cet après-midi au Jardin des Plantes, alors que les glaces dans les bassins commencent à fondre, photos Alina Reyes
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C’est un vieux livre en forme de grand cahier que j’ai trouvé par terre, donné. Je le trouve très beau. Une collaboration entre un auteur, Henry Kubnick, et un illustrateur, Patrick de Manceau. Et je me dis que nous aussi avons un nouveau défi à relever : franchir le paradigme capitaliste américain, passer de l’autre côté.
« ma thèse en couleurs », photos Alina Reyes
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« Il arrive quelquefois que les rayons tombés des étoiles (pourvu qu’ils soient de la même nature) s’unissent aux métaux, aux pierres et aux minéraux, qui sont tombés de leur position la plus haute, les pénètrent entièrement et s’amalgament à eux. »
Johannis Grasset, « Physica naturalis rotunda visionis chemicae cabalisticae », in Theatrum chemicum, 1661, cité par André Breton dans « Langue des pierres », essai publié dans le numéro 3 du Surréalisme, même, automne 1957
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Écrire une thèse c’est bâtir un palais, une aventure extraordinairement humaine, à chaque instant et pour des siècles en ce monde. Je franchis toutes choses.
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C’est un peu moi avec ma thèse. Du travail, mais que du bonheur.
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Cette nuit en rêve, entrée dans ma thèse en couleurs, qui se transformait en maison, belle maison lumineuse entourée d’un jardin très vert, tout en étant textes dans lesquels il était loisible d’aller et venir.
Le rêve n’est ni imaginaire ni rêverie mais expérience et réel.
Avant-hier j’ai eu la fève (une petite chouette en céramique) juste après avoir lu cette phrase de René Char sur Rimbaud, dans Recherche de la base et du sommet : « Il sait la vanité des renaissances, mais plus et mieux que tout, il sait que la Mère des secrets, celle qui empêche les sables mortels de s’épandre sur notre cœur, cette reine persécutée, il faut tenir désespérément son parti. »
Et hier à la bibliothèque j’ai lu ces autres phrases de Char, dans Le Nu perdu, « Dans la pluie giboyeuse » : « Quelques êtres ne sont ni dans la société ni dans une rêverie. Ils appartiennent à un destin isolé, à une espérance inconnue. Leurs actes apparents semblent antérieurs à la première inculpation du temps et à l’insouciance des cieux. Nul ne s’offre à les appointer. L’avenir fond devant leur regard. Ce sont les plus nobles et les plus inquiétants. » Et j’ai songé, ni à quelque grand poète ni à quelque autre « grand homme », mais à la plus humble personne que j’aie jamais rencontrée, une personne qui, de son élocution difficile, me parlait d’étoiles et de pierres, et qui, un jour, dans la montagne, me raconta l’un de ses rêves.
C’est pourquoi, a dit aussi René Char, « Le poète est la partie de l’homme réfractaire aux projets calculés (…) [il] ne meurt pas forcément sur la barricade qu’on lui a choisie. » Et pourquoi aussi il a défini son recueil Fureur et mystère comme « un dire de notre affection ténue pour le nuage et pour l’oiseau. »
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Je suis allée travailler dans une bibliothèque universitaire. Quelques heures après, en sortant, à quelques dizaines de mètres de là je suis tombée sur une vaste opération de police, une rue bloquée, des camions pleins de policiers partout dans les rues adjacentes. Ils ont refusé de me dire ce qui se passait, ils ont dit seulement : « ce n’est pas un attentat ». J’ai fait le tour comme ils me le demandaient, mais avant j’ai pris une photo, très vite pour qu’ils ne m’obligent pas à la supprimer comme ça m’est arrivé plusieurs fois. La presse n’en parlant pas à cette heure, je ne dis pas où cela se passait, pour ne pas risquer de nuire à leur travail.
aujourd’hui à Paris, photos Alina Reyes
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Ce matin j’ai parfumé mon café à la cardamome. Le bon passé revient, le mauvais s’en va, d’autre mauvais s’en vient mais le meilleur n’a pas dit son dernier mot.
Le premier devoir d’un responsable, et a fortiori d’un chef d’état, est de ne pas se laisser entraîner dans les combines des imposteurs : elles font perdre le réel et la réalité.
Ne sommes-nous pas tous responsables ? Notre première responsabilité est de rester digne, c’est-à-dire de ne pas accepter l’inacceptable, ni pour soi, ni pour les autres.
L’esprit humain est un pont lancé par-dessus les monceaux des esprits cadavériques de ceux qui ont perdu, avec le sens de l’inacceptable, leur dignité, leur grâce.
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