Les falsificateurs (BHL et consorts)

En 1979, suite à la dénonciation par l’éminent historien Pierre Vidal-Naquet des nombreuses erreurs grossières et falsifications du livre de Bernard-Henri Lévy Le Testament de Dieu, Cornélius Castoriadis écrivit à son tour une vigoureuse et lucide dénonciation du système de l’auteur vedette, « quelqu’un qui occupe les médias presque autant que la « bande des quatre » et pour y produire un vide de la même qualité ». Le dossier complet, avec les lettres des uns et des autres, est à lire sur le site de Pierre-Vidal Naquet. Je conseille vivement de le lire entièrement (y apparaît aussi la propension au plagiat de BHL) ou de le relire. Car ce qui y est décrit n’a fait, trente-cinq ans après, qu’empirer. Ce qui était en train de monter, maintenant règne. Ce pourrissement des élites dont je parlais un peu plus tôt dans la journée – et bien sûr il faut désormais entendre « élites » entre guillemets. Car les hommes honnêtes, les vraies élites existent, mais le système les occulte. Et accepter de collaborer à ce système, ne serait-ce qu’en se taisant, c’est bafouer la dignité de l’homme, cette fameuse dignité dont nous rebattent les oreilles ceux qui souvent en ignorent tout. Je relève dans le texte passionnant de bout en bout de Castoriadis ce passage :

Dans la « République des Lettres », il y a – il y avait avant la montée des imposteurs – des mœurs, des règles et des standards. Si quelqu’un ne les respecte pas, c’est aux autres de le rappeler à l’ordre et de mettre en garde le public. Si cela n’est pas fait, on le sait de longue date, la démagogie incontrôlée conduit à la tyrannie. Elle engendre la destruction – qui progresse devant nos yeux – des normes et des comportements effectifs, publics sociaux que présuppose la recherche en commun de la vérité. Ce dont nous sommes tous responsables, en tant que sujets politiques précisément, ce n’est pas de la vérité intemporelle, transcendantale, des mathématiques ou de la psychanalyse ; si elle existe, celle-ci est soustraite à tout risque. Ce dont nous sommes responsables, c’est de la présence effective de cette vérité dans et pour la société où nous vivons. Et c’est elle que ruinent aussi bien le totalitarisme que l’imposture publicitaire. Ne pas se dresser contre l’imposture, ne pas la dénoncer, c’est se rendre coresponsable de son éventuelle victoire. Plus insidieuse, l’imposture publicitaire n’est pas, à la longue, moins dangereuse que l’imposture totalitaire. Par des moyens différents, l’une et l’autre détruisent l’existence d’un espace public de pensée, de confrontation, de critique réciproque. La distance entre les deux, du reste, n’est pas si grande, et les procédés utilisés sont souvent les mêmes. Dans la réponse de 1’auteur, on retrouve un bon échantillonnage des procédés de la fourberie stalinienne. Pris la main dans le sac, le voleur crie au voleur. Ayant falsifié l’Ancien Testament, il accuse Vidal-Naquet de falsification à ce même propos, et à ce même propos il se refalsifie lui-même (prétendant qu’il n’a pas écrit ce qu’il a écrit et renvoyant à d’autres pages qui n’ont rien à voir). On retrouve aussi les mêmes procédés d’intimidation : voyez-vous, désormais, relever les erreurs et les falsifications d’un auteur relève de la « délation », du « rapport de police », du « caporalisme savant » et des tâches de « procureur ». (Ainsi, Marchais engueule les journalistes : « Messieurs, vous ne savez pas ce qu’est la démocratie. »)

Ce qui importe n’est pas, évidemment, le cas de la personne, mais la question générale que Vidal-Naquet posait à la fin de sa lettre et que je reformulerai ainsi : sous quelles conditions sociologiques et anthropologiques, dans un pays de vieille et grande culture, un « auteur » peut-il se permettre d’écrire n’importe quoi, la « critique » le porter aux nues, le public le suivre docilement – et ceux qui dévoilent l’imposture, sans nullement être réduits au silence ou emprisonnés, n’avoir aucun écho effectif ?

