Quatre vers de l’Odyssée traduits par quatre traducteurs : Leconte de Lisle, Bérard, Jaccottet, Reyes

NB 31-5-2021 Avant toute chose, je renvoie à ma note révélant l’énorme nouveauté de ma traduction de l’Odyssée – nouveauté qui ne figurait pas encore lors de la publication des premiers chants que j’ai traduits ici.

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Par ordre d’apparition dans le temps, ces traductions par Leconte de Lisle, Victor Bérard, Philippe Jaccottet et moi-même, conducteurs d’Homère en nos villes, des vers 200 à 203 du Chant XVII :

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… et ils partirent, laissant les chiens et les porchers garder les étables. Et Eumaios conduisait ainsi vers la ville son Roi semblable à un vieux et misérable mendiant, appuyé sur un bâton et couvert de haillons.
Leconte de Lisle, 1867

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Et le couple partit, en laissant la cabane à la garde des chiens et des autres bergers. Le porcher conduisait à la ville son roi… : son roi, ce mendiant, ce vieillard lamentable ! quel sceptre dans sa main ! quels haillons sur sa peau !…
Victor Bérard, 1924

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Ils partirent tous deux ; les chiens et les bouviers, là-bas,
gardaient la ferme ; il menait en ville son maître
sous l’aspect d’un vieillard et d’un pitoyable mendiant
appuyé sur sa canne, habillé de tristes haillons.
Philippe Jaccottet, 1955

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Tous deux s’en vont, les chiens et les bergers restant derrière,
Gardant l’étable. Et le porcher conduit en ville le roi
Semblable à un misérable mendiant, à un vieillard
Appuyé sur un bâton, le corps revêtu de haillons.
Alina Reyes, 2021

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τὼ βήτην, σταθμὸν δὲ κύνες καὶ βώτορες ἄνδρες
ῥύατ᾽ ὄπισθε μένοντες· ὁ δ᾽ ἐς πόλιν ἦγεν ἄνακτα
πτωχῶι λευγαλέωι ἐναλίγκιον ἠδὲ γέροντι,
σκηπτόμενον· τὰ δὲ λυγρὰ περὶ χροῒ εἵματα ἕστο.
Ὅμηρος

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Mes traductions de divers textes et diverses langues sont ici.
NB : mes traductions d’Homère ici présentes ne sont pas la version définitive ; ma traduction, qui se poursuit, a évolué et changé depuis la publication des premiers chants ici – mais le texte ici présent demeure tout de même valable.

De la langue, et du Moyen Âge présent et à venir

Les paroles s’envolent, les écrits restent, selon le dicton. Homère, lui, dit souvent qu’il est mal de parler en vain, et distingue ce bavardage du discours apteros, c’est-à-dire « qui ne s’envole pas ». Cette parole-là, tout orale qu’elle soit, reste, s’imprime dans l’esprit de qui la reçoit, et par là, agit.

Est-il vain de parler des discours vains ? En partie, dans le sens où c’est donner de l’importance à la confusion qui règne. Mais nul corps ne peut se dispenser d’évacuer ses déchets, et le corps du Discours, comme le corps social, doit être régulièrement assaini par un travail de rejet des discours vains et faux.

Macron estime maintenant que nous vivons « des temps très moyenâgeux ». Voilà qui est plus qu’approximatif, mais la clarté intellectuelle n’est pas son fort, et comme il est une boussole qui indique toutes les directions en même temps sauf le nord, on pourrait en déduire qu’au contraire nous allons vers des temps médiévaux (et non moyenâgeux). Le fait est que tous les temps sont médiévaux, au sens où médiéval signifie entre deux, époque de transition. Un autre fait est que le partage de l’Histoire en grandes époques à épithètes n’est qu’une convention grossière, remise largement en question par les historiens. Enfin un autre fait à considérer quand on parle aujourd’hui de Moyen Âge est l’extraordinaire engouement des plus ou moins jeunes générations pour une culture inspirée de l’imaginaire médiéval, dans les mangas, les jeux vidéos, le cinéma… sur à peu près toute la planète. Tout le contraire du vieux fantasme d’un sinistre Moyen Âge « moyenâgeux » dont il faudrait sortir.

Les discours de Macron, comme d’une très grande partie des divers discoureurs qui occupent l’espace médiatique, s’envolent parce que, contrairement aux oiseaux, ils ne savent reposer sur rien de concret. Tant que la colombe du Déluge ne peut revenir à l’arche avec un rameau d’olivier, tant qu’elle n’a trouvé nul endroit sur lequel se poser, l’esprit humain est ballotté par les flots, perdu dans le néant, menacé de destruction prochaine. Ce qui perd l’homme et les peuples, c’est la confusion intellectuelle.

L’époque où a vécu Homère (huitième siècle avant notre ère) a souvent été qualifiée de moyen âge de l’Antiquité grecque. Avoir étudié la littérature du Moyen Âge, l’avoir lue en ancien français, m’aide beaucoup, de fait, à comprendre ce qui jusqu’ici est resté incompris, tant dans l’Odyssée que je suis en train de traduire, que dans ce qu’est un Moyen Âge moderne, nullement moyenâgeux, vers lequel nous pourrions aller, pour trouver le monde habitable. Cela passe par une innocence et une libération de la langue.

