La source de la grâce infinie

 

Ma main juste sous ma clavicule, contre le grand pectoral, par un mouvement de vagues produit un chant. Un chant infime, qui rappelle très humblement celui d’un oiseau. Par un semblable mouvement il doit se former dans sa gorge, nous venons tous du même lieu, du même ordonnancement.

De même que Dieu a fait descendre le Coran, le Coran nous fait descendre au fond du puits en nous, où veille la source. « Il est le Premier et le Dernier, l’Apparent et le Caché ; Il est l’Omniscient. » (Coran 57,  3) « Je suis le Premier et je suis le Dernier, à part moi il n’y a pas de dieu » (Isaïe 43, 6). « Je suis l’Alpha et l’Oméga, le Premier et le Dernier, le Principe et la Fin » (Apocalypse 22, 13).

Le Coran est la grâce, le Christ est la grâce, l’Univers est la grâce : le Verbe de Dieu, reçu dans l’Esprit, tourne autour de la Source en nous comme la danse d’un soufi, le rituel des pèlerins, la valse des planètes et des astres. Et la Source toujours de nouveau flue dans son Verbe, et elle est Lui. « Car Dieu est le Maître de la grâce infinie » (Coran 57, 29)

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« Voici, je viens, Dieu, faire ta volonté ». Et Romano Guardini, « Le Seigneur »

photo Alina Reyes, 10 juin 2010

 

Je suis une joyeuse et sereine petite mendiante de Dieu, et s’il fait passer des choses qui nous dépassent à travers moi, c’est juste parce que je suis une joyeuse et sereine petite mendiante de Dieu. Enfant, je voulais être écrivain, mais c’était si sacré à mes yeux que je le gardais secret – en fait, le sacré de la chose, c’était l’Écriture qui m’attendait. Et pauvre moi-même, tout en envoyant mon peu d’argent aux pauvres et aux prisonniers, je disais : je veux être cosmonaute et président de la république – expressions enfantines du destin vers lequel je me sentais portée, au service du peuple mais à la façon du ciel plutôt qu’à la façon terrestre.

Que les uns ou les autres aient existé ou non, qu’ils se soient comportés de telle façon ou d’une autre façon, ne change rien au plan de Dieu. Dieu dès avant ma naissance a conçu en même temps que moi ma mission, rien ne pouvait empêcher qu’elle soit accomplie. Il aurait seulement mieux valu, pour les hommes eux-mêmes, qu’ils ne répètent pas encore le mal qu’ils firent déjà il y a longtemps. Romano Guardini, dans Le Seigneur, a écrit : « Nous ne devons pas faire comme si c’était dans l’ordre que le Christ a été rejeté et qu’il a souffert. Ce n’est pas dans l’ordre. La Rédemption ne devait pas se faire ainsi. Qu’il en soit advenu de la sorte, a été de la faute de la présomption humaine et les conséquences en sont entrées dans l’existence chrétienne. Nous n’avons ni l’Église qui aurait pu être jadis, ni celle qui sera un jour. Nous avons l’Église qui porte sur elle les stigmates du second péché originel. »

Les livres des prophètes sont toujours hantés par des violences parce qu’autour d’eux, de leur mission, de la parole qui leur vient, les hommes font violence, essaient de détourner l’œuvre de Dieu en train de s’accomplir, sa parole en train d’advenir.

Tout ce dont les hommes ont besoin pourtant, ce sont de rapports francs, ouverts, simplement compassionnels, purs de tout calcul. Ce dont les hommes ont besoin, c’est de pouvoir échanger un sourire sans craindre que l’autre ne cache une matraque dans son dos.

Voici, façon de faire un point, l’excellent chapitre VI du deuxième tome de Le Seigneur, de Romano Guardini (dont j’ai déjà cité un extrait du tome premier). Plutôt que d’y ajouter des commentaires, j’ai surligné en gras quelques phrases particulièrement importantes à mes yeux.

