Sixième jour de cours : une journée adorable

L'étoile du matin, vue ce matin du RER

L’étoile du matin, vue ce matin du RER

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Une journée au lycée tout entière adorable, avec un ou deux ou trois moments tout spécialement adorables. Celui où cette élève qui a tant de difficulté à écrire, celle qui redoutait le plus cet exercice « atelier d’écriture » au début, a bondi de joie en voyant le sujet du jour, s’y est jetée avec enthousiasme, puis a manifesté vivement sa hâte de lire la première le texte qu’elle avait écrit (alors qu’à la première séance elle m’avait suppliée de ne pas lire). Et puis cet autre élève en difficulté, qui fait toujours le réfractaire, qui après ses deux heures de cours de l’après-midi avec moi (où il clamait au début n’avoir absolument pas le temps de venir, sinon quand irait-il faire ses activités sportives ?), et qui vient me voir après le cours en prétendant qu’il ne savait pas s’il avait encore cours avec moi, s’il devait rester pour le prochain cours avec l’autre groupe – alors qu’il savait parfaitement qu’il venait de faire son atelier d’écriture avec son groupe, le premier, et qu’il avait donc fini sa journée, comme chaque semaine.

Le matin quand j’ai donné les questions du devoir en classe aux Première, nouvelle révolte des élèves, qui se sont récriés que ce n’était pas comme ça, qui se sont mis à m’instruire sur la façon dont je devais leur faire des contrôles, sur les normes que je devais respecter, et à répéter qu’ils ne comprenaient rien à ce que je demandais, etc. Complètement formatés tout au long de leur scolarité, ils se sentent comme devant un abîme dès qu’on les conduit sur d’autres modes de pensée. Bien entendu ils ont quand même fini par faire le travail, et près de deux heures après, quand ils m’ont rendu les copies, je leur ai expliqué pourquoi je les faisais travailler ainsi : imaginez, leur ai-je dit, un prof de sport qui vous ferait faire sans cesse le même et unique exercice, par exemple soulever cinquante kilos avec le bras droit, et rien d’autre. De quoi auriez-vous l’air, au bout de quelque temps ? Eh bien c’est pareil avec le cerveau. Les exercices qu’il faut savoir faire pour le bac nous nous y entraînerons, mais il faut d’abord assouplir l’intelligence. Bon, tout s’est bien fini, ils se sont inscrits pour préparer des exposés sans problème. Je les adore tous, et c’est comme si chacune de mes classes était, dans son ensemble, un Rimbaud, que j’anime. Faisant ces cours, je fais de la littérature vivante, extraordinairement vivante.

 

Un chantier, vu ce soir du RER

Un chantier, vu ce soir du RER

photos Alina Reyes

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Sur la vie des lycéens au lycée

Je dois rendre cette semaine un rapport à l’Espé, l’organisme de formation des profs, sur quelques lieux du lycée que j’ai observés. Autant le partager avec ceux que cela pourrait intéresser, le voici donc :

jardin des plantes

Semaine du 18 au 22 septembre 2017

à la Vie scolaire

Deux personnes travaillent dans ce bureau à la porte toujours ouverte, par où vont et viennent les lycéens. La plupart viennent faire signer leur carnet de correspondance pour des absences ou des retards. D’autres font tamponner leur dossier RATP pour le tarif réduit du Pass Navigo (beaucoup habitent loin et doivent prendre les tranports en commun). D’autres sont réorientés vers l’infirmerie. Une prof (moi) passe demander les manuels de ses classes, qu’elle n’avait pas encore pris. L’accueil est calme et respectueux.

 

