Petites pensées sur le Coronavirus

ce soir à mon bureau, photo Alina Reyes

roi et mage, ce soir à mon bureau, photo Alina Reyes

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Les rassemblements, c’est festin pour les virus. Manquerait plus que quelque invité des Césars ait le Coronavirus et le refile à l’assemblée pailletée. Polanski a bien fait de rester chez lui, à son âge ça ne pardonne pas.

Je remarque que quasiment personne ne dit Covid-19, le nom qu’on a donné à la maladie, mais que quasiment tout le monde continue à parler du Coronavirus. Le mot n’est pas si simple à prononcer mais il est plus humain que l’autre nom de science-fiction. Et puis corona, couronne, c’est joli. Il y en a peut-être qui pensent plutôt à la bière – celle qui se boit, pas celle où on enterre, du moins je l’espère.

Que peut-il bien y avoir dans la tête d’un virus ? Dans celle du Coronavirus ? Un virus a son intelligence et il sait s’en servir pour bien se débrouiller dans la vie. Celui-ci a l’élégance de plutôt épargner les jeunes personnes, contrairement aux polanskis et autres matzneffs. Il y a deux ans, j’avais tiré une leçon politique des virus. Et maintenant c’est un virus qui prend le commandement de la politique.

Le Coronavirus c’est un peu comme, dans la Bible, Dieu qui se manifeste dans un léger souffle, alors qu’on l’attendait dans quelque énorme catastrophe naturelle. L’un n’empêche pas l’autre, évidemment. Mais le virus, avec ou sans couronne, montre clairement à quel point tous les rois et les césars du monde sont petits, bien plus que lui.

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Nos dames de Paris et autres maires

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Notre-Dame de Paris brûlée, mais Notre-Dame de Paris bientôt rendue aux Parisiens sous la forme d’une maire nouvelle ou renouvelée ? Hidalgo, Dati, Buzyn ne sauraient faire office de femmes providentielles – tant mieux, ce n’est pas de Providence ni de symboles ni de consolation dont nous avons besoin, mais de bonne politique – domaine dans lequel les trois candidates se sont déjà révélées tout aussi médiocres, voire mauvaises et/ou peu honnêtes, que l’ensemble de la classe politique de ces temps.

la parisiennePlutôt que pour l’une de ces dames, je voterais bien pour une Parisienne très éloignée de toute cette pesante bourgeoisie : l’antique Crétoise nommée La Parisienne pour sa grâce et son allure de grande liberté, éternellement jeune et vivante, qui sourit, aussi lumineusement que la Joconde, des aléas du temps. Électrices, électeurs, nous avons en nous la possibilité d’une autre élection, celle de notre propre esprit.

Quand on voit certaines décisions ou certains projets de maires ou de candidats, certains endettements de municipalités pour des grands travaux inutiles ou même nuisibles, pour des entreprises sans avenir (pensons par exemple aux stations de ski entêtées à maintenir à n’importe quel prix cette seule activité alors que la neige disparaît) on peut se dire que des administrateurs se contentant de faire en sorte que ce qui est fonctionne et que la ville ou le village restent vivables pour tous, feraient moins de mal que des élus à lubies perdant pied avec la réalité, comme cela se produit aussi au plus haut sommet de l’État. Moins de compétitions d’égos et plus d’écoute de la réalité, plus de concertation et une entière honnêteté, voilà ce qui rend possible la vie en commun, jour après jour.

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street art 10-minCes jours-ci à Paris, photos Alina Reyes

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Les âmes mortes, suite : abus et dissimulations (Jean Vanier etc.)

 

Révélations sur Jean Vanier, fondateur de l’Arche, idole internationale des catholiques et autres, copain du pape François et, de long temps, de Julia Kristeva (lucidité de ces prétendus spécialistes de l’esprit humain : zéro – ou bien c’est que l’abus leur est commun*). Complice pendant des décennies d’un prédateur sexuel et lui-même accusé d’abus sexuels, viols de femmes sous emprise « spirituelle », sur une période d’au moins trente-cinq ans.

« Lorsqu’on s’autorise à rencontrer l’autre, on trouve des trésors », disait-il, gardant pour lui la suite : « à piller ». Le bonhomme causait toujours, d’une voix doucereuse, des personnes en état de vulnérabilité : il en connaissait un rayon, puisqu’il s’en servait. Jamais aimé sa parole sirupeuse, son cinéma de gourou, sa contenance de tartuffe. Mais la bonne société apprécie ça, toujours. Ces façades en trompe-l’œil de ses tristes maisons.

« Mais ce n’est pas le fait que le héros déplaira qui est pénible, c’est la certitude absolue que ce même héros, ce même Tchitchikov aurait pu plaire aux lecteurs. Si l’auteur n’avait pas sondé les replis de son âme, remué au fond ce qui échappe et se dérobe à la lumière, révélé les pensées les plus secrètes que l’homme ne confie à personne, s’il l’avait montré tel qu’il parut à Manilov et à toute la ville, — tout le monde eût été enchanté et l’aurait trouvé intéressant. C’eût été un mannequin dépourvu de vie ? Soit ; mais aussi, la lecture terminée, on pouvait en toute quiétude retourner à la table de jeu. » Nicolas Gogol, Les âmes mortes, trad. d’Henri Mongault

*cf Sollers-Kristeva, l’un acoquiné avec Matzneff, l’autre avec Vanier

Maternité, bonheur et liberté

 

(Suite) Macron et Branco sont quasi-anagrammiques. Ces frères de classe sont de faux ennemis. Via Mimi Marchand, Piotr Pavlenski ou autres instruments de com, dont une langue viciée, ils usent de la même arme : la manipulation. Arme des inaccomplis, des enfants gâtés ou jamais assez regardés, se poussant au centre de l’attention pour occuper une place qu’ils estiment leur être due sans qu’ils aient à en produire une preuve réelle. Comportement emblématique de leur classe, fondée sur l’esprit de domination – esprit qui peut se retrouver aussi partout, au-delà des classes, à l’échelle de la famille. Esprit du secret de famille, précisément, culture des actes commis dans l’ombre, inavouables ou du moins inavoués, faussement justifiés par quelque « bonne raison » et ne visant en fait, sans jamais le reconnaître, qu’une satisfaction personnelle.

