Le mouvement de la vie

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Hortus deliciarum, « Jardin des délices » de la fin du XIIème siècle. Légende en latin : « Deux forces, l’une prend avec elle, l’autre reverse » (Le verbe latin pour « prendre avec elle » nous a donné les mots assumer et assomption). Par l’esprit et l’action l’homme fait tourner la roue de la vie, « les plus puissants finissent par tomber » et la vie, telle l’eau, va de l’avant.

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Une derviche tourneuse de l’ordre fondé au XIIIème siècle par Rûmî  : une paume tendue vers le ciel pour recevoir la grâce, l’autre tournée vers la terre pour l’y reverser.

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Introduction à la vie non fasciste, de Michel Foucault :

« Cet art de vivre contraire à toutes les formes de fascisme, qu’elles soient installées ou proches de l’être, s’accompagne d’un certain nombre de principes essentiels, que je résumerais comme suit si je devais faire de ce grand livre un manuel ou un guide de vie quotidienne :

libérez l’action politique de toute forme de paranoïa unitaire et totalisante ;

affranchissez-vous des vieilles catégories du négatif (la loi, la limite, la castration, le manque, la lacune), que la pensée occidentale a si longtemps sacralisées comme forme du pouvoir et mode d’accès à la réalité.
Préférez ce qui est positif et multiple, la différence à l’uniforme, le flux aux unités, les agencements mobiles aux systèmes. Considérez que ce qui est productif n’est pas sédentaire, mais nomade ;

n’imaginez pas qu’il faille être triste pour être militant, même si la chose qu’on combat est abominable. C’est le lien du désir à la réalité (et non sa fuite dans les formes de la représentation) qui possède une force révolutionnaire ;

n’utilisez pas la pensée pour donner à une pratique politique une valeur de vérité ; ni l’action politique pour discréditer une pensée, comme si elle n’était que pure spéculation. Utilisez la pratique politique comme un intensificateur de la pensée, et l’analyse comme un multiplicateur des formes et des domaines d’intervention de l’action politique ;

n’exigez pas de la politique qu’elle rétablisse des « droits » de l’individu tels que la philosophie les a définis, l’individu est le produit du pouvoir. Ce qu’il faut, c’est désindividualiser par la multiplication et le déplacement les divers agencements. Le groupe ne doit pas être le lien organique qui unit des individus hiérarchisés, mais un constant générateur de « désindividualisation » ;

ne tombez pas amoureux du pouvoir. »

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voir aussi : Héraclite

Et continuons à suivre ce qui se passe en Grèce, où le combat se livre contre la corruption à l’intérieur du pays comme, à l’extérieur, face à l’Europe, contre les abus de la banque et de ses soumis, nos élites.

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De la Pitié à la Mosquée (3). « Êtes-vous nombreux là-dedans ? »

Panno Lazarett1

image trouvée en grand sur le blog d’histoire occupation-de-paris.com

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« Cependant, au début du XVIIe siècle… en haut de l’actuelle rue Cuvier, se construit, sur l’emplacement d’un jeu de paume désaffecté [et de l’actuelle Grande Mosquée], un établissement créé en 1612 par édit de Marie de Médicis, régente du royaume,… dont le nom est tout un programme : « Notre-Dame de la Pitié ». (…) Cet établissement fut d’abord affecté au « renfermement » des mendiants, car depuis longtemps, et malgré la création du « Grand Bureau des Pauvres » par François 1er, le décret de 1525 les menaçant de pendaison, la condamnation du Parlement de 1552 les vouant, enchaînés par deux, au curage des égouts, l’interdiction de 1554 de chanter dans les rues sous peine de mort, l’édit de Charles IX leur promettant les galères, celui d’Henri III les astreignant à l’asile de fous, les mendiants continuaient à envahir Paris comme les mouches les ruisseaux de ses ruelles. » Maximilien Vessier, La Pitié-Salpêtrière

