Le Corbeau, par Edgar Allan Poe : deux traductions d’Alina Reyes

J’ai réalisé ces traductions il y a quelques années. Les voici en format PDF, toujours en libre accès, précédés d’une brève explication de ma démarche. Personnellement je préfère la première présentée, c’est-à-dire la dernière écrite, mais à vous de voir !
Le Corbeau, par Edgar Allan Poe, traduit de l’américain
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Ma traduction de la dernière phrase énigmatique des Aventures d’Arthur Gordon Pym

Magritte, "La reproduction interdite". Le livre qui se reflète correctement dans le miroir est "Les aventures d'Arthur Gordon Pym" d'Edgar Poe

Magritte, « La reproduction interdite ». Le livre qui se reflète correctement dans le miroir est « Les aventures d’Arthur Gordon Pym » d’Edgar Poe

 

Dans l’édition originale du roman de Poe, elle conclut le texte en italiques et entre guillemets, sans qu’il soit précisé qui la dit :

« I have graven it within the hills, and my vengeance upon the dust within the rock. »

À ma connaissance, il n’en existe pas d’autre traduction en français que celle de Baudelaire (merci à lui), qui continue d’être publiée :

J’ai gravé cela dans la montagne, et ma vengeance est écrite dans la poussière du rocher.

Mais selon ma réflexion, le sens est autre, ou du moins il y a un autre sens, que Poe sans doute a volontairement caché comme la lettre volée – pourquoi, je le détaillerai peut-être un jour, mais il suffit de ma traduction, que voici, pour que chacun puisse méditer sur le sens de cette phrase :

« J’ai gravé cela dans la montagne, et ma vengeance sur la poussière dans le rocher. »

Ainsi traduite, la phrase est comme en anglais ambiguë, mais on peut mieux y entendre :

« J’ai gravé cela dans la montagne, et, dans le rocher, [j’ai gravé] ma vengeance [prise] sur la poussière.

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Le texte entier du roman dans la traduction de Baudelaire est sur wikisource, ainsi que les nouvelles de Poe.

Mes autres notes sur ce roman, à suivre : En lisant Arthur Gordon Pym

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Le Corbeau, par Edgar Poe (dans ma nouvelle traduction)

Voici ma nouvelle traduction du Corbeau, qui remplace celle que j’avais donnée ici l’année dernière. Je l’ai repensée en fonction de la sonorité du poème, et notamment après avoir lu ce qu’en dit Poe. Le o long, notamment suivi de r, notamment de ore (nevermore etc.) avait une importance capitale à ses yeux, ainsi que le rythme des vers, de leur suite, des effets de refrain. C’est tout cela que j’ai essayé de rendre en français, dans la mesure du possible, avec des effets de rimes aux vers 1-2 et 4-5 des strophes (en o pour les 4-5), et à l’intérieur des assonances, des allitérations, des répétitions, des variations, des jeux de mots musciaux. Pour cela j’ai osé changer « rien de plus » en « rien d’autre », qui a l’intérêt, outre sa sonorité, d’insister sur la question de l’altérité, et le merveilleux « jamais plus » (qui ne ressemble pas du tout à un croassement) en « plus d’encore » – après avoir hésité à employer « pas encore », qui modifiait davantage le sens et donnait le sentiment d’une torture plus grande que celle du « jamais plus », dans la mesure où ce « pas encore » équivalait visiblement à un jamais plus non dit.
Car à bien lire Poe, il apparaît que son nevermore, tout cruel qu’il soit, est aussi salutaire. Pas de retour signifie pas de retour d’une certaine vie qui fut douce, mais pas de retour non plus de la mort. Allons, ce poète finira bien par sortir de sa chambre, dont la porte est sienne.
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Lors d’un morne minuit, je songeais, apathique, ennuyé,
Sur maint curieux et vieux volume de savoir oublié,
Dodelinant, quasi dormant, quand soudain se fit un léger heurt
À ma chambre, comme si l’on heurtait, heurtait à la porte.
« Quelque visiteur », murmurai-je, « qui doucement heurte à la porte,
Seulement cela, rien d’autre ».

Ah, distinctement je m’en souviens, c’était le lugubre décembre
Et chaque braise mourante forgeait sur le sol son fantomatique membre.
Ardemment je souhaitais le matin ; en vain avais-je cherché à retirer
De mes livres un sursis à la tristesse, tristesse d’avoir perdu Lénore,
La rare et radieuse jeune fille que les anges nomment Lénore
Et qu’ici désormais on déplore.

