Force de l’esprit vs mécanique du crime

Jésus marchant sur les eaux, par Gustave Doré

Jésus marchant sur les eaux, par Gustave Doré

*

« Arrachez de votre île ces pestes publiques, ces germes de crime et de misère. Décrétez que vos nobles démolisseurs reconstruiront les métairies et les bourgs qu’ils ont renversés, ou céderont le terrain à ceux qui veulent rebâtir sur leurs ruines. Mettez un frein à l’avare égoïsme des riches ; ôtez-leur le droit d’accaparement et de monopole. Qu’il n’y ait plus d’oisifs pour vous. Donnez à l’agriculture un large développement ; créez des manufactures de laine et d’autres branches d’industrie, où vienne s’occuper utilement cette foule d’hommes dont la misère a fait jusqu’à présent des voleurs, des vagabonds ou des valets, ce qui est à peu près la même chose.
Si vous ne portez remède aux maux que je vous signale, ne me vantez pas votre justice ; c’est un mensonge féroce et stupide. » Thomas More, L’Utopie, trad. Victor Stouvenel

Par la fenêtre de mon ordinateur, j’observe et j’enquête. Comme aux questions « Qui a tué le petit Grégory ? » ou « Qui a tué John Kennedy ? », à la question du crime en lui-même il faut trouver des éclaircissements et des réponses. Le crime est là où sont les appâts du gain, du pouvoir, de la vanité, là où l’on se complaît dans leur bourbier verni.

Par la fenêtre de mon appartement, j’écoute crier un invisible vol de mouettes. Grâce au yoga, ma respiration est lente et calme (12 à 13 cycles à la minute assise à mon bureau, 9 la nuit couchée dans mon lit), ma tension basse (11), mon esprit, dans tout cet espace-temps libéré, rapide et paisible. « Le yogi, dit Iyengar, mesure la durée de sa vie non pas en nombre de jours mais en nombre de respirations. Puisque dans le pranayama la respiration est allongée, cela prolonge la vie. »

Le monde est l’un de ces Titanic dont nous ne voulons plus, pollueur et vain, insuffisamment pourvu en canots de sauvetage, sauf pour les plus riches. Et ce sont les pauvres, les travailleurs, toutes celles et ceux qui, au péril de leur santé ou de leur vie, sont à l’œuvre sur de petits bateaux, qui sont en train de l’empêcher de couler. Que celles et ceux qui sont confinés renforcent leur esprit pour le jour de chaque jour et pour celui du retour. Car les riches, les gâtés, n’ont pas de force d’esprit, ils ne peuvent sauver qu’eux-mêmes, ou même pas eux-mêmes. Pour que leur pesanteur ne fasse pas couler l’humanité, nous avons à rassembler toute notre vitalité.

Le yoga est une danse, dit Travis Eliot. Par la danse de l’esprit et du corps, nous avons pouvoir de marcher sur les eaux.

 

 

Coronavirus et autres dangers mortels. Le yoga, la guerre et la paix.

 

J’en témoigne parce que cela peut servir à d’autres : O, qui me connaît bien et pas seulement au sens biblique du terme, dit toujours que le yoga m’a métamorphosée, après que je m’y suis mise l’année dernière, en sortant de plusieurs opérations et d’un cancer récidivant. Et maintenant que nous avons eu le coronavirus à la maison, et qu’il m’a très peu atteinte, il dit aussi que le yoga m’a sauvée. Je ne dirai pas que le yoga est une panacée mais il aide, beaucoup. Physiquement et psychiquement. Sans avoir les effets secondaires néfastes des religions, même s’il peut être plus ou moins récupéré par les nouvelles religions new age, de coaching, etc., ou par certains gourous fort douteux.

