La Joconde et l’Homme au sable

 

Dans le conte d’Hoffmann L’Homme au sable, où tout tourne autour de la question du regard, il est dit des yeux de Clara, l’une des deux femmes de l’histoire, qu’ils ressemblaient « à un lac de Ruisdael, où se réfléchit le pur azur d’un ciel sans nuages, le bois et la plaine fleurie, tout l’aspect vivant et coloré d’un riant et frais paysage. » Si l’on songe, en le lisant, à la Joconde, le texte d’Hoffmann, établissant ici une analogie entre des yeux et un paysage, et plus généralement faisant continuellement jouer le vis-à-vis regard-regardée, figure-reflet, animé-inanimée, réel-représentation, réalité-illusion, personne-artefact, être de chair-œuvre d’art, ce texte ouvre et éclaire le portrait de Monna Lisa de perspectives sans fin.

Hoffmann poursuit avec ces phrases qui pourraient s’appliquer directement à la Joconde : « Poètes et compositeurs renchérissaient encore et disaient : « Que parlez-vous de lac, ou de miroir ! Pouvons-nous jeter un seul regard sur cette jeune fille sans être frappés des accents célestes, des mélodies merveilleuses qui rayonnent dans ses yeux et qui nous pénètrent si profondément que tout notre être en est ému et inspiré ? Si nous ne faisons rien de vraiment beau, c’est qu’en général nous ne valons pas grand’chose, et cela nous le lisons clairement dans ce fin sourire qui voltige sur les lèvres de Clara, quand nous avons l’impertinence de lui rabâcher de ces lieux communs qu’on a la prétention d’appeler de la musique ou de la poésie, bien que ce ne soit qu’un vain assemblage de sons vides et confus. »

Regard céleste et fin sourire renvoient donc l’homme, après une extase, à sa petitesse et à son ignorance, dans un monde déstabilisé par une relativisation que nous pourrions dire encore une fois digne de la théorie d’Einstein. La « quiétude naturelle de Clara, son regard clair et son sourire plein d’une finesse ironique semblaient dire : « Mes chers amis ! Comment pouvez-vous prétendre me faire considérer comme des figures réelles, douées de vie et de mouvement, vos fantômes passagers et vaporeux ?… »

Qu’est-ce qui est réel, qu’est-ce qui est illusoire ? Le texte redouble la question avec la figure de l’autre femme, Olympe, qui, apprend-on, n’est en fait qu’un automate fabriqué par un alchimiste, avec des yeux récupérés, et qu’on retrouve finalement « assise à la porte d’une jolie maison de campagne auprès d’un homme agréable, sa main dans la sienne, avec deux beaux enfants jouant devant elle. »

Qui est le plus réel ? Le mortel ou la mortelle qui regardent la Joconde, ou la Joconde qui, depuis des siècles, avec un fin sourire, plante ses yeux dans ceux des mortels et des mortelles qui passent devant elle ?

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Mon texte précédent sur la Joconde est ici.

 

La femme qui donnait des plumes de couleur aux corneilles

Je dédie cette note au journaliste Gaspard Glanz, qui avec son agence Taranis News accomplit un travail important, et qui est harcelé et empêché de travailler par cet État policier. Je sais ce que c’est. Je pense aussi à tous les journalistes brutalisés par la police – le premier geste de Macron fut de supprimer la salle de presse de l’Élysée, visiblement ce pouvoir est trop faible pour pouvoir se maintenir sous le regard des journalistes, et il le savait depuis le début.

Et maintenant, la petite histoire du jour.

 

square rene le gall 1-minEn arrivant au square René-Le-Gall, j’ai vu une femme qui tendait quelque chose à une corneille, tout en lui parlant. L’oiseau l’écoutait, puis il s’est envolé.

square rene le gall 2-minAlors la femme a déposé ce qu’elle avait dans les mains, des plumes multicolores, par terre.

square rene le gall 3-minJe lui ai demandé pourquoi, et elle m’a expliqué : elle avait remarqué que les corneilles aimaient bien les emporter, pour fabriquer leur nid.