« Qu’est-ce que Jésus a trouvé dans la ville sainte, quand il y est entré avec la prétention suprême ? Quelles puissances y étaient à l’œuvre ? Quelles étaient les dispositions des hommes à son égard ? Comment est-il entré lui-même dans cette situation tendant à sa fin ? (…)

Il y a d’abord ceux qui s’appellent eux-mêmes « les purs », les Pharisiens. Au point de vue du caractère comme au point de vue politique, c’est le groupe le plus décidé et le plus fort ; ce sont les vrais mainteneurs des traditions (…) Voici le groupe des Sadducéens (…), des cosmopolites, qui ont jeté par-dessus bord les traditions de leur peuple, des hellénistes distingués, cultivés, s’intéressant à tout, soucieux de jouir de la vie. (…) Le peuple lui amène ses malades, lui fait part de ses misères, l’écoute, est charmé par ses paroles, bouleversé par ses miracles, mais n’arrive pas à prendre nettement position. (…) Hérode, souverain de Jésus, est un despote voluptueux, gouvernant, dans le cadre de son impuissance réelle, capricieusement. Il n’est pas entièrement fermé au monde religieux, comme le montrent ses relations avec Jean-Baptiste (…) Au reste, il a dû être un diplomate rusé, puisque Jésus l’appelle « ce renard ». (Luc 13, 32) Pour ce qui est du représentant officiel du pouvoir en Palestine, le procurateur impérial, il ignore Jésus totalement. (…)

Voilà le monde, dans lequel entre Jésus. Il annonce son message. Il fait les miracles, que les besoins des hommes et la nécessité spirituelle du moment lui suggèrent. Il exhorte, appelle, secoue. Il veut faire comprendre que c’est une réalité sainte qui frappe à la porte. Il ne veut pas seulement exposer une doctrine, inculquer une discipline morale, montrer un chemin de Salut, annoncer une nouvelle conception du royaume ; mais faire prendre conscience de ceci : c’est maintenant l’heure. Le royaume de Dieu est maintenant devant les portes de l’histoire. Il est prêt à y pénétrer. Dieu s’est levé. Tout est mûr. Tournez-vous de ce côté ! Faites place à la plénitude des temps ! Entrez dans le monde nouveau ! Marchez avec lui !

Tout cela, on le voit vite. Mais, en regardant de plus près, on trouve autre chose encore dans l’attitude de Jésus. Il met toute son énergie dans l’accomplissement de sa mission. Il va au-devant des hommes, les bras ouverts, et le cœur ouvert. Il ne pense pas à lui-même. Il ne connaît ni jouissance, ni commodité, ni peur, ni compromis. Il est absolument et exclusivement Messager, Prophète et plus que Prophète. Malgré cela, nous n’avons pas l’impression qu’il y a là un homme qui vise un but précis, et qui cherche vaillamment à l’atteindre par son travail… Peut-être, répondra-t-on, que ce dont il s’agit est trop grand, pour qu’on puisse l’enfermer dans de semblables concepts ; qu’on ne peut pas « travailler » pour un but pareil, que celui-ci arrive lui-même, se déploie, tandis que Jésus l’annonce et lui donne de l’espace. (…) Jésus apporte le message des messages, mais en faisant corps avec lui. Il ne pèse pas sur ses épaules, il ne le pousse point ; il est Lui. Il est vrai qu’il lui tarde que tout soit accompli ; mais c’est là la poussée intérieure et personnelle vers la consommation de sa tâche ; ce n’est pas le poids d’un devoir imposé de l’extérieur… Ou bien Jésus serait-il un lutteur ? On a tendance à le représenter sous ce grand et noble aspect. Mais lutte-t-il vraiment ? Je crois que non. Assurément, Jésus a des adversaires, mais il ne les considère et ne les traite jamais comme tels. Ce contre quoi il se dresse réellement, c’est l’état du monde, et Satan, qui l’entretient contre Dieu. Mais Satan lui-même n’est pas pour lui un ennemi, au sens propre du mot. Jésus ne lui reconnaît aucune égalité avec lui. En dernière analyse, il ne lutte pas ; son attitude est pour cela trop sereine.

