Voyage au centre du ciel

Sans me vanter il fait frais, et je me réchauffe en écrivant ma thèse, que je trouve magnifique. C’est la littérature qui est magnifique. Je lui rends hommage en la pénétrant, et c’est aussi la révéler, à l’heure où l’industrie culturelle et éditoriale aveugle les lecteurs en posant ses déjections sur les étals. La littérature falsifiée n’a aucune profondeur, elle est plate comme un écran de mauvais cinéma et fait écran à la vérité. La littérature est au fond du puits, pourrait-on dire en paraphrasant Démocrite. C’est au fond que se trouve l’eau pure, et que je vais la puiser, dans ce puits plein de suie qui descend jusqu’au ciel.

 

La dessinatrice

dessinatrice

Elle était en train de dessiner un arbre au crayon dans le jardin alpin du jardin des Plantes. Les deux fillettes dessinaient et peignaient sur des feuilles par terre. Un homme en passant s’est arrêté pour observer le feuillage de ce sequoia (metasequoia glyptostobroides, arbre découvert récemment, en 1941 – celui-ci est né en 1948, venu d’Amérique ; il reste probablement encore des arbres à découvrir). Aujourd’hui à Paris, photo Alina Reyes

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Des belles-lettres aux belles lettres

Des belles-lettres de toujours aux belles lettres qui habitent aujourd’hui les rues, je traverse les « humanités », marchant dans la ville et réentrant dans ma thèse qui nourrit en partie mes cours qui nourrissent en partie ma thèse.  Ce n’est pas pour rien que j’ai fait faire un atelier écriture et dessin à mes Seconde et que je fais étudier un roman qui se passe dans le Transsibérien à mes Première. Tracer c’est avancer. Je crée dans la foulée un blog pour mes classes, pour inciter les élèves à aller plus loin dans la réflexion, on verra si ça marche, ce sera en tout cas une trace, pour d’autres aussi.

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belles lettres 5hier à Paris 13e, photos Alina Reyes

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Quai 36, gare du Nord. Et retour à la normale

J’ai bien fait de photographier les belles œuvres de street art ce matin gare du Nord, car je n’y retournerai peut-être pas de si tôt. J’ai dû y attendre mon transilien pendant une heure, les précédents annoncés ne sont jamais arrivés. Mais ce soir j’ai appris que la circulation avait repris dans la zone des bus caillassés, j’ai donc de nouveau pris cet itinéraire initial. Heureusement j’étais partie largement en avance et j’avais dans mon sac deux petits pains qui ont fait mon déjeuner express avant d’entrer en cours, après avoir couru à la salle de reprographie faire les photocopies à distribuer. Ensuite c’étaient les deux heures avec mes Seconde. La formatrice de l’académie devait assister à la dernière et elle l’a fait, quoique malheureusement elle n’ait pu qu’assister à la diffusion de la fin du premier épisode de Twin Peaks que je leur passais, ayant repéré de fortes ressemblances de fond avec La Petite Roque, que nous commençons à étudier. J’avais espéré qu’il nous resterait un quart d’heure avant la fin pour discuter avec eux en sa présence (comme quoi je ne suis pas tout à fait de mauvaise volonté), mais le temps que je leur présente la série etc., bref j’ai eu juste le temps de leur donner les devoirs pour la rentrée une fois les dernières notes de musique (sublime musique de cette série mythique, dont la première saison est un chef-d’œuvre) passées. Ensuite ce fut une heure et demie au moins de ratiocination avec formatrice et tutrice, répétant sur tous les tons (de plus en plus vifs) :

La formatrice : « Vous ne parlez pas assez avec votre tutrice ».

Moi : « Selon moi, si, c’est suffisant. »

Elle : « Nous vous demandons un effort ».

Moi : « NON ».

Elle, menaçante : « Il va y avoir un problème. »

Moi : « Pour vous, peut-être. Pour moi, tout va bien. »

Elle : « Il va y avoir un problème pour tout le monde. »

Moi : « Vous allez me virer en cours d’année ? Non. Donc, il n’y a pas de problème pour moi. »

Ma tutrice, logique : « Je démissionne. »

Bien, j’étais contente de l’avoir débarrassée de moi. Moins d’une heure après, en quittant mes Première, du moins celles des élèves qui étaient encore là, les autres étant parties à cause de mon retard, j’ai croisé la formatrice. Sur le moment, je ne l’ai pas reconnue (grâce à Dieu, mon cerveau est très performant pour oublier les moments inutiles) et quand elle m’a dit « ça va ? » je lui ai répondu « très bien, et vous ? » Sur ce, elle a essayé de me « rassurer » : ils vont tâcher de me trouver un autre ou une autre tuteur ou tutrice. Mais ça ne va pas être facile :)

Bon, c’est les vacances, demain je retourne à ma thèse, la vie est belle. Et regardez un peu ces belles images, en commençant par la Seine vue du métro dans la lumière ce matin, puis toujours du métro un décolleur colleur d’affiches, puis les œuvres du quai 36 de la gare du Nord :

 

seine

affiche

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street art gare du nord 18aujourd’hui à Paris, photos Alina Reyes

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Le beau, le bon, la vie. En couleurs, en musique, en cours

J’étais en train de préparer mes cours (j’y passe un temps fou, les pensant dans leur ensemble comme une œuvre ), on a sonné à la porte. Le jeune homme qui venait relever les compteurs d’électricité m’a dit, voyant au mur mes peintures, dont les masques ci-dessous : « c’est très beau, ce que vous faites. » Puis : « et en plus, vous écoutez de la bonne musique ». Je lui ai dit que c’était mon fils qui était en train de jouer du piano. « Vous en avez de la chance ! pas besoin d’écouter Radio France ! », il a dit. Puis, encore une fois, avant de partir : « C’est vraiment très beau, ce que vous faites ».

