« Qu’est-ce que l’homme, et avec quelle facilité sa conscience ne s’égare-t-elle pas ? »
Thomas Mann, La Montagne magique
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« Qu’est-ce que l’homme, et avec quelle facilité sa conscience ne s’égare-t-elle pas ? »
Thomas Mann, La Montagne magique
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Une petite mosquée jaune dans la région de Sindh au Pakistan. Source : Trouve ta mosquée
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Une mosquée quelque part en Afghanistan. Source
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Mosquée kirghize au pied des montagnes Pamirs à l’ouest de la région autonome Ouïgoure du Xinjiang, en Chine. Source
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Dans une mosquée la lumière ne tombe pas d’en haut, comme quelque chose qu’on attend dans un ici-bas de souffrance. Dans une mosquée, la lumière est.
La mosquée n’a pas besoin de représentations de visages ou de corps saisis par la grâce ou la sagesse, elle est elle-même espace et temps de grâce et de sagesse.
Dans l’islam le monde entier est une mosquée. Les mosquées sont là pour apprendre à le comprendre, et à le vivre.
La mosquée n’est pas un lieu de culte. Il n’y a rien à révérer dans une mosquée. Aucune offrande n’y est faite. La mosquée est le lieu du don accompli, de l’union réalisée, parfaite.
La mosquée est un lieu de saisie, sans violence aucune, de la lumière qui saisit, massivement, entièrement, et purement.
La mosquée dit que l’islam, en vérité, n’est pas une religion (et ne devrait pas être vécu comme une religion), mais le lieu de la vie pacifiée, de la liberté accomplie, de la foi (l’accord, la confiance) absolue.
Les mosquées comprennent souvent des cours, des jardins, des salles d’étude, bibliothèque, lieux conviviaux et autres, des points d’eau, des passages, des ouvertures. L’extérieur et l’intérieur y sont unis, la lumière et la vie y circulent, y vont toujours à l’altérité. Elles font rencontrer l’autre en soi et l’accueillir.
La mosquée est « absolument moderne » (ou a tout pour l’être, quand l’islam sera modernisé).
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Une prière dans une mosquée à New-Delhi en Inde. Source
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Mosquée de Touba, au Sénégal. Source : Le Petit Futé
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Je suis allée faire mes courses chez Tang ce matin pour libérer toute mon après-midi pour le travail en bibliothèque. Devant la mairie du 13e, il y avait une noce
L’après-midi, mon ordi, mes papiers et livre dans le dos, je suis repartie pour travailler comme je l’ai fait hier à merveille de longues bonnes heures, j’en avais très envie, je veux avancer et il y a des choses que je ne peux pas faire à la maison. Mais j’ai trouvé porte close. À cause de Pâques, toutes les bibliothèques étaient fermées, de samedi à mardi. Trois jours de travail perdus. Pourquoi pas fermer aussi les hôpitaux tant qu’on y est ? Un pays a besoin de gens qui accomplissent un travail en bibliothèque, le soin de l’intellect est aussi important que celui du corps. Je suis allée à la grande mosquée, ma belle mosquée qui donne la paix rien qu’à la voir, me disant qu’ils me laisseraient peut-être travailler dans leur bibliothèque. J’ai renoncé à le demander à cause du nombre de visiteurs touristes. Je suis quand même restée un moment. À la sortie, il y avait des mariés.
aujourd’hui à Paris 13e et 5e, photos Alina Reyes
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Interprétées, vécues par Glenn Gould, je les ai écoutées des dizaines de fois, elles ont, avec lui, grandement contribué à m’apprendre à écrire (ainsi que le fait d’avoir chanté dans des chœurs des œuvres de Bach, notamment : sa musique est vraiment une écriture). Je découvre ce soir, en passant à la cuisine où la radio était allumée, l’interprétation étonnante de Béatrice Rana, jeune pianiste. Fantastique, quoique j’aime que Bach soit joué sans pédale, sans romantisme, dans sa pureté éclatante. Et du coup je réécoute aussi et encore Gould. Et puis, sublime aussi, l’interprétation d’Alexandre Tharaud, passée sur Arte et qui ne restera plus en ligne que deux jours. À vous d’entendre ! Puis, pour prolonger le bonheur, je vous donne des passages d’un texte de Glenn Gould sur Bach, « le plus grand musicien qui ait jamais existé ».
