La peste noire

 

Un évêque ancien, dans le combat spirituel contre la peste, arrivée par bateau, qui ravagea Marseille, consacra la cité au Sacré Cœur de Jésus. Un cardinal d’aujourd’hui, sur le Parvis du Cœur, par avion rapporte dans la même cité la peste. « Ils ne savent pas que nous leur apportons la peste », dit Freud à Jung alors qu’ils approchaient en bateau de New York, en 1909. Comme le disent les psychanalystes, même si l’on n’est pas sûr de l’authenticité de « l’anecdote », elle dit vrai. Et non, un siècle d’horreurs plus tard, ils ne le savent toujours pas.

Le jeune Clément Méric, tué par des néo-nazis, est mort à la Pitié-Salpêtrière. C’est dans cet hôpital qu’on enferma les pauvres, puis les fous. C’est là que Charcot exhiba devant des parterres de messieurs, dont Freud, engoncés dans leurs habits de dix-neuvième siècle bourgeois, engoncés dans leur enfermement et cherchant pour en sortir à déconstruire l’homme, anéantir son unité, l’examiner en entomologistes, le transformant en cet insecte répugnant que Franz Kafka décrivit, coincé dans son étouffante cellule familiale ou sociale, ses conventions morbides, sa pensée aberrante, son regard dénaturant l’amour en machinerie destructrice. Et c’est ainsi, une fois l’homme réduit à l’état de cafard ou de souris de laboratoire (cf Art Spiegelmann), qu’il fut rendu licite de le traiter industriellement, d’abord dans les camps de la mort, puis dans les temples de la consommation, et pour finir dans sa parole, faussée par les médias à grande échelle et pire encore au cœur même de ce qui fut la littérature, et qui n’est presque plus que production de livres écrits en usine par des ouvriers anonymes et signés par de petites ou grandes idoles. Et pire encore, la peste s’introduisant au dernier degré de ce qui reste de l’homme ainsi émietté, dans ses textes sacrés, avec la complicité stupide, béate ou malveillante, de ceux qui sont censés en être les gardiens.

 

Il n’y a pas que les gaz industriels qui polluent l’atmosphère

 

Cette semaine tous les médias catholiques sont soucieux d’une chose : la réforme du quotient familial. Le magazine hebdomadaire de KTO lui consacre son débat ; le directeur de la rédaction de La Vie lui consacre sa chronique ; celui de Famille Chrétienne aussi ; La Croix consacre un dossier spécial aux allocations familiales… On finirait par croire que pour les catholiques, la famille c’est un papa, une maman, et leurs sous à compter. Jésus, lui, rendait à César la pièce qui lui était demandée et se passait d’allocations pour entrer au Royaume et dans les Béatitudes.

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Un témoignage sur les skinheads (assimilés par certains écolo-chrétiens aux antifas), dans le nouvelobs

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« La « guerre du Bien contre le Mal » de Bush ou la guerre d’Oussama ben Laden et d’Al-Qaida contre les « nouveaux croisés », les intégristes islamistes et les théo-conservateurs puisent aux sources d’un colonialisme propre au XIXe siècle, bien plus qu’à l’histoire médiévale telle que les historiens l’écrivent et l’étudient aujourd’hui. Comme les deux facettes d’une même médaille. En effet, au temps de ce que l’on appellera plus tard les « croisades » ne régnaient pas entre musulmans, juifs, chrétiens d’Orient et chrétiens latins, fussent-ils croisés ou templiers, des relations aussi manichéennes que celles auxquelles ont veut aujourd’hui nous faire croire.

Faudra-til attendre encore un siècle pour que les acquis de cette historiographie moderne des croisades parviennent à effacer les clichés les plus éculés sur le sujet ? À moins que les nouveaux médias, ou les artistes, ne parviennent à faire plus rapidement évoluer les esprits ? L’enjeu est d’importance. Qu’on n’ait pas à regretter le Moyen Âge dit obscur… »

extrait d’un article de Simonetta Cerrini dans la revue Noor.

