Les mille et une pièces du palais intérieur

un sac du Vieux Campeur découpé en lanières et crocheté aujourd’hui

Aujourd’hui j’ai dépassé, pour la première fois depuis que j’ai une montre cardio, donc depuis Noël, les 170 battements de cœur par minute, pendant ma séance de fractionné. Sans du tout sentir que j’étais à fond. Je ne vais pas à fond tant que je n’ai pas fait le test d’effort chez le cardiologue, je ne veux pas prendre de risque alors que je me mets à courir tard dans ma vie. J’ai mieux réalisé ma séance que la dernière fois, mais je dois la réajuster, trois minutes de pause entre les deux séries, c’est trop. Non que je ne sois pas fatiguée après la première série, mais cela me coupe trop dans mon effort, et ensuite je cours moins bien la deuxième série, par fatigue mais aussi par un peu de démotivation après une interruption trop longue. Ou bien c’est que mes muscles étaient un peu pesants, après la séance de musculation d’hier. Et puis c’est ma quatrième semaine, je dois réduire légèrement l’entraînement avant et afin de mieux le reprendre. C’est à force de m’informer sur la course à pied et aussi d’écouter mon corps que je peux établir au mieux, par moi-même, mon entraînement. C’est extrêmement intéressant.

Ce qui me plairait beaucoup, ce serait de faire du trail. J’en ferai un de ces jours, inch’Allah. D’abord, continuer à apprendre à courir. Chaque fois qu’on se lance dans quelque chose d’autre, c’est comme si on agrandissait sa maison. Notre maison intérieure pousse et se ramifie comme un fantastique être vivant, on peut finir par habiter un extraordinaire palais, dont on n’est jamais obligé d’arrêter la croissance. Certains se consacrent à une seule chose et construisent et agrandissent ainsi leur maison, d’autres, dont je suis, empruntent de multiples voies. Des voies qui peuvent être aussi petites que par exemple se mettre à découper des sacs plastique en lanières pour les crocheter, comme je l’ai fait aujourd’hui, entre autres – sans bien savoir ce que j’en ferai, mais justement c’est intéressant d’avoir à le trouver, et je le trouverai.

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Courir : le troisième pied

Aujourd’hui lors de ma sortie longue d’une heure, j’ai couru 7,5 km environ, malgré deux premiers kilomètres ralentis par des problèmes de musique sur mon téléphone, que j’essayais de régler tout en courant, et aussi malgré le vent, et le monde partout sur mon chemin. De retour, je me sens très très bien, et d’autant mieux que ma montre m’annonce mon meilleur « running index » jusqu’ici : 40, ce qui serait déjà « très bon » pour une femme de quarante ans, et estime que dans les conditions d’une course, je pourrais courir le 10 km en 1h07. Voilà qui m’encourage à continuer à m’entraîner pour la course que je veux faire en juin, il se pourrait même que je n’arrive pas parmi les tout derniers, en tout cas je devrais m’en tirer très honorablement par rapport à ma catégorie.

C’était mon troisième entraînement de course de la semaine, après le fractionné lundi et le tempo mercredi. Entretemps j’ai fait d’autres activités, vélo, marche, yoga, et hier je suis allée à la salle faire du rameur, de la corde à sauter, du renforcement musculaire – chaise, kettlebells squats, gainage – et du yoga. Je n’en fais pas trop, je veille à la progressivité, et comme la semaine prochaine sera ma quatrième semaine d’entraînement ce sera une semaine plus reposante, comme recommandé. J’écoute tous les conseils que je trouve et je les adapte, ou non, à ma propre façon d’être et de courir, qui repose sur une conception que j’avais décrite dans l’une de mes toutes premières nouvelles d’apprentie écrivaine, il y a une quarantaine d’années, avec un personnage qui courait un pied chaussé, l’autre nu. Comme court ma tête (ma pensée), courent mes pieds : en s’appuyant sur ma culture (les conseils des coachs) et sur ma nature. La nature, nous l’oublions trop souvent, vient avant la culture, qui n’est qu’une partie de la nature naturante, et qui est puissante, mais moins que la nature. Mes deux pieds sont bien chaussés dans mes Puma, qui protègent mes articulations des sols urbains (pour lesquels on ferre bien les chevaux), mais je cours aussi avec mon troisième pied, aussi invisible que le troisième œil mais aussi puissant, à condition de l’avoir en éveil. Et je peux dire qu’après l’amour physique et l’écriture, la course est mon troisième pied, que je prends avec joie.

