Tags, fresques, affiches à la fac de Tolbiac, après évacuation et avant effaçage

La dernière fois que j’y suis passée, c’était juste après l’évacuation, le secteur était bouclé, la police empêchait d’approcher, j’avais seulement pu faire quelques photos de loin. Maintenant la fac est toujours fermée, mais les abords en sont libres. Je ne suis pas passée par-dessus les grilles comme je l’avais fait dans les premiers jours de la « Commune libre de Tolbiac » (pour aller animer un atelier d’écriture) mais j’ai bien fait le tour et j’ai photographié tout ce que j’ai pu voir (quoique les gardiens aient gentiment essayé de me faire croire que c’était interdit). Voici donc les images, des témoignages, des traces de ce qui fut – comme des archives du futur. Ce serait bien si les plus belles des fresques pouvaient ne pas être effacées.

 

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En face, de l’autre côté de la rue de Tolbiac, l’École supérieure de journalisme et les tours d’habitation. J’ai aussi une formation de journaliste, c’est en partie pourquoi j’aime bien aller voir ce qui se passe !

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tolbiac 18aujourd’hui à Paris 13e, photos Alina Reyes

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Mon blaze, des graffs et un atelier d’écriture à Tolbiac occupée

Après avoir regardé une excellente série documentaire de dix petites épisodes sur l’histoire du graffiti, j’ai eu envie de créer mon blaze avec mes initiales, et j’ai dessiné ceci :

mon blaze

Puis je suis partie à Tolbiac, animer un atelier d’écriture dans l’université occupée. Pendant que les étudiants écrivaient, j’ai dessiné une variante de mon blaze dans mon carnet :

mon blaze,

Il y avait des dizaines d’étudiants dans l’amphi d’à côté, pour une rencontre avec les cheminots et les postiers grévistes. Pendant ce temps, nous nous sommes retrouvés à sept, cinq garçons (dont un passant) et deux filles dont moi, pour un atelier tranquille et calme d’écriture à partir de ce début de citation que je leur avais donné : « Enfin la terre s’ouvrit et ». Ensuite ils et elle ont lu leurs textes, c’était beau, très beau par moments. Parlant de mines, de cendres, d’histoire engloutie, de sectes suicidaires, de déplacements humains… « du gouffre hurlant s’échappait la lumière chaude de la vie ». Je leur ai donné la citation entière : « Enfin la terre s’ouvrit et Gérard de Nerval apparut », et son auteur : Antonin Artaud. Nous avons parlé un moment des textes qui venaient d’être écrits, puis de Nerval et d’Artaud, et aussi de notre situation ici, sous terre, dans cet amphi de cette fac construite toute en niveaux serpentants et différents pour éviter les rassemblements d’étudiants, et aussi du printemps où la verdure sort de la terre.

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Je suis repartie, passant entre de petits ateliers installés dehors, barbouillage d’affiches publicitaires et découpe de bois, comme à l’arrivée et comme tout le monde j’ai grimpé par-dessus la clôture et j’ai marché dans les rues, photographiant au passage les graffs et aussi quelques œuvres de street art (pas les grandes fresques du 13e que j’ai déjà photographiées, mais de petites œuvres nouvelles). Voici d’abord les graffs :

graff

graff 2

graff 3

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Et voici d’autres œuvres de street art et des images de la ville :

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du bout des doigts

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street art

street invader

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Il faisait très doux, enfin le printemps, que berçait une petite pluie fine. Les prunus en fleur embaumaient dans certaines rues, et des enfants jouaient.

prunus en fleur

enfantsaujourd’hui à Paris 13e, photos Alina Reyes

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Street Art à la fac Tolbiac et dans le quartier

street art paris 13,aux Gobelins, puis en marchant vers la fac, je n’ai photographié, parmi les nombreuses œuvres au long des rues, que celles que je n’avais pas encore photographiées

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street art paris 13 b là, avec ces tôles ondulées, on arrive à la facstreet art paris 13 c

street art paris 13 d et voilà la fac, j’entre dans la facstreet art paris 13 e

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street art paris 13 m et je ressors dans le quartier, d’abord devant l’école de journalisme puis les habitationsstreet art paris 13 n

street art paris 13 oAujourd’hui à Paris 13e, photos Alina Reyes

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Bonne année !