« La Renaissance a dépouillé la misère de sa positivité mystique. Et cela par un double mouvement de pensée qui ôte à la Pauvreté son sens absolu et à la Charité la valeur qu’elle détient de cette Pauvreté secourue. (…) Désormais, la misère n’est plus prise dans une dialectique de l’humiliation et de la gloire ; mais dans un certain rapport du désordre à l’ordre qui l’enferme dans la culpabilité. Elle qui, déjà, depuis Luther et Calvin, portait les marques d’un châtiment intemporel, va devenir dans le monde de la charité étatisée, complaisance à soi-même et faute contre la bonne marche de l’État. Elle glisse d’une expérience religieuse qui la sanctifie, à une conception morale qui la condamne. Les grandes maisons d’internement se rencontrent au terme de cette évolution : laïcisation de la charité, sans doute ; mais obscurément aussi châtiment moral de la misère. (…)

« On a l’habitude de dire que le fou du Moyen Âge était considéré comme un personnage sacré, parce que possédé. Rien n’est plus faux. S’il était sacré, c’est avant tout que, pour la charité médiévale, il participait aux pouvoirs obscurs de la misère. Plus qu’un autre, peut-être, il l’exaltait. Ne lui faisait-on pas porter, tondu dans les cheveux, le signe de la croix ? C’est sous ce signe que Tristan s’est présenté pour la dernière fois en Cornouailles – sachant bien qu’il avait ainsi droit à la même hospitalité que tous les misérables ; et, pèlerin de l’insensé, avec le bâton pendu à son cou, et cette marque du croisé découpée sur le crâne, il était sûr d’entrer dans le château du roi Marc (…)

L’hospitalité qui l’accueille va devenir, dans une nouvelle équivoque, la mesure d’assainissement qui le met hors circuit. Il erre, en effet ; mais il n’est plus sur le chemin d’un étrange pèlerinage ; il trouble l’ordonnance de l’espace social. Déchue des droits de la misère et dépouillée de sa gloire, la folie, avec la pauvreté et l’oisiveté, apparaît désormais, tout sèchement, dans la dialectique immanente des États. » Michel Foucault, Histoire de la folie, « Le grand renfermement »

« Au début du XXIe siècle, la pathologie mentale se place au 3e rang mondial des maladies (source OMS), et voyant les psychoses reculer devant les troubles de l’anxiété et du comportement, devant la dépression surtout (…) Toujours selon l’OMS, la dépression deviendrait en 2020 la première cause d’invalidité dans les pays développés, devant les maladies cardio-vasculaires. (…) De la maladie mentale aux troubles mentaux et de ceux-ci à la « souffrance psychique », au mal-être, c’est une véritable « culture du malheur intime » qui s’est instituée aujourd’hui dans nos sociétés. » (…) La France est au 3e rang mondial des médicaments et au 1er rang européen des psychotropes ». Beaucoup de fous sont à la rue ou en prison. Les troubles mentaux sont disséminés dans toute la société.

« La folie n’est plus, sauf exception, une folie de Grand Guignol, avec ses effrayantes crises hallucinées qui paraîtraient aujourd’hui caricaturales. Il n’y a plus de mur de l’asile, partageant clairement ceux qui sont d’un côté et ceux qui sont de l’autre. On connaît l’histoire du fou qui se penche à la fenêtre de son asile pour demander à un passant : « Êtes-vous nombreux là-dedans ? » Ce n’est plus une blague : nous sommes bel et bien nombreux là-dedans. »

« Cet enfermement des errants, dans des lieux où se conjuguent l’assistance et la répression, est un phénomène largement européen ». « Ce n’est donc qu’à partir des années 1670-1680 que se multiplient les fondations d’hôpitaux généraux dans tout le royaume, et ce très souvent à l’initiative des jésuites, véritables missionnaires de l’enfermement. » Claude Quétel, » Histoire de la folie

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à suivre

« Le courage de la vérité », par Michel Foucault (1). Liturgie de l’alèthurgie

aujourd'hui à Paris, photo Alina Reyes

 

Commençons une lecture du dernier cours du philosophe, prononcé au Collège de France entre février et mars 1984, quelques mois avant sa mort, et publié par Gallimard/Seuil dans la collection Hautes Études.