Cela m’a rappelé l’histoire de l’homme aux oiseaux.

Un peu plus loin, ce jeune homme avec son skate sous le bras portait avec élégance un sweat jaune avec l’inscription « Unicorn » dans le dos

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J’ai continué à marcher dans le square, puis je me suis assise un moment pour lire, prendre des notes et dessiner dans mon carnet

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En repartant, j’ai laissé un post-it

square rene le gall 7-minCet après-midi à Paris 13e, photos Alina Reyes

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Le présent si riche

« Sans pureté, pas d’enfance. Et sans enfance, le présent si riche ne serait pas. » CHI Zijian, Toutes les nuits du monde

 

Paris 5e 1-minCe sont deux amies. L’une a mis des chaussures noires, l’autre des blanches. L’une une jupe bleu foncé et un blouson bleu clair, l’autre un pantalon rouge et une veste rose. Et quand elles sont arrivées à cet embranchement de l’escalier, pour continuer leur jeu de symétrie, elles ont pris chacune un côté. J’ai dû faire vite pour saisir l’image, elle n’est pas très droite. En fait, tant mieux.

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Paris 5e 9-minHier et aujourd’hui à Paris 5e, photos Alina Reyes

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Autour de Notre-Dame brûlée

Comme j’avais à faire dans le quartier, j’en ai profité pour aller voir Notre-Dame brûlée.

notre dame brulee 1-minLes ponts qui l’entourent en sont interdits.

notre dame brulee 3-minD’habitude il y a des skaters virtuoses entre le parvis et le pont, le week-end. Là c’est désert. Et il n’y a plus de flèche.

notre dame brulee 2-minMais il y a foule sur les quais, tout autour. Des touristes et des Parisiens, qui prennent des photos, comme moi.

Des ouvriers sont au travail

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C’est la vie, parfois des échafaudages longuement échafaudés finalement ne serviront à rien.

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Les gargouilles de Viollet-le-Duc, que tout le monde aime tant, y compris  ceux qui trouvent qu’il ne faut rien changer, sont un ajout pas du tout d’origine. S’il avait écouté les effrayés du changement, elles n’y seraient pas.

notre dame brulee 7-minCe samedi à Paris, photos Alina Reyes

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Pourquoi les pèlerins tournent-ils autour de la Kaaba dans le sens inverse des aiguilles d’une montre ?

Parce qu’ils vont à la rencontre de Celui qui fait tourner le monde dans le sens des aiguilles d’une montre.

Ils remontent à la source.

Extrait de mon livre Voyage (du moins dans sa prochaine version), pour lequel, bientôt, avec son Ordre, je pourrai ouvrir la voie.

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Graffs et bonne nouvelle du jour

Je me réjouis de la défaite totale de Me Emmanuel Pierrat, le type qui me fit perdre mon procès (mais payer très cher ses services – ne devrait-on pas faire comme aux États-Unis, payer l’avocat seulement s’il vous fait gagner ?) (naïve que j’étais de l’avoir choisi !) dans le procès en diffamation de son client Denis Baupin contre les femmes qui l’accusaient de harcèlement et contre Mediapart et France Inter. Vois-tu, petit monsieur, ce n’est plus si facile aujourd’hui de défendre tes copains les caïds de l’élite crasseuse qui se croient tout permis.

 

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graff 10-minIci il y a une dizaine d’années, il y avait une belle œuvre de Nemo, que j’ai photographiée plusieurs fois. Elle était peu à peu mangée par le temps et le lierre, puis elle a disparu. Le Street Art est précieux pour nous rappeler la beauté de l’éphémère et de la gratuité du geste, en ces temps où tant de monde s’accroche si bourgeoisement aux choses, aux réputations, aux conformismes.