Les rideaux pourpres bruissaient de bruits soyeux, tristes, confus,
M’emplissant de frissons, de terreurs fantastiques, inconnus.
Et je me répétais, pour calmer mon cœur qui battait :
« C’est quelque visiteur qui demande à entrer, demande à ma porte,
Quelque tardif visiteur qui pour entrer supplie à ma porte.
C’est cela, rien d’autre. »

Puis me ressaisissant,  je n’hésitai pas plus longtemps :
« Monsieur », dis-je, « ou Madame, veuillez m’excuser, vraiment,
En vérité je somnolais, et vous avez si doucement frappé
À ma chambre, vous avez si légèrement heurté à ma porte
Que je n’étais pas sûr d’avoir entendu. » Et j’ouvris grand la porte :
Ténèbre là, rien d’autre.

Scrutant les profondes ténèbres, je restai là, m’interrogeant, tremblant,
Doutant, rêvant des rêves que nul mortel n’avait osé rêver avant.
Mais rien ne rompait le silence, nul signe dans le calme.
Le seul mot qui fut prononcé là ce fut, chuchotée, la parole : « Lénore ! »
Chuchotée par moi, en retour murmurée par l’écho, la parole : « Lénore ! »
Juste cela, rien d’autre.

Retournant dans ma chambre, toute mon âme en moi brûlant,
Bientôt j’entendis de nouveau heurter, un peu plus fort qu’avant.
« Sûrement », dis-je, « sûrement est-ce quelque chose au treillis de ma fenêtre :
Voyons voir, dis-je, ce qu’il en est de ce mystère, voyons que je l’explore
Laissons mon cœur s’apaiser, et ce mystère, voyons que je l’explore.
C’est le vent, rien d’autre. »

Je poussai le contrevent et d’un vif mouvement, voletant,
Entra dans ma chambre un noble corbeau des saints jours d’avant.
Pas un instant il ne me salua, pas un instant ne s’arrêta,
Mais l’air d’un lord ou d’une lady, directement se percha au-dessus de la porte,
Se percha sur le buste de Pallas qui surplombe ma porte,
Se percha, se posa, rien d’autre.

Cet oiseau d’ébène alors me fit sourire, amusant mon imagination,
Par la grave et austère apparence qu’il donnait à son expression.
« Bien que ta crête soit coupée à ras bord », dis-je, « pour sûr tu n’es pas un perdreau,
Affreux, sinistre et antique corbeau venu du nocturne bord,
Dis-moi quel est ton noble nom sur le nocturne plutonien bord ! »
Le Corbeau croassa : « Plus d’encore ».

Je m’émerveillai fort que ce laid volatile eût compris mon propos,
Bien qu’à sa réponse fît défaut le sens et l’à-propos.
Car il faut reconnaître qu’à nul être humain vivant
Ne fut accordée la grâce de voir un oiseau sur sa porte,
Un oiseau ou une bête sur le buste sculpté surplombant sa porte,
Et s’appelant « Plus d’encore ».

Mais le Corbeau, perché solitaire sur le buste placide, ne disait
Qu’une parole, comme si son âme dans cette seule parole se déversait.
Il ne dit rien d’autre, rien de plus, ni ne bougea une plume
Jusqu’à ce que je murmure : « D’autres amis ont pris leur vol pour l’autre bord,
Au matin il me quittera comme l’espoir m’a quitté pour l’autre bord. »
Le Corbeau croassa : « Plus d’encore ».

Saisi dans le calme rompu par une réponse d’un si frappant à-propos,
« Sans doute », dis-je, « est-ce son seul répertoire, l’unique propos
Hérité de quelque malheureux maître que le désastre traître
Talonna toujours plus, jusqu’à ce que de ses chants il emporte
Tout espoir, le changeant en ce refrain funèbre qu’il porte
Du « Jamais-Plus d’encore ».

Et le Corbeau me distrayant encore, je tirai mon fauteuil
Hors de mes tristes pensées pour faire face à l’oiseau, au buste, au seuil,
Et laisser en moi, dans le velours enfoncé, s’enchaîner
Songe après songe, sur ce que ce sinistre oiseau des lointains alors,
Sur ce que cet affreux, morne et de mauvais augure oiseau des lointains alors,
Signifiait en croassant : « Plus d’encore ».

