Devant la Loi

« (…) Pendant toutes ces années, l’homme observe le gardien presque sans interruption. Il oublie les autres gardiens et celui-ci lui paraît être le seul obstacle qui l’empêche d’entrer dans la Loi. Il maudit le malheureux hasard, les premières années brutalement et d’une voix forte, puis, plus tard, devenu vieux, il ne fait plus que ronchonner. Il devient puéril, et comme pendant toutes ces années d’études du gardien il a également vu les puces dans son col de fourrure, il finit par prier aussi les puces de l’aider et de faire changer d’avis le gardien. (…) » Franz Kafka, Devant la Loi, trad. Laurent Margantin

Je disais la dernière fois qu’il est plus facile de rire devant un texte ou autre représentation du mal que devant la réalité du mal. Eh bien, en fait il faut nuancer cela. En lisant la parabole de la Loi de Kafka, on peut rire, mais pas autant que dans la vie en voyant certaines personnes attendre, coincées derrière leur système imbécile, et vous suppliant de les en libérer ; voilà qui fait rire franchement, pour ne pas dire franchement jubiler. Le mal se mord la queue tout seul, et ça lui fait mal.

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De mes rêves, de Matzneff et du sadisme, de la traduction…

Ces dernières nuits, j’ai fait deux très bons rêves de réunion de mon être, qui a été brisé – c’est pourquoi mon écriture l’a été aussi, mais en traduisant Homère je suis en train de la réunir – la preuve notamment par ce texte écrit l’autre jour, Rapport d’une guerrière, et aussi du fait que j’ai commencé à retourner à mon roman. Quand je pense que l’avocat de Gallimard a osé dire au tribunal, devant moi, entre autres mensonges, que mon livre Forêt profonde était mauvais, alors que je les attaquais pour plagiat, plus exactement pillage. Quelle défense minable et saloparde.

Je fais de très bons rêves, mais j’ai fait aussi, ces derniers jours, un cauchemar. Un chien, un de ces molosses dégénérés faits pour tuer, me poursuivait, visiblement « amoureux » de moi. Chaque fois que, épuisée, je m’arrêtais pour souffler, il s’accrochait à moi, et je sentais sa gueule baveuse (rien d’autre de son corps, heureusement). C’était extrêmement immonde, mais il y avait quelques gens qui voyaient ça, et même s’ils ne faisaient rien pour l’empêcher, je me disais qu’au moins cela me protégeait un peu de la mort. Finalement j’ai réussi à appeler un vétérinaire pour qu’il le pique. Il est arrivé et l’a fait, en lui injectant le produit directement dans la gueule. Un instant j’ai été étonnée que le chien se laisse ainsi faire, mais l’instant d’après j’ai pensé qu’en effet il était habitué à la soumission, c’était une bête dressée, et bête. J’ai éprouvé un immense soulagement. C’était donc un très bon rêve aussi, en fait.

Avec la sortie d’un livre de Francesca Gee, victime de Matzneff comme Vanessa Springora, on revoit des photos de ce dernier dans ces années-là. Le gars a des allures et des poses de fille, dirait-on en langage ancien. Faux langage, car les filles n’ont ni ces allures ni ces poses. En fait il ne s’agit pas de féminité ni de masculinité, mais de préciosité. Je suis sûre que Sade avait aussi de ces allures. Des gens qui ont de ces allures, le milieu littéraire en regorge. Elles s’expriment plus ou moins physiquement, mais dans la tête, la façon de parler et de penser, elles sont omniprésentes, chez les hommes et chez les femmes. C’est pourquoi je souffrais quand je me retrouvais au milieu de ces gens, c’est pourquoi je les fuyais. Cette préciosité est le signe d’un détraquement de la vie en eux, d’un détraquement de la sexualité, d’un détraquement de la pensée. Matzneff est pédophile, mais pédophile n’est pas un diagnostic suffisant. Cette pédophilie vient de ce détraquement d’esprits et de corps incapables de vivre des vies d’hommes et de femmes, des vies d’humains vivants, de les vivre pleinement. La pédophilie n’est qu’une des dérives possibles de ce détraquement, qui crée avant tout du sadisme. Matzneff est sadique avant d’être pédophile, sa pédophilie n’est qu’une des expressions possibles du sadisme. Voilà ce qu’il ne faut pas perdre de vue.

Il m’est arrivé par le passé de rire en lisant Sade, comme en lisant Kafka. Rire, contre les systèmes morbides qu’ils décrivent. Le rire est salvateur parce qu’il arrache au mal, il en détache au moins une partie de l’être, mais il est plus facile de rire à la lecture ou à la vision du mal que de rire à l’épreuve du mal. C’est là qu’il faut sérieusement apprendre à rire, les juifs en savent quelque chose.

