Écrire habiter

C’est le titre de ma thèse : « Écrire habiter ». Le fait que des anciens et des sympathisants de « la commune libre de Tolbiac » visitent abondamment ma note précédente (près de 1500 visiteurs uniques en une journée), présentant les photos des fresques et des graffitis qui restent comme autant de traces de l’occupation de cette université, aujourd’hui évacuée, me donne à penser encore le désir profond de poésie qui anime les humains en ce monde trop souvent déshumanisé.

Je marche dans la ville comme je marche dans la forêt. Philippe Descola dans Par-delà nature et culture rappelle qu’au Japon comme dans d’autres cultures, l’environnement naturel « est ce qui relie et constitue les humains comme expressions multiples d’un ensemble qui les dépasse ». Un ensemble urbain doit aussi constituer un environnement naturel. Les productions et la vie humaines sont des sous-ensembles de l’ensemble du vivant, au même titre que les productions et la vie animales, végétales, et d’autres règnes connus et inconnus. C’est la conscience de cet être que cherchent les humains.

 

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paris 13 9ces jours-ci à Paris 13e, photos Alina Reyes

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Crocodile rêveur, flamants roses & compagnie

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« Tout n’est pas dur chez le crocodile. Les poumons sont spongieux, et il rêve sur la rive. »
Henri Michaux, « Tranches de savoir », in Face aux verrous

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flamants roses 11Le crocodile rêve, peut-être, mais le flamant rose dort, la tête dans l’aile et le pied en l’air

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Hier à la Ménagerie du Jardin des Plantes, photos Alina Reyes

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Through the looking-glass (dix-huit autoportraits)

 

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J’ai fait ces dix-huit autoportraits au cours des dix dernières années. Plusieurs quand j’étais ermite à la montagne, ou dans des hôtels. Avec des miroirs, des vitres, des ombres, une affiche ancienne donnée par une libraire. Ils ne sont pas donnés dans l’ordre chronologique, mais au hasard de l’ordre dans lequel ils se sont présentés.

© Alina Reyes

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Je suis un arbre tout en bourgeons qui avance à longs pas dans le temps, les étoiles. Après ma thèse, le grand roman qui germe en moi s’écrira, se déploiera. Je touche tout l’univers avec mes branches, mes doigts, mes racines ; ma sève crie de joie avec les pierres.

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Grand cerisier en fleur, merle, canards, perruche

« On peut imaginer des histoires sans suite, mais cependant associées, comme des rêves. Des poèmes, qui sont simplement sonores et pleins de mots éclatants (…) la nature est si purement poétique, comme la cellule d’un magicien, d’un physicien, une chambre d’enfants, un grenier, un entrepôt, etc. »

Novalis, Fragments, traduits par Maeterlinck

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perruchecet après-midi au Jardin des Plantes, photos Alina Reyes

(les perruches à collier, arrivées accidentellement par avion il y a plusieurs décennies, se sont très bien acclimatées à l’Île-de-France et y vivent à l’état sauvage)

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Plaisir sublime et art d’errer sans se perdre. Avec Paul Valéry

aujourd'hui à Paris 5e, photo Alina Reyes

aujourd’hui à Paris 5e, photo Alina Reyes

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« Tel est le point. Un plaisir qui s’approfondit quelquefois jusqu’à communiquer une illusion de compréhension intime de l’objet qui le cause ; un plaisir qui excite l’intelligence, la défie, et lui fait aimer sa défaite ; davantage, un plaisir qui peut irriter l’étrange besoin de produire, ou de reproduire la chose, l’événement ou l’objet ou l’état, auquel il semble attaché, et qui devient par là une source d’activité sans terme certain, capable d’imposer une discipline, un zèle, des tourments à toute une vie, et de la remplir, si ce n’est d’en déborder, – propose à la pensée une énigme singulièrement spécieuse qui ne pouvait échapper au désir et à l’étreinte de l’hydre métaphysique. Rien de plus digne de la volonté de puissance du Philosophe que cet ordre de faits dans lequel il trouvait le sentir, le saisir, le vouloir et le faire, liés d’une liaison essentielle, qui accusait une réciprocité remarquable entre ces termes, et s’opposait à l’effort scolastique, sinon cartésien, de division de la difficulté. L’alliance d’une forme, d’une matière, d’une pensée, d’une action et d’une passion ; l’absence d’un but bien déterminé, et d’aucun achèvement qui pût s’exprimer en notions finies ; un désir et sa récompense se régénérant l’un par l’autre ; ce désir devenant créateur et par là, cause de soi ; et se détachant quelquefois de toute création particulière et de toute satisfaction dernière, pour se révéler désir de créer pour créer , – tout ceci anima l’esprit de métaphysique : il y appliqua la même attention qu’il applique à tous les autres problèmes qu’il a coutume de se forger pour exercer sa fonction de reconstructeur de la connaissance en forme universelle.

