L’instrumentalisation d’Israël et de la Palestine dans la politique mondiale

Halloween à Paris, photo Alina Reyes

 

Pendant trois ans Benyamin Netanyahou a soutenu Mitt Romney, espérant se débarrasser de Barack Obama, dit-on en Israël. Au cours des dernières heures M. Netanyahou a continué à faire des annonces morbides : relance de la colonisation, menace d’attaque contre l’Iran.

Barack Obama a été réélu. M. Netanyahou a peut-être développé un sentiment de surpuissance et d’impunité, du fait du soutien des Etats-Unis et de l’Europe à Israël. Mais Israël en lui-même ne peut rien, rien de plus que ce que peut n’importe quel petit peuple. C’est-à-dire beaucoup, à condition d’être dans son droit. Ce qui se dit aussi, en langage théologique, d’avoir Dieu avec soi. Ceci est d’ailleurs inscrit à même le nom d’Israël, nom donné au patriarche Jacob au terme de son combat nocturne avec l’ange. Le nom Israël dit la force de Dieu, et la force de celui qui combat en cherchant Son visage, en cherchant la justice et la vérité. Sans cela, Israël, comme tout peuple, comme tout homme, finit vaincu par son propre égarement.

Dans certains milieux on s’en prend violemment au lobby juif, qui par sa puissance sociale et financière influe sur les gouvernements américains et européens en faveur d’Israël et au détriment des droits des Palestiniens. Ce lobby existe et agit, c’est certain. Mais pourquoi l’Amérique et l’Europe lui obéiraient-elles ? Sans doute il dispose d’une puissance certaine. Mais au point de faire plier des superpuissances ? C’est l’idée que ressassent inlassablement ses adversaires, et que ses alliés, avec beaucoup de duplicité, laissent s’exaspérer parmi les peuples.

En vérité les États-Unis et l’Europe collaborent avec les lobbys juifs non parce qu’ils sont à leur botte ou sous leur influence, mais parce que cela les arrange. Les grandes puissances coloniales et, ou, impérialistes, de ces derniers siècles, sont en train de perdre énormément de terrain dans le monde. L’Amérique latine, l’Afrique, le Moyen-Orient progressent dans l’émancipation. La Russie, la Chine, regagnent en vigueur dans leurs positionnements géostratégiques. Le monde est en train de se recomposer, et ceux qui ont le plus à y perdre sont ceux qui trouvaient le plus à gagner dans l’ordre ancien. Israël se retrouve en position de pion capital pour les superpuissances en grave perte de puissance. Dernier comptoir colonial, plus sûr que tout autre parce que plus menacé d’écroulement sans ses puissants appuis, dûment muni de l’arme nucléaire,  Israël est le pied que l’Occident garde sur un monde qui lui échappe chaque jour un peu plus. Tandis que la Palestine crucifiée peut servir de justification aux aspirations totalitaires ou belliqueuses d’autres puissances montantes.

C’est l’intérêt de ceux qui manœuvrent ainsi d’essayer de dissimuler ou de faire oublier leurs manœuvres. C’est pourquoi ils se livrent à une propagande sournoise et continue afin que les esprits et les peuples se radicalisent soit contre les juifs, soit contre l’islam. Il faut enraciner l’impression que la responsabilité de tous les troubles revient soit aux juifs, soit aux musulmans, selon l’idéologie dans laquelle on se place. Lorsque des hommes au pouvoir, comme chez nous, redoublent ostensiblement de complicité avec les juifs et de défiance envers les musulmans, ce sont en fait à la fois les juifs et les musulmans qu’ils prennent en otage de leur volonté de puissance. Une telle politique ne peut que dresser les uns contre les autres, et continuer à égarer le peuple. La démocratie se délite, n’est plus en mesure de contrôler le désir des hommes au pouvoir d’avoir toujours plus de pouvoir. Tel est leur moteur, de même que celui de l’artiste est d’avoir toujours plus d’art. Chaque fois qu’une société devient incapable de maîtriser ce moteur, qui s’emballe d’autant plus en temps de transformation et de panique, le pire est à craindre, le pire peut arriver.