https://youtu.be/IzDCzcyW7VE
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« L’un des phénomènes les plus extraordinaires concernant le musicien le plus extraordinaire de l’histoire réside dans le fait que l’œuvre de cet homme, qui exerce aujourd’hui sur nous un attrait quasi magnétique, et à l’aune de laquelle on peut mesurer l’ensemble de la production musicale des deux derniers siècles, n’a eu absolument aucun effet ni sur les musiciens ni sur le public de son époque. »
Et Glenn Gould explique que ce n’était pas parce qu’il passait pour être en avance sur son temps, mais parce qu’il paraissait plutôt démodé. « De surcroît, ajoute-t-il, au fur et à mesure qu’il avançait en âge, Bach ne faisait aucun effort pour se réaligner sur l’esprit de son temps (…) Bach fut en vérité le plus grand non-conformiste de l’histoire de la musique, l’un des exemples suprêmes d’une conscience artistique indépendante qui se démarque du processus historique collectif. »
« Il est le seul artiste dont l’œuvre a servi de référence aux concepts diamétralement opposés d’artistes et d’esthéticiens de toutes époques. » Et Glenn Gould égrène ceux-là à qui Bach a servi de référence, chaque fois pour des raisons différentes : Mozart, Mendelssohn, les Victoriens, les post-wagnériens, les néo-classiques, les sérialistes, les musiciens de jazz… ainsi que l’homme religieux et l’agnostique.
« La musique de Bach, avec son flot éternellement ondulant de mouvement harmonique, avec ses gigantesques complications linéaires, semble décrire la condition perpétuellement transitoire, et comme en suspension, de l’homme. Dans la musique de Bach, on n’a pas à s’attendre à de grandes surprises ; on y trouve des moments extraordinaires, une plénitude technique invraisemblable, mais dans le déroulement de l’œuvre, il n’existe pas de moments qui soient dissociés de sa totalité, de moments dans lesquels cette totalité ne soit pas intégrée. Dans la musique de Bach, c’est la constance de l’événement, la ligne continue du développement, la certitude du mouvement, qui nous tiennent en haleine et qui nous submergent. »
(…) « Et l’une des qualités qui donnent à l’œuvre de Bach son caractère si extraordinairement poignant réside dans le fait qu’on a quasiment l’impression de le voir lutter pour contenir les limites de son incroyable imagination linéaire, afin de rester dans le cadre astreignant d’une harmonie totale en pleine expansion, et même de s’efforcer ainsi de la sauvegarder. Car Bach, en vieillissant, déploya et élargit toutes les prémisses fondamentales des débuts du Baroque, à savoir le conflit entre la raison naturelle et le monde de l’esprit, qui se traduit musicalement par une lutte entre le style instrumental et le style vocal, le conflit entre la sécularité décorative du Sud et l’austérité religieuse du Nord. Et à mesure qu’il approchait de la fin de sa vie, il écrivait d’une façon qui réalisait l’unité prodigieuse inspirée des deux forces opposées de ces styles musicaux, combinant l’agilité et l’ampleur du style instrumental, la simplicité et la pureté du style vocal. »
Glenn Gould, Chemins de traverse, textes de Glenn Gould sélectionnés et traduits par Bruno Monsaingeon, éd Fayard 2012. Les extraits que je donne sont issus d’un texte qu’il a écrit pour une émission de télévision passée sur CBC en 1962. J’ai visionné cette émission où Gould parlait de Bach et le jouait, il y a quelques années sur Youtube, mais je ne la trouve plus -peut-être réapparaîtra-t-elle un jour.