J’ai lu quelques vers de ma traduction de l’Iliade à O. Il a dit « c’est très beau, vraiment très beau ; on dirait du Reyes, mâtiné d’Homère ». J’ai ri. En fait il ne lit pas le grec donc il ne peut pas vraiment comparer, mais bien sûr il a raison, toute traduction est l’œuvre de l’auteur·e de la traduction, et le miroir n’y est pour rien si c’est notre visage qui s’y reflète. C’est donc à l’auteur·e de passer à travers, et de là, de s’unir à l’auteur·e du texte d’origine. Un texte traduit ne sera jamais le texte d’origine, mais du moins il peut témoigner d’une union plus ou moins heureuse avec lui. Traduire Homère m’apprend aussi à me réunir.

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Achille l’incorruptible et une allégorie d’Homère

Plus j’avance dans ma traduction de l’Iliade, plus j’aime Achille. Une espèce d’Antigone au masculin, qui ne plie pas devant les décrets des humains quand ils sont iniques. Tout le monde essaie de leur faire accepter le compromis, mais comme le dit Achille, il y a plus d’honneur à suivre l’arrêt de Zeus que celui des hommes. Les autres l’accusent d’être trop fier, mais c’est parce qu’ils ne sont pas aussi humains que lui, ils ne comprennent pas que pour « une fille, une seule », une captive qu’Agamemnon lui a prise, il n’accepte pas les sept autres, et des beautés, qu’il veut lui donner, en plus de cadeaux et honneurs à n’en plus finir. Achille, dans un monde esclavagiste, connaît l’importance d’une personne, et qu’elle n’est pas échangeable. Le fait est qu’aujourd’hui on sait, même si on est loin de le respecter toujours, qu’il est inique d’échanger des personnes comme des objets. La leçon d’Achille reste à méditer. Par ceux qui prétendent agir au nom de Dieu alors qu’ils tuent des innocents comme par tous ceux qui pratiquent la manipulation de l’humain par l’humain, par tous ceux qui agissent contre le juste droit et s’y croient autorisés. On reproche à Achille de s’entêter dans son refus au lieu d’accepter de se soumettre au chef inique, mais c’est par sa posture pleine d’honneur qu’il participe à sauver l’honneur de l’humanité, et donc l’humanité.

J’ai fini aujourd’hui de traduire le chant IX, et malgré le marathon soutenu que constitue cette traduction intensive (neuf chants en moins de deux mois), je continue à m’émerveiller de la profondeur d’Homère, de la façon dont il approfondit sa réflexion sur tel ou tel thème en mettant en regard et enchaînant les histoires, et aussi de la beauté éclatante de ses allégories, comme celle-ci :

« Car les prières sont des filles du grand Zeus,
Boiteuses, renfrognées, qui louchent de chaque œil,
Qui marchent empressées derrière le fol aveuglement.
Il est fort et il a le pied prompt, le fol aveuglement,
C’est pourquoi toutes lui courent après ; sur toute la terre
Il les devance et nuit aux humains ; les prières, derrière,
Viennent guérir. (… )»
Iliade, chant IX, v. 502-508 (ma traduction)
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D’une histoire de sous-marins à une histoire d’art

L’Australie s’est donc engagée sur la voie d’être une colonie américaine. Si la Chine et les États-Unis se cherchent noise, ils pourront se battre via l’Australie – les EU préfèrent toujours faire la guerre ailleurs que chez eux. Ils ont tout gagné, les Australiens ! S’ils veulent perdre toute autonomie c’est leur droit, l’ennui c’est que ce forçage américain, pour ne pas dire cet acte de guerre à l’encontre de ses alliés-mêmes, qui non seulement chipe un contrat en douce, mais surtout installe ses grosses fesses yankees à la place d’une entente diplomatique française nuancée en cours depuis des années, est une menace pour l’équilibre du monde entier.

Biden ferait mieux de réfléchir à cesser de donner au monde le sentiment que les États-Unis sont prêts à tout pour éliminer toute sorte de concurrence. Ce genre de comportement finit mal. Mais voilà une occasion de se détacher un peu mieux des États-Unis, trop enclins à vouloir non des alliés mais des soumis, et de renforcer les liens intra-européens et les liens avec d’autres puissances, comme l’Inde (tous au yoga !) et aussi de chercher de meilleures relations avec des proches comme la Russie ou la Turquie, entre autres. Qu’enfin un jour on sorte de cette logique d’une puissance mondiale prédominante qui fait tout pour ne pas perdre sa place, que ce soit aujourd’hui les États-Unis, demain la Chine ou autre, pour développer des ententes mondiales générales et souples.