Nous ne pénétrons plus avant dans l’âme du Seigneur, que si nous observons ses actions et son comportement au point de vue central, situé en dehors du monde. Dès que nous rangeons son être sous une des catégories qui nous sont familières, toute connaissance vraie s’évanouit.

Après un premier temps de plénitude, dans la prédication et l’action apostolique, nous avons vu que la crise se prépare. Puis, à Jérusalem d’abord, en Galilée ensuite, la décision intervient contre lui. Alors, sans être poussé par la nécessité intérieure, le désespoir ou une anticipation quelconque de la catastrophe elle-même, il va, tranquillement et résolument, à Jérusalem, ce qui, d’après ses propres paroles était aller à une mort certaine. (Luc 9, 51)

Son entrée dans la ville, nous l’avons dit, a la valeur d’une Révélation. (…)

L’image que nous nous faisons du Christ et de sa vie de Rédempteur, s’inspire tout entière du terme. Parce que celui-ci a été sanglant et signifie simplement le Salut pour nous, nous avons tendance à le regarder comme nécessaire et à tout apprécier en fonction de lui. Mais, en faisant ainsi, nous détruisons la réalité vivante des événements. Assurément, les choses « ont dû » en arriver là finalement, mais cette nécessité a une source plus profonde que nous ne pouvons soupçonner. En fait, il n’aurait pas fallu que l’issue fût telle. Si elle l’a été, cela est dû à l’action combinée de la culpabilité humaine et de la volonté divine, que nous ne pouvons pas démêler. Pour secouer la routine, posons-nous cette question : Qu’aurait fait, dans une situation pareille, un homme ayant profondément conscience de sa mission ? Il aurait pu emplyer tous les moyens, pour imposer la vérité au dernier moment. Il aurait donc parlé avec les prêtres, les docteurs de la Loi, les hommes influents parmi le peuple ; il aurait utilisé l’Écriture pour leur expliquer la situation ; leur aurait montré la source de leur erreur ; leur aurait dévoilé les aspects plus profonds de la Révélation et lutté avec eux pour trouver le vrai sens des prophéties messianiques. Il aurait cherché à agir sur le peuple, lui montrant sans se lasser, en employant des images saisissantes, adaptées à sa vie et à sa manière de penser et de sentir, la réalité essentielle et l’amenant à changer de point de vue.

Tout cela est-il fait ? Non, Jésus prêche la vérité sans doute, avec force, grandeur, insistance, mais jamais en faisant les efforts que nous attendrions. Par-dessus le marché, il le fait d’une manière qui n’est rien moins que persuasive, ayant plutôt quelque chose d’intransigeant et de provoquant. Quelqu’un qui veut, à la dernière minute, imposer par tous les moyens sa manière de voir, parle autrement que Jésus.

L’homme dont nous parlons aurait pu se dire aussi : le temps des discussions est passé, il faut agir à présent. Les adversaires insensibles à la force des arguments, doivent être affrontés sur leur propre terrain ; la force doit s’opposer à la force. Il aurait donc pris les différents groupes par leur point faible, aurait fait tantôt le jeu des Pharisiens contre les Sadducéens, et tantôt l’inverse. Il se serait adressé au peuple, lui aurait dénoncé les agissements de ses chefs, l’aurait mis en garde, stimulé, poussé à l’action. Trouve-t-on quelque chose de ce genre dans l’attitude de Jésus ? Pas la moindre trace. Et cela, non pas parce qu’il n’aurait pas la force de le faire, mais parce que ce serait opposé au but poursuivi par lui…