Hier j’ai fait faire à mes Seconde un atelier écriture-dessin. Pour leur rappeler la valeur du geste d’écrire, et pour compléter la partie enseignement de l’histoire des arts qui revient au professeur de lettres. Je voudrais leur apprendre quelques rudiments de solfège, aussi, puisque l’école ne le fait pas. Cela participe de l’écriture/lecture et c’est tout aussi important, cela fait partie du phénomène « littérature », comme le dessin, la peinture, le théâtre. Je ne veux rien leur enseigner sans leur enseigner aussi la possibilité de le pratiquer. (Malheureusement, impossible d’en faire autant avec les Première, qui ont moins d’heures de cours en français et qui doivent préparer ce foutu bac de français pour la fin de l’année ; espérons que ça changera).

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De Transilien en Transsibérien, la vie est mon métier

Aujourd’hui j’ai commencé avec mes élèves de Première ST2S (filière des métiers du secteur médico-social) la lecture du livre que j’ai choisi pour elles (il y a plus de filles) et eux, Le canapé rouge de Michèle Lesbre. Ce livre les décontenance, ce n’est pas de la littérature comme ils en ont l’habitude, genre à la Maupassant pour ce qui est du scolaire, ou du moins avec une histoire bien ficelée comme il continue à s’en produire à la chaîne. Ils n’arrivent pas à le lire seuls. Alors je vais les accompagner dans la lecture, je leur donne des repères, des aides pour s’y retrouver, et je leur lis des passages à haute voix pour leur faire entendre sa douce et parfois âpre musique de train en mode mineur. Un soir il y a longtemps, une demi-heure durant, j’ai lu à la Maison de la Poésie La Prose du Transsibérien de Cendrars que je savais quasiment par cœur, maintenant je lis à des adolescents qui sont pour ainsi dire aussi loin de la littérature que Blaise à Irkoutsk de Montmartre, cette autre prose d’une femme embarquée à bord du train mythique comme je me sens moi-même embarquée à bord d’un train mythique, à bord des RER ou des Transiliens que je prends pour aller là-bas, oui, bien loin de Montmartre dont je vois au retour apparaître les dômes, porter la parole poétique. Quel beau métier.

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boulevardAvant le métro puis le transilien puis le bus, quelques centaines de mètres à pied dans la ville avant l’aurore, avec un fin croissant de lune dans le ciel croissant de lune

et puis au retour je trouve si beau et si puissant le train qui m’emporte (j’ai changé d’itinéraire, suite à la suppression « pour une durée indéterminée » des bus suite à des caillassages et incendie sur mon itinéraire précédent) que je le photographie aussi de l’intérieur, avant que les gens ne s’y installent, avec ses vives couleurs

transilienaujourd’hui, photos Alina Reyes

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Journal de notre corps et âme

Maintenant on est soudés, a dit l’un, à la fin. Mes deux demi-groupes de Première, 17-18 élèves chacun, ont passé leur heure respective, l’un après l’autre, à parler. C’était l’atelier parole orale, aujourd’hui, leur premier, après trois ateliers d’écriture et lecture. D’abord ça leur a fait peur, comme d’habitude quand ils abordent un exercice pour la première fois. J’avais seulement donné comme sujet : « Un moment particulier. Racontez. » Pour leur donner un exemple, je leur avais moi-même raconté mon histoire de l’homme aux oiseaux. J’ai entendu toutes les protestations : « on n’a rien à raconter ; notre vie n’est pas intéressante ; on ne sait pas non plus imaginer ; on n’a rien à dire ; je trouve rien », etc. Je suis passée de l’un à l’autre, pour encourager chacune, chacun, et puis j’ai dit allez on y va, qui veut commencer ? Malgré tout, il y a toujours quelqu’un qui veut commencer. C’est donc parti. Et c’est sorti. Avec un effet domino. Toutes les histoires, les tragédies, les drames de chacun. De la parole assumée, entrecoupée de sanglots, accompagnée des pleurs de tous les autres qui écoutaient, mais ça y allait, je n’avais absolument rien à dire, rien à faire, à la fin de la deuxième heure quand la fin de la journée a sonné ils ont dit on reste là tant que tout le monde n’a pas parlé, ils n’ont pas bougé, jusqu’à ce que ce soit fini. « Maintenant on est soudés » avait dit l’un du premier groupe, à la fin de la première heure. « Merci Madame pour cette psychothérapie », a dit l’une du deuxième groupe, les yeux encore gonflés et rouges, à la fin de cette deuxième heure. C’est le mot qu’elle a trouvé et il était juste mais en même temps c’était bien mieux et bien plus que ça. Il sont partis paisibles. Ce qui s’est passé entre eux était infiniment compassionnel et respectueux.

J’ai mis beaucoup de temps pour rentrer chez moi. Aujourd’hui, au lieu d’un aller-retour de quatre heures, cela m’a pris cinq heures. Nouveaux caillassages et incendie d’un bus : plus aucun bus ne circule, pour une durée indéterminée, entre le RER où je descends et mon lycée. J’ai dû faire des détours, ce fut long.

A quoi sert la littérature, à quoi sert la parole, si ce n’est à libérer la parole, purifier l’être de la souffrance ? Aristote ne disait pas autre chose. Il faut commencer par la base, si on veut éviter que les cailloux parlent, à la place des mots qui ne le peuvent pas.

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transilience soir d’un Transilien, photo Alina Reyes

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