J’étais donc assis là, conjecturant sans un mot, me tenant
Face au volatile aux yeux de feu brûlant dans mon cœur maintenant,
J’étais assis à réfléchir plus avant, la tête inclinée à son aise,
Inclinée sur le velours du coussin que la lumière de la lampe dévore,
Sur ce velours violet que la lumière de la lampe dévore,
Et qu’elle, ah ! ne pressera plus encore !

Puis l’air me sembla s’épaissir, embaumé à coups d’encensoir
Par des Séraphins dont les pas tintaient, invisibles dans le noir.
« Misérable ! » criai-je, « ton Dieu t’a envoyé, par ses anges il t’a envoyé
Du répit, du répit et du népenthès de tes souvenirs de Lénore !
Bois, oh bois ce bon népenthès et oublie celle  que tu as perdue, Lénore ! »
Le Corbeau croassa : « Plus d’encore ».

« Prophète ! », dis-je, « prophète de malheur, oiseau ou démon,
Que le Tentateur t’ait envoyé ou que la tempête t’ait jeté sur ce limon,
Désolé mais téméraire sur cette terre déserte et enchantée,
Sur cette maison par l’horreur hantée, dis-moi vraiment, je t’en implore
Y a-t-il, y a-t-il un baume à Galaad ? Dis-moi, dis-moi, je t’en implore ! »
Le Corbeau croassa : « Plus d’encore ».

« Prophète ! », dis-je, « prophète de malheur, oiseau ou démon,
Par ce Ciel en voûte au-dessus de nous, par ce Dieu que tous deux adorons,
Dis à cette âme lourde de peine si, dans le lointain Éden,
Elle étreindra une sainte jeune fille que les anges nomment Lénore,
Étreindra une rare et radieuse jeune fille que les anges nomment Lénore. »
Le Corbeau croassa : « Plus d’encore ».

« Que ce mot soit le signe de ton départ, oiseau ou démon », hurlai-je, dressé.
Ne laisse pas une plume en signe de ce mensonge que ton âme a prononcé !
Retourne à la tempête et au nocturne plutonien bord :
N’interromps plus ma solitude ! Quitte le buste au-dessus de ma porte !
Ôte ton bec de mon cœur, ôte ta silhouette de ma porte ! »
Le Corbeau croassa : « Plus d’encore ».

Et le Corbeau, ne bougeant plus de là, se tient encore, se tient encore
Sur le buste pâle de Pallas, juste au-dessus de ma porte,
Avec ses yeux qui ont tout l’air de ceux d’un démon qui rêve,
Et la lumière de la lampe ruisselant sur lui jette son ombre sur le sol.
Et pour mon âme, qui jamais ne se relèvera de cette ombre étendue sur le sol,
Il n’y a plus d’encore.

 

 

Edgar Poe, « Une descente dans le maëlstrom » (ma traduction de passages et de la fin)

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Le bateau paraissait suspendu comme par magie au milieu de la pente, sur la face interne d’un entonnoir de vaste circonférence et d’une prodigieuse profondeur, dont les parois parfaitement lisses ressemblaient à s’y méprendre à de l’ébène, à part la stupéfiante vitesse à laquelle elles tournaient, et le rayonnement scintillant, terrifiant, qu’elles projetaient, tandis que les rayons de la pleine lune, par cette faille circulaire au milieu des nuages que j’ai déjà décrite, ruisselaient en un flux de gloire dorée le long de ses murs noirs, et bien en-deçà dans les replis reculés de l’abîme.

(…)

Les rayons de la lune semblaient chercher le tréfonds de l’énorme gouffre. Mais je ne pouvais encore rien distinguer clairement, du fait d’un épais brouillard qui enveloppait tout, et au-dessus duquel était suspendu un magnifique arc-en-ciel, tel ce pont étroit, vacillant, qui selon les musulmans est le seul passage entre le Temps et l’Éternité. Ce brouillard, ou cette vapeur, était probablement causé par le choc des grands murs de l’entonnoir, lorsqu’ils se rencontraient et se fracassaient tous au fond – mais le hurlement qui, de cette brume, montait aux Cieux, je n’ose tenter de le décrire.

Notre premier glissement dans l’abîme lui-même, depuis la ceinture d’écume au-dessus, nous avait emportés très bas dans la pente. Mais ensuite notre descente se passa à une toute autre allure. Nous tournions et tournions, emportés dans un mouvement sans aucune uniformité, avec des balancements et des à-coups vertigineux, qui nous envoyaient parfois à quelques centaines de yards seulement, et d’autres fois nous faisaient accomplir tout le tour de la spirale. Notre progression vers le bas, à chaque cycle, était lente mais tout à fait perceptible.

