Rapport de soutenance de thèse

franz-kafka1[2]Sous le regard de nos ancêtres préhistoriques et historiques, d’Arthur Rimbaud, de Germain Nouveau, de Franz Kafka, d’Edgar Allan Poe et de bien d’autres de mes compagnons, j’ai soutenu ma thèse devant un jury de quatre professeur·e·s le 24 septembre dernier à l’Université de Cergy-Pontoise, université que j’avais choisie pour son ouverture à la modernité. Après avoir délivré mon discours de soutenance (qu’il vaut mieux lire avant de voir le rapport), j’ai écouté les remarques de chaque membre du jury puis taché de répondre à leurs questions. Ce fut un exercice soutenu, qui dura environ trois heures et qui me plut. Ayant été opérée deux semaines plus tôt pour la deuxième fois de l’été, je n’étais pas au mieux de ma forme et mon expression orale put s’en ressentir, mais je défendis vaillamment mon travail, que par ailleurs on me dit fort apprécié, même si l’exercice de la soutenance impliquait de la part des jurés de relever les points qui posaient problème.

Malheureusement les vraies questions de fond ne furent jamais posées, sur le sens général de ma thèse et sur les analyses par lesquelles j’ai apporté un éclairage entièrement nouveau sur des œuvres particulières et sur la littérature. Mais il est très compréhensible et significatif que les jurés aient été d’abord inquiétés par la forme peu académique de ma recherche, et que ce fut le principal sujet de leur questionnement. En quelque sorte, la forme est l’arbre qui cache la forêt du sens, mais comment faire une forêt sans arbre ? J’ai l’habitude d’une telle réception de mon travail, c’est la même chose pour mes romans : les lecteurs voient l’érotisme, la violence, le désordre… et évitent de pénétrer au fond des choses, au sens (préférant ne pas l’affronter, par peur ou par paresse, la littérature étant trop souvent vécue comme une fuite hors de la vie, plutôt que comme une arme à vivre pleinement le réel).

Le rapport de soutenance de thèse se constitue traditionnellement d’un document tronqué, puisqu’il ne rapporte que les interventions du jury, sans les réponses de l’auteur·e de la thèse. Il s’agit d’un procès souvent bienveillant mais sans avocat de la défense. Il est tout de même mentionné que mes réponses ont été satisfaisantes, et le jury m’a accordé le titre de docteure.

Encore une fois, avant d’ouvrir ce rapport que voici, je recommande de lire mon bref discours de soutenance, qui présente mon travail. Quant à ma thèse, elle est ici.

*

Passage de la langue

street art 5*

En trois jours, ma réflexion est passée du sujet de l’identité ( puis ) à celui de l’unité (). Au milieu d’eux, comme au milieu de la physique, soit métaphysiquement (au milieu est le premier sens de meta, écoutons la langue), exprimé ou non par une copule entre sujet et prédicat, le sujet premier et dernier : l’être.

Écoutons la langue. Je dis la langue pour toutes les langues. Car avant les langues, il y a ce phénomène : la langue. La langue n’est pas l’outil de la pensée, mais son passage et sa manifestation. C’est pourquoi Einstein tire la langue. Si elle était l’outil de la pensée, il n’aurait pas dit qu’il pensait sans mots. Mais pour le dire, il lui fallut passer par des mots, de même que pour dire ses découvertes – dans E=mc2, chaque terme renvoie à un mot, énergie de masse, égale, particule de masse, vitesse de la lumière, carré, et ces mots sont reliés par une syntaxe qui permet de savoir que mc2 signifie un produit (l’invisibilité de la syntaxe ne signifiant pas son absence mais ici au contraire sa présence si forte qu’elle n’a pas besoin d’être visibilisée, de même que la présence de l’être dans les langues où la copule être n’apparaît pas – si, pour reprendre l’exemple donné par Marwan Rashed dans cette conférence passionnante sur « Le grec, langue de l’être ? Réponses arabes », l’arabe dit « le garçon beau » plutôt que « le garçon est beau », c’est que « le garçon beau », comme la poésie, manifeste suffisamment en soi l’être ; dire « le garçon est beau », ce n’est pas introduire de l’être, mais signifier dans l’articulation, la composition des unités de l’unité la possibilité de penser l’être).