à l’Infirmerie

Une lycéenne est à demi-allongée dans un fauteuil. L’infirmière, qui vient de lui donner un cachet, lui dit qu’elle peut appeler son parent elle-même si elle pense qu’il y a ainsi plus de chances pour qu’il prenne l’appel, afin qu’il vienne la chercher. Dans son bureau, l’infirmière me raconte le quotidien des élèves qui passent à l’infirmerie. Quand ils arrivent trop près de l’heure du prochain cours alors qu’ils auraient pu venir bien avant, étant libres pendant l’heure précédente, elle n’accepte pas de les garder – du moment qu’ils n’ont visiblement rien de sérieux. En ce moment des « mal au ventre », elle ne croit pas que ce soit déjà une épidémie de gastro, plutôt le résultat du stress de la rentrée dans ce grand lycée. Il est rare que le professeur doive lui envoyer un ou une lycéenne pendant le cours, en général on attend la fin de l’heure, mais si cela arrive l’élève qui va mal est accompagné par un autre élève « de confiance ». Je lui parle d’une de mes élèves qui est venue me voir après un cours en difficulté psychologique, si le problème persistait je pourrais l’accompagner jusqu’à l’infirmerie, ce que je m’apprêtais d’ailleurs à faire avant qu’elle n’y renonce – ne pas essayer de gérer moi-même un tel problème, ce n’est pas le rôle du professeur.

 

dans un cours de Première ST2S, l’une de mes classes en demi-groupe avec leur prof principal

Je découvre cette matière, Sciences et techniques de la santé et du social. Les tables sont disposées en U. Les élèves sont attentifs et de bonne volonté, la professeure, d’allure sportive, très calme et bienveillante. Elle appelle chaque élève par son prénom, ce que je ne suis pas encore capable de faire pour tous – et me dira ensuite qu’elle a un trombinoscope sur sa table, qu’elle révise discrètement pendant le cours (j’en aurai bientôt un aussi).

Elle commence par interroger les élèves sur le cours précédent. Leur distribue, sur une demi-feuille, une « proposition de correction » de leur dernier TD. Des élèves se relaient pour la lire à haute voix. Elle leur fait repérer les connecteurs logiques du texte en leur rappelant qu’on attend d’eux une réponse structurée.

Au bout de vingt minutes, on passe à un diaporama récapitulant des modes d’interventions de l’État dans le domaine de la santé publique ; la plupart des élèves le recopient d’eux-mêmes dans leur cahier, pendant qu’elle continue à les commenter et à les inciter à intervenir – ce qu’ils font. Dix minutes après, nouveau diaporama, en rapport avec un document qu’ont les élèves, et sur lequel la professeure les invite à surligner certains mots-clés (des verbes sur le rôle de l’OMS). Tandis que presque tous les élèves, là aussi, recopient le texte du diaporama, elle annonce que tel point sera détaillé dans un prochain cours. Puis elle élargit la question, toujours en interrogeant les élèves pour qu’ils trouvent eux-mêmes des exemples. Elle reprend calmement une élève qui fait des bulles avec son chewing-gum – toujours avec bienveillance : « (Prénom de l’élève), déjà le chewing gum je n’aime pas trop, mais les bulles, là, c’est pas possible ». Rien de plus, l’élève a compris.

Dix minutes avant la fin du cours elle demande s’il y a des questions. Certains élèves sont tentés de commencer à ranger discrètement leurs affaires, elle leur rappelle que ce n’est pas fini. Nouveau diaporama, la professeure le lit, les élèves notent. Elle les invite à aller en voir plus sur la question sur Internet. Encore un diaporama, la professeure, debout toujours, se déplace peu au cours de l’heure, seulement entre l’écran et sa table.

Une fois les élèves partis, je la complimente pour son calme et celui de sa classe. C’est plus facile en demi-groupe, me dit-elle. C’est ce que j’ai constaté aussi dans mes cours. Je lui raconte que la dernière fois où je les ai eus à 35 pendant deux heures, ils ont été très calmes pendant la première heure, puis très bavards pendant la deuxième heure. Elle me dit que les choses se passent aussi de cette façon avec elle. Cela ne semble pas la préoccuper énormément, s’est-elle fait une raison ou contrôle-t-elle mieux le problème que je ne le fais ? J’irai dans d’autres cours voir ce qu’il en est (mais les profs n’ont pas tous envie d’accueillir un stagiaire dans leur classe, ce que je comprends), et je continuerai à essayer de régler aussi ce problème de mon mieux, consciente que c’est un problème à peu près général en France, alors qu’il est quasiment inexistant, voire inconcevable, dans d’autres pays (je connais des exemples concrets, de proches scolarisés en Finlande et en Angleterre, deux pays qui ont pourtant des systèmes très différents l’un de l’autre, le premier presque communiste, l’autre ultralibéral). Il me semble que les élèves français ne sont pas assez responsabilisés, et qu’ils se livrent donc à l’irresponsabilité et à l’incivisme. Mes collègues profs me répètent que ce sont des « petits », et j’ai du mal à faire comprendre à ma tutrice que je ne veux pas les traiter en petits en leur mâchant le travail, leur donnant des consignes précises pour la tenue du classeur etc. J’essaie ma propre pédagogie, j’ai vu les élèves eux-mêmes y résister et protester avec force, puis finalement être ravis du résultat, qu’ils n’auraient pas imaginé. Je sais qu’il faut du temps et qu’on ne change pas le formatage des esprits si facilement, mais je continue à travailler à essayer de les libérer de ce paternalisme ou de ce maternalisme qui annule quasiment les apprentissages et entrave le développement psychique et intellectuel.