Peut-être l’homme en question, reconnaissant l’impossibilité d’aboutir, prendrait-il la fuite. Jésus en aurait la possibilité. Les Pharisiens s’y sont déjà attendus. Quand il dit : « Là où je veux aller, vous ne pouvez me suivre », ils demandent : « Où veut-il aller ? Peut-être dans la dispersion ? » (Joh. 7, 34-35) C’est ce que ferait cet homme. Il irait à Alexandrie, ou à Rome, sûr d’y trouver audience et gardant l’espoir de revenir un jur dans son pays avec des chances de succès. Cette pensée est tout à fait étrangère à Jésus… Il resterait une dernière hypothèse. Cet homme considèrerait la partie comme perdue, et suivant le cas, mourrait en désespéré, en homme lassé ou bien fièrement. Peut-être se jetterait-il de lui-même dans l’abîme, mystérieux antipode du succès, spéculant sur l’alternance logique de la mort et de la vie, de la catastrophe et du renouveau. Rien de tout cela n’arrive dans le cas de Jésus. On a voulu expliquer son attitude dans ce sens, au temps où « l’eschatologisme » était à la mode. Dans cette perspective, Jésus, voyant tout perdu, aurait misé « sur le succès de l’insuccès », sur une intervention mystique de Dieu. Il aurait espéré que sa mort deviendrait la source du renouvellement de toutes choses. On a voulu interpréter dans ce sens des mots tels que celui-ci : « Je vous le dis en vérité, plusieurs de ceux qui sont ici présents, ne goûteront point la mort, qu’ils n’aient vu le Fils de l’homme, venant dans l’éclat de son règne. » (Math. 16, 28) Il n’est pas question de cela. Jésus ne capitule pas ; on chercherait vainement chez lui la trace d’un effondrement, et il est faux de parler seulement d’une « catastrophe ». Quant à la métamorphose mystique de l’insuccès en un anéantissement créateur et fécond, elle n’existe point. Cette explication relève d’une psychologie irréelle, et, étant donné ce dont il s’agit, courte. Il y a ici autre chose.

Mais quoi ? Si nous évoquons l’attitude de Jésus, telle que la décrivent les récits évangéliques sur les fins dernières, nous y trouverons la confirmation décisive de ce que nous avons dit plus haut sur la manière d’être du Seigneur, en général. Il n’y a rien chez lui de la poursuite tendue d’un but ; rien du travail fébrile, rien d’une « lutte » au sens propre du mot. L’attitude de Jésus est infiniment sereine. Il dit ce qu’il doit dire, sans rien mitiger, mais tout à fait objectivement. Il ne cherche pas à produire un effet, mais s’exprime comme la nécessité interne le demande. Il n’attaque pas, mais ne se détourne pas davantage. Il n’espère rien de purement humain, et, en conséquence, n’a rien à craindre. S’il est dit, qu’à cause de ses ennemis, il se rend le soir à Béthanie pour rester auprès de ses amis, il ne s’agit pas là d’une fuite ; il se réserve simplement parce que son heure n’est pas encore venue, d’après son sentiment intérieur. Il n’y a pas de crainte dans l’âme de Jésus. Et cela, non seulement parce qu’il est naturellement courageux, mais parce que le centre de son être est au delà de tout ce qui pourrait être craint. Pour cette raison, on ne peut pas le qualifier non plus d’audacieux au sens humain du mot. Il est seulement libre, entièrement libre, pour ce qui doit être accompli à chaque instant. Et il l’accomplit avec un calme souverain et incompréhensible. Nous pourrions continuer longtemps ces distinctions. Le résultat ne ferait que confirmer ce qui apparaît déjà : c’est que les mesures humaines sont insuffisantes pour apprécier ce qui se passe ici. Tout y est pensé par un esprit humain, il est vrai ; voulu par une volonté humaine, vécu par un cœur ardent, magnanime, tendre, mais surgi d’une origine et accompli avec une force qui sont situées au delà de ce que nous pouvons dire d’humain, et lui donnent un caractère pareillement surhumain.

La volonté de Dieu est accomplie et Jésus veut cette volonté tandis que les actions des hommes s’y opposent. Le second péché de l’humanité se prépare, la seconde chute originelle, commise par les hommes que voici, en cet instant précis, mais solidairement avec tous les êtres humains, et nous accablant tous. La manière dont il est commis, ce péché, impose la forme sous laquelle la volonté salvifique du Père sera réalisée. Or Jésus est d’accord avec cette volonté. Il a l’attitude que l’épître aux Hébreux a essayé d’exprimer dans le texte que nous avons mis en exergue à ce chapitre*. »

*« Voici, je viens, Dieu, faire ta volonté » (He 10, 7)

à suivre

 

« Les Romains ont été vaincus ». Sourate « Les Romains », 2.