La langue manifeste la pensée et nous pouvons, dans sa manifestation, lire et chercher la vérité. Non dans sa surface, mais dans sa profondeur. En surface, le maquillage du sens, les « belles paroles » des séducteurs de peuple, politiques, religieux et autres vendeurs. En profondeur, dans le corps de la langue, dans sa grammaire, dans sa syntaxe, dans ses étymologies, les vérités de l’être. La langue malmenée, ou en décomposition, ou amalgamée, ou innommable, signale les morbidités. (Je songe aussi bien, par exemple, à la langue de l’horreur dans L’horreur de Dunwich de Lovecraft, qu’à celle du fascisme dans mon livre Poupée, anale nationale). Le fond de la langue, avec son mystère, sa noirceur, fait peur (voir la fin des Aventures d’Arthur Gordon Pym de Poe) comme la fin, à tous les sens du mot, de l’aventure humaine. Y descendre est pourtant le premier moyen de lutter contre la pollution de l’être qui menace d’asphyxie : pour cela, il faut, tels les ramoneurs, partir d’en bas ou d’en haut, du foyer de la cheminée ou de sur les toits, et dégager le passage (pour utiliser une autre métaphore, pensons au passage salvateur de la mer Rouge, en fait mer des Roseaux, dont j’ai montré dans Voyage qu’elle était une métaphore de la langue).

*

 

street art 1

street art 1

street art 2

street art 3

street art 4ces jours-ci à Paris, photos Alina Reyes

*

Dédale

oiseau blanc

*

Le tapuscrit de travail pour mon DEA que j’ai retrouvé hier s’accompagnait d’une dizaine de pages manuscrites, notes de lecture et réflexions pour la recherche. C’était il y a trente ans, et mon écriture est toujours la même, on dirait que ces notes ont été prises hier. Il y a là un beau départ de feu. Une note sur le labyrinthe par exemple retient mon attention. Il semble qu’elle soit tirée d’une notice du Dictionnaire des mythes littéraires (livre resté avec presque toute ma bibliothèque dans la montagne). La voici :

Antiquité = l’un et le multiple

Moyen Âge = l’horizontalité et la verticalité

Renaissance = l’extérieur et l’intérieur

Époque classique = la réalité et l’apparence

Époque moderne = le fini et l’infini

traversé et annulé par le fil

danse rituelle

*
Je remarque combien fidèle est l’esprit au développement de sa pensée. Je résumais ainsi mon projet de thèse dans mon tapuscrit :

« Un fil poétique et philosophique vers une définition de l’identité, qui prend successivement une valeur morale, mythique, et métaphysique. »

Et je constate que c’est ce qu’a réalisé ma thèse, reprise près de trente ans plus tard avec un autre intitulé. J’ai aujourd’hui élargi le corpus à de nombreux auteurs, mais le seul fait que Schwob et Borges fussent deux des trois auteurs envisagés à l’époque eût nécessairement fait entrer la bibliothèque universelle dans ma thèse, dont le plan eût évidemment évolué aussi, tout en conservant cette structure annoncée en deux grandes parties, cette structure en miroir qui est aussi celle de ma thèse d’aujourd’hui et qui est une façon de donner pouvoir, dans le labyrinthe et au-delà, d’entrer, d’aller et venir, de sortir librement, grâce à la métaphysique de la création, grâce aussi à ce fil qui existe dans ma thèse actuelle entre ses nombreux éléments, ses nombreux détours, ses hypothèses et ses fictions, non pas grosse ficelle artificielle comme on en fait dans la littérature industrielle mais fil d’or ténu, requérant l’attention de celle et de celui qui fait le travail de lire, qui accomplit ainsi le travail de l’aventure en soi, comme disait Sarane Alexandrian. Et il ne s’agit pas d’une introspection, d’une affaire psychologique même si la psychologie en est, mais bien d’une aventure métaphysique, poétique, philosophique, l’aventure la plus haute qui soit, l’aventure qui détruit l’effroi mortel devant l’être qui mène l’homme à sa perte. Je suis follement amoureuse de la littérature, qui donne la vie éternelle.