J’encourage celles et ceux qui voudraient tenter l’aventure à le faire. Il est bon de suivre d’abord quelques cours en salle, mais il est possible de s’en passer, surtout si on a déjà pratiqué d’autres formes de gymnastiques ou danses et qu’on connaît la nécessité d’être attentif à éviter les fautes dans les mouvements, qui peuvent blesser. Et avant de vouloir suivre des cours gratuits en ligne, je conseillerais de se procurer, soit en librairie soit en bibliothèque soit chez le marchand de journaux, des livres et des magazines dans lesquels les mouvements de hatha yoga sont détaillés précisément. De les étudier, patiemment. Après avoir pratiqué un peu en salle, c’est ce que j’ai fait. Pendant plusieurs semaines, j’ai étudié et pratiqué seule les postures à la maison, chaque jour. Puis, quand je me suis sentie prête, j’ai exploré les cours en ligne, différentes formes de yoga. Et maintenant, selon les jours, selon ce que réclament mon corps et mon esprit (qui ne font qu’un dans le yoga), soit je suis tel ou tel cours, soit je construis mes séances moi-même. Séances qui sont à la fois exercice physique et exercice psychique.

Le yoga n’est bien sûr pas seulement une gymnastique, et j’ai accompagné mon étude des postures d’une étude des textes sur le yoga (j’en ai parlé à plusieurs reprises). Jusqu’à ce que, comme le corps finit par intérioriser les postures, l’esprit finisse par intérioriser l’esprit du yoga. Un esprit d’apaisement dont nous avons grand besoin, spécialement par temps de pandémie et de confinement. Mais aussi un esprit de guerre calme, claire et déterminée (contrairement à la « guerre » indéfinie, pleine de confusion et de carences, menée par Macron et son gouvernement). L’esprit de la Bhagavad-Gita, où le dieu active l’esprit du yoga chez le guerrier comme notre dieu intérieur active nos défenses immunitaires. Ce sont elles qui font réellement la guerre, et ce n’est pas nous qui les commandons. Notre rôle est de les seconder, en suivant le principe de vie qui les anime, en apprenant à connaître et respecter notre propre corps et en étendant cette connaissance et ce respect à tout le corps social, et par-delà encore, à tout le corps vivant.

La guerre et la paix. La guerre pour vaincre (même si la victoire ne peut être assurée), la paix pour accepter la bonne règle.

*

Exercices pratiques contre les effets néfastes du confinement

 

Le Parisien propose des cours de sport et des cours de yoga en ligne, gratuitement, pendant le confinement. C’est excellent. D’autres médias le font, mais souvent pour leurs abonnés. C’est excellent, surtout quand on est confiné en appartement, sans possibilité de sortir dans son jardin. Attention tout de même : en cas de maladie, il faut laisser le corps se reposer. O et moi sommes confinés depuis plus de deux semaines, le coronavirus s’étant invité chez nous avant le confinement général. O a subi des symptômes assez sérieux ; la fièvre a baissé assez rapidement avec les cachets mais la fatigue et la toux ont perduré pendant quatorze jours. Pour ma part j’ai été paucisymptomatique, très peu atteinte, mais j’ai constaté, en continuant mon yoga quotidien, que lorsque je faisais une séance un peu trop sportive mes petits symptômes se ravivaient – et cela n’est pas tout à fait terminé, ce coronavirus se comportant comme une entité itinérante, qui se manifeste tantôt ici tantôt là dans le corps, auquel il occasionne ainsi la fatigue de devoir se défendre.

Cela dit, oui, faire de l’exercice est excellent pour le corps, et au moins autant pour l’esprit. Le confinement est particulièrement révélateur de l’état de calme ou d’agitation de notre esprit, et c’est une période pénible ou même dangereuse pour les enfants et les gens qui vivent avec des personnes agitées ou violentes, physiquement ou psychiquement. Le stress est aussi contaminant qu’un virus et tout ce qui peut l’apaiser est bienvenu. Chacun le sait, mais chacun ne l’applique pas pour autant, et cela fait partie des choses qu’il ne faut pas hésiter à répéter malgré leur banalité, leur simplicité. Nous devons sans cesse nous encourager les uns les autres, et nous encourager nous-mêmes, aux choses simples, à la simplification de notre vie. La simplification est une hygiène.

Simplifier notre vie, c’est la libérer de tout ce qui l’encombre inutilement. Exactement comme dans les diverses formes de la méditation on libère l’esprit des pensées parasites. Chacun de nous, placé au pied du mur, devant l’injonction « simplifie ta vie », sait très bien ce qu’il lui faut faire pour cela. Ne reste plus qu’à trouver courage et détermination. Comment ? C’est en pratiquant qu’on devient pratiquant.