 

Le sang coule comme on le fait couler


« L’Amérique et ses alliés veulent que vous versiez votre sang et le sang de vos enfants et de vos femmes pour renverser le régime baasiste criminel [d’Assad], puis pour mettre en place un gouvernement à leur solde qui défendra la sécurité d’Israël. »  (Ayman Al Zaouahri, « chef d’Al Qaïda », appelant néanmoins « les Syriens » à s’unir… contre Bachar al Assad.

Cette brève note, Patrice de Plunkett l’a intitulée « L’Orient compliqué ». Pour ma part, cela me paraît simple comme bonjour, et comme on ne peut commenter la note chez lui, j’en donne ici ma traduction : Al Qaïda ne souhaite pas que l’Amérique et ses alliés mettent en place en Syrie un régime à leur solde, mais eux aussi souhaitent renverser Bachar Al-Assad, pour y mettre un régime à leur convenance, un régime islamiste. Que les Occidentaux ou les islamistes emportent la partie, le perdant sera le même : le peuple qui voulait la liberté. Cependant ce ne sera que partie remise, à la fin le peuple vaincra.

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Que Frigide Barjot, celle dont le nom fut l’étendard de ce mouvement, ait prophétisé « du sang », et que le sang se soit mis à couler aux périphéries de ladite manif pour tous, éclaboussant d’abord l’autel de Notre-Dame par le suicide d’un vieil intellectuel, et maintenant Paris par la mort violente d’un jeune étudiant à Sciences Po, figure de nos élites de demain, cela rend le malaise palpable. Mais il n’est pas plus judicieux de s’enfoncer, comme certains le font, dans le déni de la différence entre skins et antifas, qu’il ne fut judicieux de s’enfoncer dans le déplorable départ qui fut donné à la contestation contre le mariage pour tous. Contestation qui avait lieu d’être, mais tout à fait autrement. Tout vient de la source. Une source d’action pourrie ne fait que pourrir davantage les situations. Ne pas le voir, c’est s’exposer à beaucoup de gâchis. Voyons plus loin, voyons à la source ! Et ici, voyons bien que nazillons et antifas n’ont pas la même source. Ni l’une ni l’autre ne sont pures, mais elles ne s’équivalent pas, et donc ce et ceux qu’elles produisent ne s’équivalent pas non plus.

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Et quels que soient leurs torts, leurs erreurs et leurs stupides envies d’en découdre, les antifas, contrairement aux nazillons, ne sont pas animés par la haine raciale de tout autre, et ne se livrent pas à des ratonnades. Il y a quelques jours à Argenteuil deux skins ont agressé violemment une jeune fille voilée. Qu’ont fait les pouvoirs publics ? Rien d’autre que conseiller à la jeune fille de ne pas ébruiter l’affaire. Son témoignage est sur oumma.com, ici.

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Misère des arrogants

 

Voyez-vous ça. Une chanteuse qui chante faux, qui vient d’être condamnée pour avoir dénaturé la chanson d’un artiste, et qui se produisit naguère dans un très mauvais clip tournant en dérision la foi, trouve maintenant « intolérable » que l’aumônier du Val-de-Grâce soit intervenu hier pour protester contre le fait qu’elle tournait un clip dans son église, contre sa volonté et celle de l’évêque concerné. Cette personne qui vit dans un luxe éhonté s’y produisait en compagnie de figurants déguisés en moines pauvres, aux pieds nus. Une buvette était installée au fond de la chapelle, pour remplacer le corps et le sang du Christ, sans doute. Elle a donc appelé le Ministère de la Défense, qui a envoyé l’armée, afin de faire dégager ce prêtre.

La dame dit avoir été inspirée par les pèlerins de Compostelle. Quand Dieu peut être vendeur, pourquoi se priver ? Tiens, comme tel ambassadeur, habitué à être servi comme il le dit, qui vient de faire le pèlerinage pour en tirer un best-seller. « Le chemin a quelque chose de diabolique », confia-t-il ensuite. Le chemin des escrocs spirituels, comment serait-il autrement que diabolique ?

