Victor Hugo, « À la fenêtre pendant la nuit » ; et les Suruis

Voir aussi mon article : « Les Contemplations » ou la pensée sauvage de Victor Hugo

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Donc ne nous disons pas : – Nous avons nos étoiles.- 
Des flottes de soleils peut-être à pleines voiles
Viennent en ce moment ;
Peut-être que demain le Créateur terrible,
Refaisant notre nuit, va contre un autre crible
Changer le firmament.

Qui sait ? que savons-nous ? sur notre horizon sombre,
Que la création impénétrable encombre
De ses taillis sacrés,
Muraille obscure où vient battre le flot de l’être,
Peut-être allons-nous voir brusquement apparaître
Des astres effarés ;

Des astres éperdus arrivant des abîmes,
Venant des profondeurs ou descendant des cimes,
Et, sous nos noirs arceaux,
Entrant en foule, épars, ardents, pareils au rêve,
Comme dans un grand vent s’abat sur une grève
Une troupe d’oiseaux ;

Surgissant, clairs flambeaux, feux purs, rouges fournaises,
Aigrettes de rubis ou tourbillons de braises,
Sur nos bords, sur nos monts,
Et nous pétrifiant de leurs aspects étranges,
Car dans le gouffre énorme il est des mondes anges
Et des soleils démons !

Peut-être en ce moment, du fond des nuits funèbres,
Montant vers nous, gonflant ses vagues de ténèbres
Et ses flots de rayons,
Le muet Infini, sombre mer ignorée,
Roule vers notre ciel une grande marée
De constellations !

Victor Hugo,  « À la fenêtre pendant la nuit » IV, in Les Contemplations

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Petit roi

rosemarie trockel

Rosemarie Trockel, Sans titre (Le petit roi)

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Homme sans autre titre ou petit roi lunaire
sur fond d’orage très outremer

portant le poids des âges et de travers
une couronne avec un air de déterré

ou bien d’ange vieilli, tombé d’un ciel trop blet
sans illusion de retrouver la vue superbe

deux yeux pourtant de loup avide, d’enfant
qui n’oublie rien de la gravité des comptines

frère de ceux qui ont mangé du rat, du hérisson
à l’hôpital ou en prison vu défaillir la raison

notre double et poète, vigie cherchant des mots
pour habiter une contrée davantage dansante

Jean-Claude Pinson, en Coda de son essai Habiter en poète (éd Champ Vallon), dont le Sans titre (Le petit roi) de Rosemarie Trockel est en couverture

Le fil d’or de William Blake

J’ai évoqué une fois ici William Blake. Le revoici, avec cette peinture de lui, L’échelle de Jacob (celle par où, tandis qu’il dort la tête sur une pierre, il voit descendre et monter les anges), suivie de quelques-uns de ses Fragments de poésie que j’ai traduits.

blake
Aveugle aux fautes est toujours Amour,
Toujours à la joie il incline,
Ailé, sans lois et sans limites,
De chaque esprit brisant toutes chaînes.

 
Duplicité, au secret confinée,
Légale, prudente et raffinée ;
Aveugle en toute chose sauf à son intérêt,
Pour l’esprit forge des fers.

Abstinence sème du sable partout
Aux membres rutilants et aux cheveux de feu,
Mais Désir Gratifié
Y plante fruits de vie & beauté.

C’est une Tête de bois celui qui veut une preuve de ce qu’il ne perçoit,
Et c’est un Fou celui qui essaie de faire que cette Tête de bois croie.

Grandes choses adviennent quand se rencontrent Hommes et Montagnes ;
Et non pas au Coude à coude dans la Rue.

Je vous donne le bout d’un fil d’or :
Roulez-le simplement en pelote,
Il vous conduira à la Porte du Paradis
Bâtie dans le mur de Jérusalem.

William Blake, Fragments (ma traduction, de l’anglais)

La vache noire de Rainer Maria Rilke

Voici un autre poème de Rilke. J’aime penser à la vache noire qui retient son meuglement à la fin du texte, comme le font les vaches quand elles écoutent de la musique – je l’ai souvent vérifié quand elles s’assemblaient autour de mon ermitage en montagne pour écouter avec moi la musique souvent sacrée dont je leur faisais profiter en ouvrant la porte et les fenêtres.

Ô ce qu’il a dû coûter aux anges
de ne pas, tout à coup, fuser en chant comme on éclate en pleurs,
sachant pourtant : en cette nuit va naître
la mère du garçon, l’Un, qui va bientôt paraître.

Frémissants, silencieux, ils montrèrent du doigt
où se trouve, isolée, la ferme de Joachim.
Ah ! ils sentaient, en eux et dans l’espace, la pure condensation !
mais sans pouvoir, aucun, descendre à lui.

Car les deux se tenaient déjà si hors d’eux-mêmes.
Une voisine vint et ne sut qu’en penser,
et le vieux, prudemment, alla retenir le meuglement
d’une vache noire. Car jamais encore il n’en avait été ainsi.

Rainer Maria Rilke, Naissance de Marie (ma traduction, de l’allemand)