La mode est aux témoignages de jeunes femmes contre les inconvénients en tous genres de la maternité, présentée comme repoussante. Dans ce monde sinistre, je témoigne au contraire de maternités bienheureuses, tout imparfaites et chargées d’erreurs qu’elles aient été ou puissent être encore. Adolescente, je ne me voyais pas d’avenir : obligée de travailler tous les étés depuis l’âge de douze ans, et comprenant de plus en plus qu’il me serait impossible de faire des études supérieures (ma famille étant trop pauvre), ayant des rapports difficiles avec mes parents et surtout avec ma mère, j’avais décidé de ne pas avoir d’enfants. Et puis à dix-neuf ans, je me suis trouvée enceinte et j’ai accueilli le fait avec bonheur. Mes deux premiers fils sont nés alors que j’avais vingt puis vingt-quatre ans, les deux derniers alors que j’avais trente-huit puis quarante ans. Cette première maternité m’a sauvée du risque de dépression auquel je pouvais être exposée dans ma détresse sociale, et il en fut de même pour les suivantes, même si ma situation ne fut pas toujours aussi périlleuse. Mes enfants m’ont sauvée, me sauvent, mais aussi m’ont accompagnée dans ma vie de femme libre et d’artiste, par le don de vie qu’ils sont.

On emploie l’expression « donner la vie » mais il faudrait dire, davantage : « accueillir la vie ». Car nous ne donnons pas la vie, nous la recevons. Et ce qu’il faut aux parents, c’est apprendre à recevoir la vie que leur apporte leurs enfants. Ma mère disait couramment à ses enfants que c’était elle qui les avait faits. C’était faux : nous ne faisons pas nos enfants ; simplement, ils poussent dans notre corps, puis ils en sortent – mais nous ne sommes pas les auteur·e·s de la vie. Leur auteur est « au ciel », nous sommes poussière d’étoiles et nous ne sommes que des parents intermédiaires ; adoptifs en quelque sorte, si nous ne nous comportons pas comme leurs propriétaires. Elle me dit un jour combien elle appréciait son sentiment de toute-puissance, « de vie ou de mort », sur les nouveau-nés, si fragiles. Cette façon de concevoir la maternité me rappelle la vision d’épouvante qu’en avait Simone de Beauvoir, vision qui se retrouve aussi dans l’esprit de ces jeunes femmes qui témoignent contre la maternité dans certains médias ou sur les réseaux sociaux, notamment féministes. Vision qui témoigne d’une impossible émancipation des femmes, mais aussi de soi et des êtres humains en général, vus comme des objets : manipulables et à manipuler. C’est toute une conception du monde qui est à renverser, pour le sauver de la mort.

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Judas, son baiser de la mort, à autrui et à lui-même infligé

 

« Nous creusons la fosse de Babel » Franz Kafka

Selon les chrétiens, le rôle de Judas était nécessaire, puisqu’il fallait que le Christ soit crucifié. C’est là où je me sépare des chrétiens. Depuis le début – et je l’ai écrit, en ces débuts de ma passagère conversion au christianisme, dans mon livre Voyage (aujourd’hui épuisé, et que je ne veux pas rééditer) – je refuse de croire en la nécessité de la crucifixion, je m’élève contre ce principe de sacrifice humain, qui plus est fondé sur la trahison. La trahison existe, mais elle n’est pas nécessaire, tout au contraire : moins elle existe, mieux nous nous portons.

Les chrétiens ne sont d’ailleurs pas honnêtes sur ce point : d’une part, en persécutant les juifs pendant des siècles parce qu’ils auraient prétendument crucifié le Christ (pourquoi leur vouer tant de haine, s’ils n’ont fait, selon leur vision, qu’accomplir la volonté de Dieu en condamnant Jésus ?) ; d’autre part, en ne voulant pas voir que le Christ n’a rien fait, parce qu’il n’y avait rien à faire, pour sauver Judas. Le sort réservé à Judas dans les évangiles prouve paradoxalement que la faute que lui fait faire la vision chrétienne du monde est sans retour. Comment Judas, après avoir laissé parler le Menteur à travers lui, pourrait-il prétendre inspirer confiance, comment pourrait-il garantir que sa parole serait désormais fiable ? Un aveu fait aux personnes concernées pourrait le libérer en partie du poids de sa faute – rien de plus.

Les judas sont nombreux (cette note fait suite à mes notes précédentes sur l’affaire Griveaux, dont les différents protagonistes se sont révélés traîtres, à commencer par Griveaux lui-même, qui a trahi sa femme et dans une moindre mesure ses électeurs, devant lesquels il se présentait en chantre du mariage). Nul n’est à l’abri d’une traîtrise, commise ou subie. Mais les degrés de traîtrise, et donc leurs suites, diffèrent. Le Logos a ses lois que les borgnes et les aveugles de l’esprit ne voient pas. La seule atténuation du mal qui leur reste possible est d’apprendre à ouvrir les yeux, et à assumer les conséquences de leur pensée si gravement faussée, et de leur geste contre la vérité et la vie.

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