Question qui n’est qu’un aspect d’une autre, beaucoup plus vaste : la décomposition et la crise de la société et de la culture contemporaines. Et, bien entendu aussi, de la crise de la démocratie. Car la démocratie n’est possible que là où il y a un ethos démocratique : responsabilité, pudeur, franchise (parrésia), contrôle réciproque et conscience aiguë de ce que les enjeux publics sont aussi nos enjeux personnels à chacun. Et, sans un tel ethos, il ne peut pas y avoir non plus de « République des Lettres » mais seulement des pseudo-vérités administrées par l’État, par le clergé (monothéiste ou non), par les médias.

Parole du Seigneur

Quand Dieu vous envoie des signes pour vous prévenir que vous feriez mieux de changer de comportement, en homme sage vous l’écoutez – par exemple si vous êtes malade pour avoir mangé d’une baie dont vous ignoriez, ou non, qu’elle était toxique, eh bien, une fois indéniable sa toxicité, vous cessez d’en manger, d’en cueillir, d’en offrir à vos enfants. Mais les élites d’aujourd’hui, sauf exception, sont devenues plus sourdes, plus aveugles et plus décérébrées que toute l’humanité ne l’était aux temps anciens des prophètes, qui avaient déjà du mal à faire leur travail, faire entendre le message de Dieu. Lequel m’a envoyé avant-hier un rêve où je voyais ces mêmes élites, intellectuelles, spirituelles, politiques, baiser avec des chiens. Je ne crois pas que les hommes vivent dans le mal, que le monde vive dans le mal. Je crois, parce que je le vois jour après jour, que ce sont ses élites qui sont corrompues, dont l’âme est si corrompue qu’elle croit que le mal est le milieu naturel de l’homme, et qu’elle ne peut même plus voir le mal qu’elle fait ni donc entendre les avertissements et les appels du ciel.

Pourtant il y a des hommes au cœur pur, parmi les élites comme parmi le peuple, la première élite. Et c’est pour eux et avec eux que Dieu continue à donner la vie au monde. 

La fraternité des parrains et des parrainés (aux dépens de qui ?)

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Mineur silicosé âgé de 47 ans, peu avant sa mort, photographié par Willy Ronis en 1951

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Bernard-Henri Lévy, toujours aussi comique, et plus que Dieudonné mais sans le faire exprès, appelle cette semaine à « la fraternité ». B-H-L figure de la fraternité ! Il n’y en avait qu’un pour être capable d’imaginer ça : lui-même ! Vu d’ailleurs que de lui-même, la fraternité des possédants et des occupants de l’espace médiatico-politique, ça s’appelle la mafia.

Fabrice Hadjadj, « philosophe » « chrétien », qui se vanta dans un livre d’avoir une âme de lyncheur de femmes jusqu’à ce que mort s’ensuive, et qui a mis son talent en œuvre dernièrement en lynchant bassement dans la presse deux femmes anonymes qui ont écrit un livre sur le sexisme de l’Église, vient d’être nommé par le bon papa François à je ne sais plus quel bon poste dans l’Église. Que beaucoup de femmes le supplantent dans le génie, il n’y peut rien, mais voilà au moins une place qu’elles ne lui prendront pas ! C’est efficace pour entraver l’honnêteté dans le monde, la fraternité des hommes ligués contre le génie des hommes et des femmes.

L’hebdomadaire catholique La Vie nous informe aussi que le comité interreligieux de la famille franciscaine appelle aujourd’hui au jeûne contre le racisme : à savoir l’antisémitisme et le racisme qui s’est exprimé à l’égard de Mme Taubira. L’appel en question n’étant pas donné en lien, j’ignore si ce sont les franciscains qui se sont limités à ces deux cas, ou bien le magazine qui ne voit que ce qui l’intéresse, les personnes de pouvoir. Ce serait bien aussi de penser aux victimes du racisme pauvres et démunies de voix et de parole, les Roms, les migrants, les Arabes, les Noirs, les musulmans… Ceux dont B-H-L ni les autres carriéristes d’alentour ne parlent jamais, quoiqu’ils vantent « la fraternité ».

