Ils étaient dix, et Jacob Blake, et yoga

Work in progress, détail

Work in progress, détail

Ils étaient dix. Ce sera désormais le titre du roman d’Agatha Christie Dix petits nègres. Que diraient ceux qui s’en émeuvent si le roman s’était intitulé par exemple Dix petits youpins et qu’on décidait en conséquence d’en changer le titre ? Le fait est que le terme nègre est devenu aussi insultant que d’autres appellations stigmatisantes de telle ou telle catégorie des populations ; le fait est également que nous sommes devenus plus sensibles à la stigmatisation raciale ou de genre, et qu’en conséquence nous évitons de la reproduire. Je n’y vois que du bon. Et j’aimerais mieux voir ceux qui s’indignent contre ce changement de titre s’indigner contre le énième assassinat d’un Noir par la police : Jacob Blake, 29 ans, innocent, très grièvement blessé et paralysé après s’être fait tirer dans le dos à bout portant, sept fois, alors qu’il regagnait tranquillement sa voiture où l’attendaient ses enfants. J’ai vu sur les réseaux sociaux des vidéos où la police américaine était confrontée à des Blancs violents et très menaçants et faisait tout pour apaiser la situation. Ceux qui voient dans certains humains des « petits nègres » ne voient pas leur humanité et les tuent sans état d’âme. Les mots agissent sur l’état des âmes, en bien ou en mal.

Publier en cette rentrée littéraire un livre intitulé Yoga pour raconter la dépression et la folie alors que le yoga est défini comme « l’arrêt des perturbations mentales » (Patanjali), c’est piétiner une pensée comme dire nègre est piétiner une humanité. Or les attaques contre la pensée sont aussi des attaques contre l’humanité – ce que les évangiles appellent « péché contre l’esprit », le seul, dit Jésus, qui soit impardonnable. Et il y a aussi un racisme, caché, dans le fait de piétiner cette pensée indienne que le vieux mâle blanc s’imagine maîtriser comme il s’imagine maîtriser le monde – alors qu’il s’avère en fait n’y avoir rien compris ni rien appris.