Mais un esprit qui vise à ce degré sublime, où il espère s’établir en état de suprématie, façonne le monde qu’il ne croit que représenter. Il est bien trop puissant pour de voir que ce qui se voit. (…)

Ainsi, devant le mystère du plaisir dont je parle, le Philosophe justement soucieux de lui trouver une place catégorique, un sens universel, une fonction intelligible ; séduit, mais intrigué, par la combinaison de volupté, de fécondité, et d’une énergie assez comparable à celle qui se dégage de l’amour, qu’il y découvrait ; ne pouvant séparer, dans ce nouvel objet de son regard, la nécessité de l’arbitraire, la contemplation de l’action, ni la matière de l’esprit, – toutefois ne laissa pas de vouloir réduire par ses moyens ordinaires d’exhaustion et de division progressive, ce monstre de la Fable Intellectuelle, sphinx ou griffon, sirène ou centaure, en qui la sensation, l’action, le songe, l’instinct, les réflexions, le rythme et la démesure se composent aussi intimement que les éléments chimiques dans les corps vivants ; qui parfois nous est offert par la nature, mais comme au hasard, et d’autres fois, formé, au prix d’immenses efforts de l’homme, qui en fait le produit de tout ce qu’il peut dépenser d’esprit, de temps, d’obstination, et en somme, de vie.

La Dialectique, poursuivant passionnément cette proie merveilleuse, la pressa, la traqua, la força dans le bosquet des Notions Pures.

C’est là qu’elle saisit l’Idée du Beau.

Mais c’est une chasse magique que la chasse dialectique. Dans la forêt enchantée du Langage, les poètes vont tout exprès pour se perdre, et s’y enivrer d’égarement, cherchant les carrefours de signification, les échos imprévus, les rencontres étranges ; ils n’en craignent ni les détours, ni les surprises, ni les ténèbres ; – mais le veneur qui s’y excite à courre la « vérité », à suivre une voie unique et continue, dont chaque élément soit le seul qu’il doive prendre pour ne perdre ni la piste, ni le gain du chemin parcouru, s’expose à ne capturer enfin que son ombre. Gigantesque, parfois ; mais ombre tout de même. »

Paul Valéry, Discours sur l’esthétique

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Continuidad de los parques, Continuité des parcs, de Julio Cortazar, en quatre courts-métrages et une peinture

Le texte bref et fulgurant de la fameuse nouvelle peut être lu ou relu ici. Elle a été publiée pour la première fois en 1956 (année de ma naissance) dans le recueil Fin d’un jeu et se trouve maintenant dans Les Armes secrètes. Julio Cortazar est l’auteur qui m’a donné mon nom d’auteure, trouvé également dans Les Armes secrètes (dans la nouvelle La Lointaine). Son œuvre entière et chacun de ses textes pourraient s’intituler Continuité des parcs. Mon nom, par exemple, y est l’anagramme de es la reina y… En toute continuité des parcs, Cortazar entre dans ma thèse, qui est elle-même une fresque de la continuité des parcs. Je contemple chaque jour la peinture Molecule Park, que j’ai faite en lien avec cet univers de continuité des parcs, et que je donne ici après les vidéos. (L’immense beauté convulsive de ma thèse, que je suis en train de terminer, emplit de joie tous mes parcs, les démultiplie pour s’y répandre encore, toujours plus loin.)