Je constate que L’Obs, Libé et Charlie Hebdo en ont fait le moins possible sur cette affaire. Les malheureux doivent avoir mal aux genoux, à force d’embrasser ceux des États-Unis. Ce sont les mêmes qui s’obsèdent du péril islamiste, en effet réel et immonde, comme s’ils en avaient absolument besoin pour servir à occulter d’autres périls encore plus graves, parce qu’autrement plus puissants. Que l’Afghanistan soit tombé entre les mains des islamistes semble être une aubaine pour eux, qui ne parlent jamais du Qatar, financeur d’islamistes et islamiste lui-même, en plus d’être esclavagiste – comme on l’a vu lors de la construction des équipements pour la coupe du monde de football – mais, contrairement à l’Afghanistan, riche, et nous achetant les plus beaux immeubles de Paris et son club de foot, entre autres. Voilà qui suffit à montrer clairement, avec la soumission aux États-Unis d’une pensée dominante représentée par ces journaux, que le parti de ces communicants, loin d’être celui de la liberté ou de la fraternité, est tout simplement celui de l’argent.

Agamemnon, dans l’Iliade, est le roi le plus antipathique qui soit, même si de temps en temps Homère lui accorde un regard bienveillant. Faisant mine d’être un grand guerrier mais toujours à l’abri pendant la bataille, se croyant inspiré par Zeus mais se trompant gravement dans ses analyses des situations, faisant mine de partager les gains mais gardant la majeure part pour lui, faisant mine d’être le protecteur de son armée mais l’emmenant à la boucherie, etc. La figure typique de l’homme qui fait mine d’être ce qu’il n’est pas et de vouloir autre chose que ce qu’il veut, exactement comme pas mal de princes d’aujourd’hui, dans toutes sortes de domaines. C’est l’appât du gain qui attire ceux qui le suivent. L’appât du gain, qu’il s’agisse de gain financier ou de gain symbolique, détruit la liberté des citoyens comme celle des créateurs, et leur génie ou leur talent propre. J’ai vu hier soir une pièce de théâtre merveilleuse, dont j’avais vu la première version avant la pandémie, première version déjà merveilleuse. Tout ce qui est du génie propre de ses créateurs y reste génial, tout discours rapporté la déparerait et l’affaiblirait. J’ai vu aussi, dans une émission de Taddéi, un écrivain transformé en faussaire. Naufrage. Il n’y a pas de bon gain à n’être pas gratuit.

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Iliade, IX, 307-431 : le refus d’Achille (ma traduction)

J’ai traduit hier et aujourd’hui ce fantastique discours de refus d’Achille. Dévor (Ulysse) et Ajax ont été envoyés par Agamemnon supplier ce guerrier hors pair de revenir combattre à leurs côtés, alors qu’Hector et les Troyens sont en train de menacer de détruire l’armée des Achéens (ou Danaens) : lui seul peut les sauver – c’est d’ailleurs depuis qu’il a décidé de se retirer du combat, à cause de l’iniquité du chef des chefs, Agamemnon, qu’ils sont en déroute. Agamemnon lui promet monts et merveilles s’il revient au combat, des trésors à n’en plus finir, une de ses filles en mariage au choix, sept villes, des honneurs, et de lui rendre Briséis, la captive qu’il lui avait donnée en part d’honneur et qu’il lui a prise. Après que Dévor lui a exposé tout cela, voici donc ce que répond Achille (j’avoue, j’aime toujours me le représenter en Brad Pitt, trop beau et avec un air d’innocence, comme dans le film), cet ancêtre de Bartleby, qui fait la révolution par le non :
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Ainsi lui répond en retour Achille aux pieds agiles :

