Évangile selon Marc 16, 8 (commentaire)

ouvrir les cages,

*

Des versets ont été ajoutés par la suite, mais à l’origine ce sont les derniers mots de l’évangile de Marc, déroutants puisque contrairement aux autres évangiles ils annoncent que les femmes n’ont pas rapporté l’annonce, que venait de leur faire l’ange, de la résurrection du Christ. En voici ma traduction et mon commentaire.

« Alors elles sortirent et s’enfuirent de la tombe, ayant tremblement et extase ; et ne dirent rien à personne ; car elles étaient effarouchées. »

À lire ce verset, je vois les trois femmes jaillir de la tombe comme trois jeunes oiseaux prenant pour la première fois leur envol du nid, en un instant tout à la fois de frayeur et d’extase. Une traduction rapide dit : « car elles avaient peur ». Mais le sens précis du verbe grec phobeomai c’est « être chassé par la crainte, être mis en fuite », comme le mot phobos signifie « action de faire fuir en effarouchant ». Quelque chose dans le tombeau les a effarouchées pour qu’elles ne restent pas accrochées à ce lieu, qu’elles ne restent pas dans le souvenir (c’est aussi le sens du mot mnéméion, « tombeau »). Trois oiseaux doivent quitter leur nid, se jeter dans la nouvelle vie. C’est une préfiguration de la résurrection, et juste revenues à la vie, comme les nouveau-nés, les enfants (infans, « sans-parler »), elles ne disent rien. Elles parleront une fois arrivées auprès des apôtres, nous disent les autres évangiles. Mais il est aussi possible d’imaginer que leur attitude parle d’elle-même, que le fait d’avoir un temps perdu l’usage de la parole, comme il arriva à Zacharie après avoir lui aussi reçu une annonce d’un ange (l’annonce de la naissance de Jean le Baptiste), que le fait d’être à la fois tremblant et en extase, soit en soi une première façon de parler, de dire que Dieu vient de se manifester, rendant dérisoire la parole humaine. Le corps de Jésus s’est comme « envolé » de la tombe, celui des témoins aussi. Après la résurrection, la vie physique est une vie libérée de la pesanteur.

*

Pi (Apocalypse, 3, 14-16)

14 À l’ange de l’église en Jugement du Peuple, dis :

Ainsi parle l’Amen,

le Témoin, le fiable et le véritable,

le principe de la création de Dieu.

15 Je sais ce que tu fabriques parce que tu n’es ni frais ni fervent. Que n’es-tu frais ou fervent !

16 Parce que tu n’es pas franc, parce que tu n’es ni fervent ni frais, je vais te vomir de ma bouche.

 

*

(ma traduction ; chliaros, habituellement traduit par tiède, signifie aussi mou, efféminé, c’est-à-dire maniéré, indirect, non franc ; psuchros, habituellement traduit par froid, indique aussi la fraîcheur, au sens de plongé dans l’eau fraîche. Ceux qui ne sont ni fervents ni frais, ni purifiés par le feu ni purifiés par l’eau, ne sont pas francs, ils trafiquent, ils sont indirects, ils peuvent avoir du pouvoir mais ils sont sans puissance vitale, Dieu les vomit car il rejette le mauvais et il garde la vie).

Rendre grâce

photo Alina Reyes

 

Je me rends compte que j’ai pris pour la deuxième fois à la bibliothèque le livre intitulé Ibn Arabî et le voyage sans retour, par Claude Addas. Et il m’intéresse toujours aussi vivement. Enfin, la prochaine fois j’essaierai de trouver plutôt un livre de lui. Ses ennemis l’accusent de syncrétisme. Sans doute est-ce faux, mais je sens aussi que nous devons dépasser les religions. Tout en les conservant. Je sais que le salut est dans le multiple issu de l’Un, et la conscience, à partir de ce multiple, de ce Un qui l’unit. J’ai lu aussi, la nuit dernière, La controverse de Bethléem, par Alain Le Ninèze : une correspondance imaginaire entre saint Jérôme et Rufin d’Aquilée, qui permet à l’auteur de poser le cadre historique, la fin de l’Empire chrétien au quatrième siècle de notre ère (pour vous faire une idée, c’est facile : même ambiance qu’aujourd’hui) et de débattre des questions de traduction des Évangiles et de leur enjeu pour la compréhension du christianisme. Les questions soulevées, je me les suis moi-même posées dans mes traductions. Et à propos d’Un et de multiple, en voici un passage, issu de Voyage. Je vous aime tous, mon cœur est sans calcul, mes jaillissements candides, mon chemin sans arrêt, ma conviction absolue.

 

Marc 6

34. En débarquant, Jésus vit la foule nombreuse, et il fut pris dans ses entrailles de compassion pour eux, parce qu’ils étaient comme des brebis qui n’ont pas de berger. Et il commença à leur enseigner beaucoup de choses.

39. Puis il leur ordonna de tous se renverser en arrière, groupes de convives par groupes de convives, sur la verte clairière.

40. Et ils tombèrent en arrière, plates-bandes par plates-bandes, en descendant par cent et par cinquante.

41. Et saisissant par la prière les cinq pains et les deux poissons, levant les yeux dans le ciel, il rendit grâce, brisa les pains et les donna à ses disciples pour qu’ils les servent aux convives : les deux poissons, il les divisa aussi pour tous.

