, quand il n’y en a plus, on se partage le tapis ou le tissu apporté par l’une ou l’autre. On prie côte à côte, coude à coude, inconnue à inconnue. C’est très beau. L’imam récite des passages du Coran et prêche, il y a des invocations en commun, comme c’est en arabe je ne comprends pas mais peu m’importe de comprendre à la lettre, je comprends à l’oreille, je suis dans la prière, nous y sommes toutes et tous ensemble, et la mosquée a les dimensions du monde. Quand c’est fini, celles qui ont apporté des dattes, des gâteaux, du café, les distribuent. Générosité vivante et raffinée. Les jardins du paradis.
À la sortie un jeune homme distribuait des prospectus. Il m’en tend un : « Bonjour madame, c’est pour maigrir ». « Ah, vous me trouvez trop grosse ! », je lui dis. Il éclate de rire. « Non, absolument pas ! » Comme j’aime entendre les hommes rire ! et rire de bon cœur.
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Je me suis levée tôt pour prier, puis comme j’étais très fatiguée je me suis rendormie. J’ai bien fait, car m’est venu un rêve somptueux. J’étais en voyage, de passage dans un pays semblable à la Mongolie. Pour entrer à la mosquée, qui était aussi la Grande Mosquée de Paris, je faisais mes ablutions avec d’autres dans un espace labyrinthique profondément paisible, puis je me voilais d’un voile blanc transparent tendu sur mon front et surmonté d’un tissu, ou d’une capuche, rouge à pourpre, montant librement élaboré. Je gardais cette coiffure à la sortie de la mosquée, qui se trouvait à la fois dans les vastes espaces où l’on monte à cheval et dans la blancheur lumineuse du Jardin des Plantes légèrement enneigé. Je traversais un palais, accompagnant un moment en chemin son propriétaire terrestre désemparé, tandis que tout devenait céleste, que le palais de la mort se changeait en palais de la lumière, que se formait dans l’invisible l’union des bienheureux, en marche et en repos vers un nouvel espace, un nouveau jardin, un pays encore jamais vu, où, à la sortie du palais, se poursuivait le voyage.