« Fils de Tresseur-de-peuple, né de Zeus, Dévor aux mille arts,
Il faut que je vous dise ma pensée en toute franchise,
Comme je l’entends, et ce que je ferai pour ma part,
Que vous ne roucouliez plus l’un l’autre, assis à mes côtés.
Autant que les portes de l’Hadès, il m’est détestable,
Celui qui, ayant dans l’esprit quelque chose, en dit une autre.
Je vous dis, moi, ce qui me paraît la meilleure chose :
Je ne crois pas que l’Atride Agamemnon me persuade,
Ni les autres Danaens, car il n’y a pas d’avantage
À se battre toujours, sans relâche, contre l’ennemi,
Mais une part égale à qui reste à l’écart et qui
Guerroie dur, un même honneur au vaillant et au lâche.
Et meurent de même qui ne fait rien et qui fait beaucoup.
Il ne m’a rien rapporté de tant souffrir en mon âme,
D’être toujours à exposer ma vie dans la bataille.
Comme un oiseau à ses petits sans ailes apporte tout
Ce qu’il a pris, en se donnant bien du mal, à la becquée,
De même, combien de nuits sans dormir ai-je passées,
Et de journées sanglantes, tout entières à me battre,
À affronter des hommes pour leur prendre leurs femmes !
Avec mes nefs, j’ai dévasté douze cités d’humains,
Et sur terre j’en compte onze dans la Troade fertile ;
Dans toutes j’ai pris un abondant et précieux butin,
Et tout ce que j’ai rapporté je l’ai donné à l’Atride
Agamemnon ; lui qui restait derrière, près des rapides
Nefs, le prenait, en distribuait un peu, en gardait plein.
Et alors qu’il donne des parts d’honneur aux rois et aux chefs,
Eux les ont bien gardées, mais à moi seul des Achéens
Il l’a prise, il a ma douce femme ; qu’il couche avec elle,
Qu’il s’en rassasie ! mais pourquoi se battraient-ils, les Argiens,
Contre les Troyens ? pourquoi a-t-il conduit une armée
Ici, l’Atride ? À cause d’Hélène aux beaux cheveux ?
Sont-ils seuls, de tous les mortels, à aimer leurs femmes, eux,
Les Atrides ? Tout homme qui est bon et sensé
Aime la sienne et en prend soin, comme moi je l’ai aimée
De tout mon cœur, toute captive qu’elle était.
Il m’a pris ma part d’honneur des mains, il m’a trompé,
Qu’il n’essaie pas, je le connais, il ne me convaincra pas.
Mais avec toi, Dévor, et avec les autres rois,
Qu’il songe à écarter des nefs le feu meurtrier.
Il s’est déjà donné bien de la peine, sans moi,
Il a bâti un mur, creusé un fossé large et grand,
Y a même planté des pieux ; mais il ne pourra pas
Arrêter ainsi la force d’Hector tueur d’hommes ; tant
Que je combattais avec les Achéens, il n’osait pas,
Hector, avancer hors des remparts le combat,
Il n’allait pas plus loin que les portes Scées et le chêne.
Il m’attendit là un jour, j’étais seul et c’est à peine
S’il put m’échapper. Mais je ne veux plus me battre avec
Le divin Hector, et demain, une fois sacrifié
À Zeus et tous les autres dieux, je chargerai et mettrai
Mes nefs à la mer, et tu les verras, si tu veux,
Si cela t’intéresse, naviguer sur le poissonneux
Hellespont, dès l’aube, mes hommes ramant avec ardeur ;
Si nous donne une bonne traversée l’illustre ébranleur
De la terre, en trois jours je serai dans la fertile Phthie.
J’ai là-bas de grands biens, que j’ai laissés pour mon malheur quand
Je vins ici, d’où je rapporterai l’or, le rougeoyant
Airain, les femmes aux belles ceintures et le fer gris,
Autant que j’en ai obtenu ; la part d’honneur qu’il m’avait
Donnée, il me l’a prise pour m’outrager, le fils d’Atrée,
Le roi Agamemnon ; dis-lui tout comme je l’ordonne,
Publiquement, que les autres Achéens se révoltent,
S’il espère tromper quelque Danaen encore ;
Lui, toujours bardé d’impudence, tout chien qu’il soit,
N’oserait jamais me regarder en face, moi.
Je ne l’aiderai ni de mes conseils, ni de mes bras ;
Il m’a trompé et offensé, il ne me bernera
Plus encore avec ses discours ; c’est assez ! qu’il disparaisse
Tranquillement ; le sage Zeus lui a pris toute sagesse.
Ses cadeaux me font horreur, et de lui je fais cas
Comme d’un cheveu. Même s’il me donnait dix ou vingt fois
Ce qu’il a maintenant ou qu’il pourrait un jour posséder,
Tout ce qui arrive à Orchomène ou à Thèbes
D’Égypte, où les maisons regorgent de richesses,
La ville aux cent portes, dont chacune laisse passer
Deux cents guerriers avec leurs chars et leurs cavales ;
Même s’il me donnait autant qu’il y a de sable
Et de poussière, jamais il ne convaincrait mon âme,
Agamemnon, avant de payer jusqu’au bout son outrage
Douloureux. Je n’épouserai pas la fille de l’Atride ;
Même si elle était rivale en beauté d’Aphrodite
Dorée, ou d’Athéna aux yeux brillants pour l’ouvrage,
Non, je ne l’épouserais pas ; qu’il prenne un autre Achéen,
Un qui soit comme lui et soit plus roi que moi.
Si les dieux me sauvent, si chez moi je reviens,
Pélée lui-même cherchera bien une femme pour moi.
Il y a nombre d’Achéennes en Hellade et en Phthie,
Des filles de seigneurs qui défendent leur ville,
Et c’est de l’une d’elles que je veux faire ma femme.
C’est là que mon cœur viril me pousse à aller
Prendre pour épouse une femme raisonnable,
Pour nous rassasier des biens acquis par le vieux Pélée ;
Il n’est rien pour moi qui vaille autant que la vie, pas même
Ce que Troie, ville bien peuplée, a dit-on acquis naguère,
Avant l’arrivée des fils des Achéens, en temps de paix,
Ni même ce que renferme le seuil de pierre de l’archer
Phébus Apollon dans la rocailleuse Pytho.
Les bœufs, les gras moutons, on peut les enlever,
Et on achète les trépieds et les blonds chevaux ;
La vie de l’homme ne revient pas, ne peut être pillée
Ni prise, une fois qu’elle a passé l’enclos de ses dents.
Ma mère m’a dit, la déesse Thétys aux pieds d’argent,
Que deux sorts, vers le terme de la mort, m’emporteraient.
Si je reste ici à combattre la ville de Troie,
Je perdrai le retour, mais ma gloire ne périra pas ;
Et si je reviens dans la terre de la patrie,
Je perdrai la noble gloire, mais une longue vie
Me sera donnée, et la mort ne m’atteindra pas trop vite.
Et moi j’encouragerais les autres Achéens
À rentrer chez eux, car vous ne verrez jamais la fin
De la haute Troie ; car surtout Zeus qui voit au loin
Étend sa main sur elle, et rend confiance à ses guerriers.
Vous, allez donc plutôt vers les chefs des Achéens
Rapporter mon message – c’est la part des anciens –
Pour qu’ils trouvent en réfléchissant une meilleure idée,
Qui puisse sauver leurs bateaux et l’armée achéenne
Devant nos nefs creuses, car elle n’est d’aucune aide,
Celle qu’ils ont imaginée, tandis que je suis colère.
Phénix peut rester avec nous pour passer la nuit
Afin de retourner sur nos nefs dans sa patrie,
Demain, s’il le veut ; je ne l’y forcerai pas. »

