DAOUD, CONTRE-ENQUÊTE

Transcription du texte de l’une de mes vidéos ici sur YouTube

Après la précédente vidéo d’introduction au sujet Daoud contre-enquête, pour comprendre ce qui a conduit Kamel Daoud à commettre son prix Goncourt, nous allons passer en revue ses sept livres précédents et leur contenu. Car c’est en ces premiers ouvrages qu’il s’est révélé, c’est là qu’on trouve le fond et l’évolution de sa vision du monde et de son comportement face au monde, qui l’ont amené finalement à produire ce livre où sa trahison ne prend même pas la peine de se masquer, sinon en se glaçant d’un vernis de fausse littérature, travaillée par une maison d’édition, Gallimard, experte en production de livres à prix. Autrement dit, de livres pleins de casseroles qui font beaucoup de bruit sur le moment, au profit immédiat de ce marchand et de ses écriveurs dociles. Ecriveurs volontiers recrutés ces temps derniers parmi les Arabes doués d’allégeance au pays de leurs anciens colons, restés d’autant plus nostalgiques de leurs colonies perdues que l’islam constitue désormais une part importante de la culture hexagonale, à leur très grand dépit. Parmi ces auteurs à prix littéraires recrutés en Afrique du Nord pour prêcher aux Français la supériorité de la culture française « de souche », comme disent les fachos, citons notamment Ben Jelloun et Sansal, ou plus récemment arrivés sur le marché, Slimani et Daoud.
Dans un premier temps, nous allons nous appuyer beaucoup sur des citations de ceux de ses premiers livres que j’ai pu me procurer, afin de bien baliser le chemin sur lequel Daoud se déplace, ou le plus souvent, piétine. Et pour ses deux dernières productions, Le peintre dévorant la femme et Houris, forts de ce que nous aurons relevé dans ses précédents livres, nous livrerons notre analyse, dévoilant le fonctionnement et les intentions de Daoud.

Mais avant de commencer la recension de ses livres dans leur ordre chronologique de publication, gardons en tête trois citations tirées de Meursault, contre-enquête dans l’édition 2014 d’Actes Sud :
p. 46 « On a là des aveux, écrits à la première personne »
p.57 « Le monde entier assiste éternellement au même meurtre en plein soleil, personne n’a rien vu (…) Quand même, il y a de quoi se permettre un peu de colère, non ? Si seulement ton héros s’était contenté de s’en vanter sans aller jusqu’à en faire un livre ! (…) c’est son talent qui rendit son crime parfait. »
p. 118 « Moi je parle trop, je crois. C’est le grand défaut des meurtriers que personne n’a encore punis. »
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Et maintenant, reprenons du début, avec ce titre qui, a posteriori, a des allures d’AVEU de la part de son auteur :

La Fable du Nain (Oran, Dar El Gharb, 2003)
N’ayant pas trouvé ce livre, je vous en lis ce résumé donné parYamina Bahi, de l’Université d’Oran :
« La Fable du nain est un récit qui met en scène deux personnages : d’un côté, le héros-narrateur
protagoniste central de l’histoire ; et de l’autre, un Nain surnommé « ZimZim » par ce même pro-
tagoniste. Ce dernier est victime des fourberies et tortures orchestrées par le gnome diabolique
investi de tous les vices. Ce lutin use des stratagèmes les plus espiègles pour enrayer la personnalité
de ses victimes. Dès lors, le narrateur subit une dépossession insoutenable, marquée par l’annu-
lation de soi et le consentement au déclin. Le personnage aliéné et agité quitte, de la sorte, son
emploi et ses proches pour se reclure dans sa chambre d’appartement et ce, dans le but de pour-
chasser l’être vil et sordide qui le hante jours et nuits. Mais au fur et à mesure que la traque évolue,
il se rend compte que le Nain fait partie de lui, car il incarne sa part sombre et malicieuse. »

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Le deuxième titre de Daoud, Ô Pharaon (Oran, Dar El Gharb, 2005), est également introuvable en France aujourd’hui. Même la bibliothèque de l’Institut du Monde Arabe l’a retiré de son catalogue de prêt. Pourquoi ? Daoud et ses soutiens préfèrent ne pas avoir à assumer un ouvrage qui révèle son ISLAMISME, ses MASQUES ET MENSONGES. Il y prend parti pour les islamistes de la décennie noire, qu’il appelle des « maquisards », « qualité qui n’était admise que pour les Combattants de la Guerre anticoloniale » précise Abdellali Merdaci, docteur en linguistique et professeur de littérature comparée, qui note dans le journal Algérie 54 que ce roman est également homophobe. Dans un autre article sur Daoud, ce professeur évoque « sa défense véhémente des groupes islamistes de l’Ouest algérien », avant qu’il ne soit repéré en France par Pierre Assouline pour des chroniques où, en pleine attaque dévastatrice d’Israël à Gaza, en 2014 (opération Bordure protectrice), il se disait non-solidaire des Palestiniens. Récupéré par Saint-Germain-des-Prés comme Algérien disant du mal des arabes et du bien des Israéliens, il réécrit son Meursault contre-enquête et le publie en France chez Actes Sud (Françoise Nyssen, ministre de la culture de Macron) après avoir fait revoir et valider son récit par les ayant-droits de Camus. Dans sa première version le texte de Daoud, une commande d’éditeurs algérois ainsi que de leurs auteurs, qui l’avaient déjà retravaillé, comportait une critique parfois violente de Camus. Les ayant-droits ont fait enlever des passages, Daoud s’est plié à leur volonté et le livre est devenu un hommage à Camus.
Soutiens de Daoud : Assouline, BHL, Finkielkraut, Onfray, Valls…
Le 15 décembre 2024, sa plus jeune sœur, manifestement intelligente et sûre d’elle, témoigne sur la chaîne de télévision algérienne One de ses mensonges quant à la prétendue misère de son enfance. « On avait une grande maison, une villa avec un jardin, notre père était gendarme et gagnait bien sa vie, on était de la classe moyenne, on ne manquait de rien et on a tous et toutes fait des études supérieures, notre père y tenait beaucoup, pour les filles comme pour les garçons. Maintenant nous travaillons et nous avons de bons postes de cadres. » dit-elle en substance. Le retrait de ce livre, Ô Pharaon, des librairies et bibliothèques, s’inscrit bien dans la falsification de sa biographie par Daoud, qui, de même qu’il a menti sur son enfance et sa famille pour se donner une aura de petit miséreux né dans un monde obscur et ayant accédé à la lumière par son seul mérite, alors que toute sa parenté et toute sa fratrie serait demeurée inculte, s’est également employé à gommer son passé islamiste pour aller, comme je le disais dans l’une de mes précédentes vidéos, d’un fascisme à l’autre – nous verrons qu’il conforte lui-même cette analyse en répétant dans ses chroniques qu’islamisme et extrême-droite française s’équivalent. Aujourd’hui Daoud épouse toutes les thèses de ce Rassemblement national qu’il comparaît jadis à l’islamisme, preuve que le même esprit du mal continue son œuvre à travers lui. Notons que ce livre empreint d’islamisme a été publié en 2005. Quand Daoud prétend avoir abandonné l’islamisme en 1988, on peut en douter !