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Journal du jour et de la nuit

Cette nuit avant de m’endormir comme un bébé après une séance de yoga et pranayama (respiration yogique), j’ai vu dans un demi-sommeil un temple grec dont les colonnes étaient des brides (mailles au crochet). J’adore être au lit, quand je ne dors pas mes pensées sont si belles, et quand je dors mes rêves sont si beaux.

Hier je suis allée au Kilo Shop de la rue de la Verrerie, où il y a un rayon sport, chercher un coupe-vent de running, et j’en ai trouvé un que j’ai mis aujourd’hui, il est parfait. Un Adidas de 90 grammes, taille XS, de la même couleur orangé vif que mes chaussures Puma, à l’état neuf, et payé au poids, donc, 4 euros. Depuis le temps que je cherchais dans les magasins de sport et en ligne une veste imperméable que je puisse mettre maintenant qu’il ne fait plus froid ! je n’en trouvais pas à moins de plusieurs dizaines d’euros, un prix que je refuse de mettre. Sur ma lancée, toujours à vélo, je suis allée dans un Sostrene Grene chercher une pelote de coton, j’en ai trouvé une d’un beau rouge, que j’intègre à mon pull en cours de confection. Jusque là je le crochetais avec trois couleurs, la quatrième mousquetaire est très bienvenue. Je compose le pull à mesure, comme un tableau et aussi comme un jeu de Lego, le crochet permet ce genre de construction improvisée et mobile. J’ai longé la Seine et je l’ai traversée, c’était charmant de rouler par ce temps gris, comme aujourd’hui de courir dans le vent.

Aujourd’hui c’était mon entraînement « tempo run » : 15 mn de jogging d’échauffement, 15 mn à rythme plus soutenu (proche de celui que j’aimerais arriver à tenir sur 10 km), dix minutes de jogging calme au retour. La semaine dernière, pour ma première séance selon ce modèle, je suis partie trop vite dans le tempo run, à la fin j’étais obligée de ralentir beaucoup. Cette semaine, je suis donc partie plus lentement, et j’ai tâché de garder ce rythme jusqu’à la fin, ce que j’ai fait sans peine – sans assez de peine, il me semble. Il me faudra donc la prochaine fois chercher encore la bonne allure, ni trop ni pas assez rapide. Ma montre estime quand même que j’ai progressé, tout n’est donc pas perdu ! D’après tous les conseils que j’écoute et lis en ligne, je me suis fait un programme, pour ce mois-ci, de trois sorties par semaine : une de fractionné, une de tempo, une autre longue. Je compte faire évoluer l’entraînement progressivement, sans changer la formule d’une séance avant d’arriver à la faire au mieux. J’ai bien fait de choisir une première course en juin prochain et pas avant : je dois m’entraîner sérieusement si je ne veux pas arriver dix minutes après les derniers. Sans doute serais-je incapable aujourd’hui de remonter en une dizaine de minutes quelque 200 mètres de dénivelé dans la neige, comme je le faisais il y a quinze ans quand je passais l’hiver seule en montagne, bien au-dessus du village d’où je remontais avec mes courses dans le dos. C’était de la marche, mais quasiment de la course, les godillots s’enfonçant dans la neige ou essayant de s’accrocher sur la glace ! J’arrivais chez moi euphorique. Les cancers (physiques et sociaux) m’ont affaiblie, mais enfin je suis quand même plutôt en grande forme et j’ai un énorme désir de jouir encore dans mon corps, que ce soit en courant, en faisant du vélo, en randonnant ou en toute autre activité physique vive et heureuse. Heureusement O est très sportif, nous pouvons et pourrons faire pas mal de choses ensemble, et nous avons de beaux et bons projets en ce sens.

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Flow, course, crochet, musique

J’ai choisi la première course à laquelle je veux participer : les dix kilomètres de la course du château de Vincennes, en juin prochain. D’y penser, je suis en joie et je me sens des ailes. Elle est très belle, je crois, et le 10 km est une bonne distance pour les débutant·es.

J’ai associé la musique à la course dans l’état de flow, qui est musical, en vérité, même si on n’écoute pas de musique en courant. Tout le corps est rythme dans la course, et il peut entrer dans la grâce d’un rythme qui devient flux. « Panta rei », « tout flue », selon la parole d’Héraclite qui fait depuis longtemps la devise de ce site.

pièces d’un pull que j’invente à mesure que je le fais ; pour l’instant, il ne paie pas trop de mine, mais il devrait être bien singulier et intéressant, au final

Et involontairement, j’ai associé aussi la musique à la pratique du crochet, en m’apercevant que je comptais mes brides en les appelant dans ma tête des doubles-croches. Les mailles s’enchaînent comme les pas de course, et mon cœur chante.