Joies

À la maison nous avions jusque là piano, guitares, ukulélé, harmonica… et depuis ce jour nous avons en plus une clarinette, une vieille clarinette que le comédien a récupérée de son grand-père, mon père, et dont il tire de beaux sons pleins, chauds, harmonieux, en improvisant des petites musiques qui font penser à la scène.

Je fais voler ma chouette en bougeant mon épaule et mes muscles, j’imagine que je pourrais faire un spectacle avec ce tatouage, voire avec d’autres, en les faisant parler et danser.

J’avance moins vite dans ma traduction depuis quelque temps – un peu de fatigue -, mais j’avance quand même à grands pas, et j’espère finir avant de partir en trekking avec O cet été – j’aurais mis environ dix mois pour traduire toute l’Odyssée, en vers, et sans me vanter, quelle traduction ! La semaine dernière la fatigue m’a privée de courir, et cette semaine c’est le tatouage : pendant la première semaine de cicatrisation, il faut éviter de transpirer. N’importe, je suis si extrêmement vivante. Cette nuit j’ai fait un beau rêve heureux et lumineux, où je chantais.

Détournements d’âmes, chauvinisme et boomerang

« Exhorte-les à arrêter ces folies, en les conseillant gentiment ; ils ne t’obéiront pas, parce que pour eux s’avance le jour fatal. » Homère, Odyssée, XVI, 278-280 (ma traduction)

Macron détourne pour sa promotion les youtubers Mcfly et Carlito. Outre l’indignité politique de l’opération, qui continue à défigurer le fait politique en France, il faut souligner la tristesse qui en résulte pour tous les jeunes qui appréciaient ces youtubers et qui se trouvent maintenant pris dans ce piège tendu par le pouvoir. Beaucoup, trop déçus, ne veulent pas regarder la récupération en question. D’autres regardent et se sentent plus ou moins salis de le faire. Macron fait partie de ces gens qui salissent tout. Ça a commencé avec une campagne électorale pleine de bidonnages, public commandé, applaudissements commandés, etc., ça a continué, dès son élection, avec les insultes aux Français, puis avec la violence criminelle contre les Gilets jaunes, puis tous les actes de division du peuple, comme le discours antiséparatiste qui est en fait, en classique inversion « diabolique », une action de séparatisme, de division pour mieux régner, mieux faire régner le discours de l’extrême-droite, à la fois pour le récupérer et pour se poser en rempart contre lui, le moment venu. Quand on regarde le plan d’action de Joe Biden pour son pays, alors que dans notre pays seules les manœuvres politiciennes, et du plus bas étage, font office de politique et de gouvernance, on se dit qu’il faudra qu’on vire notre micro-pseudo-Trump et qu’on trouve un Biden qui, sans être plus parfait que ne l’est Biden, aura du moins comme lui le courage d’agir, au lieu de remuer du vent.

Je lis que Cyril Hanouna voudrait qu’on destitue le groupe rock italien qui a gagné l’Eurovision au motif qu’on les soupçonne de s’être drogués (en fait le test prouve ce soir qu’ils ne s’étaient pas drogués), et qu’on donne ainsi la première place à la Française, arrivée deuxième. Cette dernière a déclaré qu’ils avaient été élus et que le reste, « qu’ils se droguent ou qu’ils mettent leur culotte à l’envers », ça ne la regardait pas. Merci à elle pour cette réponse au chauvinisme français, une hystérie aux relents nationalistes dans la ligne du discours dominant, discours d’extrême-droite, de gens qui salissent tout. Trump non plus n’a pas accepté de n’être pas l’élu. Qui vole un œuf vole un bœuf, dans l’état d’esprit où est la France de Macron et d’Hanouna, on pourrait bien avoir des problèmes aux prochaines présidentielles. Gare à l’effet boomerang, messieurs.

Y a-t-il un pilote dans l’avion ? Présente !

Lumière sur la Seine, cet après-midi en rentrant à pied de chez les tatoueuses et tatoueurs, photo Alina Reyes

Lumière sur la Seine, cet après-midi en rentrant à pied de chez les tatoueuses et tatoueurs, photo Alina Reyes

Au fond c’est assez amusant qu’on se demande communément, depuis longtemps, pourquoi Homère qualifie le porcher de divin, sans se le demander, en fait. Je veux dire, sans le demander à Homère, qui le dit pourtant très clairement. Les pistes de compréhension de l’Odyssée données par Homère sont grosses comme des pistes d’atterrissage de gros avions, mais il semble que tous les passagers aient leur bandeau de sommeil sur les yeux et ne voient que ce qui rumine dans leur caverne de tête. Il est pas mal question de pilotes dans l’Odyssée, des pilotes de « vaisseaux traverseurs de mers », de mers « aux larges voies », aussi larges que les voies du ciel du texte. Pilote en grec ancien se dit cybernète, comme aujourd’hui dans l’espace dérivé du même nom. Mesdames, messieurs et autres, j’ai l’honneur d’être votre cybernète et je vous ferai faire, dans l’esprit d’Homère, un vrai grand beau voyage.

Ça y est, j’ai une magnifique chouette d’Athéna encrée sur le sein, qui n’attend plus que sa mise en couleur, un peu plus tard, par ma talentueuse tatoueuse ; j’en reparle (et sans doute montre) bientôt.