Olivier enneigé à la Grande mosquée de Paris, photo Alina Reyes

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Selon la prophétie de Malachie, le dernier pape s’appelle Pierre le Romain. Quel que soit le nom qu’il ait endossé, tout pape, évêque de Rome, est « Pierre », successeur de Pierre, et le Romain.

Selon une lecture historique, « Les Romains » du Coran seraient en fait des Byzantins, battus par les Perses en Palestine vers 613-614. Ils sont nommés Romains parce que chrétiens, rattachés à Rome – de même que tout pape est Pierre parce que rattaché à Pierre. Une partie des Arabes se réjouissait de cette défaite des Romains, mais les Croyants parmi eux se réjouirent de leur victoire finale, car ils représentaient les croyants alors que les Perses représentaient les mécréants.

« Les Romains ont été vaincus,

dans le pays voisin, et après leur défaite ils seront les vainqueurs,

dans quelques années. À Dieu appartient le commandement, au début et à la fin, et ce jour-là les Croyants se réjouiront

du secours de Dieu. Il secourt qui Il veut et Il est le Tout Puissant, le Tout Miséricordieux.

C´est [là] la promesse de Dieu. Dieu ne manque jamais à Sa promesse mais la plupart des gens ne savent pas. » (v. 2-6)

 

Pourquoi, pour qui, cette défaite et cette victoire ? La suite de la sourate l’indique, en voici trois versets dans la traduction d’André Chouraqui :

 

14.     Le jour où l’Heure surgira,

ce jour-là ils se diviseront.

 

15.     Ceux qui adhèrent et sont intègres

s’extasieront dans les pâturages.

 

16.     Ceux qui effaçaient,

niaient nos Signes et la Rencontre, l’Autre :

les voilà présents au supplice !

 

Au final, la division s’opère non entre les Romains et les Perses, mais parmi eux entre les croyants et les mécréants. Les « mauvais romains » et les « mauvais perses » seront au supplice, les « bons romains » et les « bons perses » pâtureront. Le destin des Croyants, des gens issus de la Parole de Dieu venue à travers Ses Livres saints, et qui lui sont fidèles, comme des gens qui sont fidèles à ce qui est juste… le destin des Justes, est un et unique.

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Oui à l’harmonie interconfessionnelle, par le Grand mufti d’Égypte Ali Gomaa

 

Le début d’une nouvelle année nous donne l’occasion d’engager une sérieuse introspection, pour tenir compte de nous-mêmes et des communautés dans lesquelles nous vivons. C’est un besoin particulièrement pressant dans le contexte de l’Égypte contemporaine, qui continue de traverser une période sensible de transition. Les événements de l’année passée, et même des deux dernières années, soulignent l’absolue nécessité de maintenir l’unité nationale dans notre pays bien-aimé. D’âpres débats politiques ne doivent pas nous détourner de cet impératif primordial.

Peut-être la question la plus importante qui doit être abordée en Égypte aujourd’hui est-elle la promotion de l’harmonie interreligieuse. Ce n’est pas un secret que nos frères et sœurs chrétiens ont eu parfois à se sentir mal à l’aise, dans une période instable. C’est pourquoi j’ai fait un effort particulier, durant cette période de Noël, pour féliciter publiquement toutes les églises chrétiennes d’Égypte pendant leurs jours de fête. Dans un communiqué, j’ai prié pour que l’esprit des fêtes religieuses prévale, et que tous les citoyens du pays – de fait, tous les citoyens du monde – renforcent leur détermination à œuvrer pour la propagation de l’amour, de la paix sur Terre, de la bonne volonté et de la fraternité de tous.