Celui des amants de Dieu est simplement divin. Beaucoup d’appelés, bien peu d’élus.

 

À la source

Des « Antigone » manifestent contre les « Femen ». Je ne sais quel sens elles donnent précisément au nom qu’elles se sont choisi, mais quand elles parlent de loi naturelle, je voudrais rappeler qu’Antigone n’a pas suivi la loi naturelle, mais la loi divine. Ou bien c’est que le divin (accomplir les rites funéraires en l’occurrence) est la loi naturelle de l’homme. Tandis que le politique politicien (la règle édictée par le chef en l’occurrence) est la loi naturelle du singe. Les Femen sont des instruments du singe.

Ne pas confondre événement et événementiel. La course à l’événementiel est jumelle de la course à la consommation. Quand le sol se dérobe sous les pieds, quand la vie est en fuite, quand la peur cachée règne, on multiplie les événements fabriqués en tous genres. Les vivants n’ont pas besoin de ce genre de stimuli désespérés, et ce genre de stimuli ne tire personne de la mort. Ne pas confondre occuper le terrain par toutes sortes de gadgets, et l’ensemencer.

Un homme s’est suicidé à Notre-Dame par haine de toute « métaphysique de l’illimité ». Ce geste a une portée spirituelle considérable, aussi grave que sa motivation, la même qui conduisit au nazisme. Quand je rappelle l’importance capitale d’avoir l’esprit bien clair sur cette question, deux ou trois « bons catholiques » rejettent ma parole et m’expriment leur mépris. Ils ne savent pas ce qu’ils font, ou plus sûrement, ils ont trop peur d’apprendre ce qui se tapit sous leurs apparences de pensée et de certitudes. Loin des futilités que, faute d’arguments, ils me prêtent, je le dis prophétiquement : cette question est absolument essentielle. Soit l’on considère que l’homme est un être pour la mort, donc un être limité, donc enfermé. Soit il est un être pour la vie, donc inscrit dans la métaphysique de l’illimité, donc libre : folie pour les uns, scandale pour les autres, voilà pourtant la vérité de l’homme accompli, passé par-delà les limites du péché et de la mort.

La position des hommes face à cette question détermine la voie dans laquelle ils s’engagent : soit le salut, soit la mort, la mort qui dure, comme ce fut le cas dans le nazisme et dans d’autres systèmes morbides, comme c’est encore le cas dans d’immenses pans d’âmes ou de sociétés humaines. Et j’invite ceux qui relativisent son importance à réviser leur foi, leur pensée, leur histoire. Ce n’est pas dans les surfaces, ni dans les apparences, ni dans l’événementiel, qu’il faut se convertir. C’est à la source.

 

Aveugles et damnés


On m’a persécutée réellement, assassinée et violée symboliquement, et on a fait croire que c’était moi l’assassin, on a travaillé des années durant à me culpabiliser, à me faire passer aux yeux des autres et à mes propres yeux pour une meurtrière et une prostituée – d’où le rêve qui inaugure Forêt profonde, puis la partie infernale du bordel. Tous les pervers agissent ainsi, ce n’est pas nouveau. Ce qui est triste, c’est que des hommes censés disposer d’un peu de discernement ne voient rien et les croient.

Dominique Venner, tourmenté par ce qui tourmente beaucoup d’autres hommes, a au moins eu la droiture et le courage de ne s’en prendre qu’à lui-même. Sa dernière lettre mentionnait « toutes les valeurs sur lesquelles refonder notre future renaissance en rupture avec la métaphysique de l’illimité » : c’est un discours inspiré d’Heidegger, et le même qui sous-tend le paganisme nazi. Voilà où mène la peur des espaces infinis, comme dirait Pascal, et le désir morbide de limites. Désir de limites dans le désir affolé de maintenir ou retrouver « la tradition », qui n’est autre en vérité qu’un désir de mettre des limites à sa propre folie.