Nous nous souhaitons bonne année pour l’année qui vient, c’est bien, mais n’oublions pas de nous dire aussi, intimement, bonne année pour l’année passée : de nous rappeler tout ce que nous estimons digne d’être retenu dans le temps vécu.

fevrier,,-minAprès la crue de la Seine en janvier, à Paris la péniche en béton de Le Corbusier a coulé

fevrier,-minNeige en février à Paris, ici en face de la Grande mosquée

fevrier,,,-minFévrier à Édimbourg, l’université la nuit

mars,-minMars à Edimbourg, encore plus magnifique sous la neigemars-min

mars,,,-minMars, après un cours au Collège de France

mars,,-minMars, sous-sol du château de la Roche-Guyon, où j’ai participé à une journée d’étude

avril,,-minAvril sur l’île Saint-Louis à Paris, j’étais en heureuse compagnie

avril,-minToujours en avril à Paris, manifs et cerisiers en fleur

avril-min

mai-minAvril-mai : à la fac de Tolbiac occupée et taguée, où j’ai animé un atelier d’écriture

mai,-minMai, la façade du McDo face au Jardin des plantes, après la manif où Benalla s’illustra

mai-minMai à l’université de Cergy-Pontoise, où je suis allée remettre ma thèse

juin-minJuin à Paris, je colle des post-it un peu partout

juillet-minJuillet, vue de ma chambre d’hôpital à la Pitié-Salpêtrière

juillet,-minJuillet, lotus au Jardin des plantes

octobre-minOctobre, travaillant à la bibliothèque des chercheurs du Muséum

octobre,-minOctobre, au Mont-Saint-Michel

octobre-minOctobre, à Saint-Malo

novembre-minNovembre, à la Pitié-Salpêtrière, où je continue les soins après une deuxième opération en septembre

novembre,-minNovembre, au bord de la Loire, où nous sommes allés notamment à Chambord et dans la maison de Léonard de Vinci

novembre,,-minFin novembre, place d’Italie où tous les travaux vont être promptement terminés avant la manif des Gilets jaunes

décembre-minDécembre, mes quatre fils réunis dans les Pyrénées et un Noël en famille, de 4 à 62 ans

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2018, photos Alina Reyes

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Bonne année !

Reportage photo du jour dans le 13e

paris 13 1C’est parti pour deux heures de balade dans le sud du 13e, côté asiatique. Comme j’ai maintes fois photographié les très nombreuses œuvres de Street Art qu’on peut y admirer, je ne les ai pas rephotographiées, sauf quelques petites œuvres nouvelles ou changées avec le temps, comme celle-ci. Pour les grandes fresques et autres, suivre le mot-clé street art.

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paris 13 4Il y avait là une fête nord-africaine avec de la bonne musique, tambour et une espèce de cornemuse.

paris 13 5En approchant de la fac de Tolbiac, la rue Nationale a été renommée rue Clément Méric.

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Père et fils cassent la croûte sur des marches, rue de Tolbiac

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C’est trop beau, un camion de pompier, non ? J’adore les voitures et les camions, en vrai comme en jouets

paris 13 9Où les restos asiatiques peuvent se fournir en chats porte-bonheur

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paris 13 12Un oiseau peint sur une feuille de journal chinois

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paris 13 15À l’entrée du parc de Choisy

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paris 13 29Place de la mairie, un jour de mariages

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Des enfants jouent aux cartes en attendant la fin de la cérémonie.

Cet après-midi à Paris 13e, photos Alina Reyes

Ensuite je suis allée marcher dans le 5e.

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Lavage de cerveaux

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Je suis repassée devant la fac de Tolbiac. La façade est de nouveau de béton cru, même les plus belles fresques ont été effacées. Sur le côté, des ouvriers immigrés étaient en train de frotter pour enlever les derniers tags. L’art, la littérature, la connaissance sont pourtant les seules portes de sortie des idéologies, de toutes sortes d’idéologies – toutes sont morbides.

