Les paroles de la vie éternelle


tout à l’heure, au dernier jour de l’exposition aux Tuileries de la démarche et du travail de toute beauté conçus par Ahae : à voir ou revoir ici

 

Le Christ a-t-il des ennemis parmi les hommes ? Non, il n’en a aucun. Son seul ennemi, c’est aussi notre seul ennemi : le diable. Le diable peut s’emparer des hommes, par instants ou durablement, mais il n’est pas un homme. Le Christ n’est pas là pour combattre les Romains (selon le vœu de Judas, comme Benoît XVI l’a rappelé ce midi à l’angélus), ni quelque autre peuple, fût-il oppresseur. Le Christ est là pour combattre le mal, le mensonge, le mauvais esprit : voilà les puissances auxquelles nous avons affaire, comme le rappelle saint Paul. Ce dimanche nous avons lu ces paroles de Jésus : « C’est l’esprit qui fait vivre, la chair n’est capable de rien ». Or la chair, comme le dit aussi saint Augustin à la suite de Paul, c’est la vie selon le monde. Celui qui veut combattre les Romains, c’est lui-même, le Romain. Son combat est un combat selon la chair, il ne peut rien. L’histoire faite par les hommes n’est qu’un surplus de branches mortes dans l’amoncellement des vaines batailles. C’est une histoire-pour-la-mort, pour paraphraser le philosophe. L’histoire menée par l’Esprit est l’histoire pour la vie. Son combattant, son arme, son intelligence, ses armées, son génie, sa fécondité, son pouvoir surnaturel, c’est l’Amour. « Les paroles que je vous ai dites sont esprit et elles sont vie », ajoute Jésus. Ce ne sont pas des paroles qui ont les pieds dans la boue, qui sont affairées à agir selon la vision de la chair, incapable de voir beaucoup plus loin que son temps. Ce sont des paroles qui ne combattent pas les peuples, mais qui les transforment, qui transforment les hommes en chassant d’eux le mal par l’amour prouvé jusque dans le don total de soi. Des paroles qui agissent bien au-dessus de nous, bien au-delà, bien au profond, sans limites. « Tu as les paroles de la vie éternelle », dit Pierre, qui le sent, aujourd’hui comme il y a deux mille ans, et dans bien plus de deux mille ans.

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La liberté vous salue bien

à la maison, photo Alina Reyes

 

Bien sûr il faudra s’expliquer pour les enfants – ce n’est pas à eux de s’expliquer, comme s’ils étaient coupables d’avoir été manipulés, comme si on rejetait sur eux un mal dont ils sont victimes -, mais aussi pour le reste. Qui ne s’est pas trouvé trop grand pour participer à de basses tromperies et manœuvres ne peut pas se sentir trop grand pour dire la vérité entre quatre zyeux ! Soyons des hommes ! Il n’est d’autre choix pour l’homme, pour les hommes, pour le monde, que de reconnaître la vérité. Car il n’est rien en dehors d’elle, rien que la mort. Et continuer à l’éviter, c’est continuer à se cacher dans le Jardin comme Adam, et à en être chassé. C’est refuser de reconnaître le Christ, refuser le salut.

La liberté ne choisit pas entre le bien et le mal, la liberté détruit le mal, a dit Léon Chestov. Soyons humbles et courageux, faisons ce qu’il faut faire, la liberté nous salue, soyons heureux.

 

extraordinairement brûlant amour

Jardin des Plantes, photo Alina Reyes

 

Toute la nuit dans mes veines, dans mon corps, en moi qui marchais, a marché le peuple des êtres humains, de vraies personnes que je voyais, ensemble et une par une, souvent vêtues de blanc, par les routes du monde que j’étais et où je marchais moi-même, seule et en leur compagnie, à moment donné quittant l’autoroute déserte pour prendre, à rollers malgré l’herbe, les cailloux et les pentes, à travers champs, puis nous retrouvant autour d’une table, dans une sensation de violent, extraordinairement brûlant amour.

 

« Le Batman » et notre vie douce, promise

 

Au cinéma j’adore les Batman, les mangas, tout ce qui est allégorique et poétique plutôt que social-réaliste, psychologique, etc. Je suis donc allée tout à l’heure voir The Dark Knight Rises.

Ce n’est pas du cinéma, c’est un morceau d’exode et d’apocalypse tombé du Livre et grandi en orphelin des rues de la cité post-moderne. C’est puissant de muscle, c’est humble (une humble version de l’histoire de la rédemption, avec un Sauveur qui se sait assez petit pour rester ombreux et dans l’ombre), c’est génial. Cousin de Lautréamont, sans façons et brutal et sensible comme lui. Le fleuve est gelé, tout finit dans la tempête de neige (comme dans Forêt profonde) et alors tout commence. La profonde mélancolie de l’univers de Gotham City dépassée par elle-même, traversant son spectacle, sa pacotille, au bout d’un long grand effort de l’esprit, tel Wayne quittant enfin ses cordes pour bondir, comme en un bond dans l’évolution, hors de l’enfer de son temps, vers la lumière, là-haut.

Là-haut, sur terre, dans le simple, l’amour, la dolce vita.

Un peu comme si Debord avait enfin fini de tourner en vain dans la nuit. Si l’ancienne culture meurt, si l’ancien monde meurt, si le cinéma meurt, ce n’est pas signe de mort, mais de moment venu de sortir du cinéma. Cependant notre héros est devenu dans ce film, de Batman qu’il était, « Le Batman » – un peu comme Jésus est devenu le Christ. Gageons donc que Le Batman reviendra dans les salles obscures, même si Wayne ne devait plus y être.

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