J’ai aussi rephotographié des œuvres sur cet autre mur qui ont évolué ou qui ont été ajoutées depuis mon dernier passage :

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graff 7-minCet après-midi à Paris 13e, photos Alina Reyes

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Pour une Notre-Dame à la licorne

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Telle Marie accouchant du verbe de Dieu sous un palmier (dans le Coran), je me suis assise au pied du palmier au fond du jardin, j’ai sorti mon carnet et j’ai écrit cette défense d’une Notre-Dame à la licorne. À côté un groupe de jeunes, un garçon et quelques filles, discutaient en riant avec force références sexuelles. « Ben quoi, elle a envie de te toucher la queue, laisse-toi faire », dit l’une. Etc. Ambiance pas vraiment virginale mais ça ne m’a pas empêché de faire courir mon stylo. Voici le texte, que j’ai proposé à la presse – j’actualiserai la note s’il est accepté, pour le signaler.

 

Cet après-midi au Jardin des Plantes, photos Alina Reyes

Cet après-midi au Jardin des Plantes, photos Alina Reyes

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Restauration ou reconstruction des toitures brûlées de Notre-Dame ? Dans la mesure où elles ont été entièrement détruites, n’est-ce pas naturellement de reconstruction qu’il faut parler ? Impossible de réparer, de rénover ce qui n’est plus, ni de lui rendre son aspect d’origine, comme on le fait pour des œuvres endommagées – comme vont être restaurés les tableaux qui sans avoir brûlé ont souffert de l’incendie. La restauration au sens de rétablissement ne s’entend que pour des choses abstraites. Reste quand même une controverse entre ceux qui veulent reconstruire « à l’identique » et ceux qui souhaitent reconstruire selon l’esprit et l’art du temps, comme l’ont fait nos prédécesseurs, dont Viollet-le-Duc au XIXe siècle.

Je suis résolument contre une reconstruction « à l’identique ». Il n’y a pas d’identique possible, des chênes d’aujourd’hui ne sont pas des chênes de huit cents ans, etc. L’ « identique » ne serait qu’un plagiat, une falsification comme il s’en fait trop en ce monde. Huit cent cinquante ans d’histoire ne se remplacent pas en cinq ans, ni même en vingt ou en cent ans. Ils ne se remplacent pas. Respecter l’histoire, c’est respecter ce qu’elle produit, constructions et destructions. Vouloir effacer l’événement que fut cet incendie tient du déni. Notre histoire est malmenée par ces deux manies contemporaines que sont d’un côté l’abus commémoratif, de l’autre l’occultation de certains faits. Le désir, dans le deuil, de refaire Notre-Dame à l’identique, rappelle le délire de John Mac Corjeag dans La Boîte en os d’Antoinette Peské, lequel préfère s’acharner à aimer un corps mort plutôt que de tourner la page.

Tourner la page ne signifie pas oublier l’histoire qui s’est dite jusque là. Au contraire c’est lui rendre hommage en la continuant. Sortir de la fixation morbide. Une toiture conçue de façon nouvelle pour Notre-Dame ne sera pas un oubli de l’histoire dont elle est emblématique mais au contraire une façon de se la remémorer tout entière, comme le cairn sur le chemin rappelle tout le chemin, fait et à faire. Choisir des matériaux plus légers et plus sûrs, comme du métal au lieu de bois pour la charpente, du titane au lieu de plomb pour les toits, ainsi que le préconise l’architecte Jean-Michel Wilmotte, serait non seulement une façon d’éviter le sacrifice de 1300 grands chênes pour un poutrage invisible, mais aussi la marque d’une bonne santé de l’esprit, qui doit choisir le meilleur et non le plus apparemment consolateur. Réfléchir à la fois aux meilleures techniques et au meilleur mariage esthétique et spirituel entre un temps et un autre sera, à condition d’éviter d’agir dans la précipitation, un témoignage de notre courage d’humains, un signe de l’acceptation de notre condition mortelle et de notre capacité à la dépasser par l’accomplissement d’une œuvre (en l’occurrence cette reconstruction) qui marque le flux et les accidents du temps et non sa fixité fantasmée – par peur de la mort.