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Je n’ai pu me procurer non plus, pour cette recension, son livre suivant, marqué par le CARACTERE OBSESSIONNEL de Daoud :
La Préface du nègre, Le Minotaure 504, et autres nouvelles (Arles, Actes Sud, coll. « Babel », 2015) Recueil de nouvelles parues précédemment à Alger, éditions Barzakh, 2008
Notons simplement que dans la présentation française de ce recueil on lit que les personnages y sont « égarés dans le labyrinthe de leurs obsessions ». Voilà qui est suffisamment parlant, comme nous allons le voir dans la suite.

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Passons maintenant à
Mes indépendances, chroniques 2010-2016 (Éditions Barzakh et Actes Sud, 2017), INTERMINABLE RABÂCHAGE DE HAINE ET DE MEPRIS DU PEUPLE ALGERIEN ET DE L’ALGERIE
Et notons déjà que sa dédicace : «  à ma femme, debout dans mes orages », paraît assez inquiétante et révélatrice, sachant que Daoud a été condamné pour violences conjugales. Pour le reste, je me contenterai de citer certaines phrases tout aussi révélatrices de ce choix de chroniques.
p.16 « Ma méthode était la recette vicieuse du paresseux appliqué »
p.303 « Qu’est-ce que réussir et rire pour moi si je le fais sur une île déserte, une salle vide, là où les miens, mes ancêtres, mes descendances ne me regardent pas, ne partagent pas avec moi le pain ou le sein ? On ne recommence pas sa vie après une fuite, on continue seulement de fuir. Ceux qui sont partis sont souvent détruits ou torturés par l’impossibilité de revenir et l’impossibilité d’arriver ailleurs, définitivement, pleinement. »
p.333 « Les salafistes de la France sont l’extrême-droite, ceux de l’Algérie sont, eux, des islamistes. »
p.346 : dit qu’en Algérie « Les gens sont morts, un mort gouverne » Ce « mort » est Bouteflika, plus d’une fois pris à partie dans ses chroniques, ce qui semble montrer que la liberté d’expression ne se porte pas si mal que ça en Algérie.
p. 356 : « vue de Paris, l’Algérie n’intéresse pas le marché éditorial. Sauf quand elle fait la guerre » – c’est donc aussi pour intéresser Paris que Daoud est entré en guerre, non contre la France mais contre l’Algérie.
p.373 « le monde dit arabe est le poids mort du reste de l’humanité »
p.446 « Vous voulez lire l’avenir de certains peuples ? Regardez le présent qu’ils font subir à leurs femmes. » Valable aussi pour l’avenir de Kamel Daoud, alors ?
p. 447 « Le FN est comme les islamistes chez nous » (plusieurs fois dans les chroniques)
p.505 « L’islamisme est un fascisme. »

