Ce n’est qu’un début, continuons la recherche

l’œil de la grenouille, photo Alina Reyes

l’œil de la grenouille, photo Alina Reyes

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Ma recherche ne va pas s’arrêter une fois ma thèse soutenue. J’ai ouvert un champ immense et lumineux qui reste à explorer, un nouvel univers qui est pourtant le même et unique univers où nous vivons. Universus signifie intégral. Signifie aux racines : « un qui est fait tourner », « un qui est fait tomber, qui est répandu ». L’univers est cet ensemble d’univers qui est déversé en tournant. Comme ma thèse.

C’est par cette adhérence à ce qui est que je trouve. (Adhérence (cf Coran) que j’ai commentée théologiquement naguère ; nous sommes toujours dans la même chose, il n’y en a qu’une, dans sa multiplicité). Je trouve soudain, mais ensuite je dois chercher. Il y a quelque temps, en réfléchissant aux nombres premiers, j’ai trouvé quelque chose d’énorme. Mais je ne peux pas le dire tant que je n’ai pas cherché, à partir de ce que j’ai trouvé, comment le montrer, comment, au moins, en donner un indice probant. Car ce n’est pas à moi-même que je dois adhérer, je peux me tromper, même si je n’en ai pas du tout l’impression.  Je ne vais pas faire de la recherche en mathématiques, j’en serais évidemment incapable, seulement essayer de faire voir ce que je pressens, afin que les mathématiciens et physiciens, entre autres, puissent, si cela leur chante, aller y voir de plus près, eux qui ont les outils pour le faire. Et puis, pour ce qui concerne ma propre discipline, continuer à l’explorer avec cela.

Après avoir trouvé, il faut chercher, pour trouver et voir en pleine lumière, et relier au tout de la recherche. J’ai perdu il y a longtemps mon mémoire de DEA (ex Master), c’est peut-être dommage, il aurait pu me servir pour ma thèse. Deux textes de cette époque lointaine sont restés dans mes papiers, je les ai inclus tels quels dans ma thèse : le texte sur Yvain, Le chevalier au lion de Chrétien de Troyes, écrit alors pour mon cours d’ancien français (et la prof l’avait photocopié pour le distribuer aux autres étudiants, le principe de distribution est très important et depuis que je l’ai mis en ligne, l’année dernière, il a été visité des centaines de fois, il sert), et le texte « le lac et le texte, le fond et la forme », que j’avais écrit juste comme ça, parce que j’observais ce qui se passait à la plage et parce que je m’intéressais à l’archéologie et à la littérature. J’étais alors une jeune mère de famille bien occupée à gagner maigrement sa vie et à élever ses enfants, qui n’avait encore rien publié ; maintenant j’ai plus de temps à consacrer à la recherche, c’est ce dont j’ai toujours rêvé. Ces textes entrent très bien dans ma thèse, c’est la preuve de la fidélité de ma pensée et de mon écriture au réel auquel j’adhère.

Confiance et beauté.

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Grothendieck : « faire des « maisons » (comme on « ferait » l’amour…) » (Récoltes et semailles, 2)

Lire Grothendieck est une merveille pour tout·e chercheur·e, pour comprendre ce que nous faisons quand nous cherchons et découvrons. Voici une deuxième salve d’extraits que j’ai sélectionnés, assise sur ma pierre dans un recoin du jardin alpin, après avoir longuement contemplé la vie dans les bassins.

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bassin et carpe 2*

« Ce qui fait la qualité de l’inventivité et de l’imagination du chercheur, c’est la qualité de son attention, à l’écoute de la voix des choses. Car les choses de l’ Univers ne se lassent jamais de parler d’elles-mêmes et de se révéler, à celui qui se soucie d’entendre. Et la maison la plus belle, celle en laquelle apparaît l’amour de l’ouvrier, n’est pas celle qui est plus grande ou plus haute que d’autres. La belle maison est celle qui reflète fidèlement la structure et la beauté cachées des choses.

