Union, joie

On ne désunit pas une famille de bohémiens, pensais-je ce matin en écoutant la famille Reyes, alias les Gipsy Kings, chanter Hotel California, dans leur fantastique version que nous avons écoutée des dizaines et des dizaines de fois, le son à fond, en famille dans notre grange, les portes ouvertes, dehors et dedans, la joie au cœur, songeant aussi à la marque d’incompréhension totale, voire de volonté plus ou moins consciente de détruire une identité, que constitue l’offre faite à Leonarda de se séparer de sa famille.

Je lis sur google books les larges extraits de Gadje-Romale, un patchwork tsigane, par Olivier Fouchier, un travailleur social, également homme de théâtre, qui témoigne et réfléchit. (Son livre, papier ou numérique, est aussi disponible à l’achat sur publibook).

Après O et S qui avaient lu Francis K et l’avaient beaucoup aimé, J se lève ce matin, brandissant le manuscrit qu’il vient de finir : « Vraiment génial ! » Je venais de lui envoyer par mail le lien pour la cantate de Bach, arrangée par Busoni, jouée par Sokolov, Ich ruf zu dir.

Présence

Leonarda a été arrêtée par la police au premier endroit où le bus a pu se garer : sur le parking du collège Lucie Aubrac.

Le petit ami de Leonarda s’appelle Théo (Dieu, en grec). Il l’appelle B.B.

Qu’est-ce qui provoque une crise politique majeure ? Une petite Rom sans papiers, mais avec tant de présence.

*

Des Tziganes parlant une langue d’Europe Centrale distribuent aux voyageurs disséminés dans le wagon des papiers jaunes imprimés pour expliquer qu’ils sont sans abri, sans travail, qu’ils ont des enfants, et donc demandent un ou deux euros ou tickets restaurant. Quand la récolte est faite ils se retrouvent joyeusement, deux hommes et une femme à tignasse noir corbeau, l’œil vif. Leur visage marqué s’illumine de tendresse et d’émerveillement quand ils se penchent tous trois, comme sur la crèche, vers l’enfant aux cheveux d’or qui les accompagne.

Un jour ou l’autre la police les embarquera, les renverra chez eux où ils seront maltraités, persécutés peut-être, et d’où ils fuiront de nouveau pour revenir ici. Peut-être aussi feront-ils l’épreuve de l’un de ces centres de rétention où les pays riches parquent les étrangers en situation irrégulière. Peut-être sont-ils parents de cette poétesse qui chanta la liberté et les bonheurs de son peuple dans la forêt, peut-être sont-ils, malgré la pauvreté, malgré la précarité, plus heureux que beaucoup des habitants de ces maisons qui se distinguent dans l’ombre – ici ou là le long des voies ferrées une fenêtre allumée, un jardinet qu’on devine…

(extrait de Souviens-toi de vivre)

L’odeur

Un sondage qui vient à point pour conforter les égoïsmes et M. Valls, revenu en urgence des Antilles sans être allé voir comme prévu les gens de Saint Martin, qui se sentent abandonnés depuis longtemps et espéraient tant en sa visite. 65 % des Français sont donc paraît-il contre le retour de Leonarda. À voir les commentaires haineux suscités par cette affaire sur les sites internet de tous les journaux, et à tous les niveaux de la société, ce pourcentage est malheureusement crédible. Tous les sites des magazines aussi en parlent – sauf, d’après ce que j’ai pu voir, ceux des magazines chrétiens (on trouve quand même le titre critique « Roms, la surenchère » daté du 2 octobre dans Témoignage chrétien) et les sites d’information musulmans – Leonarda est pourtant musulmane, si j’ai bien compris. Mais une musulmane gitane, c’est comme une chrétienne gitane, comme n’importe quelle gitane, ça déborde bien trop des cases pour qu’on estime qu’elle ait sa place, transfrontière.

Heureusement il y a les jeunes. Avec leur cœur vivant. Notre société est si vieille. Si rassise. Les jeunes ont la réaction saine, ils ne veulent pas qu’on emporte de force certains de leurs camarades pour des raisons de politique qui leur rappellent bien trop ces plaques scellées sur les collèges et lycées, avec les noms des petits juifs enlevés pour les camps. Certes Leonarda, Khatchik et les autres ne sont pas envoyés à la mort. Mais cette ambiance pue la mort. Les vivants la sentent, cette odeur que le vent ne cesse de porter. Les rassis ont le nez aussi bouché que les oreilles et les yeux. S’ils ouvrent la bouche, c’est pour dire de la merde. Ou bien ils la ferment. Et la mauvaise odeur continue à avancer. Il n’y a pas que la pollution de l’air qui soit cancérigène. La pollution de l’esprit mène à la mort encore plus terriblement.

Resat reset

« Si je ne peux pas revenir légalement, je passerai par les forêts », dit Resat Dibrani, le père de Leonarda (Nvl Obs). Pourquoi ? Parce qu’ils sont déjà allés en Espagne, en Belgique, en Hongrie, en Allemagne, en Italie aussi bien sûr, mais c’est la France que ses enfants préfèrent. Et les enfants sont rois chez les Tziganes, je me souviens bien de ce qu’ils m’avaient dit et de ce que j’avais vu, quand j’étais allée les voir, dans deux camps à Bordeaux, il y a longtemps. Certes il y a les abus dus à la misère, mais l’esprit, en vérité, c’est la royauté des enfants. Alors je le crois bien, Resat. Que les forêts vous soient bonnes, petite famille, si vous deviez en passer par là.

La prise d’otages dans une banque, juste à côté de chez moi, vient de se terminer, l’homme s’est rendu. Il demandait un logement pour son fils et lui. Messieurs les politiques, voyez ce qu’il y a souvent, voyez où est votre responsabilité, derrière certains actes désespérés. On peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant « la sécurité, la sécurité, la sécurité ! », mais ça n’aboutit à rien et ça ne signifie rien. Il faut prendre les choses comme elles sont.