Ayant rêvé hier que j’étais un oiseau blanc, c’est cette fois cet ancien dessin que, dans la continuité des jours précédents (et tout en écoutant Roger Caillois sur l’INA, où il vaut d’être abonné) j’ai repris, en superposant à la gouache originelle des couches de feutre, de crayons de couleur, d’acrylique, de stylo, qui lui donnent un caractère de costume d’Arlequin, aux multiples et divers tissus cousus. Et cette nuit j’ai rêvé que, sous ma forme humaine, je me déplaçais dans les airs, très naturellement.

*

LE THÈME DE L’IDENTITÉ DANS LES ŒUVRES DE FICTION DE SCHWOB, STEVENSON ET BORGES

Dans la continuité du travail d'hier, j'ai repris et transformé ce vieux dessin à la gouache avec des feutres et de l'acrylique

Dans la continuité du travail d’hier, j’ai repris et transformé ce vieux dessin à la gouache avec des feutres et de l’acrylique

*

J’ai retrouvé par hasard (en cherchant d’anciens dessins) dans un carton un tapuscrit datant de mon DEA (Master 2) et comprenant une note d’intention pour un « Premier travail de recherche en vue de la préparation d’une thèse sur « LE THÈME DE L’IDENTITÉ DANS LES ŒUVRES DE FICTION DE SCHWOB, STEVENSON ET BORGES » ; un « Premier plan de rédaction » et un « Premier essai de bibliographie » d’une vingtaine de pages. Jusque là je pensais avoir tout perdu de mon travail de l’époque, et il me semblait me souvenir que mon mémoire de DEA portait sur le thème du double chez ces trois auteurs. En fait il me revient que j’avais traité ce thème dans mon mémoire de maîtrise, sur Schwob (mémoire perdu aussi). J’en étais donc à l’identité, pour mon DEA et pour la thèse que j’avais l’intention de faire (finalement j’ai été embarquée ailleurs par ma propre écriture mais j’ai fini par accomplir ma thèse, trente ans plus tard, sur un autre thème, ou, à bien y réfléchir, sur une autre appellation du même thème).

Je recopie mon travail retrouvé (sauf la bibliographie, trop longue), car il peut encore servir comme base de recherche, pour la préparation d’un cours par exemple. Le voici :

*

« Nous avons trop entendu parler, peut-être, de moindres sujets. Voici la porte, voici le grand air. Itur in antiquam silvam ». Ainsi Robert Louis Stevenson conclut-il l’un de ses Essais sur l’art de la fiction (« Les porteurs de lanternes »), après y avoir développé l’idée que, pour échapper à « l’irréalité obsédante et vraiment spectrale des ouvrages réalistes », l’écrivain devait se souvenir de ce qu’  « aucun homme ne vit dans la réalité extérieure, parmi les sels et les acides, mais dans la chaude pièce fantasmagorique de son cerveau, aux fenêtres peintres et aux murs historiés ».

Sans doute Marcel Schwob et Jorge Luis Borges comprenaient-ils parfaitement cette phrase de l’écrivain que tous deux admiraient. La lecture de ces trois auteurs, si différents et si originaux soient-ils, révèle entre eux une certaine intimité dans leur façon d’appréhender le monde et la littérature – une communauté d’esprit qui se vérifie dans la lecture passionnée que firent Schwob de Stevenson, et Borges de Stevenson et de Schwob.

Marcel Schwob entretint pendant six ans une correspondance avec Stevenson et fit comme un pèlerinage, après la mort de ce dernier, le voyage aux Samoa. Il dédia son premier livre de contes, Cœur double, à l’auteur de L’île au trésor et lui consacra l’un des essais de Spicilège, dans lequel il écrit : « le réalisme de Stevenson est parfaitement irréel, et c’est pour cela qu’il est tout-puissant ». Pierre Champion, le biographe de Marcel Schwob, apporte son témoignage sur l’amitié littéraire qui unit les deux hommes :

« L’esprit du jeune Marcel Schwob fut nourri, près de Léon Cahun, des histoires d’aventuriers, depuis Magon jusqu’aux pirates d’Ango. C’était là une introduction naturelle vers le milieu où se jouait l’imagination de Stevenson. Enfin, Stevenson avait pour Villon le même sentiment d’admiration que Marcel Schwob. Il y avait, entre eux, une de ces affinités qui fait que l’on se comprend sans se connaître ».