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Meursault, contre-enquête (1re éd. Barzakh, 2013 et Actes Sud, 2014)
p.8-9-10 « Dès le début, on comprenait tout : lui, il avait un nom d’homme, mon frère celui d’un accident. Il aurait pu l’appeler “Quatorze heures” comme l’autre a appelé son nègre “Vendredi”. Un moment du jour, à la place d’un jour de semaine (…) pour qu’il rejoue son propre décès par balle tirée par un Français ne sachant quoi faire de sa journée et du reste du monde qu’il portait sur son dos (…) Ce qui me fait mal, chaque fois que j’y pense, c’est qu’il l’a tué en l’enjambant, pas en lui tirant dessus (…) et le livre a eu le succès que l’on sait. Et donc, par la suite, tous se sont échinés à prouver qu’il n’y avait pas eu meurtre, mais seulement insolation (…) Du coup, le meurtre est un acte absolument impuni (…) tout le monde s’est mis de la partie pour faire disparaître à la hâte le corps de la victime » Voilà un passage à retenir pour quand nous arriverons au personnage d’Aube dans Houris, ce personnage auquel il a lui aussi donné le nom d’un moment du jour, ce personnage représentant donc comme l’Arabe de Camus une personne réelle qu’il a tuée en l’enjambant, comme il dit.
p.11 « nous étions seulement deux frères, sans sœur aux mœurs légères comme ton héros l’a suggéré dans son livre » Et comme Daoud l’a suggéré aussi avec le personnage d’Aube dans Houris.
p.14 « là, je te mens, comme je me suis menti à moi-même pendant longtemps. La vérité est que l’Indépendance n’a fait que pousser les uns et les autres à échanger leurs rôles. » De fait, Daoud a manifestement voulu devenir Camus, comme le montrent certaines de ses photos posées à la façon de Camus, prendre sa place d’auteur gagnant le succès en tuant un personnage dépouillé de son nom.
p. 15 « Depuis des siècles, le colon étend sa fortune en donnant des noms à ce qu’il s’approprie et en les ôtant à ce qui le gêne »
p.30 « Tu veux que je te divulgue mon secret (…) Voilà, c’est là-bas, à Hadjout, qu’une nuit terrible, la lune m’a obligé à achever l’œuvre que ton héros avait entamée sous le soleil (…) Une fosse que je creuse sans cesse. Mon dieu, comme je me sens mal ! »
p.41 « Toi, tu veux retrouver un cadavre, alors que moi, je cherche à m’en débarrasser. Et pas d’un seul, crois-moi ! »
p.47 « il ne l’a pas nommé, parce que sinon, mon frère aurait posé un problème de conscience à l’assassin : on ne tue pas un homme facilement quand il a un prénom. »
p.48 « J’ai tué moi aussi »
p.53 « Je m’en souviens, j’avais ressenti une étrange jubilation à la voir souffrir réellement, pour une fois. Pour lui prouver mon existence, il me fallait la décevoir. C’était comme fatal. Ce lien nous a unis plus profondément que la mort. »
p.56 « Sa vie ? S’il n’avait pas tué et écrit, personne ne se serait souvenu de lui. »
p.60 « La voix de l’imam qui vocifère à travers le haut-parleur » (adhan)
p.61 « Leur marmaille grouillant comme des vers sur mon corps »
p.64 « ton héros ne ressemble en rien à l’autre, celui que j’ai tué » Puis il raconte qu’il a tué un homme, d’une balle dans le ventre et l’autre dans le cou, ajoute avoir pensé que puisqu’il n’était pas musulman, ce n’était pas interdit, puis que comme il y avait une guerre, ce n’était pas un assassinat. p. 68 « A l’époque, on tuait beaucoup (…) Durant cette période étrange, on pouvait tuer sans inquiétude » p.73 « et je sus que j’étais piégé dans un plus grand rêve, un déni plus gigantesque, celui d’un autre être qui fermait toujours ses yeux et qui ne voulait rien voir, comme moi. » p.75 « c’est une malédiction, un piège ».
p.77 « Un certain goût pour la paresse s’installe chez le meurtrier impuni. Mais quelque chose d’irréparable aussi : le crime compromet pour toujours l’amour et la possibilité d’aimer. J’ai tué et, depuis, la vie n’est plus sacrée à mes yeux. Dès lors, le corps de chaque femme que j’ai rencontrée perdait très vite sa sensualité, sa possibilité de m’offrir l’illusion de l’absolu. À chaque élan du désir, je savais que le vivant ne reposait sur rien de dur. Je pouvais le supprimer avec une telle facilité que je ne pouvais l’adorer – ç’aurait été me leurrer. J’avais refroidi tous les corps de l’humanité en en tuant un seul. »
p.79 « Généralement, on dort mieux après l’aveu. »
p.82 « je rêve d’en commettre un » (livre)
p.91 « je voulais être condamné »
p.99 il dit avoir appris à lire « pour retrouver un assassin ». Eh bien, c’est ce que nous sommes aussi en train de faire.

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Zabor ou les psaumes (éd Barzakh et Actes Sud, 2017) OBSESSION AMOUREUSE POUR UNE JEUNE FEMME « DÉCAPITÉE »
dans Meursault contre-enquête : « Le meurtre qu’il a commis semble celui d’un amant déçu par une terre qu’il ne peut posséder ». En lisant Zabor, on éprouve le fort sentiment que le livre qu’il a commis ensuite, Houris, semble celui d’un amant déçu par une femme qu’il n’a pu posséder.
p.46 « un jour je vais retrouver tout ton corps et te le rendre, ô voisine décapitée » (à Djemila, qu’il voudrait épouser)
p.52 « je veux sauver cette femme, lui rendre son corps »
p.58 « Est-ce que j’aime cette femme ? Oui. Je me sens coupable quand j’évoque son sort et je sais que, pour elle, écrire ne suffira jamais à l’arracher à la mort et à lui redonner un corps entier. À vingt-quatre ans, elle est (…) condamnée à vivre comme une décapitée en ne montrant que sa tête par la fenêtre. Je la sauverai non pas en écrivant mais en lui racontant une histoire qui réparera sa décapitation »
p.71 « (je suis responsable des vies des gens que je croise quotidiennement et je peux les sauver en écrivant, tous, sauf une femme que je ne peux protéger qu’en échangeant mon corps contre le sien et en remédiant à sa décapitation) »
p.86 « Le début d’un conte : une femme décapitée »
p.87 « Pourquoi cette femme m’occupa-t-elle l’esprit »
p.88 «  j’avais un faible pour les femmes prisonnières » et « j’aperçus une femme aux longs cheveux noirs, au visage comme posé sur une épaule invisible, comme détaché du cou par un foulard. » et « Dès la répudiation, sa tête est tranchée, séparée de son corps »
p.89 « Elle était une impasse par où chacun avait envie de passer ! Corps piétiné, ouvert, soldé, qui ne pouvait servir à aucune noce, seulement à l’infidélité ou à la traque. Son sort était un bûcher. »
p.112 : « je devins un enfant méchant chez moi, et lâche dehors. »
p.142 : « À quoi se résument les journées d’une femme décapitée ? Je ne peux l’imaginer. Une sorte d’obscurité, sans langue ni écriture. Quelque chose m’échappe dans ce que j’éprouve pour elle. »
p.143 «  Le seul moyen de sauver les femmes décapitées des Mille et Une Nuits, c’est de leur rendre leur propre corps »
p.161 « J’espère sauver cette femme enterrée vivante, cette fois par ma chair entière et pas seulement par mes cahiers. Djemila n’a pas besoin d’un conte mais d’un homme qui puisse retrouver son corps. »
p.202 : « En résumé, pour sauver une personne en écrivant, il faut lui restituer son histoire, la lui faire boire comme une eau sacrée, doucement, en lui penchant la tête pour que le souvenir ne l’étouffe pas. »
p.236 «  Mon père est mourant et cette fin du monde m’exalte, comme si la mort d’un être pouvait signifier la liberté d’un autre. Et si j’étais en train d’écrire pour le tuer, et pas pour le sauver ? » Voilà la question que l’on peut aussi se poser sur ce qu’il a voulu faire à Saâda Arbane.
p.38 : « selon la légende toujours, j’étais un monstre sournois, caché dans le corps d’un eunuque. Ô, Ibrahim, versant d’Abraham, c’est à mon tour de poser la lame souriante sur ta gorge »

