Libre. Grande joie du travail

Photo Alina Reyes

 

Réveillée tôt par le désir de vivre, écrire. Le jour vient, l’âme et le corps s’étirent, cri joyeux vers le ciel : je suis libre ! Et je donne aux hommes d’être libres.

Je n’ai pas la bassesse de travailler pour ma gloire, fût-elle posthume. Ceux dont toute l’existence est bassesse, qu’ils aillent se faire voir, et guérir de leur manie de marcher dans les pas de la bassesse.

Comme mon frère Jésus, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie. Nous montons sans fin, dans et pour la gloire du Ciel. Qui nous aime, nous suive !

Voici que le premier oiseau chante. Merle qui lance quelques trilles et déchire avec un avion les ombres. Tout se prépare.

 

la pluie

la pluie sur le trottoir. Photo Alina Reyes

 

La pluie chante la nuit dans les cours

les jardins et le long des trottoirs

Vent, retiens ton souffle, qu’il ne rabatte

la pluie sur notre frère Pascal qui dort

dehors dans une encoignure.

Sois juste tendre, pluie, berce

le sommeil de ceux qui s’enroulent

au sol loin des bons lits

et de ceux qui sont seuls dans leur cœur.

Murmure-leur la parole du ciel,

qu’ils sachent que leur splendeur

la fait vers eux descendre.

Dis-le à qui est loin : il est tout proche.

 

l’heureux travail

Photo Alina Reyes

 

En train de travailler au onzième livre (par rapport aux dix de Voyage), près de deux cents pages d’évangile, bientôt téléchargeable sur ce site. Le douzième est commencé, je m’y consacrerai à la suite. Que faire quand le monde perd toute raison, perd la lumière ? Bien garder lumière et raison, pour pouvoir les lui rendre quand il sera en mesure de les désirer. Bien garder la bonne vie avec les proches, bien garder l’amour de la vie et des êtres humains et de toute la création, bien garder le goût et le courage du chant et du travail. Confiance, je fais avec les cailloux des cairns, nous y arriverons.

 

La postérité spirituelle de Joachim de Flore, par Henri de Lubac. 13) Vers des zones inconnues

Photo Alina Reyes

 

Nous avançons dans l’ouvrage passionnant d’Henri de Lubac, et la postérité spirituelle de Joachim de Flore ne s’arrange pas. Que de lourdeur accumulée au fil des siècles dans le regard de ceux qui essaient de considérer Dieu, ou plus exactement de le détourner à l’avantage de leurs vues ! Nous assistons à une tentative désespérée de l’esprit humain au cours du temps pour se débarrasser non seulement de Rome, certes toujours trop entachée de péché, mais surtout, en vérité, de Dieu. En fabriquant un nouveau dieu, un dieu selon « l’Esprit » qui s’avère un dieu selon l’égarement, l’illusion, ou la tentation idolâtrique d’un veau d’or. Cependant, au milieu de cet embroussaillement, le très discret fil de lumière tient bon et poursuit son chemin.
Parcourons avec le P. de Lubac le chapitre onzième du tome 2. Nous nous étions arrêtés la dernière fois à Chateaubriand et au règne de Louis-Philippe, également évoqué par Philippe Muray dans la note d’hier pour éclairer le plombant héritage de notre société.

« L’Église dont Lammenais rêvait n’était au fond pas plus celle de l’Esprit que celle du Christ, parce qu’elle n’était pas une Église réellement donnée de Dieu, distincte de la société naturelle, insérée surnaturellement dans le monde pour le mener à sa fin, mais la voix même de l’Humanité. (…) Par une inversion apparente, qui a rempli de stupeur nombre de ses contemporains, il a pu repousser un jour l’Évangile interprété par Rome au nom de l’Évangile interprété par les peuples, ou le christianisme du « pontificat » au nom du christianisme de la « race humaine » ; il a pu passer d’un système de théocratie papale à celui d’une démocratie toute laïque, parce que le pape avait été pour lui le substitut ou plutôt l’organe du Peuple. (…) » (t.2, pp 68-69)

N’en sommes-nous pas toujours là, implicitement ? À penser comme Lammenais que « le christianisme et l’humanité sont une même chose » ? (p.74).
« En 1834, il ne cesse de redire que son intention « est de rester soumis dans l’Église et libre en dehors de l’Église », « soumis en religion et libre sur tout le reste ». Mais ce dualisme qu’il proclamait du prêtre et du citoyen ne correspondait plus dans sa pensée profonde à aucune réalité. Il n’avait pas entièrement tort de reprocher à Grégoire XVI sa politique. Il avait raison de lui rappeler une distinction essentielle en principe, quoique, dans la conjoncture historique, malaisément pratiquable. Mais il avait certainement le tort de ne guère se soucier pour lui-même d’une telle distinction. Ce qu’il proposait ensuite au pape comme base d’un traité de paix, c’était une dichotomie radicale, aussi peu souhaitable en elle-même qu’impossible à tenir en pratique : or nul n’était moins fondé que lui à s’en prévaloir. La part qu’il se réservait, en effet, la part qu’il exigeait, en réalité c’était tout, sa politique étant religion et sa religion, politique. » (t.2, p.69)

Le dualisme est une voie impossible, une voie qui ne mène qu’à la casse, aux enfers, à la seconde mort. Il n’y a pas deux libertés, il n’en est qu’une. On ne cloisonne pas son existence sans l’enfermer, et soi avec, dans la mort. Le dualisme est un existentialisme mortifère, celui dont nos « élites » ont hérité. Le dualisme ne se résout pas non plus dans une tautologie qui réduit une part à l’autre. Le Chemin, la Vérité et la Vie est tout autre (je mets le verbe être au singulier car les trois termes ne doivent pas être séparés). Il est ouvert, pur de toute intention et tentation humaines, gratuit. En ce sens seulement il est politique, politique de l’Amour.