Les croyants ne devraient-ils pas songer que « Dieu donne et Dieu reprend » et que c’est vouloir se mettre à sa place que prétendre rétablir à l’identique ce qui a été détruit avec sa permission ? Quant aux non-croyants, au nom de quel sacré, de quelle croyance secrète, voudraient-ils absolument qu’un bâtiment soit immuable ? Pour ma part, je rêve d’une Notre-Dame à la licorne, une Notre-Dame dont la flèche s’élèverait en spiralant selon la forme d’une corne de licorne, symbolisant ainsi, selon l’esprit médiéval qui présida à la construction de la cathédrale, le verbe de Dieu agissant dans le sein de la Vierge (ce qui parle aux chrétiens, mais aussi aux juifs et aux musulmans, et que les autres traditions comprennent aussi). Le coq qui trônait sur la flèche de Viollet-le-Duc trouverait aisément place ailleurs sur le toit. Des architectes sauraient trouver les matériaux les plus adéquats pour faire de ce signal une beauté. Et nous nous inscririons ainsi dans un mariage très moderne entre la spiritualité médiévale, qui inspire aujourd’hui tant de romans et de jeux vidéos, et notre temps. Plus encore, la licorne étant devenue un symbole mondialement aimé parmi les jeunes générations, Notre-Dame serait ainsi plus que jamais universelle. Audace et fidélité, telles seraient les qualités chevaleresques que brandirait ainsi cette sorte d’oriflamme au cœur de Paris, au cœur d’une chrétienté consumée qui doit se réinventer, au cœur d’une laïcité qui doit pouvoir embrasser toutes les spiritualités, détachées des clergés, des intégrismes et des fixations identitaires.

Car c’est bien aussi un désir de repli identitaire qui se manifeste dans le désir de reconstruction à l’identique. Comme si nous manquions à ce point d’être que nous risquerions de le perdre en évoluant. À quelques centaines de mètres de Notre-Dame, au Musée du Moyen Âge, la Dame à la licorne, malheureusement confinée dans l’ombre, comme certains croient qu’il sied à la femme de l’être, expose en six tapisseries le désir de la dame qui, dans une féminité émancipée, tend un miroir à la licorne puis saisit sa corne, réalisant la paix et l’harmonie dans l’entente bien pensée avec l’Autre, que cet autre soit autre sexe, autre culture, autre espèce ou autre architecture.

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Reflets, balade et Notre-Dame à la licorne

paris 6e 2-minEn allant assister à un cours à l’EHESS, j’ai photographié des reflets ondoyants d’immeubles dans des immeubles, boulevard Raspail

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paris 6e 4-minDevant l’EHESS, j’ai voulu photographier les inscriptions au sol, mon ombre y était aussi

paris 6e 5-minAprès le cours (pas terrible), en partant, j’ai vu Frédéric Lordon assis dans la cour en train de parler joyeusement avec quelqu’un

J’ai continué à me balader

paris 6e 6-minEt je suis allée au Luxembourg

paris 6e 7-min(au fond, la coupole de l’Observatoire)

paris 6e 8-minJ’ai contemplé un moment les bateaux, et les enfants jouant avec les bateaux filant sur l’eau avec leurs fidèles reflets dansants

paris 6e 9-minJ’ai lu au soleil puis j’ai repris mon chemin et j’ai photographié quelques œuvres au passage

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paris 6e 12-minaujourd’hui à Paris 6e, photos Alina Reyes

De retour à la maison, j’ai vu qu’il y allait avoir un concours international d’architecture pour reconstruire la flèche de Notre-Dame, et j’ai eu instantanément une idée géniale : une corne de licorne ! Oui, c’est ça, la Vierge est associée à la licorne au Moyen Âge, d’ailleurs la Dame à la licorne est tout près de Notre-Dame, au musée de Cluny. (Mais alors il faudrait mettre ailleurs le vieux coq retrouvé avec ses vieilles reliques). Une flèche en forme de corne de licorne, voilà qui aurait du sens, voilà qui ferait un parfait mariage de médiévisme et de modernité, tout le monde adore les licornes aujourd’hui, dans le monde entier !

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