« Cette année, je voudrais continuer l’étude du franc-parler, de la parrêsia comme modalité du dire-vrai. (…) L’alèthurgie serait, étymologiquement, la production de la vérité, l’acte par lequel la vérité se manifeste. Donc laissons de côté les analyses de type « structure épistémologique » et analysons un peu les « formes alèthurgiques ». (pp 4-5)

On ne dira pas que le géomètre ou le grammairien, enseignant ces vérités auxquelles ils croient, sont des parrèsiastes. Pour qu’il y ait parrêsia (…) il faut que le sujet, [en disant] cete vérité qu’il marque comme étant son opinion, sa pensée, sa croyance, prenne un certain risque, risque qui concerne la relation même qu’il a avec celui auquel il s’adresse. Il faut pour qu’il y ait parrêsia que, en disant la vérité, on ouvre, on instaure et on affronte le risque de blesser l’autre, de l’irriter, de le mettre en colère et de susciter de sa part un certain nombre de conduites qui peuvent aller jusqu’à la plus extrême violence. C’est donc la vérité, dans le risque de la violence. » (p.12)

La parrêsia risque donc non seulement la relation établie entre celui qui parle et celui à qui est adressée la vérité, mais, à la limite, elle risque l’existence même de celui qui parle, si du moins son interlocuteur a un pouvoir sur lui et s’il ne peut supporter la vérité qu’on lui dit. Ce lien entre la parrêsia et le courage est fort bien indiqué par Aristote lorsque, dans l’Éthique à Nicomaque, il lie ce qu’il appelle la megalopsukhia (la grandeur d’âme) à la pratique de la parrêsia. (p.13)

Le peuple, le Prince, l’individu doivent accepter le jeu de la parrêsia (…) cette espèce de pacte qui fait que si le parrèsiaste montre son courage en disant la vérité envers et contre tout, celui auquel cette parrêsia est adressée devra montrer sa grandeur d’âme en acceptant qu’on lui dise la vérité. (…) La pratique de la parrêsia s’oppose terme à terme à ce qui est en somme l’art de la rhétorique. (…) Le bon rhétoricien, le bon rhéteur est l’homme qui peut parfaitement et est capable de dire tout autre chose que ce qu’il sait, tout autre chose que ce qu’il croit, tout autre chose que ce qu’il pense, mais de le dire de telle manière que, au bout du compte, ce qu’il aura dit, et qui n’est ni ce qu’il croit ni ce qu’il pense ni ce qu’il sait, sera, deviendra ce que pensent, ce que croient et ce que croient savoir ceux auxquels il l’a adressé. Dans la rhétorique, le lien est dénoué entre celui qui parle et ce qu’il dit, mais la rhétorique a pour effet d’établir un lien contraignant entre la chose dite et celui ou ceux auxquels elle est adressée. Vous voyez que, de ce point de vue-là, la rhétorique est exactement à l’opposé de la parrêsia, [qui implique au contraire une] instauration forte, manifeste, évidente entre celui qui parle et ce qu’il dit (pp 14-15)

Disons, très schématiquement, que le rhéteur est, ou en tout cas peut parfaitement être un menteur efficace qui contraint les autres. Le parrèsiaste, au contraire, sera le diseur courageux d’une vérité où il risque lui-même et sa relation avec l’autre. (…) La parrêsia est tout de même autre chose qu’une technique ou un métier, (…) c’est une attitude, une manière d’être qui s’apparente à la vertu, une manière de faire. » (p.15)

La suite de la lecture nous conduira à voir le rapport entre parrêsia et prophétie, et entre parrêsia et sagesse.

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Le lion marche à travers les blés, lumière d’or ondulant dans le temps, esprit le corps.

 

Charcot, son hystérie et la singesque comédie

 

J’aime aller à la Salpêtrière, cela me rappelle Lourdes. J’y trouve ce que j’aime : la lumière, et l’inconnu. La douce et violente énigme des relations brisées entre le corps et l’esprit. Et la compétition entre la médecine du monde et la médecine de Dieu pour les réparer.