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grenouille 2*

Mais la réalité (qu’un rêve hardi parfois fait pressentir ou entrevoir, et qu’il nous encourage à découvrir…) dépasse à chaque fois en richesse et en résonance le rêve même le plus téméraire ou le plus profond.

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goutte lotus*

Plutôt que de me laisser distraire par les consensus qui faisaient loi autour de moi, sur ce qui est « sérieux » et ce qui ne l’est pas, j’ai fait confiance simplement, comme par le passé, à l’humble voix des choses, et à cela en moi qui sait écouter. La récompense a été immédiate, et au delà de toute attente. En l’espace de ces quelques mois, sans même « faire exprès », j’avais mis le doigt sur des outils puissants et insoupçonnés. Ils m’ont permis, non seulement de retrouver (comme en jouant) des résultats anciens, réputés ardus, dans une lumière plus pénétrante et de les dépasser, mais aussi d’aborder enfin et de résoudre des problèmes de « géométrie de caractéristique p » qui jusque là étaient apparus comme hors d’atteinte par tous les moyens alors connus.

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nymphea*

Dans notre connaissance des choses de l’Univers (qu’elles soient mathématiques ou autres), le pouvoir rénovateur en nous n’est autre que l’innocence. C’est l’innocence originelle que nous avons tous reçue en partage à notre naissance et qui repose en chacun de nous, objet souvent de notre mépris, et de nos peurs les plus secrètes. Elle seule unit l’humilité et la hardiesse qui nous font pénétrer au cœur des choses, et qui nous permettent de laisser les choses pénétrer en nous et de nous en imprégner.

Ce pouvoir-là n’est nullement le privilège de « dons » extraordinaires – d’une puissance cérébrale (disons) hors du commun pour assimiler et pour manier, avec dextérité et avec aisance, une masse impressionnante de faits, d’idées et de techniques connus. De tels dons sont certes précieux, dignes d’envie sûrement pour celui qui (comme moi) n’a pas été comblé ainsi à sa naissance, « au delà de toute mesure ».

Ce ne sont pas ces dons-là, pourtant, ni l’ambition même la plus ardente, servie par une volonté sans failles, qui font franchir ces « cercles invisibles et impérieux » qui enferment notre Univers. Seule l’innocence les franchit, sans le savoir ni s’en soucier, en les instants où nous nous retrouvons seul à l’écoute des choses, intensément absorbé dans un jeu d’enfant…

je ne vois personne d’autre sur la scène mathématique, au cours des trois décennies écoulées, qui aurait pu avoir cette naïveté, ou cette innocence, de faire (à ma place) cet autre pas crucial entre tous, introduisant l’idée si enfantine des topos.

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mare*

Oui, la rivière est profonde, et vastes et paisibles sont les eaux de mon enfance, dans un royaume que j’ai cru quitter il y a longtemps. Tous les chevaux du roi y pourraient boire ensemble à l’aise et tout leur saoul, sans les épuiser! Elles viennent des glaciers, ardentes comme ces neiges lointaines, et elles ont la douceur de la glaise des plaines. Je viens de parler d’un de ces chevaux, qu’un enfant avait amené boire et qui a bu son content, longuement. Et j’en ai vu un autre venant boire un moment, sur les traces du même gamin si ça se trouve – mais là ça n’a pas traîné. Quelqu’un a dû le chasser. Et c’est tout, autant dire. Je vois pourtant des troupeaux innombrables de chevaux assoiffés qui errent dans la plaine – et pas plus tard que ce matin même leurs hennissements m’ont tiré du lit, à une heure indue, moi qui vais sur mes soixante ans et qui aime la tranquillité. Il n’y a rien eu à faire, il a fallu que je me lève. Ça me fait peine de les voir, à l’état de rosses efflanquées, alors que la bonne eau pourtant ne manque pas, ni les verts pâturages. Mais on dirait qu’un sortilège malveillant a été jeté sur cette contrée que j’avais connue accueillante, et condamné l’accès à ces eaux généreuses. Ou peut-être est-ce un coup monté par les maquignons du pays, pour faire tomber les prix qui sait? Ou c’est un pays peut-être où il n’y a plus d’enfants pour mener boire les chevaux, et où les chevaux ont soif, faute d’un gamin qui retrouve le chemin qui mène à la rivière…

