Sourate 106, Quraïsh. Qu’est-ce que la Mosquée sacrée ?


La Mecque vue du ciel, image trouvée sur Trouve ta mosquée

 

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Nous continuons à tourner dans le Coran. Nous avons vu la première et la dernière sourate, nous sommes repartis depuis l’un de ses centres, Al-Kahf, La Caverne, nous sommes passés par les sourates immédiatement périphériques, et nous voici de nouveau en chemin dans la structure éminemment fractale de ce Livre, dont les centres et les extensions sont partout.

« Tourne donc ta face vers la mosquée sacrée. » Sourate Al-Baqara, v.144. « Et d’où que tu sortes, tourne ta face vers la Mosquée sacrée. » Sourate Al-Baqara, v. 149. « Et d’où que tu sortes, tourne ta face vers la Mosquée sacrée. » Sourate Al-Baqara, v. 150.

Qu’est-ce que la Mosquée sacrée ? Pour commencer, tournons-nous vers la sourate Quraïsh, cent-sixième dans le Livre, vingt-neuvième dans l’ordre de la descente, révélée à La Mecque, où se trouve la Mosquée sacrée matérielle. Tentons une traduction :

 

1 Pour le roulement des Quraïsh,

2 Leur roulement, voyages de l’hiver et de l’été,

3 Qu’ils adorent donc le Seigneur de cette Maison,

4 Lui qui les a nourris, tirés de la faim, et apaisés, tirés de la crainte.

 

Les Quraïsh, tribu originaire du Prophète, tiennent leur nom d’un mot qui signifierait « petits requins ». C’est l’étymologie la plus populaire, mais une autre est possible à partir du verbe qarash : « couper, rassembler », en particulier dans le sens précis de «  réunir les parties d’une chose au corps de la chose » (et par suite indique aussi le profit, sens qui renvoie à leur activité de marchands). Le mot que je traduis par roulement est habituellement traduit par pacte, ou habitude, ou union, mais l’idée de roulement est la base de ce mot. Grâce à quoi voici dans ce premier verset la vision tendue vers le roulement des croyants autour de la Kaaba, au cœur de la Mosquée sacrée, leur roulement tout à la fois semblable à celui des troupeaux qui s’enroulent autour de leur berger, à celui du Livre sacré que l’on roule et déroule, à celui des planètes et des astres autour de leur attracteur. Et je les vois s’enrouler et s’enroulant, se réunir, «  réunir les parties d’une chose au corps de la chose », la chose mystérieuse et attractive que figure si bien la Kaaba et qui est aussi implantée comme une graine dans le désert attendant son tour au plus profond, au plus secret, au plus voilé de notre être, l’habitation de Dieu, Lumière pudiquement gardée dans un nocturne enclos.

Dans le deuxième verset, leur roulement est accolé aux « voyages de l’hiver et de l’été », référence concrète à leur activité de caravaniers dont le point fixe était La Mecque. Et l’axe du temps croise ici l’axe de l’espace, roulement des saisons qui paradoxalement ouvre le cercle, sort l’être de ce roulement autour d’un point fixe, qui sans cette ouverture deviendrait fascination morbide. Car « le Seigneur de cette Maison » (verset 3), selon l’islam bâtie par Abraham, ne se contente pas de donner à l’homme des repères : il lui demande aussi d’en sortir. Tel est selon la Torah le premier commandement qu’il donna au patriarche, père des croyants des trois monothéismes : Lèk-lèka, « sors via toi », « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, pour le pays que je t’indiquerai. »

Or quel est ce pays ? Ne serait-ce pas, via l’adoration, celui, justement, du Seigneur de la Maison ? Pourquoi alors s’en arracher, aussi, dans les « voyages de l’hiver et de l’été » ? Parce que c’est ainsi, à partir de son centre d’attraction, que Dieu nous arrache à la faim pour nous rassasier, nous arrache à la peur pour nous apaiser, et nous arrache, en fin de compte, à la mort pour nous ressusciter.

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Nous n’en avons pas fini avec cette Maison sacrée, nous y reviendrons. À suivre, donc.

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Sourate 114, An-Nas, « Les hommes »

dans la bibliothèque de la Grande Mosquée de Paris, photo Alina Reyes

 

1 Dis : Je me réfugie en le Seigneur des hommes,

2 Roi des hommes,

3 Dieu des hommes,

4 contre la nuisance du fourbe instigateur, caché derrière les autres,

5 qui souffle le mal dans les cœurs des hommes,

6 qu’il soit d’entre les djinns ou d’entre les hommes.

 

C’est la dernière sourate du Coran, et elle est précédée d’une autre brève sourate en forme d’invocation contre le mal. Comme les autres sourates de la fin du Livre elle fait partie des premières sourates descendues. Je l’ai traduite au plus près, sans pouvoir conserver le magnifique balancement des versets, qui riment tous en arabe. « Caché derrière les autres » (v.4) est le sens premier du mot, je n’ai pas trouvé à le dire autrement, de façon à le faire rimer avec hommes.