À son insu peut-être, Israël est poussé à bout et instrumentalisé comme d’autres peuples, comme chacun de nous l’est ou est en danger de l’être par le climat de mensonge général, qui brouille la vérité et éloigne toujours plus la possibilité de poser un juste regard sur ce qui se passe réellement. Or l’intérêt de chaque homme et de chaque peuple sur cette terre, du plus petit au plus grand, est au contraire de débrouiller la vérité, de négocier et de s’entendre en son nom, elle sans qui ne peuvent advenir ni justice ni paix ni prospérité. Pauvres ou riches, nous ne voulons pas aller à la mort. Et si certains le veulent, nous voulons les empêcher de nous imposer leur volonté morbide. Espérons en un sursaut de lucidité et d’honnêteté des gouvernants, et surtout commençons par renoncer nous-mêmes à ce qui dans nos combats n’est pas orienté dans le vrai juste sens, renonçons à suivre les mots d’ordre dévoyés, d’où qu’ils viennent, et travaillons à augmenter en nous et en autrui, de proche en proche, le courage de vivre et d’aimer la vie, de la défendre pour soi et pour les autres, pour la communauté humaine.

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Sourate 20, TaHa, « Au puits de ma béatitude » (1)

au Jardin des Plantes, photo Alina Reyes

 

Nous continuons à tourner autour du Coran et à l’intérieur du Coran à partir de ce centre qu’est la sourate Al-Kahf – tout en nous rappelant avoir dit que le centre du Coran est partout dans le texte, où sans cesse sont repris et déclinés les mêmes thèmes, lesquels peuvent se résumer en un thème unique, le thème eschatologique de la source et de la fin dernière, du but de l’homme, de son passage ici-bas.

Commençons cette fois par resituer la descente du Coran dans son contexte anthropologique, en citant ce passage du livre de Jacqueline Chabbi, Le Seigneur des tribus, à propos du ‘ilm, le « savoir tribal » :

« Étymologiquement, le ‘ilm tribal est centré autour de la recherche des marques et des traces. Alam, de même racine (‘LM), désigne d’ailleurs ce « signe de piste ». Le savoir tribal est avant tout une science du déplacement. La connaissance, très prisée dans ces milieux, des généalogies et des alliances est aussi de cet ordre. Elle porte sur les relations et sur les réseaux. Comme la science de la piste, elle mobilise la mémoire et prépare à l’action. Il en va de même de ce que l’on pourrait appeler le « pistage du destin », c’est-à-dire du ghayb. »

Nous sommes ici dans le même type de savoir que celui des premiers Hébreux, nomades, ou des Aborigènes d’Australie, nomades aussi, dont Bruce Chatwin a décrit dans Le Chant des pistes la pensée complexe, si étrangère à la pensée des sédentaires. Un système de pensée où l’essence du monde est en quelque sorte semblable aux circonvolutions du cerveau, et qui atteint son but dans le monothéisme juif des origines, lui-même transcendé dans le monothéisme coranique, comme nous allons continuer d’essayer de le montrer, ou de le faire apercevoir.

Citons encore, en guise de mise en route, ce splendide passage d’une traduction par Jacqueline Chabbi, du « récit authentique, Khabar, mis sous le nom de Wahb (Ta’rîkh, I, 130-131) » :

« J’ai placé le premier bayt qui ait été édifié pour les hommes au creux du val de la Mekke, lieu béni (…) ils y viendront, des pieds à la tête couverts de la poudre des pistes, montés sur des chamelles efflanquées (tant ils seront venus de loin), par les gorges les plus profondes ; tout tressaillants de dire sans relâche : me voici venu ! me voici venu !, laissant sans discontinuer couler leurs larmes et rouler dans les gorges comme d’un grondement ininterrompu, le nom de Ma Grandeur. »

En notant que le mot Khabar, qui désigne les « récits authentiques » autour du Coran, est apparenté au nom qui désigne une « dépression toujours humide qui permet la pousse et la survie permanente des jujubiers » – arbres que l’on retrouve au paradis, et dépression qui rappelle celle où est bâtie la Kaaba, autour de laquelle les pèlerins tournent, comme nous autour de La Caverne, Al-Kahf.

Pourquoi certaines sourates commencent-elles par une succession de lettres qui ne veulent apparemment rien dire ?  Le Coran, Livre révélé, jongle avec la lettre à la vitesse de l’éclair. Génie de la langue, proche de celui dans laquelle s’écrivit la Bible, et où déjà, par-delà les deux dimensions visibles de l’Écriture, la littérale et la spirituelle, s’ouvrent secrètement d’autres dimensions, ouvrant sur d’autres sens, d’autres univers (où nous nous sommes aventurés dans Voyage). Nous avons vu que tel était le cas de la sourate Maryam, inaugurée par cinq lettres dont nous avons discerné un sens. La particularité de la sourate Ta-Ha est de porter en titre les deux lettres qui forment son premier verset. Comme dans Maryam, il s’avère que ces lettres indiquent quelque chose de capital qui est voilé par pudeur.