Nous avons vu hier Muray parler de la « langue morte » du citoyen-citoyen de ce début de vingt-et-unième siècle. Lubac, oreille juste, nous parle maintenant de la « langue molle » dans laquelle Lamartine émet ce qui ressemble à « une proclamation de plus – sonore, mais prudente, à long terme – de l’Évangile éternel », « langue molle qui ne rappelle en rien la passion sèche et concentrée de Joachim de Flore, ni les accents, les fureurs, les images ou les extases de tant de ses héritiers successifs ». (t.2, p.76)
Concluant : « Lammenais et Lamartine : deux Joachims romantiques et sécularisés. Du moins le premier n’avait-il pas la fadeur trop fréquente et parfois trop opportuniste du second. » (p.78)

Voici maintenant les tentations élitistes et illusoires d’un autre poète, Vigny. « Ce que Vigny ne peut pardonner à Lammenais, ce « prêtre du pape » devenu apostat, c’est d’avoir agité malsainement le monde en brisant le cristal des « célestes illusions » dont lui, vigny, s’estime cependant affranchi. Jamais il ne renoncera pour lui-même à ce rêve hautain, qui finira même par trouver une forme apocalyptique dans son poème de l’Esprit pur, et c’est alors qu’éclatera le vers triomphal :

Ton règne est arrivé, Pur Esprit, roi du monde !

Là est sa pensée la plus étroitement personnelle. Au règne du Christ Vigny voit se substituer, non dans l’humanité entière, mais dans une élite dont il est un représentant, ou plutôt même le chef de file, le règne de l’Esprit. » (t.2, p.82)

Quant à Balzac, il n’échappe pas lui non plus à un certain dualisme, déclarant : « Politiquement, je suis de la religion catholique (…) Devant Dieu, je suis de la religion de saint Jean, de l’Église mystique… » (p.86), ni à l’égarement spiritualiste qui l’entraîne du côté de Swedenborg, ni à la tentation élitiste qui lui fait considérer que « la religion mystique de saint Jean est logique, elle sera celle des êtres supérieurs ; celle de Rome sera celle de la foule. » (p.87)
Nous sommes loin du Christ, venu pour tous. Pour faire de tous une élite, le peuple élu. Mais arrêtons-nous plutôt dans cette étape avec cette phrase de Balzac par laquelle Lubac conclut son chapitre :
« Je trouve que s’il y a quelque plan digne (de l’Église romaine), ce sont les transformations humaines faisant marcher l’homme vers des zones inconnues. »

 

« perspectives »

Hier soir, rue du Cardinal-Lemoine, Paris 5e. Photo Alina Reyes

 

« … Il y a aussi des comiques citoyens (pas drôles du tout), un tourisme citoyen (avec charte éthique du voyageur et Guide du Routard humanitaire pour une autre approche du tourisme), des immeubles citoyens (ceux où on organise des repas de quartier), un Jésus citoyen (celui d’Hossein qui, sur les affiches, proclame : « Je serai toujours avec vous ! », falsification citoyenniste de la phrase du Christ rapportée dans les Évangiles : « Je serai avec vous jusqu’à la fin du monde », déclaration sans doute jugée trop brutale désormais parce qu’impliquant des perspectives pour le moins apocalyptiques), des ateliers d’artistes citoyens (…) Tout ce qui avait si timidement commencé, au XIXème siècle, avec Louis-Philippe, le Roi-Citoyen, cet oxymore incarné, finit avec le citoyen-citoyen, cette tautologie de masse, et se transforme aujourd’hui en déferlement : mais en déferlement de langue morte, ou néo-rituelle. »

Philippe Muray, « L’avenir tel qu’il parle », in Moderne contre moderne. Exorcismes spirituels IV, juin 2000

« Lorsque je sortirai, je pourrai reprendre mon petit chemin ici et bientôt la belle saison va venir et je recommencerai les vergers en fleur. »

Vincent Van Gogh, Lettres à son frère Théo

 

air pur

Photo Alina Reyes

 

Échangé quelques mots avec des SDF. J’ai toujours l’impression que ces gars-là sont mes amis, c’est pourquoi souvent je ne m’arrête pas, car ensuite j’ai un peu de peine à les quitter. J’ai eu envie de leur dire picolez pas trop les gars, faites attention à vous, et de parler plus avec eux, mais je n’en ai rien fait, peut-être une autre fois je le ferai. En tout cas ils étaient bien joyeux, on s’est bien souri.
Je cherche du boulot, j’épluche les petites annonces, hier matin j’ai déjà envoyé une candidature spontanée, ça ne me déplait pas, ce qui m’attire le plus ce sont les plus petits boulots, je voudrais bien en trouver un même si c’est bien mal payé. Lire une offre d’emploi c’est comme lire une recette de cuisine ou même lire un livre, cela projette dans quelque chose, un moment (celui de préparer le plat, puis de le servir et de le manger) ou tout un pan de vie, le travail, son atmosphère… Faire un travail humble a quelque chose de libérateur justement à cause de l’humilité du travail, on ne le fait pas dans le but de servir une quelconque ambition, mais seulement parce qu’il faut bien gagner sa vie et celle de sa famille. Cela suffit, c’est très beau, surtout si le travail est d’utilité publique, comme faire le ménage dans une entreprise ou soigner des gens, ou les servir.
D’autres choses suivront, dans ma vie personnelle et dans ma vie pour tous. Nous donnerons témoignage de la vie claire.
Je fais confiance au ciel parfaitement, je travaille avec lui, c’est pour tous même si cela n’en a pas l’air, et je suis bienheureuse.