L’Île au trésor fut l’un des livres préférés de Borges enfant, qui avait appris à lire d’abord en anglais. Dans un article de jeunesse sur l’ultraïsme, il se déclare – comme il le restera toute sa vie – hostile au genre romanesque ; mais il note quelques exceptions à cette aversion : Cervantes, Sterne, Stevenson. Dans son prologue à son Histoire universelle de l’infamie, il écrit : « Les exercices de prose narrative qui composent ce livre (…) proviennent, je crois, de mes relectures de Stevenson et de Chesterton ».

À La croisade des enfants de Schwob, Borges consacra une préface. Jean-Pierre Bernès, éditeur des Œuvres complètes pour la collection de La Pléiade (le premier des deux volumes doit paraître fin 1990), raconte l’une de ses visites à l’auteur, à Genève, et leur relecture de Rémy de Gourmont :

« Il voulut lire les pages consacrées à Mallarmé, à Samain, à Gide, à Huysmans, à Moréas, et garda pour la bonne bouche Marcel Schwob qu’il avait lu de A à Z durant son adolescence et qu’il commenta avec ferveur, et reconnaissance, je crois, comme un vieil ami envers qui on a une dette d’honneur ».

– Approches du concept d’identité en philosophie et en psychologie

– Philosophie

Hume définit le principe d’individuation comme « l’invariabilité et la persistance de tout objet au cours d’une variation supposée du temps ».

Pour Aristote, l’identité, appelée une « unité d’être », comporte deux acceptions selon qu’elle est « l’unité d’un seul être » ou « l’unité d’une multiplicité d’êtres ».

Pour Héraclite, c’est l’unité de l’être, non la permanence des choses, qui représente la véritable entité cosmique.

Pour Parménide, l’identité associe unité et invariabilité.

Aristote combine les deux aspects, et affirme la compossibilité du même et de l’autre, de la persistance du substrat et de la diversité qualitative. Selon lui, l’identité ne se limite pas à l’identité numérique ; elle est aussi une identité selon le logos, à savoir la définition, l’essence ; elle repose sur des principes de cohésion.

– Psychologie

L’individu éprouve le sentiment d’identité lorsqu’il se perçoit le même, reste le même, dans le temps. De l’enfance à l’adolescence, on reconnaît trois grande sphases dans la genèse de l’identité : l’individuation primaire, l’identification catégorielle, l’identification personnalisante.

Des diverses dimensions psychologiques de l’identité, nous retenons ici ces paradoxes :

l’identité suppose un effort constant de différenciation et d’affirmation, aussitôt limité par la conformité sociale ou la perte de soi dans l’autre ;

l’identité pose la question des liens entre l’unité et la diversité du « soi », constitué d’identités multiples, de territoires, de possessions divers : mon corps, mon nom, mes racines, mes droits et mes devoirs, mes positions et mes rôles… (avec possibilité d’enrichissement ou d’aliénation par réduction de l’être à l’avoir).

– Méthode envisagée pour étudier le thème de l’identité

« La critique thématique peut encore nous révéler ce qui se transmet d’une pensée à d’autres, ce qui se découvre en diverses pensées comme étant leur principe ou leur fond », écrit Georges Poulet dans Trois Essais de mythologie romantique.

Il s’agira pour nous, à travers l’étude d’un thème (celui de l’identité), de retrouver entre trois auteurs une certaine parenté littéraire, mais aussi de metre au jour l’évolution du thème à travers leur trois œuvres. Il nous faudra donc, d’une part montrer les points communs révélés par l’étude thématique ; d’autre part dégager l’originalité de chacun des auteurs, et sa vision personnelle de l’identité à travers son œuvre.

À ces deux buts essentiels, nous nous proposons de répondre par un travail exposé en deux temps :

Première partie : étude thématique des œuvres

Deuxième partie : trois visions de l’identité

Première partie

« Dans l’étude comparative, on appelle motif l’unité thématique que l’on retrouve dans différentes œuvres. Ces motifs sont tout entiers transmis d’un schéma narratif à un autre », écrit B. Tomachevski dans l’un des textes des formalistes russes réunis par T. Todorov.

