Le prix du passage

Jardin des Plantes, photo Alina Reyes

 

Ceux qui s’offrent le luxe de l’infamie aveugle feraient mieux d’offrir à leur âme le luxe de la vérité. La voir et demander pardon, afin que de l’eau clarifiée puisse renaître la vie. Nous ne cèderons rien au prix de fermer les yeux sur le mal fait aux enfants.

*

Sabots fendus

Quand les hommes veulent être en s’imposant « Je suis partout », le Vivant n’est plus où ils existent sans être.

Le mystique et l’artiste cherchent Dieu à travers l’homme et le cosmos, métaphore de l’homme, dans le retrait d’eux-mêmes. Équivalence du paysage et du portrait ou de l’autoportrait, mise à distance de l’égo révélant la faille, le mystère, le chemin.

L’apparence est le voile, le manteau, dont la contemplation est déchirement. Par cette déchirure, se voit Dieu.

Le Vivant est où est le vrai lieu de l’homme : retirant son manteau ou se tenant dans une fente du rocher, comme Élie ; nu et devenant fente lui-même, comme le Christ en croix, inspirant et exhalant la Vie.

*

Montez en vous aux repaires splendides de la jeunesse

photo "Olivier-grand frère"

 

« J’ai l’impression que nous avons plus qu’il ne nous faut de cités, de villes et de villages, et en revanche une carence certaine en espaces réellement sauvages. Dans les quarante-huit États contigus du continent nord-américain, quels sont les lieux où on peut encore disparaître et se recueillir ? Ces sanctuaires paisibles, accessibles seulement au prix d’efforts physiques, ou même carrément interdits. Pour l’essentiel, les repaires splendides de la jeunesse.

Il nous reste tellement d’endroits où devenir vieux, franchement assez à mon avis, de lieux pavés, clôturés, raccordés.

Nous qui sommes déjà vieux ou en passe de le devenir en avons trop pris, nous avons dévoré plus que notre part. »

Rick Bass, Journal des cinq saisons

Bon jour de fête de fin de Ramadan aux musulmans ! Et bonne et joyeuse ascèse spirituelle à tous.

 

Vigilance des profondeurs

à la maison, photo Alina Reyes

 

« Les ours – noirs et grizzlys confondus – auront traversé toute la saison ensevelis sous des chapes de neige. Les ours noirs se recroquevillent dans un tronc d’arbre creux (une des dix mille raisons qui font qu’on ferait sans doute mieux de conserver quelques arbres morts dans nos forêts ; il n’est pas absolument indispensable de tous les expédier à la scierie à des fins nobles et utiles), ou bien se pelotonnent sous le surplomb d’un rocher, satisfaits, semble-t-il, à l’idée de laisser la neige recouvrir peu à peu leur corps immobile, comme si durant cette période, ils avaient résolu, au plus profond d’eux-mêmes, d’imiter la masse des montagnes endormies, les courbes de leurs silhouettes figées dans le sommeil semblables à celles des reliefs qu’ils ont provisoirement renoncé à arpenter.

Les grizzlys vont un cran plus loin dans cette métamorphose : en creusant la terre de leurs pattes puissantes et de leurs griffes acérées, ils retournent, selon certaines croyances, jusqu’au royaume des esprits, en un va-et-vient toujours répété entre le monde réel et celui des ombres. Il me vient cependant parfois à l’idée que nous avons tout compris de travers, et que c’est cette terre enfouie et minérale, régie par le temps du sommeil, qui est en fait la réalité durable, alors que l’agitation des couches supérieures n’est qu’une illusion éphémère peuplée de spectres.

(…)

C’est une des leçons fondamentales de la science que le même reproduit toujours le même, et un des enseignements de l’histoire est qu’elle est aussi toujours prête à se répéter ; seuls des efforts considérables et une vigilance de chaque instant permettent d’échapper à cette répétition. »

Rick Bass, Le journal des cinq saisons, éditions Christian Bourgois, 2011