 

seinehier samedi à Paris, photos Alina Reyes

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Cinquième jour de cours : succès

Ce n’est pas facile, il faut se battre contre beaucoup de choses ancrées, travailler à les arracher, que le bateau prenne le large. Et puis quand le dernier cours de la journée commence par une révolte des élèves, que longuement et avec véhémence ils vous accusent de n’avoir pas le droit de leur demander de faire ce que vous leur demandez de faire, qu’ils clament que ce n’est pas comme ça qu’on doit les faire travailler, que de cette façon-là ils n’y arriveront jamais… que tranquillement, doucement, vous tenez bon, vous continuez à dire qu’il faut pourtant le faire… et que finalement ils s’y mettent, d’abord en râlant encore, puis sérieusement, absorbés par la tâche… et que lorsque la séance est finie, tous et chacun ont réussi, ont apprécié le travail de chacun des autres et de tous et vu leur propre travail pareillement apprécié… et qu’ils quittent le cours et le lycée détendus, heureux, non sans vous avoir dit que oui, c’était bien… Alors, qu’auriez-vous de mieux à faire que ce travail ?

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vu du lycee vu du rer

coucher de soleil du rer

coucher de soleil vu du rer

vu du lycée puis, ce soir, du RER, photos Alina Reyes

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Création en cours et philosophie communicante

hier sur le mur d'une crèche à Paris 5e, photo Alina Reyes

hier sur le mur d’une crèche à Paris 5e, photo Alina Reyes

 

Mon cours est une véritable création en cours, une pensée en action, en train de se déployer et destinée à continuer à se déployer en spirale et en fractales tout au long de l’année. J’y travaille avec un enthousiasme aussi grand que pour une création littéraire, que pour ma thèse par exemple. C’est ainsi que doit se concevoir un cours.

Voici un passage de la thèse d’Alexandre Georgandas intitulée Philosophie et communication (Université de Cergy-Pontoise, 2016) :

« Sur la question de l’actualité de la pratique philosophique et de la façon d’intervenir dans la caverne, il y a un élément intéressant au niveau méthodologique sur lequel je voudrais insister : il serait malvenu, quand on connaît l’histoire, de vouloir imposer à un système quelconque sa propre remise en question. De venir, à la manière de Socrate, perturber le confort de ceux qui séjournent dans la caverne. Il s’avère préférable de remettre en question un système qui se reconnaît déjà comme fragilisé. C’est-à-dire qu’il faut que la demande émane du système pour ne pas passer pour une simple provocation de la part du philosophe praticien, ce côté provocateur étant un des principaux travers reproché à Socrate de son vivant. Et aujourd’hui on peut dire que la situation s’y prête plutôt bien, puisque nous vivons dans une société où le système crie ou crisse, où la caverne tremble et se fissure par endroits. Le système reconnaissant ses failles, l’interrogation, la remise en question de ses propres présupposés, en suivant une méthode d’obédience ou d’origine socratique peut, dans ce cas, se révéler féconde.
Même si chacun de nous vit dans la caverne des présupposés qui lui ont été inculqués, cela n’empêche pas de pouvoir réfléchir. »

Je veux que mes élèves sachent ce qu’est réfléchir.

Voir aussi : ma traduction d’extraits de l’allégorie de la Caverne de Platon

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Lettre ouverte à ma « tutrice ». Enseigner en animateur ou en révélateur ?

