O me dit qu’il est las d’entendre ici et là le mot d’ordre : « Changez le monde ! » Je lui dis : tu sais à quoi ça me fait penser ? À « changer le bébé » – au moment où il est temps de changer la couche du bébé.
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O me dit qu’il est las d’entendre ici et là le mot d’ordre : « Changez le monde ! » Je lui dis : tu sais à quoi ça me fait penser ? À « changer le bébé » – au moment où il est temps de changer la couche du bébé.
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Un fort courant réactionnaire en ce moment plaide pour la constitution d’une sorte de clergé dans l’islam en France, afin qu’il soit porteur d’un discours unifié, et structuré un peu à la façon dont l’est le catholicisme. En musulmane, je suis absolument opposée à cette idée, à ce désir de mainmise et de centralisation. Certes il existe actuellement une mainmise de certains pays ou de certains courants de l’islam sur certains imams, mais ce n’est pas une raison pour la remplacer par une autre mainmise. Ce qu’il faut, c’est s’employer à éliminer toute mainmise. Et pour cela, laisser se déployer la pensée islamique à la fois originelle et actuelle, vivante. C’est aux croyants de choisir leurs imams, ils ont la liberté de les choisir ou de les démettre, de les remplacer. Tout est souple en islam – contrairement à ce qu’on croit trop souvent. Souplesse, diversité dans la vérité et liberté, voilà où est l’avenir. Le reste tombera. Là où ont été élevés des obstacles entre l’homme et la Lumière, les faire tomber. Surtout ne pas couper les hommes de leur rapport direct à la Lumière. C’est la seule voie viable.
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Le nombre des juifs français ayant émigré en Israël a triplé depuis 2012. Il est bien commode de mettre cela sur le compte de l’insécurité – comme si vivre en Israël n’était pas bien plus risqué que de vivre en France. La vérité est que la véritable insécurité des Français tient à la situation économique et politique. Nombre de jeunes partent en Australie ou ailleurs tenter leur chance. Il n’est pas si facile d’émigrer, mais l’émigration pour les juifs en Israël est plus aisée, et peut constituer une chance pour eux de mieux s’en sortir là-bas. Ensuite, beaucoup reviennent, supportant difficilement l’ambiance d’un pays gouverné par l’extrême-droite – mais cela, on évite d’en parler.
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La pensée de Marx part de ce qui est pour révéler son ordre, comme aussi la pensée d’Hegel.
Mais la pensée d’Hegel part d’avant, du moment où un ordre crée et régit ce qui est.
Pour l’un et l’autre, ce qui est, est mouvement.
Marx part de l’étant, le voit dans son avancement et son faisant-avancer.
Hegel dit l’être en train d’avancer, et de faire avancer l’étant.
Marx voit l’étant aller vers son renversement.
Hegel voit l’être aller vers son accomplissement.
Marx est l’antithèse d’Hegel, mais il ne faut pas entendre anti- comme « contre » mais dans son premier sens : « en face de ».
Je propose une nouvelle définition du mot métaphysique. Il a d’abord signifié, d’après un classement simplement éditorial des œuvres d’Aristote, « après la physique » (ses ouvrages postérieurs à sa Physique). Au Moyen Âge, le mot a pris avec la scolastique le sens qu’il a encore aujourd’hui : « au-delà de la physique ». « Physique » désigne la nature en grec, et la préposition meta signifie, dans l’ordre : au milieu de, en communauté avec, d’accord avec, par le moyen de, avec accompagnement de, en opposition avec ; ou encore : avec, selon, à la suite de, après, pendant. La métaphysique selon mon sens est : au milieu de la physique. Ce que mon roman à venir, en train d’advenir en moi, doit faire voir (blépein, théorein, idein : je pense ici notamment à ce que Badiou appelle un communisme de l’Idée dans son Second manifeste pour la philosophie).
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La philosophie d’Hegel et celle de Marx constituent deux systèmes de pensée dialectique qui constituent eux-mêmes une dialectique, dont le terme reste à trouver. Il en est de même pour la pensée d’Héraclite et celle de Parménide. Pour ma langue, et pour celle de l’autre, qui est une multiplicité. Pour une photo que je prends d’un objet, et pour chacune et l’ensemble des mille photos que je prends du même objet sous différents angles, dans diverses lumières. Pour la vitesse de la flèche de Zénon, et son parcours. Comme dit l’autre, je ne cherche pas, je trouve. Puis je cherche comment dire ce que je trouve. C’est-à-dire, je le déploie, et le déployant, le révèle. Je l’invente, parce que je l’ai découvert.
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« … inconscients pour ne pas avoir remarqué les étoiles de David mais à ce point intolérants pour renverser le monument dédié aux victimes de la Shoah », a-t-il déclaré hier, en lisant son texte qui plus est, au dîner du Crif. À ce point incapable de parler correctement français. Il est pourtant « français de souche », comme il dit, poursuivant l’œuvre de division. Personnellement j’ai assez de mémoire pour n’être pas française de souche, pour savoir que mon sang, Dieu merci, est fort mêlé, que français vient de l’un des peuples germaniques, celui des Francs, qui envahirent la Gaule, précédemment occupée par les Romains, largement visitée et donc fécondée au cours des siècles depuis le sud, l’est, le nord… et pour savoir aussi qu’une partie de mes ancêtres vient d’Italie, et sans doute de bien plus loin encore – en remontant bien, d’Afrique, comme pour nous tous, d’après la science. Mon pays est un peuple de bâtards, c’est son génie. Je n’ai de race que ma langue, et je n’aime pas qu’on la maltraite.
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Je me suis toujours demandé comment Tariq Ramadan, pieux musulman si on l’en croit, pouvait supporter de se faire idolâtrer comme il le fait, comme il y encourage. Alors que l’islam est absolument contre l’idolâtrie, c’est même son premier combat. Bien sûr l’idolâtrie existe chez les musulmans comme chez les chrétiens ou chez n’importe qui, de façon le plus souvent inconsciente. Mais quelqu’un qui réfléchit et qui dispense chaque jour des perles de sagesse éternelle comme s’il avait l’autorité d’un ascète, ne se rend-il pas compte de ce qu’il fait ? Aujourd’hui c’est une jeune femme qui l’accuse de comportements bien peu dignes de la Vérité, qui est l’un des noms de Dieu faut-il le rappeler, avec les femmes.
Encore un baratineur pris à son propre piège. Misérables bonshommes. Ceux qui prônent la chasteté et qui multiplient les infidélités. Ceux qui prônent l’amour libre et ne pouvant le faire font à la place le mal. Tous ceux-là qui se cachent. Qui sont incapables d’assumer ce qu’ils font. Dont la bonne parole n’est qu’une façade pour leurs mauvaises actions. Pas seulement dans leurs relations avec les femmes, mais en tout. Leur duplicité foncière les enfonce chaque jour un peu plus, et y entraîne le monde.
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