Schibboleth, Tchouri, Lilith…

Cette nuit, un rêve récurrent dans mes vingt ans, puis disparu, est revenu : je gravis une très haute et très raide dune de sable. Cette fois elle était plus que raide, carrément verticale, et je l’escaladais comme on escalade, à mains nues, une falaise de pierre. Un rêve qui pourrait paraître pénible mais est en fait exaltant. Comme chaque fois, il s’agit de sauver un peuple, vu aussi dans le rêve, errant ou jouissant inconscient sur la plage. Et toujours je suis sûre de mon escalade, ardue mais sans peur ni angoisse.

Peut-être parce qu’avant de me coucher, il m’est revenu en mémoire, en voyant une photo du sol caillouteux de la comète Tchouri, que j’ai publié mon tout premier texte littéraire, une courte nouvelle métaphysique intitulée Cailloux*, entre 1983 et 1985 (je ne sais plus très bien, ni sous quel pseudonyme) dans la revue Les cahiers du Schibboleth. Du coup je suis allée voir les acceptions du mot schibboleth dans la Bible, en français et en hébreu.

Je me suis levée une deuxième fois ce matin en pensant : la perfection est bancale. Dans un autre rêve, je revendiquais le caractère bancal de mes livres, et je prenais exemple sur la Bible et le Coran, livres au plus haut point bancals et parfaits. Je me suis rappelée avoir assisté, enfant, à l’élection d’une miss Soulac, et que de mon point de vue l’élue était sans conteste une jolie brune boiteuse (elle avait eu la polio). Mon personnage Lilith, dans mon roman éponyme, est une boiteuse. Leopold Sedar Senghor parle de symétrie asymétrique dans l’art africain. Ainsi est l’être.

* et quand nous étions de toutes-petites enfants, il y avait une petite fille très pauvre, nommée Caillou et portant le même prénom que moi, qui m’apparaissait comme mon autre, dans une relation avec elle sans paroles et que je percevais comme surnaturelle.

Motifs

J’actualise et republie la note à mesure que sont réalisés d’autres « motifs »

6 toutes petites toiles (10×10 cm chacune) peintes à l’acrylique et agençables dans tous les sens, par exemple :

6 petits2,6 petits,

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exemple d’agencements possibles de ces 4 motifs destinés à composer des tableaux personnels et changeants, mouvants (on peut aussi les mettre en ligne, horizontale ou verticale, et dans un sens ou un autre)

4motifs 4 motifs,

motif4,

motif3,

motif2,

motif,

Peints à l’acrylique sur petites toiles de 20×20 cm, 4 motifs à accrocher ensemble, en ligne, en carré, comme on veut. Je les appelle motifs pour le mouvement.

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Réalisés précédemment sur papier au feutre ou aux pastels ou à l’encre :

aya,

amour,

chant du monde..ethnique,ethnique 2,inscription,la main verte,pas à pas,

le dragon,

l'oiseau de feu,

poeme,

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voir aussi mon Carnet d’esquisses

« Viens ici et remercie-nous, moi et ce jeune homme innocent »

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William Clarke Wontner

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« Un jour, Kamil Effendi sortit de sa chambre pour aller au souk et trouva sa serviette de bain accrochée à côté de son parapluie.

– Qu’est-ce que c’est que ça ! S’écria-t-il. C’est ici que tu suspends la serviette ! Feu mon épouse – que la terre lui soit légère ! – ne la suspendait qu’à l’endroit approprié. S’il te plaît, fais attention ! Je déteste changer d’habitude.

Une autre fois, il trouva la salière posée au bout de la table. Il piqua une colère et s’exclama :

– Que c’est génial ! C’est là que tu poses la salière ! Feu mon épouse – que Dieu lui accorde le pardon ! – la posait à droite de la soupière. Veille à respecter les habitudes ! Pour moi, respecter les habitudes est sacré !

Un soir, alors qu’il était en train de lire son journal, il s’aperçut que sa femme avait succombé au sommeil.

– Qu’est-ce que c’est que ça, ma chère ! la tança-t-il. Tu dors avant moi ! Feu mon épouse restait éveillée jusqu’à ce que je l’invite à venir se coucher.

Les jours passèrent et, telle une sainte, l’épouse supportait les prêches de son mari l’invitant à préserver les habitudes. Aussi le mari croyait-il avoir pour femme un modèle d’obéissance, alors même qu’elle ne se privait d’aucun de ses plaisirs précédents, chaque fois que l’occasion se présentait, ayant réussi à nouer des liens d’amitié avec l’un des jeunes hommes qui fréquentaient feu l’épouse de son mari.

Un jour, le mari rentra plus tôt que d’habitude, bien qu’il considérât celle-ci comme sacrée. Ne trouvant sa femme ni à la cuisine ni au salon, il se dirigea aussitôt vers sa chambre à coucher, poussa brusquement la porte et… Ah ! vision d’horreur ! Il vit sa sainte et obéissante épouse, nue comme Ève, couchée à côté d’un jeune homme, son voisin de longue date ! Il perdit la tête et hurla comme si on l’égorgeait :

– Espèce de friponne ! Dans ma maison ! Et dans mon lit !

S’étant drapée dans le rideau du lit, l’épouse se mit sur son séant et dit, un ricanement méprisant plein la bouche :

– Cesse de t’emporter et de fulminer ! Viens ici et remercie-nous, moi et ce jeune homme innocent. Sache que c’est par amour pour toi et en ton honneur que je l’ai accepté comme amant, après avoir appris qu’il avait été celui de feu ton épouse – que la terre lui soit légère, que Dieu bénisse son secret et lui fasse miséricorde ! N’as-tu pas dit que respecter les habitudes est un devoir sacré ? Alors qu’as-tu à m’abreuver d’injures, moi, pauvre fille, qui ai sacrifié à ton bonheur ce que j’ai de plus cher et me suis faite la gardienne des obligations que tu as envers tes habitudes ?

Et elle se mit à hurler :

– Répudie-moi ! Répudie-moi, si tu veux ! Je ne supporte plus cette injustice !

Mais il ne la répudia pas, car ce n’était pas dans ses habitudes. »

Ali Halqi, La défunte (in Histoire de la littérature arabe moderne, t.2, anthologie par B. Hallaq et H. Toelle)