Ainsi dit-il, et tous restent sans bouger, sans voix,
Ébahis de ses mots : si rudement il a refusé !

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Remèdes pour la liberté

Pour son bureau à l’Élysée, Emmanuel Macron a choisi la Marianne d’un artiste (ou à peu près) américain qui signe Obey. Tout un symbole à méditer, à l’heure du coup bas des sous-marins et de l’alliance Aukus. Quand nous cesserons d’accepter d’enlaidir notre capitale des tulipes d’un autre de ces artistes (ou à peu près) américains, cadeau financé par ceux à qui il s’impose, et autres démonstrations de soumission de notre pays aux États-Unis, nous aurons le droit de critiquer le peu de soutien de l’Europe. En attendant, ce peu est mieux que rien. Puisse-t-il participer à réveiller les Européens.

J’ai enregistré une vidéo de mon texte Rapport d’une guerrière. Et j’ai d’autres idées à réaliser en ligne. Je ne suis pas du genre à obéir, moi, au système dominant, même si comme les États-Unis par rapport à la France, il a de plus gros bras que moi. Nous avons un cerveau, et ses possibilités ne se mesurent pas en termes de taille. Mieux vaut être petit et libre qu’enflé et prisonnier.

En me tendant mon traitement anticancer, le pharmacien m’a dit « vous ne prendrez pas cette cochonnerie toute votre vie, vous en serez bientôt libérée ». Cette cochonnerie nécessaire me fatigue beaucoup certains jours, mais j’aime à penser que lorsque je n’aurai plus à la prendre, dans deux ans, je rajeunirai, en retrouvant mon fonctionnement hormonal naturel, et alors sans doute, je courrai mieux, et je travaillerai mieux. Certains remèdes sont difficiles à prendre, mais la sortie du problème qu’ils promettent en vaut la peine.

J’ai feuilleté très rapidement le dernier livre de Mona Chollet en librairie, et je suis tombée juste sur un passage où elle dit que c’était son compagnon qui payait seul leur loyer. C’est tellement consternant. Et cohérent avec sa vulgarisation de l’image de la sorcière comme emblème de la féminité. Qu’une femme, ou des femmes, prétendent donner des leçons de libération des femmes alors qu’elles sont elles-mêmes si peu émancipées, c’est le même phénomène que celui des religieux célibataires qui donnent des leçons de couple : mensonge et hypocrisie. C’est la clé numéro 1 : les femmes qui continuent à penser plus ou moins confusément que c’est à l’homme principalement de payer ne seront jamais libérées. Pas plus que ne seront libérées la France ou l’Europe si elles continuent à penser plus ou moins confusément que c’est aux États-Unis de régenter le monde.