(…)

Un fait alarmant vint renforcer sérieusement ces observations, et me rendit vivement soucieux d’en tirer des conclusions : à savoir qu’à chaque révolution, nous dépassions quelque chose comme un baril, ou bien une vergue ou un mât de navire, et que la plupart de ces choses qui avaient été à notre niveau la première fois que j’avais ouvert les yeux sur les merveilles du tourbillon, se trouvaient maintenant loin au-dessus de nous et semblaient n’avoir que très peu bougé de leur position d’origine.

Que faire ? Je n’hésitai pas plus longtemps. Je décidai de m’attacher solidement au tonneau d’eau sur lequel je me tenais à présent, de le détacher de la cage et de me jeter avec à l’eau. J’attirai l’attention de mon frère en lui faisant des signes, lui montrant les barils flottants qui arrivaient près de nous, et fis tout ce que je pouvais pour lui faire comprendre ce que je faisais. Je pensai qu’il avait fini par saisir mon but. Mais que ce fut le cas ou non, il secoua la tête désespérément et refusa de quitter sa place près du boulon à anneau. Impossible de le rejoindre. Et l’urgence n’admettait aucun délai. Alors, dans une lutte amère, je l’abandonnai à son sort, m’attachai au tonneau avec les cordages qui l’avaient retenu à la cage, et me précipitai avec lui dans la mer, sans un autre instant d’hésitation.

Le résultat fut exactement celui que j’avais espéré. Comme c’est moi qui vous raconte maintenant cette histoire, vous pouvez constater que j’en ai réchappé. Et comme vous savez déjà par quel moyen j’en ai réchappé, et devez donc anticiper tout ce qu’il me reste à dire, je conclurai rapidement mon récit. Une heure ou à peu près avait dû passer depuis que j’avais quitté le smack quand celui-ci, ayant descendu une grande distance au-dessous de moi, fit, à la suite et très vite, trois ou quatre tours sur lui-même, et emportant avec lui mon frère bien-aimé, plongea tête la première, d’un coup et à jamais, dans le chaos d’écume au-dessous.

Le baril auquel j’étais attaché surnageait quasiment à mi-distance entre le fond du gouffre et l’endroit où j’avais sauté par-dessus bord, quand un grand changement se produisit dans la nature du tourbillon. La pente des parois du vaste entonnoir devint de moins en moins raide. Les girations du vortex se firent de moins en moins violentes. Petit à petit l’écume et l’arc-en-ciel disparurent, et le fond du gouffre parut lentement remonter. Le ciel était clair, les vents étaient tombés, la pleine lune se couchait rayonnante à l’ouest, quand je me retrouvai à la surface de l’océan, directement en vue des côtes de Lofoden et au-dessus de l’endroit où le Moskstraumen s’était produit.

C’était l’heure de l’accalmie, mais par suite de l’ouragan des vagues hautes comme des montagnes soulevaient encore la mer. Je fus porté violemment dans le canal du Ström et en quelques minutes projeté sur la côte, dans les pêcheries. Un bateau me recueillit, fatigué, épuisé, et maintenant que le danger était passé, laissé sans voix par le souvenir de cette horreur. Ceux qui me tirèrent à bord étaient de vieux camarades, mes compagnons de tous les jours, mais ils ne me reconnaissaient pas plus qu’ils n’auraient reconnu un voyageur venu du monde des esprits. Mes cheveux, qui la veille étaient d’un noir de corbeau, étaient aussi blancs que vous les voyez maintenant. Ils dirent aussi que mon visage avait complètement changé d’expression. Je leur racontai mon histoire, ils ne voulurent pas y croire. Maintenant c’est à vous que je la dis, sans espérer vraiment que vous lui accorderez plus de crédit que les joyeux pêcheurs de Lofoden.

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Edgar Poe, « La chute de la maison Usher » (texte intégral en pdf, traduction Alina Reyes)

Voici ma traduction (au début commentée par quelques notes) de la nouvelle de Poe. À lire gratuitement en pdf.

La Chute de la Maison Usher

, traduit de l’américain

Bonne lecture !

Voir aussi toutes les notes sur La Chute de la Maison Usher

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