Cette sourate de 135 versets commence par le rappel de la Souveraineté de Dieu, qui « connaît le secret et même ce qui est encore plus caché » (v.7). Pour sa plus grande partie elle reprend l’histoire de Moïse, conclue par une méditation sur la Révélation (v. 9-114). Enfin, introduite par un rappel de l’histoire d’Adam, elle ouvre sur l’appel à suivre la juste voie en vue du Jour de la résurrection et de la rétribution.

« Ôte tes sandales, car tu es dans le val sacré de Tuwa », dit Allah à Moïse quand il s’approche du buisson ardent, au verset 12. Nul ne sait d’où vient ce nom, Tuwa. Mais il est certain que ce nom, placé en cet endroit absolument essentiel de la Révélation, fait signe. Et pénétrer dans ce signe, c’est rejoindre aussi les deux lettres initiales qui donnent à la sourate son nom. Pour cela il nous faut nous aussi ôter nos sandales, et entrer pieds nus dans le lieu immaculé de la langue. Ici ce n’est plus nous qui nous servons d’elle pour communiquer, mais elle qui vit, indépendante de nous, sans besoin de nous, souveraine et ne se laissant approcher que de ceux qui se sont dépouillés de toute protection et de toute prétention sur eux-mêmes et sur elle.

Avançons-nous comme des nouveau-nés dans les profondeurs de la langue, où elle palpite et évolue dans la lumière. Tuwa s’y trouve entre Tawa et Tuba. Nous y voyons Tawa désigner tout ce qui est plié ou qui se ploie, un rouleau ; un mouvement de va-et-vient ;  la maçonnerie intérieure d’un puits. Et Tuba, qui est aussi le nom d’un arbre du paradis, exprimer la béatitude.

D’autant plus qu’il est question de Moïse, nous nous rappelons que pour les juifs, la béatitude consiste à lire le rouleau de la Torah. Nous nous rappelons que nous avons vécu cette béatitude, que nous retrouvons en lisant le Coran, aussi près de sa langue que nous le pouvons. Et nous comprenons que le nom Tuwa exprime plus que cela encore. Le Ta initial de la sourate est aussi la lettre initiale de Tuwa (et de Tawa, et de Tuba). Quant à la deuxième lettre, le Ha, elle sert d’affixe pronominal. Sans fatha (accent-voyelle a), comme ici, elle indique le génitif ou le datif. Si bien qu’il nous est possible d’entendre, dans ce TaHa : « De mon T », ou « À mon T », T pouvant signifier le confluent de la béatitude et tout à la fois, comme nous allons maintenant le voir, des plis et du rouleau, du va-et-vient, du puits.

Rappelons-nous ce que nous avons indiqué, au début, de la pensée nomade. Je ne ferai pas ici l’analyse détaillée du contenu de la sourate, ce serait trop long et nous y reviendrons plus tard. Mais tout un chacun peut la lire en y notant le thème constant du déplacement, des allées et venues, tant dans l’espace physique, géographique, que dans l’espace mental et spirituel. Le texte arpente les pistes de l’existence et leurs replis, et c’est pour guider l’homme, lui éviter les égarements.

Au verset 39, Dieu explique à Moïse qu’il l’a sauvé des eaux, nouveau-né, afin qu’il soit élevé « sous mon œil », dit-il. Le mot Ayin, qui signifie en hébreu à la fois œil et source, signifie en arabe œil ; personne ; essence. Et encore, entre autres : pluie qui tombe plusieurs jours de suite. Ou : tourbillon d’eau dans un puits. Par où nous revenons à la source, à l’œil, au puits de Laaï Roï, « Le Vivant qui me voit » où Agar entendit l’Ange lui annoncer la naissance de son fils Ismaël. Voici comment nous commentions cet épisode dans Voyage :

« C’est là que l’Ange du Seigneur la trouve, à la source. La source se dit en hébreu : l’œil. Ici il est question de « l’œil des eaux ». Agar pleure, sans doute. Agar est révoltée par le traitement qui lui est fait. À l’œil des eaux, au lieu de désespérer, elle voit Dieu. L’Ange du Seigneur lui indique la voie du salut : voir plus loin. Plus loin que la tribulation immédiate, sa vie perpétuée dans une immense descendance – en laquelle se reconnaîtront les Arabes. »

Enroulement et déroulement vertigineux du sens dans le texte.

Je m’arrête là pour aujourd’hui, je reçois tous mes fils ce soir, j’ai à préparer. Lis ! Et sois bienheureux.

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