J’ai aussi profité de l’occasion pour préciser que le fait de présenter des vœux aux chrétiens pour la naissance du Prophète Jésus (la paix soit sur lui) est en vérité une action louable et encouragée dans l’Islam, car c’est l’expression verbale d’un désir de promouvoir des relations pacifiques et harmonieuses entre voisins, concitoyens et frères et sœurs en humanité. En effet, les naissances des prophètes sont des événements historiques marquants. Elles représentent une soudaine floraison d’hommes divinement inspirés, qui viennent sur Terre précher la paix et la sécurité, et répandre un message de bonheur et de guidance à l’humanité dans son ensemble. Ainsi que je l’ai prié à l’occasion de Noël, « j’implore Dieu d’augmenter notre précieuse Égypte en sentiment fraternel, amour, relations solides et bonté, et de garder notre terre bénie comme un symbole de paix et de sécurité à jamais. »

Puis j’ai souligné l’importance pour tous les citoyens de prendre part aux occasions de fête les uns des autres en leur présentant leurs vœux et en les félicitant, car nous sommes aujourd’hui dans un besoin urgent de répandre des sentiments de fraternité et d’unité nationale, et de lutte contre les divisions. Musulmans et chrétiens sont pareillement encouragés à transformer des sentiments de solidarité en une vraie unité dans la recherche du bien-être pour l’Égypte, et non dans des buts d’avancement individuel ou d’intérêt sectaire. Il est crucial que nous puissions laisser aux futures générations une culture pluraliste et humaine, fondée sur la vraie foi, un engagement pour la justice et l’amour entre les peuples de ce grand pays.

 

 

La crainte de la division est aussi ce qui doit nous inciter à rejeter les appels à imiter d’autres sociétés et cultures. Récemment, il y a eu des appels à instituer un comité pour la « promotion de la vertu et la prévention du vice ». Certains craignent que cela ne revienne à un peu plus qu’une police morale, qui exerce une autorité illégitime pour forcer les gens à adopter les comportements qu’ils ont estimé les plus appropriés. Mais l’Égypte est une société complexe. Ici rivalisent différentes visions de la religion et de la vie bonne. Alors que bien sûr nous respectons les limites de notre culture et de notre héritage, c’est précisément notre héritage qui reconnaît cela [le comité de promotion de la vertu…] comme une imposition étrangère sur notre culture et notre mode de vie. Cette sorte d’idée idiote est de celles qui cherchent à déstabiliser plus encore ce qui est déjà une situation tendue. Les savants religieux d’Égypte ont longtemps guidé les gens dans les voies conformes à leurs engagements religieux, mais n’ont jamais estimé que cela nécessitait quelque type que ce soit de police invasive.

En outre, ces savants auto-proclamés et amateurs non formés qui prétendent émettre des fatwas, ne doivent pas être considérés comme des savants authentiques. Leurs fatwas sont plutôt des déclarations non fondées sur la science, mais sur leurs caprices et désirs ; et elles n’ont aucun poids dans la science juridique de la fatwa. C’est un abus de langage d’employer le terme fatwa pour ces opinions non savantes, qui vont à l’encontre à la fois des principes de la Sharia et de la science établie de fatwas, qui toutes deux insistent sur les qualifications académiques des mufti impliqués.

La tradition religieuse de l’Égypte est ancrée dans une vision modérée et tolérante de l’Islam. Nous croyons que la loi islamique garantit la liberté de conscience et d’expression, dans les limites de la décence ordinaire et de l’égalité des droits pour les femmes. Et en tant que représentant pour l’Égypte de la jurisprudence islamique, je maintiens que l’établissement religieux est attaché à ces valeurs.

Le paradigme de ces sages érudits est au mieux représenté par l’Université Al-Azhar, dont la tradition humaine d’apprentissage et de service demeure la seule sauvegarde pour une Égypte tolérante et modérée.