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Le peintre dévorant la femme (Stock, 2018)
Sur le thème de l’érotisme vu comme une chasse et un cannibalisme.
Extrêmement chi*nt.
Sur Picasso, p.36 « Il viole d’abord la femme et puis après on travaille », confiait Marie-Thérèse » – l’une de ses compagnes qu’il a draguée alors qu’elle avait 17 ans et lui 54, ce qui semble ravir Daoud, comme cette histoire de viol et de cannibalisme. Il en parle au début du livre, et ensuite, Picasso et ses peintures, il n’a pas grand-chose à en dire. Alors il donne dans le verbeux, comme dans ses autres livres. Il pisse de la copie, comme le chroniqueur qu’il fut pendant des années, devant remplir ses feuillets tous les jours et les remplissant de redites.
Même là, au musée Picasso, il y va de son ressassement anti-islam, pendant des pages. Comme ces antivax qui, quel que soit le sujet dont on parle, disent, si ça s’est mal passé, si ça a mal fini « je parie qu’il avait été trois fois vacciné ». C’est une obsession, une maladie, exactement comme l’antisémitisme. Antivax, antisémite, antiislam… Pour eux, quoi qu’il arrive, c’est la faute aux vaccins, ou la faute aux juifs, ou la faute aux musulmans. Bonhomme, t’as demandé à passer une nuit au musée, qu’est-ce que t’as à penser, là, à ce moment, à cet islam avec lequel tu te manges la tête ? Oui tu es cannibale, et c’est toi-même que tu manges, avec ta haine !
Il parle du cru et du cuit. Pitié, encore cette rengaine usée ! On me l’a tant sortie, quand j’ai publié mon premier livre. Les intellos, c’est-à-dire les intellectuels médiocres, les demi-savants demi-pensants, bêlent tous la même chose, et Daoud bêle maintenant avec les moutons de Saint-Germain-des-Prés, tout en crottant, de son autre côté, contre les moutons qui bêlent à la mode islamiste. Bêtise. Fatigue.
Si j’avais eu le livre sous forme numérique, j’aurais compté le nombre extrêmement abusif de fois où il emploie les mots « cannibale » et « proie ». Pour parler d’érotisme. Entre deux ressassements sur l’islam. Cela veut dire quoi ? Qu’il est resté ce qu’il fut, adolescent, à l’âge où les pulsions sexuelles prennent forme : un islamiste, de ceux qui terrorisent et tuent. S’il avait été élevé dans une autre culture que celle de l’islam, il serait devenu pareillement terroriste et assassin en esprit, en s’appuyant sur n’importe quelle autre idéologie. Parce qu’ainsi est sa pulsion sexuelle. Morbide.
Il lui est donné l’occasion de passer une nuit seul au musée Picasso pour en faire un livre, et voilà le genre de question qu’il se pose – il en fait un chapitre : « une femme peut-elle être imam ? » La vérité c’est que les peintures, il s’en fout. Il radote sur l’islam qui l’obsède, comme l’avare de Molière, ou le Melmoth de Maturin, devenus vieillards, n’ont plus que leur argent pour passion. Il n’est pas si vieux, Daoud, mais il a déjà cette maladie de vieux, il a peur que l’islam lui prenne son son bien qu’il gagne à la sueur de son clavier au service de patrons occidentaux racistes. Puis il revient à son autre hantise, le corps, et il donne pour titre à l’un de ses chapitres « Le corps supplicié ». Oui, on a compris, ça lui plaît, ça. Et aussi, comme il l’écrit, « sa crucifixion, immobilisation, putréfaction ».
Daoud s’onanise de mots, de vanité, mais ça n’efface pas le réel, ça n’efface pas le fait que son goût du corps supplicié l’a conduit à être condamné pour coups et blessures sur sa première femme, elle qu’il frappa à coups de pommeau de canne, la laissant ensanglantée, un pan de son cuir chevelu arraché, où ses cheveux ne peuvent repousser. Il a beau faire des phrases, il a beau écrire « j’ai pressenti, étrangement, comment un homme pouvait manger une femme, réellement, dessiner son crime, le confesser et être admiré pour ce cannibalisme », même s’il réussit à se faire admirer de ses maîtres pour son cannibalisme – car dans leur monde seuls les maîtres ont le droit d’être cannibales, mais on admet aussi celui des indigènes, ces sauvages que les maîtres, se rêvant eux-mêmes grands fauves, fantasment – tout cela ne l’absout pas du cannibalisme qu’il a commis sur la vie de Saada Arbane.