À Lourdes nous avons une grotte de l’Apparition et un vaste sanctuaire à ciel ouvert, face à un château fermé, comme dirait Mandiargues, face au Château, comme dirait Kafka, forteresse selon la loi du monde, plantée sévèrement au-dessus du théâtre des opérations divines.

À la Pitié-Salpêtrière, nous avons le plus grand hôpital d’Europe, et même du monde en termes d’actes, où fut réussie la première greffe cardiaque européenne, où fut découvert le virus du sida, royaume de la science et de la recherche médicale, étendu sous le ciel autour d’une étrange église octogonale, à la fois impressionnant et humble témoin d’une survivance de Dieu au milieu de la modernité la plus pointue.

Et à la Salpêtrière comme à Lourdes, une même présence, celle de la souffrance humaine, et une même manifestation, celle de la miséricorde, qu’elle oeuvre via le personnel soignant ou via le Christ en sa maison.

 

 

La Pitié-Salpêtrière s’appela d’abord Notre-Dame de la Pitié, établissement dédié au « grand renfermement » des mendiants, des pauvres, des fous, et en particulier des folles. Au fil d’une histoire chargée d’atrocités, l’enfermement évolua pourtant peu à peu vers le soin. Au dix-neuvième siècle, Charcot y inventa le traitement de l’hystérie par l’hypnose. Fameux spectacle, où l’on accourait parfois de loin, tel Freud qui fut l’élève du maître pendant six mois.

Ah ces femmes qui se pâmaient et se contorsionnaient, à moitiés dévêtues et décoiffées, inconscientes et manipulables à merci, devant des parterres d’hommes engoncés jusqu’à la gorge dans leurs costumes de savants ! D’où venait le fantasme en vérité, de quelle hystérie ? Certes à cette époque l’hystérie ne s’expliquait plus, comme auparavant durant des siècles, par les « vieux mythes des déplacements utérins », comme dit Foucault (Histoire de la folie), citant par exemple un livre de Liebaud paru en 1609, selon lequel la matrice se meut librement dans le corps de la femme, « pour être plus à l’aise ; non qu’elle fasse cela par prudence, commandement ou stimule animal, mais par un instinct naturel, pour conserver la santé et avoir la jouissance de quelque chose de délectable. » Et encore : « Ces mouvements sont divers à savoir ascente, descente, convulsions, vagabond, procidence. Elle monte au foie, rate, diaphragme, estomac, poitrine, coeur, poumon, gosier et tête. »

 

 

Même si la fantasmagorie de ces messieurs avait alors changé de forme, les malheureuses de la Salpêtrière se plièrent donc à leurs désirs, se laissant entraîner dans une catalepsie artificielle pour leur donner le spectacle qui les remplirait tout à la fois d’une aise secrète et du sentiment de leur indépassable supériorité. Mais avaient-ils songé à lire Hegel ? « Car, si la connaissance est l’instrument pour maîtriser l’essence absolue, il vient de suite à l’esprit que l’application d’un instrument à une chose ne la laisse pas telle qu’elle est pour soi, mais y introduit une mise en forme et une altération. (…) nous faisons usage d’un moyen qui produit immédiatement le contraire de son but. » (Phénoménologie de l’esprit)

Il en va autrement de nos jours à la Salpêtrière, mais en soi, dans le monde, les choses ont-elles vraiment changé ? Le monde et ses savants comme ses ignares ne sont-ils pas toujours sous l’empire de leurs fantasmes, déguisés en savoirs ? Il est une autre façon d’entrer en catalepsie : en se laissant happer par l’Invisible à l’oraison, ce ne sont plus des âmes humaines faussées qui tentent de se saisir de notre être, mais la Vérité qui se donne tout entière à nous, directe et pleine d’amour.

