Cercle vicieux

photo Alina Reyes

 

Si seulement ils connaissaient un tout petit peu Dieu, s’ils avaient seulement un commencement de foi, ils ne se croiraient pas obligés de faire son job à sa place. Comme ils croient qu’il n’existe pas, ils s’y collent, veulent imposer des choses et des épreuves aux autres, qu’ils prennent pour leurs créatures, trafiquent la création et le créé à défaut de pouvoir créer, mentent énormément, s’empêtrent dans une fuite en avant pathétique, qui n’empêche évidemment pas le sol de se dérober sous leurs pieds.

Mais c’est qu’ils ne voient pas comment faire autrement ! Ils ont les paupières collées, les malheureux. Puisqu’ils n’ont jamais vu Dieu. Je ne demande qu’à voir, me dit un jour l’un d’eux, qui venait de participer à un coup tordu. Eh bien Père, si vous voulez voir, commencez donc par renoncer aux diableries, si petites semblent-elles (vous ne connaissez pas leur grandeur), et purifiez votre cœur. Heureux les cœurs purs, ils verront Dieu. Qu’est-ce à dire, voir Dieu ? Voir la Vérité, et la vivre. Comment cela vient-il ? En embrassant le réel, le cœur pur. Ils sont abstinents du réel parce qu’ils en ont peur, ils vivent dans un ersatz de réel, dans des limbes où la relation humaine est entachée de cachotteries, de non-dits, de veules sinuosités, voire de manipulations et de mensonges. Et c’est dans ces limbes qu’ils veulent attirer les hommes, en leur promettant le Royaume. Imposteurs.

Ensuite bien sûr il devient plus que jamais hors de question d’accepter de voir Dieu face à face. D’assumer le fond de son être, son système, ses actes. Ce qui est du démon ne connaît pas Dieu, mais en a tout de même peur, comme le vampire a peur de la lumière du jour. Pourtant, si ce n’est en ce monde, le face à face est tout de même inéluctable, et rien ne sert de le retarder, bien au contraire. C’est par souci de leurs âmes que nous les appelons à changer de comportement, radicalement.

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Raison de la joie

photo Alina Reyes

 

Dans le « pourquoi m’as-tu abandonné ? » du Christ en croix, on s’interroge toujours autour du sentiment d’abandon qu’il aurait alors connu (ce que je ne crois pas du tout, notamment parce que le verset contient absolument le psaume entier – c’est lui-même qui s’abandonne, si Dieu l’abandonne c’est Dieu en lui qui l’abandonne, qui abandonne l’homme en lui à Dieu). En fait, sa souffrance à ce moment, avant la résurrection, tient dans le fait de demander pourquoi. Pourquoi l’être, pourquoi l’histoire, pourquoi le mal. Et ce qu’il nous donne en passant par la Croix, en ressuscitant, c’est l’assurance qu’il y a une raison au pourquoi. Que la raison (le Logos) prévaut sur le pourquoi, même si nous ne la connaissons pas toute. Et qu’en conséquence notre pourquoi doit être débarrassé de toute angoisse. Ce n’est pas à l’homme de crucifier son prochain, ni même seulement de le mettre à l’épreuve, fût-ce dans le but de le ressusciter ou de le faire progresser. Dieu s’occupe de cela, la vie s’en occupe, il suffit de la vivre en vérité. Le rôle de l’homme c’est au contraire d’accompagner comme Véronique et Simon le chemin de Croix d’autrui, les uns des autres, afin justement qu’il ne devienne pas définitivement mortel, mais signe de vie.

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Paul renversé par le Seigneur de gloire

Alina Reyes

 

« Nous parlons la sagesse de Dieu, celle qui est cachée dans le mystère, celle que Dieu, avant les siècles, a établie pour notre gloire, celle que nul prince de ce monde n’a connue ; car s’ils l’avaient connue, ils n’auraient pas crucifié le Seigneur de gloire. »

Dans Voyage, je traduis la « gloire » de saint Paul par « pensée », en expliquant que le premier sens du mot est « jugement », au sens du jugement de la pensée.