Il faut vraiment considérer ce que signifie ce geste, ce suicide (derrière l’autel paraît-il – à la place du prêtre, donc ?) à Notre-Dame. Cet homme n’aspirait pas à une résurrection, mais à une « renaissance ». C’est pourquoi il est allé se mettre dans le ventre de Notre-Dame. Mais la renaissance qu’il appelait, nous le voyons, c’était un raté, un avortement, un meurtre, un néant. Comme s’il avait mieux valu pour lui ne jamais naître (cf Matthieu 26, 25).

 

Quand les morts sortent de terre

 

« Tout n’était que mensonge, de la tête aux pieds », dit Benjamin Murmelstein à propos de la vie dans le camp de concentration de Theresienstadt, dans le dernier film de Claude Lanzmann, Le Dernier des injustes.

De la tête aux pieds, un corps « comme si », un corps sans corps, une âme sans âme, une intelligence sans intelligence. Le dernier texte de Dominique Venner, sur son blog, se terminait par une référence à Heidegger, justifiant à ses yeux le fait de se donner la mort. Tout n’est que mensonge aussi, autour de Heidegger, dans un certain milieu qui fait la loi de la pensée en France. Deux ans après que j’avais intenté un procès à l’heideggerien Haenel, publié par l’heideggerien Sollers, pour le pillage de Forêt profonde (dont toute la partie « bordel » est un décalage des camps nazis – sur lesquels j’ai travaillé dans un autre roman), Lanzmann accusait Haenel, publié par Sollers, de falsification de son œuvre pour son livre sur Ian Karski – renforcé par le jugement de la spécialiste de la Shoah Annette Wieviorka, qui parla de « détournement de témoignage ». Tout n’est que mensonge dans l’occultation de la sympathie d’Heidegger pour le nazisme, et surtout dans le déni du nihilisme de sa pensée, où l’homme n’est qu’un « être pour la mort ». Le mensonge appartient à la mort, et l’heideggerien Venner a révélé le pot-aux-roses en se révélant en effet « être pour la mort ».

Révélation qui faisait dire hier à Mgr Jacquin, recteur de Notre-Dame que « c’était une scène apocalyptique ». Or il y a du mensonge encore dans l’interprétation que cet homme voulait donner de son acte. Celui que le mariage gay scandalisait se revendiquait du suicidé Mishima comme de Montherlant, écrivains homosexuels. Celui qui dénonçait la perte des valeurs et le nihilisme de notre temps avait passé son temps à adorer les armes et la guerre – il suffit de jeter un œil sur sa bibliographie, les titres sont éloquents. La vérité c’est qu’il a fini par aller au bout de son adoration quasi-érotique des armes à feu en se fourrant un canon dans la bouche et en tirant. La vérité c’est qu’il est allé faire cela dans Notre-Dame, lui qui se revendiquait païen, quelques heures avant la veillée de prière annuelle pour la vie, où il s’agit de prier pour la protection de la vie depuis sa conception jusqu’à sa fin entière. Et que faisant cela, il s’est en quelque sorte avorté et euthanasié lui-même, à la fois fœtus et vieillard, dans le ventre de Notre-Dame. La vérité c’est qu’il a menti, et d’abord comme toujours à lui-même, en prétendant faire cela pour sauvegarder les valeurs de vie.

Hier soir le cardinal Vingt-Trois, lors de cette veillée de prière, a rappelé une très belle chose – je le cite de mémoire : « nous n’aimons pas la vie comme une espèce de divinité étrange, mais parce qu’aimer la vie est le signe de l’amour entre les êtres ». Oui, il ne s’agit pas de vénérer la vie pour la vie, dans son caractère biologique, mais de savoir que lorsqu’on aime, on respecte et on protège la vie. L’homme n’est pas un « être pour la mort », un être pour le mensonge. L’homme est un être pour la vie, la vérité, l’amour. Nul ne peut servir deux maîtres. Une pensée mène au gouffre, une autre au salut. Et il en est ainsi de tout ce qui découle de l’une et de l’autre, et se répand invisiblement dans les âmes. Il faut choisir son camp, l’enjeu est crucial.