Bonjour K.,

Maintenant que je suis à tête reposée, je voudrais te donner les réactions que je n’ai pu te donner hier après le cours, alors que, debout depuis cinq heures du matin, après deux heures de transport et trois heures de cours, j’étais déshydratée, l’estomac vide, et devant retourner en cours sans avoir pu manger.

D’une part, sur le fait que la classe s’est mise à bavarder alors qu’elle était très calme l’heure précédente, où j’étais seule avec les élèves, et sur les faits que je suis peu intervenue pour rétablir la situation et que je les ai laissés partir cinq minutes avant l’heure, il me paraît évident que tout cela est très lié à la présence d’une tierce composante dans la classe, la prof observatrice. Bien entendu tu n’y es pour rien, mais il est avéré que de grandes perturbations peuvent venir d’une petite perturbation. Mais au fond peu importe.

Ce qui m’importe davantage c’est de revenir sur les remarques pédagogiques que tu m’as faites. Tout en étant évidemment consciente depuis le début que je dois m’améliorer sur certains points, je n’enseigne pas de la façon dont j’enseigne par hasard. Je sais que ma façon de faire et de faire faire déroute les élèves, ils me l’ont dit dès le début mais j’ai tenu bon car c’est un choix délibéré de ma part de faire en sorte de développer leur autonomie, par exemple en ne leur donnant pas de consignes strictes sur la tenue du classeur. Je crois que l’école les infantilise beaucoup trop intellectuellement depuis la primaire. Ils sont habitués à cela malheureusement, mais je veux les inciter à sortir de là. Tant pis s’ils se trompent dans le rangement du classeur, ce n’est pas grave, et c’est ce que je leur ai dit hier en passant dans les rangs quand ils me montraient leur erreur. Je ne suis pas d’accord avec la pédagogie de l’Éducation Nationale ; je crois que s’il faut lutter contre les bavardages et se résigner à ce que les élèves oublient tout dès qu’ils ont quitté le lycée, c’est parce qu’ils sont dès l’enfance soumis à une mauvaise pédagogie, une pédagogie d’animateur des savoirs plus que de révélateur. Je constate que toutes les remarques que tu m’as faites portaient justement sur la forme, pas du tout sur le sens. Or c’est sur le sens que je travaille, et je sais que les élèves apprécient grandement cela (ils me le disent ou me le montrent), même si, formatés autrement pendant toute leur scolarité, il leur faut le temps pour s’adapter et avoir le courage de ne pas être des indigents, des assistés de la pensée.

Il y a de longues années que je songe à tout cela, je me suis prononcée il y a longtemps pour l’étude de la philosophie dès l’école primaire – et je ne suis pas la seule à penser et à constater que penser intéresse vivement les enfants, le philosophe Yves Michaud par exemple fait le même constat. À mon sens, le pédagogisme actuel est un pansement sur la jambe de bois dont on a handicapé les enfants… et nombre d’actuels ou futurs profs, comme je le constate aussi à l’Espé ou en passant les concours. Le sens profond de la littérature s’est complètement perdu, on n’a même plus idée de ce que cela peut être. Je ne suis pas en train de vanter l’école à l’ancienne, qui était aussi mauvaise – tout en ayant, comme l’école d’aujourd’hui, quelques bons côtés. Mais quelques bons côtés ne font pas une pensée de l’école, de l’enseignement. J’expérimente, comme d’autres le font ou l’ont fait, une autre méthode, une méthode personnelle en laquelle j’ai toute confiance. Il se peut que je sois mal notée pour cela mais peu m’importent les notes, l’essentiel est de faire quelque chose pour les élèves.

Merci de m’avoir lue jusque là, bon courage pour la suite, et n’hésite pas à faire part de mon hérésie assumée à ceux à qui tu dois rendre compte de ma façon de faire. Je vais d’ailleurs rendre cette lettre publique en la mettant sur mon blog (sans ton prénom bien sûr), afin qu’elle puisse servir à d’autres.