Le thème de l’identité n’est généralement pas exposé de façon directe dans les œuvres, mais traité à travers d’autres thèmes (ou motifs) : il nous faudra donc pour l’étudier établir des rapports entre ce thème central et ceux dont, dans le réseau du texte, il est indissociable.

Nos premières lectures nous ainsi amené à retenir comme intimement liés au thème de l’identité tous les thèmes du double (doubles de l’homme ou doubles du monde), ceux du temps et de l’espace (indissociables du concept d’identité, comme, nous l’avons vu, l’ont noté les philosophes et les psychologues), ainsi que ceux du message chiffré ou du trésor, qui par leur nature impliquent une quête, laquelle peut se lire comme une métaphore d’une quête de l’identité.

Cette lecture thématique sera réalisée dans un optique comparatiste, chaque motif retenu devant être étudié parallèlement dans les trois œuvres.

Deuxième partie

Après avoir mis au jour les motifs communs aux trois œuvres, nous les ordonnerons séparément dans chacune de ces œuvres afin d’en dégager un sens : il s’agira de découvrir quelle fut la vision personnelle de l’identité de chacun des auteurs. À partir de la première étude, purement littéraire, nous envisagerons ce thème d’un point de vue plus philosophique.

Une première approche des œuvres nous permet de dire que :

chez Stevenson, l’identité apparaît partagée entre des pulsions contraires, entre le bien et le mal : c’est une identité à caractère essentiellement moral ;

chez Schwob, l’identité apparaît toujours masquée : elle est essentiellement mythique, c’est-à-dire à la fois présentée sous la forme du mythe, et présentant un caractère irréel, mensonger ;

chez Borges, l’identité est prise dans le vertige du temps et de l’espace (souvent symbolisés par la bibliothèque) : elle est essentiellement métaphysique.

Cette partie se composera donc de trois grands chapitres, consacrés à chacune des trois œuvres.

[Suit un paragraphe détaillant les « œuvres de fiction qui constitueront le corpus », puis ce « Premier plan de rédaction »]

Premier plan de rédaction

INTRODUCTION

Les œuvres de Stevenson, Schwob et Borges forment un fil littéraire à travers un siècle, deux continents et trois langues.

Nous retracerons brièvement la vie et l’œuvre des trois auteurs, envisagées dans leur contexte.

Au-delà des liens de lecture entre les trois auteurs, apparaissent des liens entre les trois œuvres : nous montrerons comment s’y inscrit une quête de l’identité, exprimée à travers une esthétique de la littérature, et des thèmes communs.

PARTIE I. ANALYSE THÉMATIQUE DES ŒUVRES

I. Le message chiffré

1) Cartes

2) Langues

3) Paroles

II. Le temps et l’espace

1) La mémoire et l’oubli

2) L’éternel retour

3) L’espace labyrinthique

III. La duplicité de l’être

1) Les motifs du double

A) Le double

B) Les frères

C) Le masque

D) Le miroir

E) Jeunesse et vieillesse

2) La dualité de l’être intériorisée

IV. Mondes imaginaires et monde naturel

1) Le pays lointain

2) L’effet palimpseste : bibliothèques et métempsychose

3) Le monde de la mort

V. Le trésor, le secret

1) Les motifs du trésor et du secret

A) Le trésor

B) Le Livre

C) Le secret

D) La parole

2) La quête du trésor comme processus d’individuation

PARTIE II. TROIS VISIONS DE L’IDENTITÉ

I. Stevenson : l’identité morale

II. Schwob : l’identité mythique

III. Borges : l’identité métaphysique

CONCLUSION

Un fil poétique et philosophique vers une définition de l’identité, qui prend successivement une valeur morale, mythique, et métaphysique.

[Suit la bibliographie d’une vingtaine de pages sur le corpus, et sur les œuvres critiques].

*

Faire œuvre (et contrer les forces de mort)

coquillagesphoto Alina Reyes

*

Que vais-je faire de ces quelques coquillages ramassés l’autre jour sur la plage, à Saint-Malo ? Tout en travaillant à mon œuvre d’écriture en cours, je suis travaillée par le désir de faire œuvre d’art plastique. En arts plastiques, je ne suis qu’une petite amateure, mais cela n’empêche pas que ce genre de travail, de recherche, de création, a une grande importance pour moi. Chaque être humain doit exercer sa capacité d’invention, faire œuvre de recherche, quel que soit le domaine de recherche qui l’appelle.