Rien ne peut détruire notre paix royale.

*

Vérité et mort

 

La vérité peut faire si peur que certaines personnes préfèrent affronter la mort.

Pourtant ce n’est pas une bonne façon de mourir que de mourir sans avoir fait la vérité. Ni pour soi, ni pour les autres.

Et ce n’est pas non plus une bonne façon de vivre que de continuer à vivre en continuant à occulter la vérité, aux dépens d’autrui. Ce n’est pas une bonne façon : d’une part parce qu’on fait ainsi du mal, à autrui et à soi ; d’autre part parce que c’est du temps où nous sommes vivants qu’il faut apprendre à bien mourir. Dans quel autre temps que celui où nous sommes vivants apprendrions-nous à être justes, ou simplement honnêtes, dans quel autre temps apprendrions-nous à quitter honnêtement notre carrière sur cette terre ?

Ce matin j’ai fini ma séance de yoga, une fois relevée de shavasana, la « posture du cadavre », une fois revenue en siddhasana, « posture parfaite », en prononçant le mantra Sat nam, qui signifie, en sanskrit, une identification avec la vérité. La mort ne fait pas la vérité. Seule la vie la fait.

*

Satya, la vérité, par B.K.S. Iyengar et Yehudi Menuhin

Menuhin et Iyengar

Menuhin et Iyengar

*

« Satya. Satya ou la vérité est la plus haute règle de conduite ou de moralité. Le Mahatma Gandhi disait : « La Vérité est Dieu et Dieu est la Vérité. » Comme le feu brûle les impuretés et affine l’or, ainsi le feu de la vérité purifie le yogi et brûle en lui toute impureté.

Si l’esprit émet des pensées de vérité, si la langue émet des paroles de vérité et si la vie tout entière est basée sur la vérité, alors l’homme est prêt pour la fusion avec l’Infini. La Réalité, dans sa nature fondamentale, est Amour et Vérité. Elle s’exprime à travers ces deux aspects. La vie du yogi doit se modeler strictement sur ces deux facettes de la Réalité. C’est pourquoi est prescrite ahimsa, qui est basée essentiellement sur l’amour. Satya suppose la vérité totale dans les pensées, les paroles et les actions. La non-vérité sous quelque forme que ce soit rejette le sadhaka hors de l’harmonie de la loi fondamentale de la vérité.

La vérité ne se limite pas au discours seul. Il y a quatre péchés du langage : insultes et obscénités, abus de confiance, calomnie ou fabulation, et enfin tourner en dérision ce que les autres tiennent pour sacré. Celui qui colporte des mensonges est plus venimeux qu’un serpent. La maîtrise de la parole permet de déraciner la malice. Quand l’esprit n’a de malveillance pour personne, il est plein d’amour à l’égard de tous. Celui qui a appris à retenir sa langue est parvenu à une grande maîtrise de soi. Quand cette personne parle, elle est écoutée avec respect et attention. On se souviendra de ses paroles car elles sont bonnes et vraies.

Quand celui qui est établi dans la vérité prie avec un cœur pur, alors les choses dont il a vraiment besoin viennent à lui : il n’a pas à courir après elles. L’homme qui est solidement établi dans la vérité reçoit le fruit de ses actions sans rien faire apparemment. Dieu, la source de toute vérité, pourvoit à ses besoins et veille sur son bien-être. »

B.K.S. Iyengar, Bible du Yoga, éd J’ai Lu

Le livre est préfacé par Yehudi Menuhin, qui fut un disciple d’Iyengar. J’ai déjà cité dans l’une de mes notes sur le Yoga un passage de sa préface, en voici un autre : « le respect de la vie, la vérité et la patience sont autant d’éléments indispensables pour permettre une respiration calme dans la paix de l’esprit et la fermeté de la volonté. »

 

*

Judas, son baiser de la mort, à autrui et à lui-même infligé

 

« Nous creusons la fosse de Babel » Franz Kafka

Selon les chrétiens, le rôle de Judas était nécessaire, puisqu’il fallait que le Christ soit crucifié. C’est là où je me sépare des chrétiens. Depuis le début – et je l’ai écrit, en ces débuts de ma passagère conversion au christianisme, dans mon livre Voyage (aujourd’hui épuisé, et que je ne veux pas rééditer) – je refuse de croire en la nécessité de la crucifixion, je m’élève contre ce principe de sacrifice humain, qui plus est fondé sur la trahison. La trahison existe, mais elle n’est pas nécessaire, tout au contraire : moins elle existe, mieux nous nous portons.