Bonne journée à toi, à bientôt

Aline

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Quatrième jour de cours : profonde satisfaction

ce matin en Y allant, photo Alina Reyes

ce matin en Y allant, photo Alina Reyes

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Quand je suis dans le train de retour, le soir, je ne peux pas lire, toute à ma rêverie, mon bonheur, ma joie. Ce que j’ai vécu avec mes élèves me transporte, je regarde défiler la banlieue avec amour, puisque c’est là qu’ils habitent. J’ai à améliorer quelques points techniques dans mes cours mais ce n’est rien, l’essentiel est là. Je sais que ma méthode est bonne, même avec ses défauts techniques (ne pas assez donner de consignes pour la tenue du classeur par exemple – mais justement je ne voulais en donner qu’un minimum, je veux développer leur autonomie, de même que pour la discipline – cela m’est reproché alors je vais composer avec ça, alors que je serais arrivée à un bon résultat en prenant juste un peu plus de temps – forcément, la liberté prend un peu plus de temps à s’apprendre que les règles). Je sais que la méthode de l’Éducation Nationale, malgré tous ses trucs pédagogiques, n’est pas bonne, parce qu’elle perd en route le vrai esprit de la littérature, l’esprit de la liberté, de l’intelligence autonome, de l’imagination (elle croit développer tout ça mais ce n’est qu’une caricature de tout cela qu’elle inculque). Les études le prouvent, les élèves ne lisent quasiment rien d’autre que les lectures obligatoires (qu’ils lisent à moitié), et une fois partis de l’école ne lisent plus, et même ne se souviennent plus de rien de ce qu’ils ont appris en cours de lettres. Je ne sais pas si les miens liront, mais ce que je sais c’est qu’ils n’oublieront pas ce que nous faisons ensemble et qu’ils n’ont jamais fait. Je sais que cela ouvre des portes dans leur tête, que cela leur donne accès à des choses, à une personne en eux qu’ils n’imaginaient pas. Et ce n’est qu’un début.

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Troisième journée de cours : quelque chose de spécial

Arc-en-ciel, vu du RER aujourd'hui au retour, photo Alina Reyes

Arc-en-ciel, vu du RER aujourd’hui au retour, photo Alina Reyes

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Mon ultrasensibilité voit s’ouvrir des choses spéciales et inouïes, une expérience à nulle autre pareille. Peut-être d’autant plus aujourd’hui où j’étais extrêmement fatiguée, après une nuit d’à peine quatre heures de sommeil, les deux heures de trajet aller habituels, plus l’heure et demie passée dans un bureau à régler des trucs administratifs (changement de sécu etc., tout ce dont j’ai horreur) ; à quoi se sont ajoutées deux heures de réunion pédagogique avec.un inspecteur, le proviseur et tous les profs de lettres du lycée. Puis bien sûr les deux heures de trajet retour. Mais ça valait la peine, car il y a eu aussi LES COURS.

Il ne me restait plus assez d’énergie pour faire régner le calme dans la classe, mais en dépit des bavardages nous avons bien travaillé, quoique trop lentement à mon goût. D’abord je les ai intéressés à une citation de Jean Guéhenno : « Les vrais livres sont rares », qu’ils ont bien su commenter. Puis, du texte de Stendhal que j’avais choisi de leur faire étudier, j’ai réussi à leur faire toucher du doigt, après quelques opérations de repérages précis dans les phrases, les deux niveaux d’écriture cachés. Comment, après une série de verbes évoquant la vision ordinaire, au sens premier du terme (voir, apercevoir, etc.), il employait « se figurer » et « réfléchir », le sens concret de la narration conduisant à et étayant un autre niveau de sens. De même je leur ai fait repérer l’emploi, apparemment anodin et inutile à l’action, des mots « porte-fenêtre », « porte », « porte d’entrée », en quelques lignes de la narration, suivies ou entrecroisées de lignes indiquant le passage des deux personnages d’un état d’esprit à un autre – avec au milieu la mention, réitérée, de l’oubli. Il faudra que j’y revienne la prochaine fois, pour qu’ils n’oublient pas et prennent goût à repérer, comme dans une enquête policière leur ai-je dit, de telles profondeurs dans les textes des « vrais livres ». Et ce travail, cet enseignement, ne se limite pas aux textes : il se passe aussi dans les têtes, dans les corps, dans les rapports humains ; de façon souvent aussi discrète que le battement d’ailes d’un papillon, mais je le sens, et c’est très, très bon.

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