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Le tableau d’André Brouillet et la photo d’Albert Londe proviennent du site baillement.com

voir aussi Charcot et l’école de la Salpêtrière

et mes articles liés au mot-clef Pitié-Salpêtrière

 

Ce monde qui veut priver les pauvres de leur Pauvreté

Mikhaïl Nesterov, La vision du jeune Bartholomée

 

« La Renaissance a dépouillé la misère de sa positivité mystique. Et cela par un double mouvement de pensée qui ôte à la Pauvreté son sens absolu et à la Charité la valeur qu’elle détient de cette Pauvreté secourue. (…)

Désormais, la misère n’est plus prise dans une dialectique de l’humiliation et de la gloire ; mais dans un certain rapport du désordre à l’ordre qui l’enferme dans la culpabilité. Elle qui, déjà, depuis Luther et Calvin, portait les marques d’un châtiment intemporel, va devenir dans le monde de la charité étatisée, complaisance à soi-même et faute contre la bonne marche de l’État. Elle glisse d’une expérience religieuse qui la sanctifie, à une conception morale qui la condamne. Les grandes maisons d’internement se rencontrent au terme de cette évolution : laïcisation de la charité, sans doute ; mais obscurément aussi châtiment moral de la misère. (…)

On a l’habitude de dire que le fou du Moyen Âge était considéré comme un personnage sacré, parce que possédé. Rien n’est plus faux. S’il était sacré, c’est avant tout que, pour la charité médiévale, il participait aux pouvoirs obscurs de la misère. Plus qu’un autre, peut-être, il l’exaltait. Ne lui faisait-on pas porter, tondu dans les cheveux, le signe de la croix ? C’est sous ce signe que Tristan s’est présenté pour la dernière fois en Cornouailles – sachant bien qu’il avait ainsi droit à la même hospitalité que tous les misérables ; et, pèlerin de l’insensé, avec le bâton pendu à son cou, et cette marque du croisé découpée sur le crâne, il était sûr d’entrer dans le château du roi Marc (…)

L’hospitalité qui l’accueille va devenir, dans une nouvelle équivoque, la mesure d’assainissement qui le met hors circuit. Il erre, en effet ; mais il n’est plus sur le chemin d’un étrange pèlerinage ; il trouble l’ordonnance de l’espace social. Déchue des droits de la misère et dépouillée de sa gloire, la folie, avec la pauvreté et l’oisiveté, apparaît désormais, tout sèchement, dans la dialectique immanente des États. »

Michel Foucault, Histoire de la folie, « Le grand renfermement »

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« Cependant, au début du XVIIe siècle… en haut de l’actuelle rue Cuvier, se construit, sur l’emplacement d’un jeu de paume désaffecté, un établissement créé en 1612 par édit de Marie de Médicis, régente du royaume,… dont le nom est tout un programme : « Notre-Dame de la Pitié ». (…)
Cet établissement fut d’abord affecté au « renfermement » des mendiants, car depuis longtemps, et malgré la création du « Grand Bureau des Pauvres » par François 1er, le décret de 1525 les menaçant de pendaison, la condamnation du Parlement de 1552 les vouant, enchaînés par deux, au curage des égouts, l’interdiction de 1554 de chanter dans les rues sous peine de mort, l’édit de Charles IX leur promettant les galères, celui d’Henri III les astreignant à l’asile de fous, les mendiants continuaient à envahir Paris comme les mouches les ruisseaux de ses ruelles.
Ne cherchez pas de vestiges de cette première « Pitié », ni sur un plan, ni sur le terrain car elle a été remplacée, depuis trois quarts de siècle, par la mosquée de Paris. »

Maximilien Vessier, La Pitié-Salpêtrière

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Jean-Pierre Brisset par Michel Foucault, Sept propos sur le septième ange

Douanier Rousseau, Les Flamants roses

 

En préparant mon travail sur Saint-Louis de la Salpêtrière (nous y reviendrons),  je suis tombée sur les Sept propos sur le septième ange de Michel Foucault. J’étais partie à la bibliothèque chercher Histoire de la folie à l’âge classique, j’en ai ramené aussi Naissance de la clinique. Mais ce que j’ai d’abord lu cette nuit, ce sont donc les Sept propos…

