Notre frère l’espace-temps

ngm-gobekli-tepe-artwork_480x360

*

Je songe à Göbekli Tepe, son nom me rappelle celui de mes derniers fils. Le plus ancien temple monumental connu, datant de 11000 ans avant notre ère, soit 7000 ans avant les pyramides. Des milliers de pèlerins s’y retrouvaient, c’est peut-être de là qu’est partie l’agriculture, pour pouvoir nourrir tout ce monde aux moments d’afflux. Une agriculture religieuse, comme on la pratiqua, à l’époque contemporaine, dans des monastères. On ne sait rien de la religion qui lui donna lieu. C’était encore la préhistoire, le début du néolithique. On sait si peu. Je songe à la découverte récente d’objets gravés de signes géométriques, datant semble-t-il de 500 000 ans, alors qu’Homo Sapiens n’existait pas encore.

Je songe à la découverte du plus ancien système planétaire de notre galaxie connu à ce jour. Comprenant cinq petites planètes orbitant tout près d’un petit soleil, dont elles font le tour en quelques jours. N’est-ce pas charmant comme un jeu d’enfants ? Je songe aussi à la découverte que notre système solaire comporte sans doute au moins deux planètes de plus. La maison a plus de pièces que nous ne l’imaginions. Et puis je songe que, toujours dans les nouvelles de ces derniers jours, on nous annonce avoir perçu en direct un signal radio venu d’une autre galaxie, vers la constellation du Verseau, dont on ne sait ce qui l’a émis.

*

Thalès rapporté par Diogène Laërce (fragments de fragments, dans ma traduction)

35

Le plus ancien des êtres est Dieu ; car il est inengendré.

Le plus beau est le cosmos ; car il est poème de Dieu.

Le plus grand est le lieu ; car il comprend tout.

Le plus fort est la nécessité ; car elle a force de loi sur tout.

Le plus sage est le temps ; car il met tout au jour.

36

À qui lui demandait qui était venu le premier, la nuit ou le jour, « La nuit », dit-il, « un jour précédent ».

37

Qui a un heureux sort ? Celui qui a un corps sain, une âme facile et une croissance bien élevée.

*

Héraclite et les sorts des hommes

mes traductions, du grec ancien, de ces pensées d’Héraclite rapportées par Clément d’Alexandrie :

*

Une fois nés, ils veulent vivre et toucher leurs parts du sort, et laissent derrière eux des enfants destinés aux sorts.
(Ne restez pas derrière eux).

*

L’homme fiable sait ce qu’il en est des apparences ; il veille. Assurément Justice se saisira des fabricants de mensonges et de leurs témoins.

*

Ce qui attend les hommes après leur mort, ils ne l’espèrent ni ne l’imaginent.

*

Les meilleurs choisissent, à l’encontre de tous, l’intarissable bonne nouvelle ; mais la plupart sont rassasiés comme le bétail.

*

Héraclite nous parle d’aujourd’hui

ma traduction, du grec ancien, et mes commentaires, de ces pensées d’Héraclite rapportées par Origène et Clément d’Alexandrie :

*
Ils se purifient en se teintant d’un autre sang comme s’ils voulaient se laver de la lie en marchant dans la lie. Qui agirait ainsi paraîtrait frappé de folie à tout homme qui s’en apercevrait. Et ils adressent des vœux à ces parures, comme s’ils conversaient avec des constructions, sans savoir ce que sont les dieux et les héros.

(Ainsi de ceux qui croient se purifier de l’antisémitisme par cet autre antisémitisme qu’est l’islamophobie. Ils s’en remettent à cette parure, cette construction idéologique, ignorant ce que sont les essences et les vertus).

*
Les porcs se réjouissent plus dans le bourbier que dans l’eau pure.

(Borboros, le bourbier, se retrouve dans borborygmos, bruit des intestins. Les consommateurs se réjouissent plus au bruit de leurs intestins qu’à celui de la parole de vérité).

*
De ce qui ne sombre jamais, comment pourrait-on se cacher  ?

(Le verbe lanthano, pour « se cacher », pourrait se retrouve dans le mot aletheia, vérité, précédé du préfixe privatif a : aletheia serait ce qui est non-caché. Ce qui ne sombre jamais empêche les hommes d’échapper à la vérité, même s’ils s’emploient à l’occulter).
*

Héraclite essayant de réveiller les dormeurs, serviteurs du monde

ma traduction (du grec ancien) de pensées d’Héraclite rapportées respectivement par Sextus Empiricus, Plutarque, Origène, Marc-Aurèle – à méditer par ces temps de division :

*
Il faut aller vers le commun. Car le commun appartient à tous. Mais bien que le Logos soit commun à tous, la plupart vivent comme s’ils avaient une intelligence à eux.