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RAPPORT D’UNE GUERRIÈRE (vidéo et texte)


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RAPPORT D’UNE GUERRIÈRE

Le mal est vieux. Voilà ce que j’ai compris en le voyant à l’œuvre. (Œuvre n’est pas le mot approprié, il faudrait dire désœuvre). Quel que soit l’âge de la personne qu’il investit, il l’imprègne de tout ce que la vieillesse peut avoir de mauvais.

Je dis le mal, je pourrais dire aussi bien le diable, si ce n’était risquer de donner à imaginer quelque chose qui ressemble à une personne. Le diable n’est pas une personne, mais un mal qui s’empare de certaines personnes, et dont ces personnes à leur tour, si elles ne s’en dépossèdent pas, contaminent d’autres. Ainsi donc « le » diable n’existe pas, il n’existe pas tout seul, il est légion. Mais si l’un d’eux, l’un de ces possédés, s’en prend spécialement à vous, alors c’est le mal tout entier que vous devez affronter à travers ce diable-là et ses contaminés.

Le mal a de la vieillesse non pas la paisible sagesse venue avec l’expérience et la connaissance, ni la beauté des ruines qui donnent à penser ; non, il n’a de la vieillesse que la morbidité, la faiblesse, les humeurs aigres, le tourment incessant, l’envie jalouse et mauvaise, la démence sénile et surtout la grande peur de la mort de ceux qui parviennent au terme de leur vie sans avoir osé la vivre, de ceux qui furent esclaves d’eux-mêmes et du regard des autres à en crever, des increvables parce qu’indécrottables, conservés dans la croûte de crotte de leur existence faussaire.

Le vieux tenta de me harponner aussitôt que j’apparus. J’étais loin de m’en douter mais par instinct, sans doute, je m’étais bien gardée d’apparaître devant lui. De son petit bureau niché dans le château, il m’aperçut quand même. J’étais fraîche, et il est inutile d’expliquer pourquoi ma fraîcheur attira le vieillard, aussi sûrement que le sang des vivants attire les vampires.

Je venais alors d’inventer une nouvelle espèce de rose, que j’avais appelée Reine, et qui avait fait sensation parmi les amateurs de fleurs par son beau charnu, sa couleur rouge sang et son parfum enivrant, dont on disait qu’il aurait réveillé les sens d’un mort. Ma rose avait fait l’objet d’articles même au-delà de la presse spécialisée, et c’est ainsi que le vieux m’avait repérée.

Lui était au service du château depuis des temps immémoriaux, chargé des relations publiques – parrain des faussaires, il excellait à cette fonction. La nuit, il servait aussi de préposé à l’ouverture du portail, et la licence, qu’il partageait avec d’autres, d’autoriser ou de refuser l’entrée au château, lui conférait un pouvoir de séduction et d’intimidation dont il ne se privait pas d’abuser – du moins dans la limite de ses faibles moyens personnels.

Une chose qu’on ne dit pas souvent, c’est que le diable veut être aimé. Et comme il ne peut être aimé pour ce qu’il est, une fois qu’on le connaît, il se fait passer pour quelqu’un qu’il n’est pas. Pour quelqu’un d’aimable, de très aimable, d’autant plus aimable qu’il vous flatte. Voilà donc sa stratégie, voilà comment tout a commencé, et comment tout a très mal fini, une fois que je l’ai démystifié, puis fui, et qu’alors il m’a poursuivie de ses assiduités, m’a harcelée par l’intermédiaire d’un tas de gens qu’il a manipulés.

Ils m’ont prise pour leur proie. Nul ne m’a demandé mon avis. Nul ne s’est demandé si je consentais. À être harcelée de mensonges, trahie, coupée de mes relations professionnelles, sociales, personnelles, empêchée de gagner ma vie, obligée de vendre ma maison, envoyée travailler dans des conditions indignes qui m’ont causé une grave maladie, contrainte de ne pouvoir parler sans être accusée de délire – les possédés demeurant tous dans un terrible déni de leurs actes et de la réalité, et refusant d’entendre ce que je m’évertuais à dire.

Après que j’eus inventé cette rose, je reçus beaucoup de commandes. La plupart des jardins de la ville, et des jardins des autres villes du pays, et de ceux des pays étrangers, et aussi nombre de particuliers, la désiraient, cette Reine si éclatante et sensuelle. Quelques autres producteurs de fleurs arrivaient à en produire des imitations, mais j’avais seule le secret de son invention, et elle restait unique en son genre. Or la jalousie et l’envie des humains ne tardent pas à s’acharner sur qui sourit la grâce.