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Houris (Gallimard, 2024)
Dès les premières phrases, immédiate constatation : ce n’est pas, comme prétendu, la jeune femme qui parle. Aucune jeune femme ne parle comme ça. Personne, en fait, ne parle comme ça. Ce n’est pas parler, ça. C’est faire des phrases. Cette narratrice n’est que le cache-sexe d’un narrateur qui ne sait pas du tout faire parler sa narratrice. Autrement dit, impossible d’entrer dans le texte. C’est comme s’il avait tendu une bâche sur l’eau. Il voudrait que ça marche, qu’on y marche, mais il n’y a moyen ni d’y marcher ni d’y nager. C’est de la fausse eau, ses phrases, et de la fausse terre. Ça luit comme le plastique, mais ce n’est rien de vivant, ça sert juste à couvrir quelque chose qu’on veut couvrir : la vérité.
Quelle vérité ? Le fait que Kamel Daoud a volé la vie de Saâda Arbane pour remplir ses phrases. Tout ce que, de sa vie intime, Saâda Arbane a confié à sa psychiatre, la femme de Kamel Daoud, cette femme, l’a livré à cet homme, et cet homme s’en est servi pour remplir son livre. Puisqu’il faut bien, comme les colonnes de journaux, remplir les pages des livres, quand on prétend être écrivain alors qu’on ne sait ni quoi dire ni écrire. Kamel Daoud est une bâche posée sur la littérature, une bâche qui rabâche, tissée de religion si refoulée et de sexe si mal vécu qu’ils n’arrêtent pas de se défouler à travers ses phrases, et que lui, Daoud, ne sait faire de ses phrases que des bâtons pour battre les femmes, pour battre les gens du peuple, pour les anéantir comme dans ses obsessions de cannibalisme (dans Le peintre dévorant la femme) et dans sa lâcheté plusieurs fois revendiquée (dans Zabor). Daoud n’est pas un auteur qui crée, il est un écriveur qui se défoule. Ce n’est pas seulement qu’il commet des espèces de plagiat en reprenant tel texte ou en s’emparant comme d’une proie de la vie d’une femme, pour la déchiqueter et la faire souffrir – s’il n’avait pas cette volonté de supplicier, pourquoi aurait-il pris expressément des détails très privés de la vie de Saâda Arbane ? A-t-il fantasmé sur cette belle jeune femme à la gorge tranchée comme le narrateur de Zabor fantasme obsessionnellement sur une belle jeune femme « décapitée » ? S’est-il vengé de son refus vigoureux de lui donner son histoire comme, dit-il, Meursault par son crime semble s’être vengé de n’avoir pu posséder une terre qu’il désirait ? A-t-il, selon sa propre expression dans Meursault contre-enquête, commis son livre comme on commet un crime ? Le bonhomme n’est pas le crabe le plus fûté du panier, on lit à livre ouvert dans sa méchante âme dont les pinces n’arrêtent pas de gigoter. Quand il en pince pour quelqu’un, c’est pour lui faire du mal. Du mal à l’âme, et du mal à la chair. Daoud se complaît dans les descriptions des souffrances physiques de Saâda Arbane, la rescapée d’un égorgement. Je survole le texte, je ne veux pas participer à son voyeurisme, il ne m’entraînera pas là-dedans, lui qui doit se complaire à y entraîner lectrices et lecteurs. Il a jeté une bâche sur le nom de Saâda Arbane, il l’a privée de son nom comme Camus a privé l’Arabe de son nom, il l’a appelée Aube, comme, disait-il, Camus aurait pu appeler l’Arabe “Quatorze heures” ou Defoe a appelé son nègre “Vendredi”. « Un moment du jour, à la place d’un jour de semaine (…) pour qu’il rejoue son propre décès (…) Ce qui me fait mal, chaque fois que j’y pense, c’est qu’il l’a tué en l’enjambant, pas en lui tirant dessus (…) et le livre a eu le succès que l’on sait. Et donc, par la suite, tous se sont échinés à prouver qu’il n’y avait pas eu meurtre, mais seulement insolation (…) Du coup, le meurtre est un acte absolument impuni (…) tout le monde s’est mis de la partie pour faire disparaître à la hâte le corps de la victime. » Voilà, c’est lui-même qui le dit. « On a là des aveux », comme il dit dans Meursault, contre-enquête. Et tout se passe comme il le décrit : le meurtre qu’il a commis en commettant son livre est « un acte absolument impuni ». Parce que Daoud a trouvé la recette pour ça : se transformer en Meursault. En colon. Impuni s’il tue un ou une indigène. Daoud entre les lignes accuse même Camus, ou le soupçonne, d’avoir réellement commis un crime dont il a fait un livre qui a fait sa gloire. Alors Daoud a suivi le même chemin. Le chemin de ceux qui ont réussi, comme dit son ami Macron. Il a juste oublié que s’il y a toujours autant de colons en esprit en France, il n’y a plus de colonisés en Algérie. S’il se peut que ses amis islamistes ou lui-même aient commis des crimes impunis dans la décennie noire, l’Algérie est sortie de la décennie noire. Et Saâda Arbane, sa rescapée, même privée de voix, a su donner de la voix, parler, et confier sa parole à une autre femme forte, l’avocate Fatima Benbraham, qui va défendre ses droits. Et le seul fait que Saâda Arbane ait parlé annule déjà la malédiction de l’éternel retour du meurtre impuni. Au lieu de se mettre à l’heure de la vieille France coloniale, Kamel Daoud aurait pu se mettre à celle des peuples qui avancent, à celle de son peuple et de sa nombreuse jeunesse à qui il faut de l’encouragement, et non pas le mépris qu’il ne cesse de lui manifester, par ses écrits, par ses interventions dans les médias, et par cet acte vil commis sur une jeune femme de son pays, incarnation même de la résilience et de la victoire de la vie sur la mort. Kamel Daoud s’est placé lui-même dans le camp de la mort. Qu’il y reste, les vivants ont mieux à faire : vivre.

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Le mental au marathon, cette odyssée

On parle beaucoup du mental dans le sport, mais qu’est-ce donc, à vrai dire ? Les Grecs de l’Antiquité, inventeurs de l’athlétisme, devaient en savoir quelque chose. Et j’en ai trouvé une extraordinaire illustration dans l’Odyssée.