André Breton dans son Anthologie de l’humour noir dit de Brisset : « Nous assistons ici, non plus à un retour de l’individu mais, en sa personne, à un retour de toute l’espèce vers l’enfance. (Il se passe quelque chose d’équivalent dans le cas du douanier Rousseau). »

Cependant Brisset est bien plus vertigineux que Rousseau. Son désir de retrouver l’enfance de la langue s’apparente à une physique-métaphysique, une métaphysique-physique. Lisant Foucault, j’ai songé, bien au-delà de « l’humour noir » vu par Breton, aux trous noirs des physiciens, attirant la lumière, et aussi à ce qu’ils appellent trous de vers, par où s’effectuerait le passage d’une dimension à une autre. Comme dans ce Journal toutes les « Catégories » peuvent entrelacer leurs doigts, et les mots-clefs féconder l’être dans leur nuée.

En sortant de la bibliothèque, je suis passée par la rue Teilhard de Chardin, où j’ai fait les photos qui dialoguent avec le texte de la note précédente. « Coextensif à leur dehors, il y a un dedans des choses », dit Teilhard.  À l’évolution correspond une involution créatrice, c’est aussi ce qu’a pressenti dans la langue Brisset, qui aspirant sa lumière et la retournant comme un gant, ouvre par ce voyage un trou de ver dans les dimensions de l’être.

Citons Foucault : « Chercher l’origine des langues pour Brisset, ce n’est pas leur trouver un principe de formation dans l’histoire, un jeu d’éléments révélables qui assurent leur construction, un réseau d’universelle communication entre elles. C’est plutôt ouvrir chacune sur une multiplicité sans limite ; définir une unité stable dans une prolifération d’énoncés ; retourner l’organisation du système vers l’extériorité des choses dites. »

Foucault montre que Brisset part d’un bruit de fond originel de la langue, d’où seraient nés les mots, formes condensées dont il est possible de libérer de nouveau le foisonnement du sens. Je pense à l’épisode de Babel, traduit et commenté dans Voyage, et inauguré ainsi : « Tout le pays était babil unique », avant la dispersion par Dieu des hommes et des langues dans le monde, libérant la vie.

Citons Brisset, cité par Foucault : « Voici les salauds pris ; ils sont dans la sale eau pris, dans la salle aux prix. » L’homme naît dans le marais, comme on y assiste aussi dans Voyage. Citons Foucault, à propos de Brisset : « Le mot n’existe que de faire corps avec une scène dans laquelle il surgit comme cri, murmure, commandement, récit ; et son unité, il la doit d’une part au fait que, de scène en scène, malgré la diversité du décor, ds acteurs et des péripéties, c’est le même bruit qui court, le même geste sonore qui se détache de la mêlée, et flotte un instant au-dessus de l’épisode, comme son enseigne audible ; d’autre part, au fait que ces scènes forment une histoire, et s’enchaînent de façon sensée selon les nécessités d’existence des grenouilles ancestrales. »

Il s’agit de « retransformer les mots en théâtre ; replacer les sons dans ces gorges coassantes ; les mêler à nouveau à tous ces lambeaux de chair arrachés et dévorés ; les ériger comme un rêve terrible, et contraindre une fois encore les hommes à l’agenouillement : « Tous les mots étaient dans la bouche, ils ont dû y être mis sous une forme sensible, avant de prendre une forme spirituelle. Nous savons que l’ancêtre ne pensait pas d’abord à offrir un manger, mais une chose à adorer, un saint objet, une pieuse relique qui était son sexe le tourmentant. »

Et maintenant sortons du livre, voyons ce qu’il vient de nous dire : l’idolâtrie première, d’où viennent les paroles mauvaises. Rappelons-nous que ce qui peut rendre l’homme impur, ce n’est pas ce qui entre en lui, mais ce qui peut sortir de sa bouche, ainsi que le dit le Christ. La saloperie que décline Brisset. Qu’il faut laver et racheter dans l’eau baptismale d’une langue originelle retrouvée, et non seulement retrouvée mais réinventée, redéployée, pour Sa gloire et le salut du monde.

 

Jean-Pierre Brisset

Michel Foucault

Voyage