La promotion de l’harmonie fut la première leçon des grands prophètes qui nous ont laissé de nobles valeurs et des principes pérennes pour vivre ensemble dans la coopération, en tant qu’êtres humains. C’est maintenant à nous de prendre cet exemple au sérieux et de nous abstenir de l’inutile division, pour le bien de notre pays. Toute tentative de semer la discorde entre les gens de ce pays doit être combattue dans les termes les plus fermes possible. Je n’ai aucun doute que les forces qui  cherchent à diviser les Musulmans égyptiens et les Chrétiens égyptiens – et les Musulmans et Chrétiens égyptiens entre eux – finiront par échouer. L’Égypte a été un symbole de coexistence pendant des siècles, et continuera à l’être, par la grâce de Dieu. L’Islam aura une place dans la démocratie égyptienne. Mais ce sera comme pilier de tolérance et d’harmonie, jamais comme moyen d’oppression.

traduit d’un article paru sur Reuters le 8 janvier 2013

également sur le site de l’auteur

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« Et qui te dira ce qu’est l’astre nocturne ? »

 

Ce que j’aime aussi, c’est qu’il faut aller à la mosquée en marchant d’un pas posé, digne, sans précipitation. Même si on est en retard. Et s’il arrive qu’on rate le début de la prière, eh bien il suffira de rester un peu de temps en plus, pour la refaire tranquillement, après la prière commune prise en route. Nous sommes des hommes, pas des machines ni des instruments affairés du monde.

Cela me rappelle la belle représentation populaire des rois mages traversant le désert et les pays sur leurs chameaux, pour rendre visite à l’enfant Jésus nouveau-né, en suivant l’étoile. L’homme est un être en marche. C’est pourquoi aussi je fais ce rêve que davantage de pèlerins aient à cœur de faire au moins un partie du pèlerinage à La Mecque, ou ailleurs, à pied, ou du moins (puisqu’ils marchent de toute façon pendant le hadj) qu’ils ne soient pas tentés de le faire dans des conditions trop confortables ou luxueuses. Ne laissons pas perdre l’esprit de la source, la vie d’hommes en déplacements et coutumiers du désert, cette vie qui fut propice à la révélation de Dieu à l’homme, dans les trois monothéismes. Cet esprit, il a besoin, pour continuer à vivre, que nous l’incarnions. Nous devons être, aussi bien les uns pour les autres que face à Dieu, des êtres incarnés. Pour marcher sur terre, au propre comme au figuré, nous devons être des personnes entières, avec ce qu’elles ont de plus humble, leurs pieds, bel et bien présents et effectifs.

At-Tareq, « L’arrivant du soir », titre de la sourate 86, qui désigne « l’astre nocturne », est aussi le nom qui donne, au pluriel, Touareg.

Par le ciel et par l’astre nocturne

Et qui te dira ce qu’est l’astre nocturne ?

C’est l’étoile vivement brillante.

Ce sont les trois premiers versets. AbdAllah Penot traduit ainsi les deux premiers :

Par le ciel et par celle qui surgit nuitamment,

et qui te fera connaître la nature de celle qui surgit nuitamment ?

Et Kasimirski le troisième :

C’est l’étoile qui lance des dards.

Youssef Seddik, l’appelant dans son livre éponyme L’arrivant du soir, note que cette traduction « conserve l’image si étrange, peut-être angoissante, de celui qui vient frapper à une porte à la fin d’une journée de vie publique… Les coups répétés… inquiètent et reportent soudain les gens de la maisonnée à une extériorité dont ils se croyaient retirés et protégés. »

Les humbles rois orientaux sont déjà arrivés, mais même si nous sommes en retard, il reste temps d’ouvrir la porte, de sortir et d’aller à sa rencontre. Dieu est patient, et il a tout le temps.

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Mystique et résurrection

tout à l'heure à Paris, photos Alina Reyes

 

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« L’âme retire de cette oraison et de cette union une extrême tendresse, si bien qu’elle voudrait fondre, non de douleur, mais en larmes de joie. Elle en est baignée tout entière sans l’avoir senti et ne sait ni quand ni comment elle les a versées, mais elle éprouve une grande délectation en voyant que ce feu ardent a été apaisé par une eau qui l’augmente encore. On dirait de l’arabe, mais c’est ainsi. » Sainte Thérèse d’Avila.