 

paris 13eces jours-ci à Paris 13e, photos Alina Reyes

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Écrire habiter

C’est le titre de ma thèse : « Écrire habiter ». Le fait que des anciens et des sympathisants de « la commune libre de Tolbiac » visitent abondamment ma note précédente (près de 1500 visiteurs uniques en une journée), présentant les photos des fresques et des graffitis qui restent comme autant de traces de l’occupation de cette université, aujourd’hui évacuée, me donne à penser encore le désir profond de poésie qui anime les humains en ce monde trop souvent déshumanisé.

Je marche dans la ville comme je marche dans la forêt. Philippe Descola dans Par-delà nature et culture rappelle qu’au Japon comme dans d’autres cultures, l’environnement naturel « est ce qui relie et constitue les humains comme expressions multiples d’un ensemble qui les dépasse ». Un ensemble urbain doit aussi constituer un environnement naturel. Les productions et la vie humaines sont des sous-ensembles de l’ensemble du vivant, au même titre que les productions et la vie animales, végétales, et d’autres règnes connus et inconnus. C’est la conscience de cet être que cherchent les humains.

 

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paris 13 9ces jours-ci à Paris 13e, photos Alina Reyes

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Je suis allée écouter parler Giorgio Agamben. Du vocatif, de la voix, de la langue, de politique

agambenGiorgio Agamben, en veste et pull sombres, cet après-midi à l’école supérieure de chimie, de 14 heures à 18 heures passées, photo Alina Reyes

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Ce qui se passe autour de quelqu’un qui est invité à parler peut être aussi intéressant, d’une façon ou d’une autre, que le discours tenu. En l’occurrence, écouter parler Giorgio Agamben fut évidemment un bonheur, je vais y revenir. Mais voyons un peu ce qui s’est passé autour.

La conférence, organisée par l’École Pratique des Hautes Études à l’occasion de son cent cinquantenaire, devait se tenir à la Sorbonne, en ce 4 mai – hasard du calendrier, comme on dit, date de la commémoration officielle (ça ne manque pas de sel) de Mai 68. Mais la Sorbonne, redoutant un blocage des lieux par des étudiants, a renoncé à la recevoir. Elle a finalement été accueillie par l’École nationale supérieure de chimie, non loin de là, chez Marie et Pierre Curie. En y allant à pied, j’ai dû faire un détour, ne pouvant emprunter la rue d’Ulm barrée par la police en raison de l’occupation de l’ENS par quelques étudiants qui ont tagué les vénérables locaux et jusqu’au monument aux morts de l’école pour protester contre la sélection (ce qui ne manque pas de sel non plus, les élèves de l’ENS étant le produit d’une hypersélection, comme certains profs agrégés et/ou qui en sortent et qui protestent aussi, ailleurs, contre la sélection sans laquelle ils ne seraient pourtant rien). Ce soir il semble que l’occupation de l’ENS ait pris fin, et qu’il ne reste plus qu’à nettoyer les dégâts, comme d’habitude (le prolétariat est là pour ça) avant de pouvoir reprendre les cours.

Quand je suis arrivée, l’amphi était déjà presque plein, et je me suis installée dans ses hauteurs, regardant Agamben, là en bas derrière la table, avec appétit. Après la présentation, il a commencé à parler, d’une voix douce, ferme, avec un accent italien. La voix, justement, était l’objet de sa grande leçon. Une heure durant, il a parlé de « la voix comme problème philosophique », et je prenais des notes dans mon cahier avec un intérêt d’autant plus vif que j’avais souvent des objections à faire – en tout cas, c’était très stimulant. Il s’est d’abord penché sur le vocatif, ce cas grammatical qui sert à appeler, en convoquant Diogène Laërce, les Stoïciens, Aristote, Moby Dick (« Call me Ismael »), Rimbaud (« Ô saisons ! ô châteaux ! »), Benveniste… Contrairement aux autres parties du discours, a-t-il fait remarquer, le vocatif ne se limite pas à dire quelque chose, il appelle. C’est un cas proche du nominatif, qui nomme, et d’où tombent les autres cas, d’après les Stoïciens. Pour les linguistes modernes ce n’est pas un cas, certains le considèrent même comme hors langue. Par lui, a dit Agamben, la langue pourrait chercher à saisir quelque chose qui l’excède. Il n’est pas un lexème, sinon le dictionnaire pourrait être considéré comme une longue suite de vocatifs – ce qu’il est peut-être pour les poètes, a-t-il dit. N’est-ce pas beau ?

