Le visible et l’invisible

à Soulac-sur-mer. Photo Alina Reyes

 

Plus le visible est, plus l’invisible paraît.

« Plus le visible est » ne signifie pas « plus le visible est visible », mais plus puissamment il est.

« Plus puissamment il est » ne signifie pas « dans une démonstration de force » mais plus intimement il est proche du réel, proche de lui au point de pouvoir le transformer.

« Transformer le réel » ne signifie pas « transformer la matière ou le matériau ou le biologique » mais transformer tout l’être en se faisant plus proche de lui que lui-même, en s’incorporant en lui.

C’est ce que disent toutes ces paroles : incarnation, transsubstantiation, eucharistie, royaume. Et aussi : « au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu ».

La transformation, c’est la transformation du visible en invisible. La transformation du visible en un invisible rendu visible par le passage de l’être lui-même dans l’invisible. Pour voir l’invisible, il faut être soi-même de l’invisible. Qui voit l’invisible est transformé, et ne se tient dans le visible que comme un ferment de l’invisible, un ferment de transformation du visible en invisible.

L’invisible est amour. L’amour, qui l’a vu ? Et pourtant presque tous les hommes savent qu’il existe, même quand ils ne savent pas que l’amour est Dieu, puisque Dieu est amour. L’amour peut se voir sur le visage d’un être qui aime, l’amour se voit dans ses oeuvres, son oeuvre de transformation du monde aveugle à l’amour, en monde qui vient à la vue : en monde où l’invisible paraît et se révèle. La transformation est création du monde qui entre dans l’amour.

 

Icône vivante

 

Mon coeur, mon amour, mon Poème,

ma beauté, ma douceur, ma fantaisie,

ma drôlerie, mon drame, ma vie,

mon Étrange, mon Témoin de la vie qui nous vient d’où nous ne savons pas,

mon énigme, mon trésor extraordinaire, mon don du ciel,

toi qui nous donnes à Le voir en nous faisant tomber par terre comme l’apôtre,

toi dont le regard nous regardant troue le monde,

y troue le petit passage par où nous faufiler pour entrer dans la voie de l’amour absolu,

mon enfant venue habiter avec moi par un rêve il y a si longtemps,
c’est toi en moi qui me donnas de tout donner.

C’est pour ça que je sais qu’avec tes frères, avec tes soeurs, vous êtes
les anges qui empêchent le monde de sombrer.
Merci à vous, petits signes lumineux dans les nuits des destins !

 

la vie, vs les veaux en métal fondu

Lumière du matin à la Pitié-Salpêtrière. Un errant fait halte sur la promenade haute. Photo Alina Reyes

 

« Vous, comment auriez-vous la capacité d’avoir la foi, en prenant gloire et pensée les uns des autres, au lieu de les chercher d’auprès du seul Dieu ? »
Évangile selon Jean, chapitre 5, verset 44, dans ma traduction.

Depuis le dix-neuvième siècle, le culte des saints s’est transformé en idolâtrie. La petite Thérèse, qui voulait devenir une grande sainte, est devenue la reine des idoles, dont on promène des bouts d’os en procession. Elle ne savait pas qu’il ne faut pas vouloir devenir saint, mais aspirer à la sainteté non pour la sainteté mais pour la dépasser dans l’union avec le Ciel. Ce phénomène d’idolâtrie continue de gangrener le catholicisme, qui compte de moins en moins de grands saints et de plus en plus de saints mineurs – combien Jean-Paul II en a-t-il inventé ?, lesquels sont proposés à l’idolâtrie sans yeux de faux croyants de plus en plus nombreux, quand la vrai foi est de plus en plus rare.

Je ne vois pas d’idolâtrie autour de François d’Assise, de Thérèse d’Avila ou des Pères. Le culte d’une multitude de saints dans le passé n’était pas non plus une idolâtrie au sens moderne du terme, avec le sentimentalisme stupide et dégoulinant qu’elle comporte, corollaire d’une haine secrète et violente à l’égard du Chemin, de la Vérité et de la Vie.

Le Christ renvoie toujours au « seul Dieu » et toujours se dérobe à tout ce qui voudrait faire de lui, si peu que ce soit, une idole. D’où son problème avec les hommes.

L’homme en union avec le Ciel se voile pour Le révéler.

 

au-delà

ce soir à Paris. Photo Alina Reyes

 

« Voici un autre mot, assez singulier pour nous, d’un théologien musulman.
Hallâj passait avec ses disciples dans une rue de Bagdad où ils surprennent le son d’une flûte exquise. Un de ses disciples lui demande : « Qu’est-ce que c’est ? »
Il répond : « C’est la voix de Satan qui pleure sur le monde. »
Comment faut-il commenter ? « Pourquoi pleure-t-il sur le monde ? Satan pleure sur le monde parce qu’il veut le faire survivre à la destruction, il pleure sur les choses qui passent, il veut les ranimer, tandis que Dieu seul reste. Satan a été condamné à s’attacher aux choses qui passent, et c’est pour cela qu’il pleure. »
Vous le voyez, là encore, l’orthodoxie, l’idée directrice de cet art musulman est de hausser au-delà des formes, de ne pas laisser idolâtrer les images, mais d’aller au-delà vers Celui qui les fait bouger comme dans une lanterne magique, comme dans un théâtre d’ombres, qui est le seul permanent. »

« L’art n’a pas à souligner l’harmonie des choses, mais la trace de leur passage : Dieu seul ne passe pas. »
Louis Massignon, Topographies spirituelles

*

Un Occident de plus en plus muséal, commémoratif, facticement mémoriel. Un Orient de plus en plus tenté par le repli dans le passif de l’histoire. Partout le même homme moderne apeuré, angoissé, paniqué par la fuite en avant de son monde.

Laissons à Dieu seul le fait de ne pas passer. La vie, l’avenir, la paix du coeur appartiennent à ceux qui savent assumer leur condition d’hommes, à ceux qui savent passer. C’est en passant toujours et de nouveau que l’homme peut arriver à l’ultime passage, celui de Pâques.