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Haruki Murakami, coureur de fond. Et ma deuxième sortie « longue » avec Estas Tonne

cet après-midi pendant mon running

« J’inspirais. Je soufflais. Je n’entendais aucun dérèglement dans le bruit de ma respiration. L’air me pénétrait très calmement puis était expulsé. Mon cœur silencieux se dilatait puis se contractait, encore et encore, à un rythme bien établi. Mes poumons, tels des soufflets de forge, apportaient loyalement de l’oxygène neuf à mon corps. Je pouvais sentir travailler tous ces organes, je pouvais percevoir le moindre son qu’ils émettaient. Tout fonctionnait à la perfection. Les gens, sur le bord du chemin, nous criaient : « Courage, vous y êtes presque ! » Comme l’air limpide, leurs voix me traversaient. J’avais la sensation qu’elles passaient à travers moi jusque de l’autre côté.

J’étais moi, et puis je n’étais pas moi. Voilà ce que je ressentais. C’était un sentiment très paisible, très serein. La conscience n’était pas quelque chose de tellement important. Oui, voilà ce que je pensais. Bien entendu, comme je suis romancier, je sais bien que la conscience est tout à fait nécessaire pour que je puisse accomplir mon travail. Sans conscience, comment écrire une histoire dotée d’un caractère propre ? Et pourtant je ne le ressentais pas ainsi. La conscience n’était pas pas quelque chose de particulièrement important.

Néanmoins, lorsque j’ai franchi la ligne d’arrivée à Tokorocho, j’étais extrêmement heureux. Bien entendu, chaque fois que je termine une course, j’éprouve de la joie, mais cette fois, c’était vraiment autre chose, bien plus fort. J’ai levé en l’air mon poing droit. Il était alors 16 heures 42. Depuis le départ, je courais donc depuis onze heures et quarante-deux minutes. »

Haruki Murakami, racontant une course de cent kilomètres dans son très beau Autoportrait de l’auteur en coureur de fond (trad. Hélène Morita)

En rentrant cet après-midi de ma deuxième sortie longue, j’ai eu le désir de rouvrir ce livre. Haruki Murakami court depuis ses trente-deux ans. Il en a aujourd’hui 73, j’ignore s’il court encore, mais je sais qu’il a déclaré à un journal qu’il aimait beaucoup marcher. Peut-être est-il passé de la course à la marche. Moi qui ai toujours aimé marcher je suis en train de passer à la course. Collégienne ou lycéenne, j’étais première ou dans les premières au 400 mètres, puis j’ai arrêté de courir, notamment parce que cela me faisait mal à la tête, à cause de la pilule je crois. En me remettant à courir si tard, je n’ai aucune chance de parvenir à courir comme si j’avais continué à courir jeune, mais j’ai quand même toutes les chances de progresser, et tout le bonheur de progresser en effet. Cette fois j’ai couru une heure, et j’aurais pu courir encore un bon moment, mais je suis les conseils et j’y vais progressivement, afin de ne pas maltraiter mon corps. Je n’ai eu mal nulle part, c’était magnifiquement agréable, à ce petit rythme d’endurance fondamentale qui m’a fait courir sur 7 km, la plus longue distance que j’aie parcourue en courant constamment, sauf les quelques pauses aux feux rouges et pour prendre rapidement quelques photos en chemin, ou deux ou trois gorgées d’eau. Dans mon casque à conduction osseuse, qui laisse libres les tympans et n’empêche donc pas d’entendre les bruits environnants, j’écoutais la musique méditative d’Estas Tonne, qui m’aidait à garder un rythme lent, facile à tenir longtemps. J’ai longé la Seine rive gauche, je suis passée rive droite et j’ai couru aussi sur les bords du port de l’Arsenal, j’ai repris le pont et j’ai traversé le jardin des Plantes. La lumière était changeante, avec des éclats somptueux par moments. Quand on court, on lévite. Pour ainsi dire, je marchais sur les eaux.

Au repos mais encore éveillée, ma fréquence cardiaque est descendue ces derniers jours jusqu’à 50 battements par minute.

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