Notre modernité

Tandis qu’on pénalise les clients des prostituées, tandis qu’on instaure un programme scolaire pour l’égalité des sexes (ou pour la négation des corps ?), on se prépare à autoriser la gestation pour autrui (aujourd’hui le gouvernement a sagement reculé sa loi famille, mais malgré leurs dénégations Manuel Valls et d’autres ministres et élites sont pour, voire militent pour la gestation pour autrui). Ce n’est déjà pas glorieux de vendre son corps, ou d’acheter un corps, dans des relations entre adultes, mais le vendre ou en acheter un dans une relation de mère à enfant, de parent à enfant, c’est plus ignoble que tout. Car même dans les cas où les mères porteuses sont censées ne pas vendre l’enfant, en fait elles sont payées pendant leur grossesse, ce qui revient au même. Et même si elles n’étaient pas payées, quel genre de mères voudrait-on promouvoir, capables d’abandonner l’être qu’elles ont porté et qui a besoin d’elles (et pas d’un ou d’une autre), de le faire non à cause de quelque tragédie (cela le nouveau-né peut le comprendre), mais parce que l’homme moderne doit pouvoir se procurer des enfants comme n’importe quel autre bien ? C’est donc cela, leur libération de la femme ? C’est ainsi qu’ils comptent réaliser l’égalité des sexes, en faisant des corps des machines, en niant la relation de mère à enfant pendant les neuf mois de grossesse, en arrachant l’enfant à celle qui l’a porté comme s’il n’y avait eu aucune relation entre eux ? Piétiner, insulter l’amour et la vérité, c’est cela maintenant, les valeurs de la gauche ? Ou ce sont tout simplement celles de l’homme moderne. Alors il faut s’interroger sur ce qu’est notre modernité : une mise au tombeau de l’humanisme.

À une femen qui ne parle pas français, qui se laisse acheter par n’importe qui y compris le diable comme elle le dit, qui salit les femmes et l’homme en général, on donne un passeport français, le droit de séjourner sur notre sol et l’honneur de figurer Marianne sur un timbre. Tandis qu’en plein hiver on chasse les familles roms avec leurs enfants de leurs bidonvilles, qu’on enferme des migrants dans des centres de rétention, qu’on expulse des réfugiés, qu’on interdit à des femmes voilées d’accompagner leurs enfants en sortie scolaire. Voilées ou non voilées, quoique bien françaises nos concitoyennes d’origines maghrébine ou africaine ne posent pas pour Marianne. Elles n’ont tout simplement pas l’avantage d’être de type caucasien. Voilà encore notre modernité.

Nous ne voulons pas d’une modernité qui a des relents puants de vieilles pages d’histoire sinistre, ni d’une modernité de science-fiction et de planète des singes. Nous voulons la modernité éternelle et toujours neuve de l’amour, de la vérité, de la vie, de la joie. Et nous l’avons, et elle vaincra.

Actualité mortifère de Heidegger

On continue ici et là à bavarder autour de l’antisémitisme de Heidegger, et ce n’est pas fini. Mais qui parle du fond de l’affaire ? À savoir, que l’antisémitisme de Heidegger est un anti-nomadisme. C’est là dessus qu’est fondée toute sa pensée, dès Être et Temps. Nous sommes en plein dans le conflit entre Abel et Caïn, inversé : ici c’est Abel qui veut tuer Caïn. Pour Heidegger, être c’est être dans une langue, sur un sol. Être dans le délimité, le cyclique, le cercle fermé, dans l’espace comme dans le temps. Son Dasein est l’être du cultivateur dans son champ, du fermier en famille dans sa ferme. Se référer aux Présocratiques est pour lui une façon – pour laquelle il n’hésite pas à s’illusionner sur une prétendue parenté entre le grec et l’allemand – de s’en tenir à une sorte d’immanentisme, de ne pas dépasser les mécanistes, de ne pas voir dans leur belle et nécessaire pensée l’étape qui permet d’avancer vers la pensée des fins dernières, des fins de la fin, des fins d’après la fin. Le « berger de l’être » de Heidegger est un berger figé, enraciné comme un épouvantail. La pensée de Heidegger aujourd’hui, son antisémitisme fondamental, règne aussi bien dans le mépris réservé aux migrants et aux sans-terre que dans le sionisme et dans tous les nationalismes et les communautarismes, dans le repli sur des familles fermées, loin, bien loin de l’esprit des familles très élargies et itinérantes sur lesquelles sont fondées les religions judéo-islamo-chrétiennes. Voyage et sa règle des Pèlerins d’Amour sont l’antidote à cette pensée mortifère.