Si elle avait voulu seulement dire : c’est incompréhensible, elle aurait pu dire : c’est du chinois. Seulement, cela dépasse l’imagination, c’est divinement exquis, comme la substance même d’une langue sémitique, et spécialement donc de l’arabe, cette langue du Coran qui déchire tout cœur qui l’entend appeler à la prière. Si les mystiques chrétiens espagnols ont pu être inspirés par le soufisme, c’est que le soufisme vient comme un jus du Coran, lequel, contrairement à ce qu’on croit souvent, est tout entier mystique, dans sa substance même, sa langue, dans laquelle Dieu vit et bouge comme un nourrisson.

L’islam est par essence mystique. C’est à méconnaître cela qu’on l’égare parfois. La soumission à Dieu est mystique. Toute la vie de Mohammed est mystique. C’est pour cela que dans le Coran la miséricorde de Dieu annule le péché originel (dont est exempte Marie, par exception, dans le catholicisme, du fait d’avoir donné naissance au Verbe de Dieu). Les musulmans aiment l’idée de pleurer en priant, des vidéos très populaires le montrent, ils y trouvent comme la sainte espagnole « une grande délectation ». Délectation qui n’a rien de morose, contrairement à ce qui se produisit plus tard dans un catholicisme devenu doloriste. Ici nous sommes dans la pure réponse au très ancien désir d’Isaïe, qui s’exclamait : « Ah, si tu pouvais déchirer les cieux ! », nous sommes dans la fulgurance d’Élie quittant la terre dans un char de feu, nous sommes dans l’indicible du Verbe qui se dépasse lui-même en étant arraché à la tombe par la résurrection.

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Participants

hier à Paris, photo Alina Reyes

 

Le nombre de nos dents équivaut sensiblement à celui des lettres de nos alphabets. Sourire c’est tout dire !

Dieu sait ce qui est tissé dans chaque cœur. Ce voile que chaque homme fabrique tout au long de sa vie, c’est celui qui l’enveloppe à l’heure de sa mort. Sa mort d’ici et maintenant, d’à chaque instant de son existence. Et la grande mort qui l’attend, ailleurs et en un autre temps.
Ce voile dans le cœur est la peau qu’il lui faut purifier, pour pouvoir entrer au Jardin bienheureux.

« Il n’est d’autre dieu que Dieu » signifie : il n’est rien d’autre que la Vie.

L’odeur de la mort donne envie de vomir, sauf aux hyènes, aux yeux purulents et au corps subreptice.

« Louange à Dieu » signifie : louange à la Vie, souveraine des mondes, c’est elle seule que nous adorons, elle dont la logique régit tout, elle qui seule donne le salut et fait de l’homme un homme devant Dieu.

 

Que le temps des prophètes ait pris fin selon les juifs au troisième siècle avant notre ère, que Jean-Baptiste soit pour les chrétiens le dernier prophète, que Mohammed soit pour les musulmans le sceau des prophètes, ne signifie pas qu’il n’y a plus de prophètes après eux, grands ou petits. Gandhi par exemple fut un grand prophète. Cela signifie que pour ce qui est du judaïsme la prophétie est achevée au troisième siècle avant Jésus-Christ ; que dans l’événement du christianisme c’est après Jean-Baptiste que tout, en le Messie, est annoncé ; que dans l’islam Mohammed récapitulant dans une autre dimension les prophéties antérieures à lui accomplit l’absolu de la prophétie.

Que Jésus soit le « Fils de l’Homme » selon lui-même, le « Fils de Dieu » selon les chrétiens, le « Sceau de la Sainteté » selon l’islam, ne signifie pas que Dieu ait eu un enfant comme l’homme peut en avoir, mais que son être est l’absolu de l’homme en Dieu. Et c’est pourquoi l’islam comme le christianisme sait qu’il doit revenir à l’accomplissement des temps, pour lesquels le judaïsme aussi attend le Messie. Cet accomplissement des temps où l’Homme sera parvenu à sa maturité.

Aux hommes d’opérer les déplacements nécessaires pour voir Dieu dans les diffractements, les langues de sa Langue. Chacune de ses annonces et de ses manifestations à travers le temps a sa logique et son sens, chacune est liée aux autres et œuvre pour l’accomplissement de l’Homme dans ses diverses dimensions. Participons, c’est magnifique.

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