« Sur ces mots, Athéna aux yeux brillants s’élance, s’en va à Marathon et dans Athènes aux larges rues ».

Dans ce passage de l’Odyssée, la déesse, sous les traits d’une jeune fille portant de l’eau, vient indiquer le chemin à Ulysse – comme, dans une course, une bénévole
distribue de l’eau aux coureurs et leur indique le chemin. Ulysse rejoint alors la maison du roi Alkinoos, dont le nom signifie « Esprit puissant ».

N’est-ce pas extraordinaire ? C’est le seul moment où la ville de Marathon est évoquée dans l’Odyssée. Athéna va de Marathon à Athènes comme le fera, des siècles plus tard, le tout premier marathonien. Et vous allez voir, cette épopée peut être lue comme une métaphore du rôle du mental dans le marathon.

Au moment de passer entre les piliers qui soutiennent « les hauts plafonds » d’Esprit puissant, d’où « descend la lumière », et de franchir le seuil, Ulysse a le coeur agité, nous dit Homère. Bref, il est stressé comme un coureur au moment de passer entre les piliers de l’arche de départ. Ulysse « aux mille épreuves », comme l’appelle alors Homère, s’engage alors dans cette maison du mental qui va lui permettre de terminer enfin son périple et d’arriver chez lui.

Mais avant d’aller plus loin, rappelons que dans son odyssée, son long voyage de dix ans pour rentrer à la maison après la guerre de Troie, Ulysse est soutenu par Athéna. Athéna est la déesse de la pensée, et aussi de la stratégie guerrière et des arts. Dès le début de l’Odyssée, elle apparaît à Télémaque, le fils d’Ulysse, sous l’apparence du roi Mentès, un vieil ami d’Ulysse. Mentès venu, dit Homère, « aiguiser dans son esprit [l’esprit de Télémaque] courage et hardiesse ».
Un peu plus tard et à plusieurs reprises, elle apparaît sous l’apparence de Mentor, autre vieil ami d’Ulysse, qui, en son absence, s’occupe de sa maison et de l’éducation de son fils. Or ces deux noms, Mentès et Mentor, peuvent être interprété comme « Mental », comme on l’entend très bien puisque le mot grec, qui signifie d’abord « âme, force de vie », est passé en français. Voilà : Athéna, qui accompagne Ulysse dans tout son périple, représente en fait son mental.

Ulysse apparaît dans l’Odyssée au moment de son passage chez Esprit puissant. Le début de ses aventures seront racontées par lui en flash-back. Le passage chez Esprit puissant représente en quelque sorte le moment où le marathonien est réputé devoir mobiliser particulièrement son mental pour pouvoir finir sa course, quelque chose comme le fameux mur du trentième kilomètre. C’est aussi un moment de ravito : avant de continuer, il demande à manger pour reprendre des forces. Esprit puissant lui donne à manger, et comme il s’appelle Esprit puissant, on peut comprendre qu’il ne lui donne pas seulement des nourritures terrestres pour son corps, mais aussi une nourriture spirituelle pour son mental.

Jusque là, Ulysse a résisté au chant des Sirènes et à tous les obstacles qui auraient pu lui faire renoncer à continuer sa route. Il arrive au pays d’Esprit puissant en naufragé, complètement épuisé. Pour cette partie finale du trajet, il a donc besoin de l’aide d’Esprit puissant, dont les navires, nous dit Homère, naviguent par la seule force de l’esprit.

L’Iliade, qui précède l’Odyssée, était le récit de la colère d’Achille, lors de la guerre de Troie à laquelle Ulysse participe. Le très illustre Achille est le meilleur guerrier et le meilleur coureur de tous les Grecs. On l’appelle Achille aux pieds rapides. Mais Ulysse est aussi un excellent athlète, et il va le prouver avant de repartir de chez Esprit puissant. En effet, une compétition d’athlétisme y est organisée la veille de son départ. « Ils commencent par une épreuve de course à pied », nous dit Homère. « Tous ensemble ils s’envolent à toute vitesse, soulevant la poussière. » Vient ensuite l’épreuve de lutte à mains nues, puis celle du saut, celle du lancer du disque, celle du pugilat.
Les athlètes s’adressent alors à Ulysse et l’invitent à la compétition, disant « car il n’est plus grande gloire pour un homme que celle qui se fait avec les pieds et avec les mains ». « Allez, viens, lui disent-ils, et disperse les soucis de ton coeur. » Ulysse proteste d’abord qu’il est épuisé, puis il saisit un disque beaucoup plus lourd que celui avec lequel les autres ont concouru, le fait tourner, le lance ; la pierre vole à toute allure au-dessus des têtes et atterrit beaucoup plus loin que celle des autres concurrents. Athéna, sous l’apparence d’un autre humain, le félicite et lui remonte ainsi le moral. Il reconnaît qu’il est affaibli pour la course, du fait qu’il n’a pas pu se nourrir suffisamment pendant son trajet. Mais il se vante d’être excellent au tir à l’arc – et il le prouvera une fois de retour chez lui, comme on le sait, en étant le seul à pouvoir tirer la corde de son arc puissant, et en éliminant tous les prétendants.

Ainsi donc Ulysse n’est pas le plus rapide à la course, mais il est endurant, et il en viendra à bout, de son interminable course à travers les mers. Grâce à son mental, figuré par le fidèle soutien d’Athéna et les vaisseaux d’Esprit puissant. Après plus de douze mille vers, l’épopée donne les honneurs du dernier vers à Mental, le fidèle ami d’Ulysse, apparition d’Athéna, nous dit Homère, par le corps et la voix.

