Jumua. Mon journal du jour

"Kavka" au Jardin des Plantes, photo Alina Reyes

 

Je suis très affectée d’apprendre que le Grand rabbin de France, Gilles Bernheim, est un plagiaire récidiviste, qu’il emploie des nègres, qu’il a menti pendant des décennies en se prétendant agrégé de philosophie (et major de sa promotion, entre autres détails inventés pour lui donner un brillant éblouissant) – ce qui lui valut une grande partie de son prestige. Parmi les auteurs qu’il aurait plagiés figure Élie Wiesel, qui fut lui-même accusé d’imposture, sans que l’affaire soit bien éclaircie. De même j’ai été triste d’entendre à la télévision un prêtre, Jean-Robert Armogathe, qualifier d’anecdotique l’affaire Cahuzac. Tous ces hommes qui passent pour des références morales, n’ont-ils en vérité aucun sens, ou qu’un sens complètement faussé, du bien et du mal ?

Ailleurs, toujours, sur toutes sortes de sujets, multiples manipulations de l’information, soit par ceux qui la donnent (sur les sites que je lis, qu’ils soient généralistes, musulmans ou chrétiens), et la donnent partielle ou déformée, soit par ceux qui la commentent sous couvert d’identités faussées. Et la bêtise, et la méchanceté. De cette mare pourtant, s’élèvent de temps en temps quelques voix fraîches, surgissent comme des épiphanies des témoignages de vie, si minces souvent, si petits, et justement pour cela porteurs de la plus haute espérance. Le cœur bondit, le ciel est là, tout proche.

Aujourd’hui, vendredi, jour de prière commune à la mosquée. Jumua, bonheur et joie. À la Grande Mosquée, à cause de la multitude de ce jour, ou grâce à elle, nous prions dehors, dans les jardins. De grands tapis de corde sont disposés pour les fidèles. Vers le fond, quand il n’y en a plus, on se partage le tapis ou le tissu apporté par l’une ou l’autre. On prie côte à côte, coude à coude, inconnue à inconnue. C’est très beau. L’imam récite des passages du Coran et prêche, il y a des invocations en commun, comme c’est en arabe je ne comprends pas mais peu m’importe de comprendre à la lettre, je comprends à l’oreille, je suis dans la prière, nous y sommes toutes et tous ensemble, et la mosquée a les dimensions du monde. Quand c’est fini, celles qui ont apporté des dattes, des gâteaux, du café, les distribuent. Générosité vivante et raffinée. Les jardins du paradis.

À la sortie un jeune homme distribuait des prospectus. Il m’en tend un : « Bonjour madame, c’est pour maigrir ». « Ah, vous me trouvez trop grosse ! », je lui dis. Il éclate de rire. « Non, absolument pas ! » Comme j’aime entendre les hommes rire ! et rire de bon cœur.

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Allons de l’autre côté

 

Je me suis levée tôt pour prier, puis comme j’étais très fatiguée je me suis rendormie. J’ai bien fait, car m’est venu un rêve somptueux. J’étais en voyage, de passage dans un pays semblable à la Mongolie. Pour entrer à la mosquée, qui était aussi la Grande Mosquée de Paris, je faisais mes ablutions avec d’autres dans un espace labyrinthique profondément paisible, puis je me voilais d’un voile blanc transparent tendu sur mon front et surmonté d’un tissu, ou d’une capuche, rouge à pourpre, montant librement élaboré. Je gardais cette coiffure à la sortie de la mosquée, qui se trouvait à la fois dans les vastes espaces où l’on monte à cheval et dans la blancheur lumineuse du Jardin des Plantes légèrement enneigé. Je traversais un palais, accompagnant un moment en chemin son propriétaire terrestre désemparé, tandis que tout devenait céleste, que le palais de la mort se changeait en palais de la lumière, que se formait dans l’invisible l’union des bienheureux, en marche et en repos vers un nouvel espace, un nouveau jardin, un pays encore jamais vu, où, à la sortie du palais, se poursuivait le voyage.

 

 

Le canard qui marchait avec moi

Bon ben salut, à + ! (cet après-midi au Jardin des Plantes, photos Alina Reyes)

 

D’abord j’ai arpenté et re-arpenté les toutes petites allées du jardin alpin, dans l’odeur des fleurs à miel, les chants délicats des oiseaux, la belle franche lumière de printemps. Je mettrai peut-être des photos demain, avec quelque réflexion qui m’est venue ce matin sur le Christ au jardin – à moins que je ne les garde pour mon livre sur le Messie, nous verrons. J’ai parlé avec un jardinier, c’est lui qui m’a adressé la parole, nous avons parlé en marchant. Ces gars et ces filles font un travail remarquable tout au long de l’année au Jardin des Plantes, qui sans cesse change, comme la nature. Je le lui ai dit, puis j’ai poursuivi mon chemin en songeant qu’ils étaient presque des saints. J’ai rencontré un canard, qui pour une fois n’était pas dans l’eau. Il est venu vers moi, je l’ai salué, il m’a accompagnée un bout de chemin. La vie est fantastique.

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En voyage il arrive toujours des choses extraordinaires

par cette belle journée, à Paris, photos Alina Reyes

 

En chemin, j’ai échangé quelques mots avec un SDF très abîmé, vacillant sur ses jambes. Nous avons un peu plaisanté, puis au moment où je suis partie, il m’a dit : « Salut à toi ! ». J’ai su que c’était le Christ qui le lui avait fait dire, et je vous le transmets : Salut à vous. J’ai voulu aller remercier à Saint Julien le Pauvre, mais l’église était fermée. Quant à Notre Dame, la file d’attente des touristes était si longue que je suis plutôt descendue au bord de la Seine, puis j’ai poursuivi mon chemin. Finalement je suis entrée à Saint Séverin. Je suis allée m’asseoir dans la chapelle du Saint Sacrement, il n’était pas exposé mais la bougie brûlait devant le tabernacle, en bois taillé comme dans l’art africain, ainsi que l’autel et le pupitre. Rapidement, le Christ m’est apparu à travers la pierre. J’ai l’habitude de cela, et de l’immense paix dans laquelle cela transporte. Comme à la mosquée, qui contient l’église, qui contient la synagogue. Mais soudain je me suis tournée et j’ai vu, assis un peu plus loin sur ma gauche, l’exact sosie de mon fils Joachim. J’ai été saisie comme lorsque, le mois dernier, j’ai vu un tigre dans la Seine. Et plus encore. Même cheveux, même coupe, même profil, même allure, même vêtements. Et cependant c’était un autre, même s’il était difficile d’en croire ses yeux. Il est reparti, j’ai regardé en face de moi la peinture du repas d’Emmaüs, puis de nouveau, au-dessus du tabernacle, le Christ à travers la pierre, serein.

Une fois sortie, en consultant mon portable, éteint dans l’église, j’ai vu que pendant que ceci était arrivé, Joachim m’avait laissé ce message : « Je mange dehors ». J’ai continué à marcher, je suis passée devant Saint Éphrem, l’église syriaque où j’allai un jour à une messe de soutien aux chrétiens d’Irak. Je suis passée devant une boutique russe en chantier, où étaient en vitrine des œufs de Pâques et des poupées russes. Plus loin, place Monge, une tente était plantée pour les enfants, à côté de la camionnette du baladin. Bientôt je voyagerai, ailleurs, comme on peut aussi voyager chez soi, où qu’on soit.

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