C’était pourtant une bien candide invention que ma Reine, dans les plis de laquelle se dessinaient les abîmes de la mort autant que les joies affolantes de la vie, certes, mais sans essayer d’y piéger quiconque, sans la moindre tromperie. Ma rose sans pourquoi, ma rose nue, donnait le vertige à ceux dont l’existence est faite d’habits et de masques, de feintes et de bas calculs, de prudences et d’abus. Les innocents voulaient ma Reine pour en jouir innocemment, les autres pour jouir de la détruire. Je commençai à voir, dans les revues de jardinage, des mots fielleux accolés à ma rose, ou à moi-même. On aurait dit que j’avais fait du mal à quelqu’un qui cherchait à s’en venger en dépréciant mon travail et en me dépréciant. Je ne comprenais pas, candide que j’étais, comment des gens pouvaient s’en prendre avec tant d’iniquité à quelqu’un qu’ils n’avaient jamais rencontré. Pourtant je devais bien admettre qu’on commençait à me lancer des regards mauvais, que des portes se fermaient devant moi.

Je m’étais toujours tenue à distance du château, à cause de ce qui se trame dans les lieux de pouvoir, de l’odeur de fumier qu’ils dégagent sans pour autant produire autre chose que des fleurs en série, des plagiats de fleurs indéfiniment répétés. Mais le château possédait le plus grand jardin de la ville, et c’était un potentiel acquéreur que je ne pouvais négliger, en ces temps où les commandes se faisaient plus rares. J’y envoyai donc, sans l’adresser à personne en particulier, seulement aux « Jardins du château », une proposition. Je reçus une réponse rapide, non pas de leur jardinier, mais de leur communicant. Réponse positive. Le vieux diable me donna rendez-vous et je signai l’accord, ignorant avec qui et pour quoi je signais.

Ah, vous qui m’écoutez, vous voyez bien ce que je veux dire, n’est-ce pas ? Ce genre de choses vous est déjà arrivé, sans doute ? Sinon, elle vous arrivera. C’est pour ça que je vous parle. Pour vous prévenir. On a beau savoir, on n’est jamais assez prévenu, face au diable. Pourquoi ? parce qu’on ne sait pas ce qu’est le diable. Vous pensez bien qu’il se présente rarement, pour séduire les gens, en leur tirant sa langue fourchue. Oh certes, il la sort, cette langue trompeuse et vénéneuse – qui lui sert de sexe, soit dit en passant – mais toute enrobée de sucre et d’or, si bien qu’on la croirait venue d’un de ces anges qui habitent les hauteurs célestes où nous, pauvres humains, accédons rarement. En vérité, lui habite dans le trou des latrines, mais son odeur, on ne la perçoit que peu à peu et très mal, tant il la masque de celle de toutes les roses qu’il dérobe ou achète. Quand enfin, d’imperceptiblement incommodante, elle devient insupportable, il est trop tard, le mal est fait.

Échapper au diable ! Quand l’urgence se déclare, heureux sont ceux pour qui l’éloignement suffit au salut. Car le diable ne désire pas seulement tromper les autres, il désire aussi se tromper lui-même. Et les roses qui lui servent le mieux à se dissimuler à lui-même son odeur de latrines, il ne veut pas les laisser partir. C’est alors que tout ne fait qu’empirer.

Tout ne fait qu’empirer dans les faits, mais pas dans votre tête. Pour votre tête, la sortie du brouillard est bénéfique, très bénéfique. Mais dans votre existence, le harcèlement du diable qui ne veut pas vous laisser partir se fait de plus en plus vicieux et oppressif, la menace est de plus en plus forte.

Ça a commencé avec des fleurs. Ma rose, qui n’avait d’autre but que d’être. Et plus tard, la fleur qu’il me fit envoyer par une de ses collègues, une servante du château. Elle frappa chez moi et me la remit de sa part. Je n’aurais su dire à quoi ressemblait la fleur qu’il me fit ainsi envoyer, en fait elle ressemblait à toutes sortes de fleurs, et surtout à une fleur artificielle. Ce qu’elle était. Je la posai dans un coin et je me dis qu’au fond il était sympathique, il avait voulu bien faire. Et puis j’oubliai. J’avais ma vie, vous comprenez. Avec des joies vraies, et aussi de vrais problèmes. Quelque temps plus tard, comme je rencontrai de nouveau des difficultés professionnelles, je songeai qu’il pourrait peut-être me donner du travail, et je décidai de me rappeler à lui en utilisant son procédé, malheureuse imbécile ! Je confectionnai à mon tour une fleur artificielle, et la lui envoyai. Moi aussi, j’étais entrée dans la voie du crime.

