Cinq poèmes de Stephen Crane (dans ma traduction)

Je vis un homme poursuivre l’horizon ;
En rond, en rond, ils accéléraient.
Cela me troubla ;
J’accostai l’homme.
« C’est futile », dis-je,
« Tu ne pourras jamais… »

« Tu mens », cria-t-il,
Et il poursuivit, courant.

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Au Paradis,
Quelques petits brins d’herbe
Se tenaient devant Dieu.
« Qu’avez-vous fait ? »
Alors tous les petits brins, sauf un,
Se mirent à raconter, empressés,
Les mérites de leur vie.
Celui-là restait un peu en arrière,
Honteux.
À ce moment, Dieu dit :
« Et toi, qu’as-tu fait ? »
Le petit brin répondit : « Oh Seigneur,
La mémoire m’est amère
Car si j’ai fait de bonnes actions,
Je ne sais rien d’elles. »
Alors Dieu dans toute Sa splendeur
Se leva de son trône. 
« Oh, le meilleur des petits brins d’herbe », dit-Il.

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Dans le désert
Je vis une créature, nue, bestiale,
Qui, accroupie par terre,
Tenait son cœur dans ses mains,
Et en mangeait.
Je dis « Est-ce bon, l’ami ? »
« C’est amer, amer », répondit-il ;

« Mais j’aime ça,
Parce que c’est amer,
Et parce que c’est mon cœur. »

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Un homme dit à l’univers :
« Monsieur, j’existe ! »
« N’importe, répondit l’univers,
Le fait n’a pas créé en moi
Un sentiment d’obligation. »

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Un jour vint un homme
Qui dit :
« Rangez-moi tous les hommes du monde en rangs. »
Et sur-le-champ
Il y eut une clameur terrible parmi les gens
Contre le fait d’être rangés en rangs.
Il y eut une bruyante querelle, universelle.
Elle dura des siècles ;
Et le sang fut versé
Par ceux qui ne voulaient pas se tenir en rangs
Et par ceux qui aspiraient à se tenir en rangs.
Finalement l’homme mourut, en pleurant.
Et ceux qui restèrent dans la bagarre sanglante
Ne connurent pas la grande simplicité.

Stephen Crane, traduit par Alina Reyes

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J’ai trouvé ces poèmes de Stephen Crane sur le site Poetry Foundation
Je traduirai peut-être d’autres textes de cet auteur oublié auquel Paul Auster vient de consacrer un livre, Burning Boy

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Le Corbeau, par Edgar Allan Poe : deux traductions d’Alina Reyes

J’ai réalisé ces traductions il y a quelques années. Les voici en format PDF, toujours en libre accès, précédés d’une brève explication de ma démarche. Personnellement je préfère la première présentée, c’est-à-dire la dernière écrite, mais à vous de voir !
Le Corbeau, par Edgar Allan Poe, traduit de l’américain
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En musique : Local Hero vs héros tueur (Iliade, XI, 143-162, ma traduction)


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À six heures du matin retrouver la splendeur d’Homère. Quelques vers traduits avant l’aurore, et puis, parce que la poésie est toujours belle mais pas la guerre, ce lien pour voir ou revoir Local Hero gratuitement (jusqu’au 18 novembre à 17 heures) sur le site de MK2, film merveilleux de Bill Forsyth, musique de Mark Knopfler, sorti en 1983, que j’ai regardé hier soir et qui nous parle aujourd’hui, par son histoire, sa poésie, sa musique, bien mieux qu’une mauvaise COP, de la beauté naturelle et de la paix à sauvegarder.
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Sur ces mots, il jette Pisandre à bas du char, d’un coup
De lance à la poitrine ; il tombe au sol à la renverse.
Hippoloque s’écarte d’un bond, il le tue par terre,
De l’épée lui coupe la main et lui tranche le cou,
L’envoie rouler comme un billot à travers la foule.
Les laissant là, il bondit où les plus denses troupes
S’affrontent, avec les autres Achéens aux belles guêtres.
Les fantassins tuent les fantassins, contraints de s’échapper,
Les cavaliers tuent les cavaliers ; sous eux la poussière
Monte de la plaine, soulevée à grand bruit par les pieds
Des chevaux, tandis qu’à l’airain ils massacrent ; et le roi
Agamemnon, tuant toujours, donne aux Argiens ses ordres.
De même que lorsqu’un feu ravageur tombe sur un bois
Épais, porté de tous côtés par le vent qui tourbillonne,
Les troncs d’arbres arrachés tombent sous la poussée des flammes,
Sous les coups de l’Atride Agamemnon tombent les têtes
Des Troyens qui fuient, et de nombreux coursiers, la tête
Haute, secouent leurs chars vides à travers le champ de bataille,
Regrettant leurs irréprochables cochers, qui sur la terre
Gisent, bien plus doux pour les vautours que pour leurs femmes.
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