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mare aux nympheas*

Sans avoir eu à me le dire jamais, je me savais le serviteur désormais d’une grande tâche : explorer ce monde immense et inconnu, appréhender ses contours jusqu’aux frontières les plus lointaines; et aussi, parcourir en tous sens et inventorier avec un soin tenace et méthodique les provinces les plus proches et les plus accessibles, et en dresser des cartes d’une fidélité et d’une précision scrupuleuse, où le moindre hameau et la moindre chaumière auraient leur place… C’est ce dernier travail surtout qui absorbait le plus gros de mon énergie – un patient et vaste travail de fondements que j’étais le seul à voir clairement et, surtout, à « sentir par les tripes ». C’est lui qui a pris, et de loin, la plus grosse part de mon temps, entre 1958 (l’année où sont apparus, coup sur coup, le thème schématique et celui des topos) et 1970 (l’année de mon départ de la scène mathématique).

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chemin fougeres*

La « création » dans mon travail de mathématicien, c’était avant tout là qu’elle se plaçait : dans cette attention intense pour appréhender, dans les replis obscurs, informes et moites d’une chaude et inépuisable matrice nourricière, les premières traces de forme et de contours de ce qui n’était pas né encore et qui semblait m’appeler, pour prendre forme et s’incarner et naître… Dans le travail de découverte, cette attention intense, cette sollicitude ardente sont une force essentielle, tout comme la chaleur du soleil pour l’obscure gestation des semences enfouies dans la terre nourricière, et pour leur humble et miraculeuse éclosion à la lumière du jour. »

aujourd’hui au jardin des Plantes, photos Alina Reyes

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Voir d’autres extraits de Récoltes et semailles ou de La Clef des songes : mot-clé Alexander Grothendieck

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Thèse : travail

a coeur

avant garde

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Établir les notes et la bibliographie de ma thèse est d’autant plus long que je ne m’en suis pas occupée assez méthodiquement pendant l’écriture (ce qui avait quand même un avantage, celui de ne pas briser ou hacher le mouvement de l’écriture). J’y travaille toute la journée depuis je ne sais plus combien de jours ; malgré le caractère un peu fastidieux de la tâche, elle est intéressante à plus d’un titre. La recherche des éditions originales ou autres a un côté ludique et apporte satisfaction quand enfin ce qui était cherché est trouvé, ou quand est trouvé ce qu’on ne cherchait pas ; ce sont des univers qui s’ouvrent ; l’organisation du classement est intéressante aussi (n’ayant pas reçu de consignes de présentation particulières, j’essaie de trouver les solutions les plus claires possible, et je recommence plusieurs fois jusqu’à être contente du résultat – sur des centaines de notes, cela prend du temps) ; et puis, au passage, on relit plus ou moins son texte, et on le corrige quand c’est nécessaire, on l’augmente un peu quand autre chose se présente à l’esprit : ainsi, aujourd’hui, j’ai eu une magnifique vision concernant la grotte de Bruniquel, que j’ai donc ajoutée au texte déjà écrit. Il faudra aussi que je fasse quelques descentes dans des bibliothèques, pour retrouver le numéro de pages de certaines citations, que j’ai égaré. Et tout cela vaut grandement le coup.

Après avoir visionné une énième fois Les Sauvages, qui dit bien toute ma joie de ce magnifique chantier, je me suis mise à mettre dans mes cheveux de fines tresses et de fins rubans multicolores.