Ensuite il a parlé de la voix, selon Aristote élément du processus de la langue, du discours, avec les affections de l’âme, les lettres et les choses. La voix contenant les choses comme une matière. Les animaux ont des voix mais aucune n’implique la lettre, a-t-il dit (mais la voix humaine l’implique-t-elle nécessairement ? avais-je envie de demander) : ce qui rend intelligible la voix c’est la lettre (affirmation qui me paraissait tout aussi digne de nuances). Il a rappelé que Derrida donnait primat à la voix sur la lettre (chose encore une fois très discutable à mon sens).

Enfin il a rappelé le dernier cours de Benveniste au Collège de France. L’écriture a permis à la langue de se constituer. Ce déplacement, « acte fondateur » selon le linguiste, fut aussi dans son optique la révolution la plus profonde que l’humanité ait connue depuis celle du feu. La langue se constituant comme interprétant de tous les autres systèmes – le système primaire de l’oreille étant réveillé par les systèmes de la main et de l’œil. Agamben a évoqué la naissance de la phonétique au dix-neuvième siècle, puis celle de la phonologie. Considéré que la voix et le langage sont aussi hétérogènes que la nature et la culture, l’histoire ; le langage est une construction historique, grammaticale, ne pouvant exister sans un acte qui l’incarne, la parole. Le sujet de la langue, l’homme, est aussi divisé que sa langue et son histoire. Il a conclu en disant que ce problème était essentiellement politique, déterminant ce qui est humain et ce qui ne l’est pas, et ouvert d’un mot sur une autre problématique, celle de la bioéthique.

Pendant ce temps, tout en l’écoutant attentivement, je regardais, de l’autre côté de l’amphi, en haut, en face de moi, un petit vieux singulier, maigre, voûté, chauve, enveloppé d’un imperméable beige, qui avait posé son chapeau à quelques mètres de lui sur le rebord et se débattait avec quelques feuilles où il notait de temps en temps quelque chose, le reste du temps remuant ou s’affaissant comme désarticulé. À moment donné, il a fait tomber ses feuilles en bas de l’amphi, il s’est alors déplacé cahin-caha en se tenant aux rebords, il a disparu et il est réapparu avec, les ayant récupérées. Nous le reverrons avant la fin de cette note.

Après Agamben, plusieurs intervenants ont parlé à leur tour sur des sujets en lien avec l’œuvre du philosophe italien. Je ne vais pas résumer chacune de leurs interventions, je me contenterai de dire que j’ai été spécialement agacée par celle d’une sorte de blanc-bec dont j’ignore le nom mais qui est sûrement quelqu’un de tout à fait diplômé et reconnu, un type entre deux âges déjà vieux beau mais d’une beauté à la facho, tirée à quatre épingles – tout le contraire du petit vieux. Son sujet c’était « Le ton apocalyptique », mais au lieu de parler de religion il a tenu un discours carrément religieux, ressassant la langue de bois des « rédemption » et autre « salut » comme s’il s’agissait de réalités scientifiques, et de façon aussi prétentieuse que vaine. Je me suis abstenue d’applaudir quand, enfin, il a terminé. Mais j’ai été très intéressée par l’intervention d’un spécialiste de l’islam sur les différents temps du messianisme dans l’islam chiite, et comment certains penseurs avaient pu passer de la catastrophe politique qu’est un messianisme historique à celle d’un messianisme en esprit, non inscrit dans le temps mais dans l’instant, rejoignant ainsi les visions de soufis sunnites tels Rûmî ou Ibn Arabî.