*
Pour les éveillés le monde est à la fois un et commun à tous, mais les endormis, à l’inverse, se tournent chacun vers leur propre monde.

*

Le caractère humain ne possède pas la droite raison, mais le caractère divin la possède.
L’homme est entendu par le divin comme un enfant en bas âge, ainsi que l’enfant par l’homme.
(L’enfant en bas âge au sens où Freud parle de l’enfant au stade anal, qui veut tout retenir et ramener à soi, comme les endormis de la proposition précédente.)

*
Ceux qui dorment sont ceux qui travaillent et coopèrent au monde comme il va.

*

Les leçons de Nasreddine Hodja

backwards_on_donkey

*

Voici deux des petites histoires du fameux sage plein d’humour subtil de la tradition musulmane  :

 

C’est en courant et sautant dans tous les sens qu’un jour de marché Nasreddine Hodja cria dans la foule « Dieu soit loué ! Dieu soit loué ! ».

Tantôt en faisant une accolade à l’un, tantôt en embrassant le front de l’autre, et de répéter incessamment « Dieu soit loué ! Dieu soit loué ! ».

Surpris par si peu de pudeur et de retenue de la part de Nasreddine dans sa joie, un commerçant lui demande :

– Eh ! Nasreddine ! Quelle est cette si bonne nouvelle pour toi ? Ne nous laisse pas assister à ta joie sans qu’on en sache la raison !

– La bonne nouvelle, répondit-il d’un air surpris par la question ? J’ai perdu mon âne ! Dieu soit loué !

– Comment ? Tu te réjouis de la perte de ton âne au lieu d’en être triste, continua interloqué un autre villageois ?

– Evidemment, rétorqua Nasreddine d’un air innocent ! Si j’avais été dessus je serais moi aussi perdu!

***

Un jour au café, tous sont en train de se vanter de leurs exploits militaires. « Et toi ? », dit quelqu’un, en se tournant vers Nasreddine ?

« Moi ? Un jour, sur le champ de bataille, j’ai coupé la jambe d’un ennemi d’un seul coup d’épée. »

« Pourquoi pas sa tête, comme font les autres ? »

« C’était impossible : quelqu’un lui avait déjà coupé la tête. »

***

Laissons l’âne nommé Pensée Unique se perdre sans nous, avec ses adeptes aux têtes coupées.

*

Le Poème de Parménide (fragments 9 à 16, ma traduction) Articuler sa pensée

Je terminerai ainsi ma traduction, du grec ancien, de ce fameux Poème.

 

9

Mais puisque toute chose a été nommée lumière et nuit,

et ce, d’après sa puissance en ceci ou en cela,

tout est à la fois plein de lumière et de nuit sans lumière,

l’une et l’autre égales puisque avec ni l’une ni l’autre il n’est rien.
10

Tu verras l’éther et la nature, et dans l’éther tous

les signes, et le pur et saint flambeau

du soleil à l’action invisible, et d’où ils proviennent ;

tu apprendras les périples de la lune circulaire

et sa nature, tu verras aussi le ciel qui entoure tout,

d’où il est né, et comment la Nécessité qui le conduit l’a obligé

à servir de terme aux astres.
11

Comment la terre, le soleil et la lune,

l’éther commun, la Voie Lactée, l’Olympe

ultime et l’âme ardente des astres, se sont élancés

dans le devenir.
12

Les lieux les plus étroits sont pleins d’un feu sans mélange,

les suivants sont pleins de nuit, puis vient le tour de la flamme.

Au milieu d’eux est la divinité qui tout gouverne.

Car elle préside au terrible enfantement et au coït,

envoyant la femelle se mêler au mâle et réciproquement,

le mâle à la femelle.
13

Oui, le tout premier de tous les dieux qu’elle médita, ce fut Éros.

 

14

Brillante dans la nuit, autour de la terre errante, lumière d’ailleurs.
15

Toujours jetant ses regards vers la lumière du jour.
15a

Dire la terre enracinée dans l’eau.
16

Comme chacun conduit le mélange de ses articulations si mobiles,

ainsi l’esprit se présente en l’homme. Car ce qui pense

en l’homme est de la nature de ses articulations,

pour tous et pour tout ; et l’entier est la pensée.

 

*