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ici

autoportraitces jours-ci à Paris, photos Alina Reyes

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Merveilleux jardin des fleurs

Il est merveilleux, ce jardin des fleurs, a dit quelqu’un avec un accent d’ailleurs. Le jardin des Plantes, explosion de couleurs en ces jours, était arpenté par des gens, dont des étrangers, émerveillés. Voici les photos que j’ai faites dans son jardin alpin, où j’étais allée me détendre des dizaines d’heures passées devant mon ordinateur à établir l’appareil de notes et bibliographique de ma thèse – je suis loin d’avoir terminé, mais c’est un beau travail, partir à la recherche des premières ou de différentes éditions d’un texte donne le sentiment de se promener dans une profusion de fleurs, justement, et trouver celle qu’on cherche est très gratifiant, un peu comme si vous entendiez un enfant vous appeler dans la forêt et que finalement vous arriviez jusqu’à lui.

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jardin 1

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jardin 9l’arbre penché à l’arrière-plan est un pistachier femelle de 316 ans, son histoire est ici

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jardin 13la coccinelle a des cœurs sur les ailes

jardin 14après le rapprochement, l’accouplement

jardin 15voilà un panneau d’Izumi que je n’avais pas vu, je vais l’ajouter aux autres de son si gracieux bestiaire botanique

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transport du pollen, l’amour partout

jardin 21hier après-midi au jardin des Plantes à Paris, photos Alina Reyes

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Petit garçon au violon, street art, biscuits et sushis

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Le bon temps de marcher, le bon temps de contempler, le bon temps d’aimer, le bon temps d’aider, le bon temps de dormir, le bon temps de peindre, le bon temps d’écrire (oups, là j’avais écrit le non temps au lieu du bon temps, il est vrai qu’en écrivant le temps s’annule, mais en dessinant et en peignant aussi, et après tout en marchant aussi, ainsi qu’en aimant, qu’en aidant, qu’en dormant… le bon temps, en fait, c’est le temps qui s’annule, qui se transforme en pur bonheur, un temps comme un haïku, discret, au sens mathématique, et en même temps réuni, total), le bon temps de lire, le bon temps de cuisiner des biscuits et autres cookies exquis avec juste des ingrédients naturels et sans sucre (une cuillère de miel pour une fournée de biscuits suffit à sucrer et sucre bien mieux, je l’achète au kilo, bio, à douze euros), chaque fois différents au gré de l’invention et des ingrédients du moment, de faire aussi des sushis, des makis à souhait sains et bons (une bonne idée pour rompre le jeûne de façon différente si vous êtes musulman.e), le bon temps de faire des bonnes choses, le bon temps de danser (cette fois j’ai mis ma jupe de danse bleue et pailletée comme la nuit, achetée il y a des années à Istanbul), le bon temps de rêver, de songer, de vivre.

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selfiehier à Paris 5e, photos Alina Reyes

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Femme noire. Hommage à Naomi Musenga

naomi musenga*

Je dédie cette note à Naomi Musenga, à laquelle je pense nuit et jour depuis que j’ai appris sa mort, depuis que j’ai compris que le racisme l’a tuée, depuis que je vois que le racisme ordinaire continue à l’assassiner en refusant de reconnaître qu’il l’a assassinée.

Je dédie cette note à Naomi Musenga et à sa famille, bafouée par l’hôpital après son décès.

Je dédie cette note à l’esprit plein de vie de Naomi Musenga, qu’on a fait taire, et à son corps splendide, qu’on a immobilisé puis laissé pourrir, en totale barbarie.

Nous sommes un seul poète, et les vers de Léopold Sédar Senghor sont aussi les miens, pour Naomi Musenga et pour toutes les femmes noires, femmes royales dont j’admire le courage, la noblesse, la vitalité, la beauté, la joie, l’amour, et que j’aime.