Il me répondit aussitôt par l’envoi d’une nouvelle fleur artificielle. J’en confectionnai une autre, que je lui expédiai en lui faisant savoir que j’espérais son aide pour trouver un travail, étant en grande détresse. Il me répondit, sans fleur, qu’il ne m’aiderait nullement. Il y avait pourtant tout un réseau d’entraide autour des créateurs de fleurs, grâce auquel ces derniers survivaient, même s’ils se concurrençaient aussi. Son refus brutal me fit vaciller. Une méchanceté si vertigineuse, je n’en avais jamais encore rencontré. Il était donc si mauvais, en fait ? Oui, et bien plus encore. Tout ce qu’il avait déjà fait pour me nuire, je l’ignorai, je l’ignorai très longtemps encore.

Non seulement le diable profite des moments où une personne est affaiblie pour s’imposer à elle, mais très vite, de plus, il s’emploie à l’affaiblir davantage, et même à la détruire. La raison eût voulu que j’abandonne aussitôt cet échange malsain. Fus-je victime de mon propre artifice ? Oui, et ma détresse du moment était telle que j’étais comme une personne accrochée des deux mains à une branche, le corps suspendu au-dessus du gouffre. Lâcher la branche, si pourrie fût-elle, c’était mourir. Alors je tombai dans le déni, qui est un autre gouffre.

Je niai en moi-même que ma branche était pourrie. Ou plutôt, tout en voyant bien son éclatante pourriture, je me persuadai que je pouvais l’en guérir, en lui envoyant assez de fleurs pour la regreffer comme par miracle à sa verdeur. Ce faisant, j’oubliai ma détresse, mes problèmes. Ce n’était plus de ma détresse que je devais m’occuper, mais de celle que je supposais à cette vieille branche. J’avais sans cesse peur qu’elle ne meure complètement avant que j’aie pu la regreffer. Je passais mes journées à confectionner des fleurs que je lui envoyai à cet effet, tandis qu’il m’en expédiait aussi pour maintenir le système.
Un système qui fonctionnait, en effet. Qui le maintenait en vie, comme le sang bu la nuit maintient au vampire un semblant de vie. Cette fuite en avant dura longtemps. Je rêvais de me tuer, mais je ne le pouvais pas, car il fallait que je sauve les vivants.

En vérité ce n’était pas lui qu’il m’importait de sauver, mais ceux que j’aimais, et qui souffraient avec moi, mes proches. Et puis toute l’humanité, tous les innocents de l’espèce humaine, que je voyais menacés par le dérèglement du monde induit par le vieux mal. Et peu à peu je me détachai de cette branche morte, de cet échange délirant de fleurs artificielles. Mais le gouffre était toujours ouvert sous mes pieds, et pour ne pas y tomber je m’accrochai à la pierre elle-même, tout en me tournant vers le ciel. À contempler le ciel, ses lumières, ses astres et ses nuées, je sentais moins la fatigue de mes bras.

Le diable cependant, du fond du gouffre d’où il m’avait lancé cette horrible branche pour que je m’y retienne, faisait tout pour m’empêcher de m’en détacher – le plus sûr moyen pour que je tombe finalement dans sa gueule. Après avoir manœuvré pour m’isoler totalement, c’était des représentants du monde entier qu’il convoquait pour me cerner et se substituer à sa branche, que je lâchais. Après les fausses fleurs, les fausses étoiles. J’étais maintenant prise dans une grande toile d’araignée tendue au-dessus du gouffre, et je me débattais pour échapper au filet des stars enjôleuses. Quand je les eus toutes renvoyées aux chères études qu’elles n’avaient pas faites, le diable les remplaça par d’autres figures que nous sommes formées à idolâtrer, parents et autres proches familles. Je m’en détachai aussi.

Le diable pouvait bien continuer à faire peser son cauchemar sur moi, j’étais sortie du cercle vicieux où je devais participer pour ne pas tomber. La toile où il s’évertuait à me retenir, en fait je la regardais de loin. Et c’est de loin que je vous fais ce récit, chers inconnus. Puisse-t-il vous être utile, que vous vous soyez déjà retrouvés dans une situation similaire, ou que vous risquiez de vous y retrouver un jour. Ce qui me sauva fut l’amour de mes tout-proches, et ma combativité, jamais prise en défaut, même s’il m’arriva de me tromper de combat. Ce qui me sauva, ce qui sauve, c’est la raison divine qu’est l’instinct de vie, pour soi et pour autrui. Je marche les pieds sur terre et j’ai musclé et assoupli mon corps, pour mieux tenir quand se lèvent les vents mauvais. Pour vous dire toute la vérité, je suis bel et bien descendue dans la mort, à moment donné, mais je me suis ressuscitée, seule au milieu du champ de bataille, dans la vie réelle, que j’aime.

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