Les chrétiens ne sont d’ailleurs pas honnêtes sur ce point : d’une part, en persécutant les juifs pendant des siècles parce qu’ils auraient prétendument crucifié le Christ (pourquoi leur vouer tant de haine, s’ils n’ont fait, selon leur vision, qu’accomplir la volonté de Dieu en condamnant Jésus ?) ; d’autre part, en ne voulant pas voir que le Christ n’a rien fait, parce qu’il n’y avait rien à faire, pour sauver Judas. Le sort réservé à Judas dans les évangiles prouve paradoxalement que la faute que lui fait faire la vision chrétienne du monde est sans retour. Comment Judas, après avoir laissé parler le Menteur à travers lui, pourrait-il prétendre inspirer confiance, comment pourrait-il garantir que sa parole serait désormais fiable ? Un aveu fait aux personnes concernées pourrait le libérer en partie du poids de sa faute – rien de plus.

Les judas sont nombreux (cette note fait suite à mes notes précédentes sur l’affaire Griveaux, dont les différents protagonistes se sont révélés traîtres, à commencer par Griveaux lui-même, qui a trahi sa femme et dans une moindre mesure ses électeurs, devant lesquels il se présentait en chantre du mariage). Nul n’est à l’abri d’une traîtrise, commise ou subie. Mais les degrés de traîtrise, et donc leurs suites, diffèrent. Le Logos a ses lois que les borgnes et les aveugles de l’esprit ne voient pas. La seule atténuation du mal qui leur reste possible est d’apprendre à ouvrir les yeux, et à assumer les conséquences de leur pensée si gravement faussée, et de leur geste contre la vérité et la vie.

*

L’ascèse, le combat, selon Nikos Kazantzaki

Je l’appelle Kazantzaki, comme il le souhaitait, plutôt que Kazantzakis. J’ai déjà cité l’autre jour son épitaphe, extrait de cet essai, Ascèse, dont je ne partage pas complètement la pensée mais qui opère des déplacements réveilleurs. En voici un autre passage.

J'ai photographié ce portrait de Kazantzaki par Valia Semertzdis la semaine dernière au Musée historique de Crète d'Héraklion

J’ai photographié ce portrait de Kazantzaki par Valia Semertzidis la semaine dernière au Musée historique de Crète d’Héraklion

*

« La vie est un service militaire sous la férule de Dieu. Nous avons entamé la Croisade pour délivrer, bon gré mal gré, non le Saint-Sépulcre, mais le Dieu enseveli dans la matière et dans notre âme.

Chaque corps, chaque âme est un Saint-Sépulcre. Le Saint-Sépulcre est le grain de blé ; délivrons-le ! Le Saint-Sépulcre est le cerveau ; Dieu y gît, luttant contre la mort. Courons à son aide !

Dieu donne le signal du combat, et moi aussi je m’élance à l’assaut en tremblant.

Que je déserte ou que je combatte vaillamment, je tomberai toujours au combat. Mais dans un cas, ma mort est stérile. Avec moi disparaît mon corps et mon âme aussi se disperse dans le vent.

Dans l’autre, je descends sous terre, comme le fruit, plein de semences. Et mon souffle, laissant pourrir mon corps, produit de nouveaux corps et continue le combat.

Ma prière n’est pas la plainte d’un mendiant ni une confession amoureuse, ni l’humble addition d’un commerçant : donnant donnant.

Ma prière est le rapport d’un militaire à son général. Voilà ce que j’ai fait aujourd’hui, comment je me suis battu pour sauver, dans mon propre secteur, l’ensemble de la bataille, voilà les obstacles que j’ai rencontrés, et c’est ainsi que j’envisage de combattre demain. »

Nikos Kazantzakis, Ascèse, trad. du grec par Jacqueline Razgonnikoff, éd. Aux forges de Vulcain

*