Qu’est-ce que l’art ? La recherche. Qu’est-ce que l’art ? La condition du vivant. Pas seulement la condition de l’homme vivant : la condition du vivant. J’appelle art tout travail d’invention, que ce soit celui de la chenille qui se transforme en papillon, celui de la plante qui fleurit, celui de l’oiseau qui chante, fleurit et danse sa cour d’amour, celui du mathématicien qui ouvre des mondes, etc. Que ce soit en art ou en littérature ou bien en sciences, en technologie, en cuisine, etc. Notre vie aussi peut être une œuvre d’art. À condition de sortir de l’existentialisme affirmé ou diffus qui nous enjoint d’ « exister », qui donne comme condition à atteindre notre être la nécessité de développer notre existence, une existence qui prend le sens de place dans la société et de visibilité dans le monde, une existence qui est enflure de l’ego et destruction de l’être, l’être originel qui nous est donné et que nous n’avons nullement à conquérir, l’être-enfant dont nous avons seulement à préserver la vie en nous, la fraîcheur, l’inventivité, à les faire fructifier en adultes. La différence entre un·e grand·e artiste et un·e artiste amateur·e vient de la qualité et de la quantité d’être et de temps investi dans l’art en question. Rien d’autre. Tout enfant est artiste, tout enfant invente.

J’ai écouté avec grand intérêt la conférence d’Anish Kapoor au Collège de France, et je regarde avec grand intérêt aussi les vidéos d’Arte sur des artistes, dans la série Rendez-vous chez les artistes et dans la série l’atelier A. Je ressens le désir de retourner dans les rues avec mon caddy à la recherche de choses à récupérer pour en faire autre chose. Je ressens le désir d’accompagner mon travail littéraire par un travail de recherche qui déborde la littérature, qui déborde l’art aussi, qui prenne toute la vie. Je l’ai écrit il y a 27 ans : il faut inventer sa vie. Ce qui revient à la donner. Inventer, c’est, étymologiquement, venir dans ; alors qu’exister, c’est sortir de ; or on ne peut sortir de soi si on ne descend pas d’abord en soi, épuiser le soi : c’est par le fond qu’on sort de soi (comme lorsqu’on jouit, qu’on soit homme ou femme). L’existence existentialiste n’est qu’un oubli de l’être profond et une enflure du soi superficiel, porteuse des pires et des plus dévastatrices valeurs, comme la grenouille dans la fable de La Fontaine, fonctionnant à l’envie, à la compétition, à la stupidité, à la morbidité. Nous voyons malheureusement ce que cela donne politiquement en ce moment, avec la montée des néofascismes en Europe et outre-Atlantique.

*

« Écrire. Tracer pour habiter le monde, de la Préhistoire à nos jours » : ma thèse de Littérature comparée en PDF

ajout du 14 août 2020 : ma thèse n’est plus en ligne, mais je l’ai retravaillée et complétée pour en constituer un livre, téléchargeable à petit prix : voir ici

thèse

Je mets à disposition ma thèse en Littérature comparée.

C’est une thèse singulière, dont on peut lire la présentation dans mon discours de soutenance.

La voici :

ÉCRIRE. TRACER POUR HABITER LE MONDE, DE LA PRÉHISTOIRE À NOS JOURS

*

Voir aussi quelques images de la version papier préparatoire : ICI

thèse,*

Et les pérégrinations de MADAME TERRE

madame terre 2présente dans cette thèse

*

Des classifications. Exemple : le clownesque

kafka*

La science avance en inventant (trouvant) de nouvelles classifications. Les classifications passent trop souvent pour des réalités définitives alors qu’elles ne sont que des points de vue circonstanciés. La science avance en multipliant les points de vue. J’ai une idée de classification nouvelle et révolutionnaire en biologie, je l’exposerai peut-être un jour. Les sciences humaines aussi nécessitent une constante remise en question et réinvention des classifications. Les historiens par exemple remettent en question les classifications « Moyen Âge » et « Renaissance ». Réinventer les classifications ne signifie pas rejeter tout des classifications anciennes, mais permet de sortir de leurs limites et de se donner de nouveaux outils, de voir autrement, et à partir de là de découvrir d’autres choses.