La dernière intervention, davantage axée sur le sens politique de l’œuvre d’Agamben, fut malheureusement perturbée par le comportement indigne du deuxième conférencier, celui qui m’avait déjà agacée avec sa langue de bois catho. Une heure durant, le gars, toujours assis à la table avec les autres conférenciers, a échangé des textos avec quelqu’un qui était dans la salle, et que je voyais très bien depuis ma place – un vieux avec le journal La Croix bien en évidence devant lui. Pendant que leur collègue parlait, avec une grossièreté inouïe, ils n’ont pas arrêté de communiquer par sms, riant silencieusement mais bien visiblement de leurs échanges. J’essayais de les ignorer, mais devoir voir cela perturbait autant l’écoute que s’ils avaient parlé à voix haute dans leur téléphone. Comme me l’a dit un jeune homme à qui j’ai raconté la scène, faire ça, c’est vraiment sale.

Grâce aux questions du dernier intervenant, Agamben a pu préciser sa position politique qui, plutôt qu’un pouvoir constituant, cherche la puissance destituante. « Il y en a marre, a-t-il dit, de la violence pour remplacer un système par un système pire. On est face à des gouvernements qui cherchent à rendre impossible l’action. Cela veut dire que l’on doit penser autrement l’action, et non pas retomber indéfiniment dans la même stratégie de conflit et de lutte. » Agamben pense par exemple à des formes de résistance comme celle de Bartleby dans la nouvelle de Melville, ce personnage qui se contente de dire, quand on lui demande de faire quelque chose : « je préfère pas », et ne la fait pas. Je cherche quelque chose de totalement hétérogène, a-t-il ajouté – et j’étais là entièrement d’accord avec lui – d’autant plus après avoir écouté l’autre jour Frédéric Lordon dire tranquillement aux étudiants bloqueurs de Tolbiac que la révolution que lui et eux appelaient de leurs vœux entraînerait forcément une violence suivie d’une dictature (entendre cela et entendre applaudir ceux qui entendent cela est assez glaçant).

Pour terminer, la parole a été donnée pour quelques minutes au public. Alors j’ai vu que le petit vieux était descendu dans l’amphi, qu’il se trouvait non loin de l’estrade, et qu’il apostrophait Agamben avec un accent italien, en évoquant la physique contemporaine et la possibilité de « s’évader du futur » (au sens, m’a-t-il semblé, des lendemains promis comme chantants). Giorgio Agamben l’écoutait visiblement content et lui a dit qu’il était tout à fait d’accord avec lui. Ensuite c’est un costaud africain qui a pris la parole, lui aussi doté d’un style intéressant, large pantalon de toile claire et bonnet foncé, lui aussi avec un accent (africain), pour lui parler des jésuites de Rome qu’il semblait connaître et lui demander ce qu’ils lui disaient, à lui, Agamben. « Ils ne me disent rien, parce que je ne leur parle pas », a-t-il répondu. Et ce fut le mot de la fin.

Voir aussi : ma note à partir du livre d’Agamben Ce qu’il reste d’Auschwitz

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(en vignette, une page de mon carnet remplie de nombres premiers pendant la conférence)

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La révolution sans pantalons

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tag censier 3tags à la fac occupée Censier, ces jours-ci

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Que des enfants de bourgeois aient l’envie de se donner l’illusion de sortir au moins un temps de leur condition, quoi de plus macron, au fond ? Que des étudiants aient envie de jouer à la révolution, quoi de plus conforme à la tradition ? L’ordre des choses est respecté, les médias y font leur beurre, les syndicats et les politicards s’y frottent les mains, tout va bien.