Quant à ce qu’est réellement le mental, Homère l’illustre par ces mots, lorsque Athéna s’élance de l’Olympe pour aller soutenir Ulysse : « Sur ces mots, elle attache à ses pieds de belles sandales divinement dorées, qui sur les eaux fluides la portent, et comme le ferait le vent, sur les terres immenses ».
En cette année olympique, on notera aussi que la porte d’Esprit puissant porte un anneau d’or. Athéna, esprit rapide comme l’aigle ou la chouette en chasse, qui « s’élance tel un oiseau à perte de vue plongeant », dit Homère, esprit stratège aussi, conceptrice de plans, et protectrice de celles et ceux qui s’illustrent par les pieds ou les mains, est la personnification de ce mental qu’il nous faut rechercher dans le sport, dans la course à pied, au marathon. Homère montre qu’avec sa baguette d’or, Athéna, notre mental, peut changer un moment de misère en moment de beauté, comme elle change Ulysse de mendiant épuisé en bel homme rayonnant, au moment de la reconnaissance finale.

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Journal du jour

Je pense à mon frère Gogol, il me semble que cela pourrait aider Ukrainiens et Russes à faire la paix et à s’entendre, comme l’Histoire le leur demande. Que cessent toutes les oppressions, que les âmes vivantes l’emportent sur les âmes mortes.

J’ai couru aujourd’hui, j’en avais grand besoin. Un épisode de réaction à la pollution et au pollen m’a écartée de la course en extérieur pendant quelques jours ; une séance sur tapis de course m’a laissée malcontente. Alors malgré la pollution du jour encore, je suis retournée courir dehors, au jardin, sur les quais, doucement et pas trop longtemps pour ne pas irriter de nouveau ma gorge, près de cinq kilomètres environ en quarante minutes, avec des escaliers et une petite séance de côte. J’y retournerai peut-être demain si la pollution baisse, cela fait tant de bien.

Gilets jaunes, puis pandémie, puis guerre. Certes tout n’est pas de la faute de Macron, mais penser qu’il peut rester en place encore cinq ans, au vu de sa façon d’être et de sa baraka, il y a de quoi être inquiet.

Je suis retournée prendre l’Iliade en bibliothèque. Je me sens prête à m’y remettre. Je suis une bien pauvre athlète physiquement, mais spirituellement, une athlète accomplie. Accomplie ne signifie pas finie, et ma traduction d’Homère, l’Iliade maintenant après l’Odyssée, est une continuation de mon accomplissement. Je me donne beaucoup dans ce que je fais, et comme dans le sport, des temps de repos, de récupération, sont nécessaires pour progresser. Je me sens comme l’inverse des spectateurs de la Caverne de Platon. Je vois tellement, et à travers un air si pur.

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Des écrivains, et de la littérature contemporaine

Haruki Murakami dans son livre autobiographique sur la course dit que personne sans doute ne pourrait tomber amoureux de lui, d’un écrivain. Je pourrais penser la même chose de moi et cela m’est égal, d’autant que je vis avec l’homme de ma vie, l’amour de ma vie ; s’il venait à partir, je pleurerais son départ, mais je ne chercherais nul autre homme. Ma vie est pleine en elle-même. Je note d’ailleurs que je ne suis jamais tombée amoureuse d’un écrivain, quoique j’en aie rencontré quelques-uns. Je n’ai même jamais eu envie d’avoir un ami ou une amie écrivain·e, quand les occasions se sont présentées j’ai esquivé, je n’ai jamais aimé leur présence, je revenais toujours presque malade des salons du livre et autres raouts pleins d’auteurs, tant ils me rebutaient. Même en imagination, je ne suis jamais tombée amoureuse d’un écrivain : dans mon roman dystopique Forêt profonde, le personnage de Sad Tod, inspiré de quelqu’un qui dans la vie réelle est éditeur-écrivain, est un ministre de l’Intérieur tortionnaire d’une dictature, et l’histoire prétendument d’amour s’avère n’être qu’une histoire de folie et de mort.

En fait, je me suis dégagée de la littérature par dégoût des littéraires et des intellectuels – qui me l’ont bien rendu, en m’excluant de l’édition ; tant mieux, je suis bien plus heureuse à courir, peindre ou faire du crochet. Je ne sais plus quel vieil auteur m’avait dit, quand j’étais jeune auteure, que ce métier ne rendait pas heureux. J’en avais été un peu choquée, aimant tellement la littérature. Avec le temps, j’ai compris. Les auteurs respirent le malheur, quand vous les approchez vous sentez leur mauvaise santé, physique souvent mais surtout mentale. Y compris ceux qui se réclament de Nietzsche, comme je le disais dans Forêt profonde. Leur univers m’est aussi insupportable qu’il l’était à Rimbaud. J’en suis sauvée parce que j’ai toujours été physique. Je sais que Murakami l’est aussi, et c’est pourquoi j’avais donné son prénom à un jeune personnage salvateur dans Forêt profonde. Le seul fait qu’il voie et qu’il comprenne qu’un écrivain n’est pas quelqu’un qu’on peut aimer prouve qu’il n’est pas vraiment cette sorte d’écrivain. Il a tenu un bar, il est sportif, sa littérature très poétique et pleine de nourritures appétissantes est très aimée par les gens, mais peu reconnue par les autres écrivains, ceux et celles qui vivent dans la mollesse morale et physique.

