la poésie est une action risquée
*
la poésie est une action risquée
*
Voici ma troisième action poélitique. Celle-ci est poélitiquotidienne. Les plus simples sont souvent les meilleures
plutôt que de jeter mon soutien-gorge aux orties, je l’enlève longtemps, souvent ; à la maison, hop, je le retire voilà, c’est tellement mieux ainsi, les seins libres
*
*
La joie du supporter de foot quand son équipe marque un but s’apparente à celle que nous éprouvons quand nous pouvons enfin percer un bouton devenu mûr et en voir jaillir sa blanche réserve. Disons que ce sont là deux joies en miroir, à la façon du yin et du yang. Deux joies qui nous donnent une satisfaction, une plénitude à la fois sexuelles et philosophiques, en se résumant dans la joie de l’accomplissement. Le bouton percé libère son blanc contenu comme un pénis son sperme, mais en même temps c’est nous qui, en quelque sorte virilement, de nos doigts le perçons. Quant aux joueurs de foot, ils sont bien sûr comme des spermatozoïdes affairés à parvenir au saint des saints, au sacro-saint utérus où ils se qualifieront et assureront leur postérité.
Quand la balle – leur désir -, perçant soudain la défense, pénètre enfin dans la cage ouverte mais relativement étroite, l’extase du spectateur se manifeste par des bonds, des frétillements, des exultations, des cris souvent plus puissants que ceux que lui inspirent les moments les plus forts d’un film pornographique. À noter d’ailleurs que les films pornographiques, pour essayer de donner plus de sensations que n’en peut donner la pornographie, imitent les matchs de foot en cela qu’ils tiennent à montrer les éjaculations, plutôt que de les laisser avoir lieu à l’intérieur des corps, de façon invisible donc.
« Les méfaits du théâtre psychologique venu de Racine nous ont déshabitués de cette action immédiate et violente que le théâtre doit posséder », écrivait Antonin Artaud dans le chapitre « Le théâtre et la cruauté » du Théâtre et son double. Or le football ne « se borne » pas, comme ce théâtre psychologique que dénonçait Artaud, « à nous faire pénétrer dans l’intimité de quelques fantoches. » Le terrain, les joueurs, le ballon, les cages où il tente de pénétrer sont bel et bien matériels. Et l’engouement du public prouve que ce spectacle produit, même si de façon qu’on peut juger grossière, l’office qu’Artaud assignait au théâtre : « il est certain, ajoutait-il, que nous avons besoin avant tout d’un théâtre qui nous réveille nerfs et cœur. »
La propension de certains à ne voir dans le football que jeux du cirque tient de l’aveuglement puritain. Le puritain méprise volontiers les foules, trop charnelles et jouisseuses pour son goût racorni par la phobie. Pour cette raison, il se peut que le puritain soit allergique aussi bien aux manifestations révolutionnaires, aux mouvements sociaux de masse, qu’au football fédérateur de masses. Mais il se peut aussi qu’il compense son puritanisme à l’égard du football, figure d’un plaisir gratuit, « pour rien », par d’autres excitations de groupe jugées « utiles », comme le fait de partir à la guerre la fleur au fusil, pour la patrie, ou d’aller défiler dans la communion scandante et criante, voire mêlée de violences si affinités, pour défendre des droits. Communier pour des idéaux est plus noble, croit le puritain, que communier pour le seul plaisir, comme au foot. Le foot ne vise pas un idéal, il ne donne pas cette satisfaction prétendument élevée à l’esprit avide de vanités. Son but c’est le jeu, et le but du jeu c’est de marquer des buts. Pas avec la main, si habile à former des fantasmes, des images, des représentations de « fantoches », comme dit Artaud, ou des « fantômes », comme disent Kafka ou Guibert, mais avec les pieds, si bas, si humbles, aussi humbles que l’humus qu’ils foulent et parcourent, aussi humble que le corps humain en lui-même, fait d’humus comme l’expriment les mythes, et humide en ses intimités comme là d’où sort la vie, le vivant. Et montrer qu’on peut parvenir avec ce corps, cette condition primitive, à franchir la cage, c’est faire éprouver la satisfaction, la libération que n’obtient pas l’homme kafkaïen, bloqué toute sa vie derrière la porte de la loi par son pervers gardien. C’est, tout simplement, un moment au moins retrouver cet Éden dont deux redoutables chérubins, tels deux gardiens de buts, tiennent paraît-il l’entrée interdite à l’homme depuis sa « chute ».
Le foot nous montre qu’il n’est pas facile, mais pas impossible de nous libérer de la malédiction consécutive au prétendu péché originel. Allons, ne boudons pas notre plaisir. Car il est profond, donc ontologique, et politique. « Pénétré de cette idée, écrit encore Artaud, que la foule pense d’abord avec ses sens (…), le Théâtre de la Cruauté se propose de recourir au spectacle de masses ; de rechercher dans l’agitation de masses importantes, mais jetées l’une contre l’autre et convulsées, un peu de cette poésie qui est dans les fêtes et dans les foules, les jours, aujourd’hui trop rares, où le peuple descend dans la rue. » Si le football, comme jeu du cirque, peut servir les intérêts politiciens des puissants, il suffit de le considérer autrement, de le considérer comme ce qu’il est vraiment : une pensée, comme tout jeu, et une manifestation de vitalité et de vie, pour y trouver une leçon de puissance et d’énergie capable de dépasser et même de renverser les pouvoirs tristes des puissants de ce monde.
*
une femme et une vie d’exception
Restant travailler à la maison aujourd’hui, j’y ai aussi photographié ma troisième action qui mérite l’adjectif poélitique : j’ai intégré un pot de menthe dans le bac sur la fenêtre à côté du rosier : les pucerons n’aimant pas l’odeur exquise de la menthe cesseront ainsi de venir dévorer les feuilles du rosier.
*
Le rosier est un micro-rosier cadeau de cinq centimètres replanté il y a deux ans, et qui depuis se développe bien ; poussent à côté des herbes sauvages tombées du ciel ; et au moins une pomme de terre, dont on voit les feuilles derrière la tête du tigre, venant de celle que j’y avais enterrée l’année dernière et qui en avait donné quatre, une par personne de la famille.
*