J’aime ce court-métrage où la nature tient une place essentielle. Il est seulement dommage que le poignard de la nouvelle ait été remplacé par un pistolet. C’est un film québécois de Gabriel Argüello :

Et voici l’interprétation de la nouvelle par le réalisateur uruguayen Alfonso Guerrero :

Le nom du réalisateur n’apparaît pas sur celui-ci, qui a aussi un bel intérêt poétique, quoique la fin soit un peu trop explicite :

Enfin, cette très belle animation réalisée par des élèves de la San Joaquin School avec leur professeur, Diego Pogonza, et la voix de Cortazar :

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molecule park!-minpeinture Alina Reyes

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Contre les « techniciens de la possession des âmes », les poètes russes, vus par Armand Robin

Pour des raisons politiques, Emmanuel Macron a boycotté les auteurs russes, invités d’honneur de cette année au Salon du livre de Paris. Ce geste déplorablement grossier, insulte aux auteurs, ne fait que rappeler combien, en vérité, la littérature dépasse tous les intérêts politiciens du monde. Alors que la littérature française sombre de plus en plus dans l’industrialisation et l’institutionnalisation, ce texte magnifique d’Armand Robin sur les poètes russes qu’il a traduits reste plus que jamais vital pour rappeler quel souffle peut traverser la littérature, hors des récupérations mondaines et mercantiles qui l’étouffent.

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maiakovski,Mon interprétation de Maïakovski, à partir d’une photo de lui

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« Exception faite pour Pasternak, les poètes russes à qui j’ai jeté ma vie ont surgi en tempêtes de neige, ont passé en ouragans, se sont brusquement abattus en tragiques souffles de toute part cernés. Leurs jours sont plaintes d’accordéon assiégées par d’infinis espaces de douleurs ; on dirait que, sous une immense étendue de neige, une dernière végétation sauvagement tente de percer et que, sentant ses heures comptées, elle se hâte « d’éclater » n’importe comment en plein gel, gel elle-même.

Chez nos « tempêtes » plus aucune précaution : la terre russe s’exprime au paroxysme, hurle, roule, titube ; nos ouragans ne sont que russes, ne passent par aucun intermédiaire visible ou secret, ne songent jamais à s’appuer au garde-fou de l’Occident. Et ce n’est point un hasard si Alexandre Blok, ce songeur flottant à mi-chemin entre Dante et Swinburne (et plutôt penché vers Swinburne), laissa soudain son poème éclater en nuit de fureur et déchaîna cette épopée des « Douze » où toute la peau du vieil homme est arrachée.

Les hongrois Ady et Attila mis à part, ces poètes russes auront été les seuls en ces temps, les grands derniers seuls. Ils échappent à cette ère, exactement à la manière d’un bel arbre possédant naturellement assez de pouvoirs pour retenir et charmer les regards et faire oublier aux cœurs les fantasmagories harassantes suscitées et propagées par les amateurs de domination ; en ce siècle de sécheresse de la conscience (tout entière invitée à se vider de sa substance au profit des techniciens de la possession des âmes), ils se donnent au maximum sans raison ou contre toute raison. Ouragans, ils ne connaissent aucun repos ; mais l’extrême emportement qu’ils subissent et qui est déchirement tout au long de leur être se change merveilleusement pour les autres hommes en aide pour se hâter vers les lieux sans lieu où il n’y a que souffle. Ils nous protègent dès maintenant contre le grand tarissement.

L’humanité, ayant franchi ce qu’Ady en un poème célèbre (« Homme dans la non-humanité ») appelle « la ligne des horreurs » et s’étant retrouvée avec une conscience douée de nouveaux pouvoirs de l’autre côté, emportera avec elle dans cette formidable révolution (dont les apparents bouleversements ne sont que des parodies) quelques-uns de ces cris russes. »

Armand Robin, 1947 (extrait de sa préface à Quatre poètes russes : Essénine, Blok, Maïakovski, Pasternak, dans sa traduction, aux éditions Le Temps qu’il fait, 1985)

Maïakovski dans ce journal (vidéos, texte) : ici

Essénine dans ce journal : ici

Attila, auteur hongrois mentionné par Robin, dans ce journal : ici

Berdiaev, Dostoïevski, Florenski, Boulgakov, Soloviev, Tchaadev, auteurs mystiques russes vus par Henri de Lubac, dans ce journal : ici

Sorokine, auteur russe d’aujourd’hui, dans ce journal : ici

Nijinski, danseur et auteur russe, dans ce journal : ici

Andréi Makine, son discours à l’Académie française dans ce journal : ici

La Russie, avec Poutine & cie dans La stratégie du choc de Naomi Klein et dans ce journal : ici

Le Pen en Russie et en image dans ce journal : ici

Une librairie en Russie et dans ce journal : ici

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