« Ajax, bondissant, perce le bouclier ; traversant
Droit, la pique s’enfonce, repousse Hector en plein élan »
Homère, Iliade, VII, 260-261
Premier bonheur au lever : relire les quelques dizaines de vers traduits la veille. La communion avec un aussi immense poète ne donne que du bonheur. Que du meilleur. Je continue à penser à la Divine comédie, en fait je crois que je vais bel et bien la traduire, malgré les hésitations dont je faisais part la dernière fois. Peu importe si ma théologie n’est pas, loin s’en faut, celle de Dante. D’ailleurs il se peut qu’en la traduisant je la découvre autre que ce dont elle a l’air. Et puis l’essentiel c’est le poème. En écoutant hier un bon documentaire d’Arte sur cette œuvre, j’ai entendu cette phrase qui m’a convaincue de réaliser cette traduction : « l’avantage que les Italiens ont sur nous, c’est que ce texte, c’est eux ». Eh bien moi qui ai un grand-père italien, j’ai envie que ce texte, ce soit moi, aussi. Et pour cela, de le transposer dans ma propre langue, en beauté. Puis ensuite j’écrirai ma propre Divine comédie, au moins aussi belle que celle de Dante, oui, je le peux. Je suis devant toute cette perspective – mes traductions de l’Odyssée, de l’Iliade, de l’Énéide, de la Divine comédie, puis mon écriture de ma propre œuvre nourrie de tous ces prédécesseurs et de mon travail avec eux, comme lorsque, arrivé très haut dans la montagne, on se retourne pour contempler le splendide paysage, à 360 degrés et à des dizaines ou des centaines de kilomètres à la ronde, dans l’air pur et vivifiant, le corps chaud de toute la marche accomplie, bienheureux de ce qui est fait et de ce qui reste à faire, l’esprit tout de lumière, de joie, de liberté.
Quelle belle invention que la roue, décidément ! Faire du vélo est toujours euphorisant, et quand il fait trente degrés comme en ce moment, cela me convient mieux que de courir. Je peux tout faire, et je fais tout ce que je peux faire. Une autre personne dans le documentaire sur Dante, un étudiant, disait qu’il cherchait dans ce poème une expérience de la beauté qu’il ne trouvait pas à faire dans la littérature d’aujourd’hui. Belle remarque profonde. Nous vivons dans un univers de communication, où l’essentiel n’est ni le faire, donc la poésie, puisque c’est le sens premier du verbe poiein, ni la beauté, donc la grâce, mais la communication et l’utilitaire – deux domaines qui sont aussi ceux des faussaires, de la facture faussée, de l’assombrissement des esprits. La bassesse du faux est ce qui nous tue, la grandeur et la beauté du vrai ce qui nous donne vie.
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