photo Alina Reyes
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« On confond trop souvent en littérature invention et imagination. Il y a des écrivains extrêmement inventifs qui n’ont aucune imagination. Il est même de règle qu’invention et imagination sont des facultés qui s’excluent. L’invention s’intéresse aux faits (accompagnés ou non d' »images », le plus souvent non accompagnés d’images) ; elle est d’autant plus vive qu’elle les saisit en plus grand nombre et s’entend mieux à les combiner. L’imagination, elle, peut très bien ne s’intéresser qu’à un objet unique ; ce qui importe seulement, c’est l’état d’intensité qu’elle lui confère en faisant de lui une image. Voyez le roman-feuilleton où souvent l’invention déborde, où des milliers d’événements sont si bien amenés, se nouent et se dénouent avec tant de virtuosité : mais pas un n’existe vraiment, parce que pas un ne fait image. (…)
L’imagination seule fait voir, non l’invention. (…) [L’imagination] est un état de vie profond communiqué à la matière : comme si, plus on descendait dans la matière, plus on s’élevait dans l’esprit. »
Charles-Ferdinand Ramuz, La pensée remonte les fleuves
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Au bout d’un moment, j’ai trouvé qu’il faisait trop chaud à la bibliothèque, et j’avais trop envie d’être dehors. Je suis partie lire assise sur une pierre au jardin alpin
Beaucoup d’enfants allaient et venaient, derrière moi toute une classe de petits de toutes les couleurs qui chantaient, en même temps qu’une micro-cascade et des oiseaux, dont un minuscule troglodyte mignon dans les feuillages au-dessus de ma tête… le paradis. Plusieurs m’ont adressé des paroles et des gestes de la main, j’ai répondu, ri et souri de bon cœur. Puis je suis allée m’asseoir dans une autre partie du jardin des Plantes, en face du penseur, qu’une enfant regardait en songeant Son œuf de pierre, d’habitude gris, a été doré ! Pour Pâques ?Sur le chemin du retour, les ouvriers qui, lorsque j’étais passée à l’aller, travaillaient dans un trou sur le trottoir, l’avaient recouvert de goudron… et de traces d’un bel effet aujourd’hui à Paris 5e, photos Alina Reyes
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« *Sur la porte de beaucoup de maisons arabes, s’inscrit, me dit-on, une main rouge, au dessin plus ou moins schématique : la « main de Fatma ». » C’est une note de bas de page de Breton à la suite du passage où Nadja lui demande d’écrire un roman sur elle et ajoute : « Tu trouveras un pseudonyme, latin ou arabe. »
« La beauté sera CONVULSIVE ou ne sera pas. » En train de relire Nadja, et donc plongée dans la grâce. Une lecture capitale dans mon adolescence, et bien plus qu’une lecture, une expérience. Je me rends compte que le texte a déjà 89 ans, mais moi je l’ai vécu au présent, et le présent se représente quand je le relis. J’avais une amie, Kiki, en qui je voyais une sorte de Nadja, elle dessinait un peu comme elle, et puis une autre camarade qui s’appelait Nadia, enfin Nadja était vivante çà et là, un peu partout, et moi j’entrais dans mes rêves la nuit, consciemment, et je voyais, je sentais le jour des choses qu’on ne voit pas. « Qui étions-nous devant la réalité, écrit Breton, cette réalité que je sais maintenant couchée aux pieds de Nadja, comme un chien fourbe ? Sous quelle latitude pouvions-nous bien être, livrés ainsi à la fureur des symboles, en proie au démon de l’analogie, objet que nous nous voyions de démarches ultimes, d’attentions singulières, spéciales ? » Et : « J’ai pris, du premier au dernier jour, Nadja pour un génie libre, quelque chose comme un de ces esprits de l’air que certaines pratiques de magie permettent momentanément de s’attacher, mais qu’il ne saurait être question de se soumettre. » Et encore : « Il se peut que la vie demande à être déchiffrée comme un cryptogramme. Des escaliers secrets, des cadres dont les tableaux glissent rapidement et disparaissent pour faire place à un archange portant une épée ou pour faire place à ceux qui doivent avancer toujours, des boutons sur lesquels on fait très indirectement pression et qui provoquent le déplacement en hauteur, en longueur, de toute une salle et le plus rapide changement de décor : il est permis de percevoir la plus grande aventure de l’esprit comme un voyage de ce genre au paradis des pièges. »
Nadja est au vingtième siècle ce que sont les Illuminations au dix-neuvième, ce que sera Voyage au vingt-et-unième. Quelques jours avant de le relire, sans y penser – je m’en rends compte maintenant -, j’ai remis en pendentif la main de Fatma qui me fut offerte quand je vécus à Essaouira, et ce dimanche, sans y penser non plus, je suis allée avec mon amoureux au château et à la forêt de Saint-Germain-en-Laye, comme j’ai lu hier soir que l’avaient fait aussi Breton et Nadja. Je ne renoncerai pas à la pensée poétique, car elle seule donne la vie, sauve la vie, pour soi et pour le monde. « Qui vive ? Est-ce vous, Nadja ? Est-il vrai que l’au-delà, tout l’au-delà soit dans cette vie ? », demande-t-il. La Reine, dit Rimbaud, connaît la réponse.
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