Tout va très bien, madame la marquise, mélodie d’amour chante le cœur d’Emmanuel épelliculé par Trump le clown. Mélenchon rime ouvertement avec bidonnons, son Le Média et Reporterre inventent un quasi-mort dans une énorme flaque de sang caché tout à la fois par la police, l’hôpital et les balayeurs de Paris, sans compter les voisins, tous complotistes aussi. Des universitaires parfois à visage découvert, plus souvent masqués comme des camions volés (c’est qu’ils ont une position dans la société, ils ne vont pas clamer leurs opinions autrement qu’anonymisés, planqués derrière leurs écrans !), fustigeurs du mensonge général, adeptes de Debord et autres grands noms, propagent et repropagent la fake news étayée sur du néant, dans leur avidité à se ranger avec les étudiants occupeurs de facs, se vautrant dans leur puérilité retrouvée, si tant est qu’ils l’aient jamais perdue, fricotant mentalement avec ces petits jeunes (encore un retour de tradition de l’Éducation sexuelle nationale à la fois soixante-huitarde et trogneux-macronienne), s’accordant plus de promiscuité en allant distribuer leur bonne parole dans des amphis occupés comme des curés entraînant leurs plus jeunes ouailles dans les sacristies, eux qui ont franchi toutes les sélections possibles (et indispensables), qui ont passé tous leurs examens, qui sont casés et appointés par leur ennemi imaginaire et n’ont rien à foutre des étudiants empêchés par leurs soins empressés de passer à leur tour les examens qui devraient les libérer des profs abusifs.

Ainsi tourne le cercle vicieux, avec en son centre des jeunes infantilisés par tout le système pédagogique, comme je l’ai plus d’une fois dénoncé ici, en stagiaire à l’Espé et en néoprof, des jeunes plus qu’inquiets du monde qui leur est légué, comme révélé lors de l’atelier d’écriture que j’ai animé à Tolbiac occupée, des jeunes qui voudraient se débarrasser du poids écrasant des générations précédentes et de leur idéologie, comme l’indiquent des tags agressifs envers mai 68 dans les facs occupées, des jeunes, bloqueurs ou bloqués, une fois de plus instrumentalisés, récupérés, piétinés d’une façon ou d’une autre, empêchés de voir que ce qui les entrave n’est pas Parcours Sup, tout défectueux qu’il soit, mais le fait qu’ils reçoivent un enseignement très médiocre, de plus en plus dégradé, tout au long de leur scolarité, qui les destine à vivre dans l’état et les mentalités d’un pays arriéré.

street art tolbiac 1bravo aux artistes qui ont su égayer un peu cette fac Censier sinistre

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tag tolbiac 2street art et tags à la fac Censier évacuée, hier. Photos Alina Reyes

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Les facs bloquent, la pluie pleut, les arbres verdissent

Sur mon chemin, en passant devant la Sorbonne Nouvelle, alias Censier, j’ai vu qu’elle était à son tour bloquée.

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Au retour, repassant par là, j’y suis entrée. Voyant écrit CDC sur un panneau, j’ai pensé un instant qu’il s’agissait de la Clé des Chants, la chorale de la Sorbonne dont j’ai fait partie – mais non, c’était pour dire, sur le modèle de la Commune de Tolbiac, où je suis allée l’autre jour, Commune de Censier.

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Entre les deux, tout en contemplant la pluie fine qui pleuvait sur la verdure des arbres tout frais parés de feuilles et de bourgeons (assise là-haut au niveau du faîte des arbres derrière les grandes baies vitrées), j’ai travaillé à ma thèse magnifique avec bonheur. Avec mon corps qui a tant envie, ces temps-ci, de dessiner-peindre et surtout de danser. Il faudrait un autre verbe pour dire l’activité qui consiste à faire ce que je fais, un mélange de dessin et de peinture – j’appelle dessin tout ce qui tient du trait, et peinture tout ce qui est de la couleur, qu’elle vienne de la peinture ou d’autres médias, encre, crayons etc. (cf note précédente, par exemple). Tout en continuant la danse orientale, j’ai envie de commencer à pratiquer aussi une autre danse, danse jazz ou danse moderne, c’est comme si mon corps tout entier avait envie de dessiner dans l’espace. J’ai noté à la volée dans mon carnet : Bibliothèques, Ateliers, Jardins : havres de travail, havres de paix.

tagtag photographié devant Censier l’autre soir en sortant du cours de danse

à Paris 5e, photos Alina Reyes

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