En littérature et en art, nous avons besoin aussi d’ouvrir notre regard. Nous apprenons en littérature à distinguer le baroque, le classicisme, le romantisme, le réalisme, le naturalisme, le symbolisme etc. Nietzsche a inventé le dionysiaque et l’apollinien, classifications qui ouvrent un autre point de vue au-delà des classifications académiques précédentes. Pour ma part, je ferais entrer Nietzsche dans une classe que j’appellerai le clownesque. Une classe qui se joue des époques. Le mot clown date du XVIe siècle, il désigne d’abord le paysan, d’après une racine germanique signifiant « motte de terre », avant de devenir un personnage de cirque et de théâtre. Mais le clownesque, dans ma conception de cette catégorie, est de tous les temps. Il y a des clowns de l’Homme – véreux, fascistes, populistes et autres autocrates, imposteurs de la pensée, de l’art, de la littérature, qui mettent l’homme plus bas que l’homme. Et les clowns de Dieu qui, partant de l’humilité de l’homme, l’élèvent à ce qui le dépasse – ce sont là les inventeurs que je classe comme clownesques. J’emploie le mot humilité car il renvoie aussi, étymologiquement, à la terre, à la motte de terre, comme le mot clown. Le clownesque pourrait s’apparenter au baroque mais à la différence de ce dernier, qui tient son nom d’un mot portugais signifiant « perle irrégulière », le clownesque ne part pas d’une préciosité, même détournée, mais d’une humilité. Si le clownesque peut aboutir comme le baroque à une forme d’exubérance, ce n’est pas comme le baroque par l’exubérance et la richesse des moyens, mais par leur humilité, leur économie. Et je vois dans cette catégorie des créateurs et des interprètes aussi variés que, entre beaucoup d’autres, Sophocle, Shakespeare, Bach (la classification comme baroques de ces deux derniers pose problème), Nietzsche, Kafka, Gogol, la Callas, Glenn Gould ou Basquiat. Toute une étude peut être développée sur ce concept du clownesque, sa métaphysique, ses façons de dépasser l’homme tantôt en auguste et tantôt en clown blanc, à partir de diverses formes d’humilité.

Dans une émission de télévision de 1960 sur CBS, Leonard Bernstein compare une partition de Bach et une page de Shakespeare. De même que Bach écrit des suites de notes presque toujours dépourvues d’indications musicales, Shakespeare établit une liste de personnages sans didascalies qui indiqueraient quel temps il fait, etc., dit-il. On pourrait dire que Bach, à la base, ce sont des notes et un clavecin, c’est tout. Et Bonnefoy disait qu’on devrait jouer Shakespeare sans décors. Les personnages de Sophocle, comme les clowns, sont des masques. Les enjeux sont métaphysiques, non pas psychologiques, sociologiques, humains-trop-humains. Nietzsche parle depuis l’animal, comme souvent Kafka, par ailleurs dépouilleur de langue. Gogol parle depuis le fou, la Callas depuis la blessée, Glenn Gould depuis l’autiste, Basquiat depuis la rue. C’est depuis leurs humilités respectives, et par la distance qu’elles instaurent entre eux et l’humain content de lui-même, que ces artistes atteignent des sommets inouïs. Et si on les écoute très bien, ils font rire. C’est ainsi qu’ils rendent les humains (leurs auditeurs, leurs lecteurs…) non pas passifs, comme lorsque tout ce qu’il y a à servir leur est servi (et plus ce qu’il y a à servir est peu de chose, plus ce peu leur est tout entier servi – ainsi dans l’art et la littérature à bon marché, faciles, « grand public »), mais actifs, nécessairement interprètes de tout ce que l’humilité foncière de leur art délègue à leurs libres interprétation, pensée, développement.

Voici le passage de l’émission avec Bernstein et Gould (qui joue à partir de 5:08)

L’émission vaut grandement d’être écoutée en entier, avec notamment à partir de 40:06 la présence de Stravinsky en personne dirigeant les trois dernières scènes de son Oiseau de feu :

*