42. Et tous mangèrent et furent rassasiés.

43. Et ils levèrent la somme de douze corbeilles de fragments de pain et de poissons.

44. Ceux qui avaient mangé les pains étaient au nombre de cinq mille hommes.

 

Jean 6

35. Jésus leur dit : Moi je suis le pain de vie. Qui vient à moi n’aura jamais faim, et qui croit en moi n’aura jamais soif.

36. Mais je vous l’ai dit : vous m’avez vu, et vous ne croyez pas.

37. Tout être que me donne le Père viendra à moi, et qui vient à moi, je ne le jetterai pas dehors,

38. car je suis descendu du ciel pour mettre en œuvre non ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé.

39. Or la volonté de Celui qui m’a envoyé, c‘est que tout ce qu’il m’a donné, je ne le perde pas hors de lui, mais que je le fasse monter dans le jour extrême.

 

Je n’aurais jamais imaginé, avant d’aller voir le texte grec, que ce passage de Marc était à ce point extraordinaire. Dans l’enceinte d’herbe nouvelle vert tendre (chloro chorto dit tout cela), Jésus, avant de pouvoir nourrir cinq mille hommes de cinq pains et deux poissons,  les fait se renverser en arrière (deux verbes différents et une préposition expriment à la suite ce mouvement de renversement, de chute en arrière et de descente), par groupes de convives mathématiquement rangés (notons qu’en grec disciple se dit mathétès), qui deviennent eux-mêmes des plates-bandes, unis au tout de la création. Il s’agit littéralement d’un passage dans l’autre monde.

Pour “saisissant par la prière”, je traduis lambano d’après son sens premier : « prendre dans ses mains, saisir  (en parlant de suppliants : saisir les genoux de…) ».  Je continuerai à tenir compte de ce sens dans toutes mes traductions de ce verbe. Après la descente (kata), la montée (ana) des yeux au ciel. Il divise aussi les poissons : raison pour laquelle, comme dans la division mathématique, à la fin de l’opération il y a un reste. Et la libéralité de Dieu fait que ce reste n’est pas égal à zéro, mais encore abondance.

“Ils furent rassasiés” : le verbe contient le mot chorto que nous avons vu au début, et signifie littéralement : “engraissés d’herbe”.  Puisqu’ils sont le troupeau de Dieu, et qu’en les nourrissant il les unifie dans sa création.

Le passage de Jean a lieu au même point du chemin du Christ. Ici aussi nous trouvons la descente (katabébèka, “je suis descendu) et la montée (anastèso, “je le ressusciterai”), résurrection au jour des fins dernières, dans le jour eschatos, extrême jour, extrême lumière et vie.

D’un autre côté, ma maison, dans la montagne où je suis, c’est aussi l’arche, et l’autre monde.

Et cette nuit j’ai vu en rêve un immense, extraordinairement magnifique, lumineux, vivant et dépouillé, arc-en-ciel.

Que chacun de nous soit en son cœur une arche spirituelle, nous mangerons vraiment le pain du ciel, nous monterons ensemble dans l’arche du réel sanctifié.

*

 

Son souffle de vie


Photos Alina Reyes

 

Jean 10

9. Moi je suis la porte. Si quelqu’un entre via moi, il sera sauvé ; il entrera et sortira, et il trouvera un partage.

10. Le voleur ne vient que pour voler, sacrifier et perdre. Moi je suis venue pour que vous portiez la vie, et que vous la portiez au-delà de toute mesure.

11. Moi je suis le bon berger. Le bon berger expose son souffle de vie pour ses brebis.

12. Le mercenaire, qui n’est pas un berger, et qui n’a pas avec les brebis un lien particulier, voit-il venir le loup, il laisse les brebis et s’enfuit – et le loup s’empare d’elles et les éparpille.

13. Car il est mercenaire, et il ne se fait pas de souci, lui, pour ses brebis.

14. Moi je suis le bon berger, je connais les miens et les miens me connaissent,

15. comme me connaît le Père et comme je connais le Père ; et mon souffle de vie, je l’expose pour mes brebis.

16. Et je porte d’autres brebis qui ne sont pas dans cet enclos. Celles-ci aussi, il me faut les mener, elles écouteront ma voix, et finalement il y aura un seul troupeau, un seul berger.

17. Le Père m’aime via cela : j’expose mon souffle de vie, pour le reprendre en priant.

18. Personne ne le capture, venant de moi, mais c’est moi qui l’expose, à partir de moi-même. Je porte le pouvoir de l’exposer, et je porte le pouvoir de le reprendre. Telle est l’instruction qu’en priant j’ai reçue de mon Père.

 

Je continue, comme précédemment, par traduire le verbe lambano (prendre, recevoir) en tenant compte de son sens premier, qui exprime le fait de saisir les genoux en geste de supplication : j’y ajoute donc chaque fois une mention de la prière, car c’est une profonde vérité du texte et des faits.

Je traduis psychè (âme, vie) par son sens premier aussi : souffle de vie. Ainsi nous pouvons voir Jésus rendant l’esprit sur la Croix, son Esprit par essence qu’on ne peut saisir ni prendre, qu’il expose par tout son corps au-dessus de nous, là-haut sur la Croix, son souffle de vie qu’il reprendra comme on reprend son souffle, sa vie qu’il donne et reprend ainsi qu’il en a reçu le pouvoir dans la prière.

Et nous sentons son cœur qui bat pour nous tandis qu’il nous dit tout cela.

 

lecture de ce dimanche ; traduction et commentaire extraits de Voyage