Dans le fait que Bolloré songe à racheter la plupart de l’édition française, je vois un signe qu’elle est achetable, avec ses auteurs, quelque protestation qu’ils produisent. Tous ces plein·e·s de prix littéraires, ces légionné·e·s d’honneur, ces académicienné·e·s, ces subventionné·e·s, ces ligué·e·s, ces saintgermaindesprétisé·e·s, ces bourgeois·e·s né·e·s, ces employé·e·s de l’industrie éditoriale, ces faiseurs et faiseuses plus souvent qu’à leur tour plagiaires, ces trafiquant·e·s de littérature faussaire, pataugent dans une mare qui n’a même pas la vertu d’être propice à l’éclosion de la vie. Sans doute le milieu littéraire n’est pas le seul à être pourri, mais sa morbidité est d’autant plus néfaste qu’elle se répand insidieusement sur les étals des librairies. Une bonne nouvelle dans tout cela est que les jeunes générations lisent de moins en moins la production actuelle, du moins celle qui est mise en avant par le milieu lui-même. Les bonnes séries, les beaux jeux vidéos remplacent avantageusement sa médiocrité, et ceux et celles qui aiment la littérature savent trouver, hors de la médiatisation commerciale, les livres de tous les temps et toutes les origines qui peuvent compter pour elles et eux. J’aime ces lecteurs et lectrices qui envisagent la littérature non comme elle se vend, mais pour ce qu’elle est. Ma place est comme la leur : ailleurs.

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Haruki Murakami, coureur de fond. Et ma deuxième sortie « longue » avec Estas Tonne

cet après-midi pendant mon running

« J’inspirais. Je soufflais. Je n’entendais aucun dérèglement dans le bruit de ma respiration. L’air me pénétrait très calmement puis était expulsé. Mon cœur silencieux se dilatait puis se contractait, encore et encore, à un rythme bien établi. Mes poumons, tels des soufflets de forge, apportaient loyalement de l’oxygène neuf à mon corps. Je pouvais sentir travailler tous ces organes, je pouvais percevoir le moindre son qu’ils émettaient. Tout fonctionnait à la perfection. Les gens, sur le bord du chemin, nous criaient : « Courage, vous y êtes presque ! » Comme l’air limpide, leurs voix me traversaient. J’avais la sensation qu’elles passaient à travers moi jusque de l’autre côté.

J’étais moi, et puis je n’étais pas moi. Voilà ce que je ressentais. C’était un sentiment très paisible, très serein. La conscience n’était pas quelque chose de tellement important. Oui, voilà ce que je pensais. Bien entendu, comme je suis romancier, je sais bien que la conscience est tout à fait nécessaire pour que je puisse accomplir mon travail. Sans conscience, comment écrire une histoire dotée d’un caractère propre ? Et pourtant je ne le ressentais pas ainsi. La conscience n’était pas pas quelque chose de particulièrement important.

Néanmoins, lorsque j’ai franchi la ligne d’arrivée à Tokorocho, j’étais extrêmement heureux. Bien entendu, chaque fois que je termine une course, j’éprouve de la joie, mais cette fois, c’était vraiment autre chose, bien plus fort. J’ai levé en l’air mon poing droit. Il était alors 16 heures 42. Depuis le départ, je courais donc depuis onze heures et quarante-deux minutes. »

Haruki Murakami, racontant une course de cent kilomètres dans son très beau Autoportrait de l’auteur en coureur de fond (trad. Hélène Morita)

En rentrant cet après-midi de ma deuxième sortie longue, j’ai eu le désir de rouvrir ce livre. Haruki Murakami court depuis ses trente-deux ans. Il en a aujourd’hui 73, j’ignore s’il court encore, mais je sais qu’il a déclaré à un journal qu’il aimait beaucoup marcher. Peut-être est-il passé de la course à la marche. Moi qui ai toujours aimé marcher je suis en train de passer à la course. Collégienne ou lycéenne, j’étais première ou dans les premières au 400 mètres, puis j’ai arrêté de courir, notamment parce que cela me faisait mal à la tête, à cause de la pilule je crois. En me remettant à courir si tard, je n’ai aucune chance de parvenir à courir comme si j’avais continué à courir jeune, mais j’ai quand même toutes les chances de progresser, et tout le bonheur de progresser en effet. Cette fois j’ai couru une heure, et j’aurais pu courir encore un bon moment, mais je suis les conseils et j’y vais progressivement, afin de ne pas maltraiter mon corps. Je n’ai eu mal nulle part, c’était magnifiquement agréable, à ce petit rythme d’endurance fondamentale qui m’a fait courir sur 7 km, la plus longue distance que j’aie parcourue en courant constamment, sauf les quelques pauses aux feux rouges et pour prendre rapidement quelques photos en chemin, ou deux ou trois gorgées d’eau. Dans mon casque à conduction osseuse, qui laisse libres les tympans et n’empêche donc pas d’entendre les bruits environnants, j’écoutais la musique méditative d’Estas Tonne, qui m’aidait à garder un rythme lent, facile à tenir longtemps. J’ai longé la Seine rive gauche, je suis passée rive droite et j’ai couru aussi sur les bords du port de l’Arsenal, j’ai repris le pont et j’ai traversé le jardin des Plantes. La lumière était changeante, avec des éclats somptueux par moments. Quand on court, on lévite. Pour ainsi dire, je marchais sur les eaux.

Au repos mais encore éveillée, ma fréquence cardiaque est descendue ces derniers jours jusqu’à 50 battements par minute.

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« Journal d’une prof » (pdf)

« C’était bien parti pour mal finir, et cela finit mal, comme on le verra à la lecture de ce journal de prof. Cela finit à l’Académie où l’on me morigéna et me menaça, cela finit dans le bureau du proviseur où l’on m’enjoignit aussi de me taire, cela finit au commissariat de police avec une plainte déposée contre moi, cela finit à l’hôpital avec un cancer récidivant, cela finit avec un départ de l’Éducation nationale en forme de non-retour. Mais cela finit aussi avec un merveilleux souvenir au cœur, celui de mes élèves bien-aimés et du travail que nous accomplîmes ensemble. »

« Puisse ce témoignage à vif contribuer à trouver des voies pour améliorer l’enseignement en France, et avec lui, le sort des élèves et des enseignant·e·s. »

Ma rentrée littéraire : voici ce Journal, précédé d’une introduction :
Journal d’une prof

Bonne lecture !

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