Nous avons vu que lors de la première descente, il fut dit d’abord au Prophète : « Lis ». Ici il lui est commandé de dire. C’est une expérience que tout prophète connaît. Nous la trouvons dans l’Ancien Testament bien sûr, et j’ai moi-même connu ce commandement impérieux, qu’on ne peut imaginer si on ne l’a vécu. Il ne s’agit pas de quelque chose comme l’inspiration qui vient au poète, et que je connais aussi bien sûr, mais véritablement de ce verbe dire qui est intimé explicitement et avec une force inouïe, qui vous éjecte littéralement de vous-même. C’est Dieu qui dit à travers vous, vous êtes obligé de le dire. Voilà tout ce qui fait la différence entre une parole poétique et une parole révélée. La parole révélée a une allure poétique aussi, mais elle est beaucoup plus que cela, elle vient d’ailleurs.

En cette sourate, qui est un jaillissement comme toutes les splendides brèves sourates du début de la révélation et de la fin du Livre, Dieu est appelé Seigneur, Roi, Dieu. Il est le repère absolu, et le protecteur. Le verbe qui dit « je me réfugie » signifie d’abord « s’attacher comme la chair à l’os ». Nous retrouvons cette idée d’adhérence exprimée dans les premiers versets descendus.

Être en Dieu est le refuge contre le mal. En arabe la préposition n’est pas contre mais de, comme nous disons « se protéger du mal » ; elle marque mieux la séparation. Nous l’avons vu aussi dans la Genèse (Voyage), Dieu sépare ce qui doit être séparé. De quoi Dieu sépare-t-il le croyant ? Du mal, de la nuisance du fourbe, qu’il vienne de parmi les djinns ou de parmi les hommes. Le mal peut venir des hommes mais Dieu est leur Seigneur, Roi et Dieu, et il a le dernier mot. Le mal peut entrer dans les hommes, mais pas en Dieu. Qui demeure en Lui en est à l’abri. C’est l’ultime sourate du fantastique déploiement qu’est le Coran, sa conclusion. À travers le Livre nous avons appris (nous allons apprendre) à entrer dans la demeure de Dieu, Souverain des univers comme il est dit dans la première sourate, et nous saurons que nous y sommes non seulement protégés du mal des hommes, mais aussi, comme il est ici répété cinq fois en six brefs versets, que nous y sommes des hommes.

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à suivre

Sourate 96, Al-Alaq, « La foi »

à la Grande Mosquée de Paris, photo Alina Reyes

 

Munie de mon beau dictionnaire, je me risque à une traduction-interprétation des cinq premiers versets descendus, révélés au Prophète dans la grotte de Hirâ.

 

1 Lis ! Au nom de ton Seigneur qui composa,

2 composa l’homme d’une foi.

3 Lis ! Ton Seigneur est le Généreux,

4 qui fendit à la lèvre l’homme par le calame,

5 à l’homme enseigna ce qu’il ne savait pas.

 

Iqra !  Lis ! est le premier mot du Coran descendu, mot apparenté au nom de ce Livre, qui signifie lecture, récitation. Mouhammad ne sait pas lire quand lui est faite cette injonction. Mais ce n’est pas une écriture d’homme qu’il lui est demandé de lire. Lire pour lui va être écouter et dire, retranscrire la parole qui lui descend du ciel. Une parole enchantée, enchantante et à dire comme un chant, le chant qu’elle est. Beaucoup d’assonances en a dans ces cinq premiers versets révélés. Qui ouvrent la lèvre du Prophète afin qu’il parle. La même image se trouve à l’intérieur de l’hébreu, dans l’Ancien Testament, où la langue signifie d’abord la lèvre. Et la prière des Heures chrétienne commence par ces mots : « Seigneur, ouvre mes lèvres, et ma bouche publiera ta louange ».

Le verbe habituellement traduit par créer dit d’abord : donner une mesure à, composer. Je reprends ce premier sens : Dieu crée en donnant la mesure (du et au monde, de et à l’homme), mesure mathématique et musicale à la fois, composition physique et poétique.

Le mot alaq, qui signifie adhérence ou caillot de sang, je l’interprète par le mot foi parce que, comme je l’ai dit souvent, la foi, c’est adhérer au réel – et le réel, c’est le spirituel. Ce mot alaq donne des variantes de sens à partir du sens d’accrocher. Il peut signifier grumeau de sang (et évoquer une goutte de sperme), et exprimer aussi l’attachement amoureux. En quelque sorte il est possible de comprendre en ce verset que Dieu a créé l’homme par un acte d’amour, un acte par lequel l’homme est destiné à adhérer à Lui, un acte de foi. Je suis consciente qu’il est audacieux de dire que Dieu a fait un acte de foi, mais ce que nous pouvons du moins comprendre c’est que l’homme est homme parce qu’il vient d’une adhérence, parce qu’il devient homme par la foi.

Le même verbe signifiant enseigner est repris aux versets 4 et 5. La première fois, je le traduis par son sens premier : « marquer, distinguer par une marque, par un signe quelconque », et de là « faire à quelqu’un une fissure à la lèvre supérieure ». L’homme est en quelque sorte signé par Dieu, à la manière dont un peintre signe son œuvre. Ainsi Dieu, après nous avoir créé d’une adhérence, après nous avoir scellés à lui, fend le sceau et par cette fissure, sa signature, commence à se révéler.

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à suivre